Il fallait un lieu anonyme ;
Un lien anonyme pour en sortir ; un lieu anonyme pour pourtant pour la première fois vous voir à visages découverts.
Un lieu anonyme pour tout en douceur aborder les choses ; un lieu anonyme pour dissimuler vos attaches, pour vous rencontrer un peu mais pourtant pas trop ; un lieu anonyme car on ne brise pas les protections bienvenues qu’offre le Magicnet d’un seul coup.

C’est déjà un grand pas que de vous rencontrer ; un grand pas que tu t’étonnes à moitié d’avoir fait. L’autre moitié est doucement rassérénée, certaine d’avoir pris la bonne décision, soulagée qu’enfin ça arrive.
Il était grand temps, te dit cette moitié (l’autre ignore, l’autre bougonne, l’autre angoisse pour des choses stupides).

Alors balayant toutes les pensées précédentes, tu as choisi un lieu anonyme mais pas franchement accueillant… un lieu où vous seriez tranquilles, c’était garanti.
Le temps s’est bien rafraîchi mais d’un sort tu te réchauffes. Puis tourne dans la maison déserte, le grincement du parquet occupe ton esprit.
Une idée douteuse, une rencontre douteuse, un lieu douteux, au moins tout est accordé. Et tu as beau faire les cent pas pour oublier avec soin ce qui t’attend (pourtant pas la potence), l’angoisse reste, fidèle au poste.
Angoisse naïve, angoisse stupide et agaçante qui te rend faible. Et pourtant malgré l’agacement, elle demeure.

Tu as passé le portique grinçant en prenant garde à passer inaperçu puis à grands pas, tu t’es dirigé vers la maison. Vide et pourtant qui te donne cette impression d’être peuplée. Hantée.
Tu as vu pire que des fantômes, cette année, te dis tu. La tranquillité a un prix et il est finalement bien peu.
Tu ignores qui tu attends - tu n’as qu’un mot pour le qualifier, qu’un nom qui ne renvoie à personne si on cherche ; qu’un nom fantôme et pourtant derrière lequel se cache une personne.

Tu continues les cent pas ; te stoppes lorsque tu entends le portillon grincer. Retenant ton souffle, tu t’adosse à un mur proche de l’entrée, le rideau à demi tiré protégeant vaguement les vestiges du salon recouvert de graffitis des rares regards extérieurs.
Finalement la porte aussi grince, s’ouvre, des pas retentissent, qui se rapprochent.

Plus de fuite maintenant et la nervosité doit disparaître, au moins en apparence.
Ta main se referme sur un stylo noir, au cas où et tu te retournes depuis la fenêtre où tu contemplais les ruines du jardin intérieur ; découvrant dans l’entrée un autre homme ; massif, bien plus que toi (comme si c’était compliqué). Rechignant à ouvrir la bouche (angoisse stupide, stupide mais gagnante, stupide mais rageante), tu offres un signe de tête en guise de salut. Rien d’étonnant à ce que tu ne parles pas après tout, vu le nom que tu t’es choisi (Silence), le nom que tu arbores comme un étendard.

C’est lui, c’est forcément lui.

Parler ou garder le silence ; parler et exposer l’infirmité que tu peines encore à exhiber comme une fierté ; demeurer sans son mais t’exprimer malgré tout, projeter les mots en blanc qui bouillonnent sur une vieille poutre grise que la cendre et la poussière rendent noirâtre.
Finalement le second l’emporte sans grand dilemme :
C’est ce qui fait le charme de l’endroit. Au moins, on a la paix.

Deviné, non pas vraiment ; en fait il n’y a jamais eu de place à la réflexion.
 Je doute que deux autres personnes se soient donnés rendez-vous ici en pleine journée.
Ça serait une sacré coïncidence ; tu as beau croire au hasard qui fait bien les choses, rencontrer quelqu’un d’autre ici ne serait pas une bonne chose.
Tes pas te guident dans un demi canapé rongé par des mites - probablement. Au moins, les ressorts ne s’enfoncent pas dans tes fesses, c’est toujours ça de pris. D’un grand geste circulaire, tu désignes les vestiges de sièges autour de toi ; comme si tu étais l’hôte alors que tu n’es que le premier arrivé.

Pas très fan du creepy, non. Par contre, j’avoue apprécier le calme et le silence.
Cette fois tu t’arraches à la contemplation des ruines de la pièce pour revenir accrocher ton regard au sien. Le dernier mot demeure plus gros, plus large, comme si tu y mettais une exergue. Ça n’est pas vraiment conscient, c’est peut-être l’équivalent d’un clin d’oeil grossier.

Salut Heroine.
Cette fois-ci enfin tu clos le doute qui aurait voulu s’attarder.

C’est un plaisir de te rencontrer.
Pas de nervosité alors pourtant que tu fais face à un colosse ; sa façon de parler pourtant rude t’inspire confiance ; comme si les mots bruts aspiraient à plus de véracité.
C’est le premier que tu vois ; pas le dernier espères-tu.