il ne comprend pas. car le bureau devrait être occupé, car ses yeux toujours gorgés de mélancolie devraient le dévisager d’amour, car ils devraient se rencontrer, inévitablement, dans le lieu où il exerce, où il rend visite, où il consulte pour la blague plus que pour la santé. mais croyance n’est pas. alors il retourne sur ses pas, questionne ses soi-disant collègues ; c’est là qu’il apprend.

blessé, alité ; le médecin est devenu patient et personne ici bas dans cet hôpital de malheur n’a eu la merveilleuse idée de prévenir celui qui ronge son cœur avec malice et passion. il ne faut qu’une seconde à l’allié des morts pour se tendre, se laissant dominer par la colère et alors, il se sent désagréablement vivant. respirer l’irrite. sentir son cœur battre aussi fort, aussi vite ; il voudrait l’arracher, se mouvoir librement, ne plus succomber à la rage qui a fait éclater sa patience.

si ce n’était pas de ses mains, de qui croyance pouvait-il souffrir ?

de par une marche intense dont les pas frappent le sol à en faire frémir le personnel avoisinant, il sillonne les couloirs, se convainc en un instant que les cadavres pouvaient bien attendre,

c’est alors qu’il se tient devant la porte de la chambre où trône son nom, figé, soudainement. un souffle, l’ébauche insatisfaite d’un rire nerveux, et ses yeux qui le surprennent à ne pas vouloir se concentrer sur la poignée. il inspire, passe une main agressive de son front à ses cheveux pour les tirer en arrière ; puis il entre, et enfin

la paix

il sourit, se dévêtit de toute sa rage. il découvre son croyance, et c’est comme s’il le reconnaissait seulement, après des années d’oubli. il s’approche, silencieux, vient tirer une chaise pour rejoindre le chevet de son amant interdit. il croise alors ses bras sur le matelas et y repose son visage, prêt à s’endormir à ses côtés.

« bien le bonjour monsieur halloway. je suis en retard pour ma consultation je crois. »

il la ressent dans tout son corps, la première caresse que croyance abandonne avec douceur dans ses cheveux. les suivantes étaient alors plus sincères encore, et il croit qu’il quémande, quand il tire — non, il sait qu’il ne quémande pas, qu’il est simplement doux ; mais alexander a besoin de prétexte pour faire ce qu’il fait,

pour ne pas être honnête avec lui-même.

il se redresse alors, détruit le silence qui loge entre leur deux corps par le bruit des draps qui se froissent sous ses mouvements, car calmement ses bras prennent appui sur le lit et il se relève de son siège pour mieux se pencher, entourant ce corps fragile dont il n’est pas l’agresseur, et il l’entoure avec tellement

de douceur

qu’ils se touchent finalement à peine, dans cette enlaçade sacrée.

son visage trouve refuge dans l’oreiller du patient, parce qu’il ne pouvait pas le forcer dans le creux de son cou. ses mains étaient disposées telles qu’elles effleuraient ses cheveux blancs, sa poitrine contre la sienne il ne la sentait que quand leur torse se levait pour faire place aux poumons qui veulent vivre.

il avait par ailleurs dit, à voix basse, cette fois sans accentuer la moindre de ses paroles car tous ses mots étaient importants. « bien sûr que je suis venu. »

les secondes défilent donc, jalouses des deux hommes qui n’eurent besoin de plus de mots pour se dire je t’aime. mais la douceur est amère, et elle tend ses muscles, frustre sa passion. il se redresse alors, rejoignant sa chaise pour redevenir la nonchalance élégante qu’il a toujours été. son sourire, celui de l’espiègle, vient alors embellir son visage mais les yeux ne peuvent chasser la peine qui le ronge.

« qui t’as fait ça ? » qui s’oserait à voler son œuvre la plus parfaite ? croyance jamais ne saboterai sa mort. tout lui était réservé. il repose soudainement ses mains sur le matelas, touchant du bout des doigts la faible main de son art. « non. non, ce n’est pas important… je vais te réparer, croyance. c’est moi la mort et je n’ai pas décidé de ça… mes aïeux si je le trouve… mais je ne le tuerai pas, tu le sais. je ne gâcherai pas mes efforts, je suis un honnête homme. »

se lient leurs doigts, silencieux, pour imiter leur coeur, sans qu’ils ne puissent un jour le révéler. ses pupilles reflètent tant l’amour que la douleur, son souffle calme inquiète les morts, mais il écoute, alexander ; ne rompt pas la parole, considère croyance tout entier, dans sa douleur, dans sa fatigue, dans son corps qu’il traîne avec faiblesse et vaillance… il écoute, n’ose l’interrompre, n’ose vraiment lui répondre. il aurait peur de se trahir, de trahir ariana, et de trahir l’équilibre de son chaos.

une seconde alors, il se demande : l’aime-t-il autant qu’elle ? et s’il répondait non, ce n’est pas qu’il l’aime moins, non,
c’est qu’il les aime tous les deux tant que c’est trop.

et gouverné encore et toujours par ce silence entrecoupé de pauvres mots qui, timides, se frayent un chemin dans l’atmosphère, il se croit capable d’être lui, d’être cet homme que le commun des mortels passionne, d’être celui qu’on déteste mais qu’on aime, qu’on regarde, curieux, qu’on désire approcher mais dont la nécrose effraie même si elle fascine… alexander aimerait être l’alexander du peuple mais face à croyance en douleur, le peuple peut crever de son absence. alors comment doit-il être ? enseveli sous la rage, animé par la peur, dévoré par la folie ? simplement calme ?  mais la question se pose, et elle brûle.

non, bien sûr que non.

« je l’ai toujours été. » la main prise dans la sienne, il ne le quitte pas, se contente de faire danser son pouce contre sa paume, alors que leurs doigts restent entremêlés. « comment ne pas l’être ? »

l’univers se meurt, la folie le gagne, la conscience le débecte, l’amour l’emprisonne, le désir le culpabilise, les cadavres s’empilent, la viande est tendre, les os se brisent toujours. comment ne pas se satisfaire de cela ?

« c’est affligeant, tu sais. » ce sujet. ce mensonge. mais il veut évoquer autre chose. s’évader de la vérité qu’il lui quémande. énoncer celle qu’il n’avouera jamais qu’à lui seul.

« j’aurai dû t'enfermer. je pourrais encore t’enfermer. si je te tue, tu ne souffriras plus, tu sais, croyance ? faut-il que je le fasse, alors ? penserais-tu toujours à mon bonheur, mort ? y veillerais-tu ? haha. » rire arrogant, il l’imagine déjà lui promettre que oui, que la mort ne le séparerait jamais de lui. croyance, tendre croyance. la mort ne sépare pas les morts.

tous les droits du monde, offert par croyance lui-même. mais dans son tendre sourire qui emprunte plus ses traits au dédain qu’à la douceur, il dit en silence ; non.

la colère le détruirait en une nuit, le malheur gâcherait ses lubies, être celui qu’il aime serait le sacrifice de sa vie. pour croyance, alexander ne pouvait être qu’un tyran carnassier, dont les défauts se trouvent tous entassés dans le manque et les désirs interdits.

et ça, la société n’en veut pas. elle condamnerait cet homme qui séduit le danger, se débarrassait du monstre qui toujours a compté sur son lourd sommeil alors qu’il s’exprime éveillé.

mais malgré le doigt pointé sur tout ce qu’il ne sera jamais il garde toutefois en mémoire qu’il existe sur cette terre un homme capable de l’aimer, même un couteau dans le corps. il était là pour ça, ce soupçon de sucre dans le creux de ses lèvres.

silencieux à ses déclarations, il l'observe peiné dans ses mouvements, se délecte sans honte de le voir en souffrance et c’est pour cela qu’il n’aide pas. comment le commun des mortels pouvait-il rester insensible à la douleur des malades ? ils sont si mollassons, le cœur rampant… il suffit de tendre la main pour attraper les cadavres en devenir. certains pourraient apaiser leur égo en les sauvant, quand d’autres, comme lui, seraient bien heureux de pouvoir les achever… il déglutit, marque toute sa retenue par son visage dur qui refuse de laisser s’échapper le moindre mot. il fallut une question enfin pour sortir l’homme de son mutisme, lui offrir plus frivole comme sujet que l’essence de sa vie.

« pourquoi attendre l’année prochaine ? » saisir sa chevelure si éclatante dont les reflets se nourrissent de la lumière, il s’imagine bien traîner de la ville à la forêt pour aller saluer la chère et tendre maman du garçon. mais il reste immobile sur sa chaise, la seule chose qu’il tenait entre ses doigts se révélant être les siens.  « je t’accompagnerai. » quand l’envie le prendra ; il abandonnera ses projets pour découvrir le sien.  « c’est une tombe ? pourrais-je la profaner ? » il n’attend alors plus de réponse.  « décortiquer le cadavre décomposé de ta pauvre mère mon dieu quel rêve ; je fouillerai ses entrailles pour voir où tu t’es reposé neuf mois avant de subir la vie, mais sois sûr, je le jure ! je lui redonnerai sa jeunesse d’antan ; elle sera belle, et je la recouvrirais de terre à nouveau pour qu’elle se repose après avoir ressentit toute la torture de son enfant. j’ai si hâte, de taper dans ses intestins. tu viens d’éveiller en moi ce dont je n’avais plus pensé depuis plus de vingt ans… »

voilà qu’il ne fallut que l'énoncé d’un mort, finalement, pour que meurt son amour pour l’un et s’éveille sa passion pour une autre.

avoue ses crimes, l’homme pâle qui d’une simple parole, lui interdit d’en commettre un. le loup à tué l’évangile pour s’en déguiser, et alexander l’écoute parler, parler plus que d’ordinaire, découvre la mélodie de sa voix qui le plus souvent ne s’étend pas assez pour qu’il écoute toute la chanson, et ça le berce, étrangement,

ça le berce d’écouter, quand d’habitude, il est celui qui parle.

« il n’y a pas qu’elle qui se voit mourir avant toi. »

il n’y a pas que sa mère qui refuse de voir la fin, si ce n’est pas lui qui l’écrit.

sa main lui appartenant il ne s’imaginait plus quitter la pièce et le quitter lui ; comme si un au revoir ferait tomber le rideau sur leur histoire. il voudrait même se fondre contre le tissu, se lover dans ses bras, respirer son odeur pour s’endormir dans un silence capable d’assassiner ses pires cauchemars. plus aucun réveil. il n’y a que bordé par croyance qu’alexander ne craint plus la vie ni la mort, car il n’y a que lui capable de subir l’un comme l’autre pour l’en protéger.

et s’il voudrait se lever pour se coucher à ses côtés, il ne le peut toutefois pas. ses blessures dont il ne connaît pas les profondeurs, ça l’angoisse. croyance est devenu fragile. aussi fragile qu’ariana. et l’un comme l’autre ; il ne veut pas les briser.

ses enlaçades sont si passionnées qu’elles cassent des côtes, ses baisers si brûlant qu’ils s’embrasent dans le sang, et ses doigts, s’ils peuvent tracer la rivière des cicatrices, ils creusent pour les ouvrir et s’y loger.

« tu t’excuses d’un fait dont je ne sais rien ; tu m’accuserais presque d’être un ignare le regard vagabond alors que tu saignes dans mes bras. je ne comprends pas. je suis là, tendre, quelquefois des brides de moi s’échappent et je laisse se répandre le fond de ma pensée puis tu me censures, tu me dis non. jamais tu ne m’aurais dit non. j’amais je n’aurai fait taire ma nécrose. tu n’étais pas à ton bureau aujourd’hui, tu ne m’as pas prévenu. mais tu t’excuses pour un combat que personne n’a vu. ce qui est étrange ce n’est pas toi, c’est moi. c’est nous. tu es devenu fragile et je suis devenu faible. »

contre son désir il se détache, range ses deux bras contre lui, ses mains mollassonnes tombent sur ses cuisses. à ses côtés il se rend compte qu’il est un enfant. trop libre. qu’il s’échappe de sa trame. ça le dérange.

« je ne sais même plus comment j’ai fait ta rencontre. »

le voilà, il s’accroche à son histoire, celle qui se pare d’oublis, celle qui n’a aucun sens, celle qui doit le tuer véritablement.

« tu dois guérir, croyance. vite. si ce n’est pas moi qui te mets dans un lit d'hôpital ça m’énerve. et tu me dis de contenir mes envies et je dis oui ? je deviens fou. pas un bon fou. tout ça, là… » une main tourne en l’air, veut englober cette scène qui est la leur. « ce n’est pas… moi. » c’est trop de repos dans son chaos. ça le démange. c’est doux comme une caresse, ça n’a pas l’odeur de sang. il a faim ; sa gorge est sèche, son estomac est noué. « j’avais pensé à tout mais pas à ça, alors tu dois te dépêcher de guérir. » il se relève, tourne dans sa chambre. « c’est ça, j’étais noyé dans la tristesse ? je sors enfin la tête de l’eau ? je n’avais pas peur de ta mort, j’avais peur qu’elle ne soit pas la mienne ? tu respires, tu parles, tu vis mais je ne peux rien te faire ? quel bordel. vous êtes tous étranges en ce moment ! »

ou bien est-ce lui, qui se rend compte qu’une vie paisible n’était pas un poison ?

seul, plus seul encore qu’à l'accoutumée ; ses propres démons se sont défait de lui pour qu’il souffre mieux, et seul. dans son univers sans frontière où tout ne mène qu’au précipice, il se sait courir sur les pourtours de son monde qui s’effrite, ricane trop souvent lorsqu’il manque de rater un pas, mais aujourd’hui ses yeux se sont ouverts, et il a vu

qu’il était seul, véritablement seul, dans le chaos de ses mémoires.

qui est-il ? qui aime-t-il ?

depuis quand alexander ne s’était-il pas intéressé qu’à lui-même ?
il y pense. pour croyance il ignore, mais c’est comme une évidence. pour ariana tout un tableau se dessine sans qu’il ne se fatigue à trouver les pinceaux ; elle était là dans la foule si petite pourtant le courage si grand, l’envie capricieuse d’être reine au milieu des bouffons et c’est ce jour ci, à cette première rencontre, que son coeur s’était entiché d’elle plus que de lui-même.

un regard pour l’inquisiteur qui a forcé les traits de ces images qu’un jour il oubliera, mais celui-ci ne veut plus offrir ses yeux. il compose, se contente du rideau de ses cheveux opalins.

toutes les folies qu’il prononce avant de ne plus lui adresser un regard ont l’amer arrière-goût des vérités. alexander déglutit.

« là où tu ne veux pas me suivre. », corrige-t-il.

son croyance pouvait braver vents et marées pour être le drap qui couvrirait ses brûlures. celui qui s’étend sur ce lit ne pourrait même pas lever le petit doigt. ses sourcils se froncent, parce qu’il comprend qu’en épousant l’une il venait de perdre son autre.

« un medecin m’aurait guéri. »

un médecin lui aurait donné tous les amours de sa vie. sans la folie il aurait été audacieux, il aurait pu avoir les deux. il n’aurait jamais frappé l’un pour épargner l’autre : il n’aurait jamais eu à frapper qui que ce soit. sans la maladie il aurait été heureux.

« je suis revenu, aujourd’hui. » et je reviendrai toutes les fois. « tout ce que je suis je l’ai mis dans un bocal pour que tu puisses l’admirer, t’en nourrir et en user. ne me mens pas, croyance. si je survis dans ma boite en verre c’est parce que tu as promis de ne jamais te lasser de moi. » d’aimer le mal jusqu’à en consumer sa noirceur, que ne subsiste que la vie pour féliciter leur danse macabre.

mais plus une étreinte ne lui était accordé : puis-ce que plus un regard ne s'affaissait sur lui. étranger il reste vagabond à ses côtés, crois ne plus porter aucun titre, car s'il avait toujours réussi à se défaire du moindre choix c'était aujourd'hui croyance qui avait pris les décisions pour lui.