Il est venu, il a suivi la cadence, s'est armé de courage pour faire face à l'inconnu. Comment prédire ce que Père penserait de nous ? S'il faisait toujours perler sa fierté sur moi quelques fois j'avais tout de même peur de trop m'évader, loin des moeurs Stuart mon coeur s'était épris d'un homme et j'allais, pour mon père je pense : m'éloigner de mon nom pour en vouloir un autre. Mais à presque trente ans, n'ai-je pas assez félicité notre blason ?
Le regard de Raspoutine avait obtenu mon attention le temps d'une seconde, mais des questions de ma part n'ont pas le moindre intérêt à cet instant ; je souris alors poliment aux compliments, laisse planer un bonjour tardif à chacun, inconsciemment déjà crispée par le regard dur du paternel. Trop idiote à profiter de mon idylle je n'avais absolument jamais pensé à l'après . Les badineries font rire un temps mais il faut alors les assumer auprès des autres. Ce soir était un grand pas ; mais jusqu'où irons nous ?

Et c'est capturée par le mutisme j'écoute, comme noyée dans mes pensées tuméfiés en peur, le ton exaspéré du paternel qui se tente à taper dans l'égo de mon cavalier, quand, malgré ma bulle, et sans avoir écouté la moindre réponse, je l'entends dire : énergumène.

« C'est Ephraïm Arthur Jäger, papa. »

J'inspire, comme enfin sortie de l'eau. Ma voix coupe celles qui auraient osé parler après un tel affront.

« Il s'est présenté comme Ephraïm Arthur Jäger, tu peux donc l'appeler Ephraïm. Je ne connais pas d'énergumène. »

Je n'en fréquente pas, je n'ai jamais fait honte à notre famille.

« C'est actuellement mon cavalier, bien souvent mon camarade de beuveries, aussi un collègue au ministère. Mais nous en parlerons une autre fois papa, j'aimerai profiter d'un dîner tous les trois. Monday ! Sunday ! »

Je découvre seulement la présence d'une femme que je devine être la fameuse promise. Vague impression, mais comme une impression de déjà vu... Rien toutefois qui ne puisse m'arracher à la colère qui gronde en moi. L'une de mes mains vient saisir celle qu'Ephraïm avait perdue dans mon dos pour la saisir fermement, sans pudeur.

« Vous êtes tous magnifiques. Terriblement magnifiques. Ciara vous êtes absolument divine, je suis heureuse de pouvoir enfin mettre un visage sur votre nom. »

Plus un seul regard ne s'était posé sur Baron Stuart, tant j'appréhendais le retour de bâton. Si la décence osait chatouiller son sang paternel, peut être attendrait-il un weekend à la maison pour agresser verbalement mon partenaire ? Mais la tension qui planait sur nos têtes semblait sonner le début de grandes discussions.

La gêne trouve appétit dans le festin que nous lui offrons. Tous ces regards alambiqués, ces sous-entendus désastreux, le placement de nos corps dans cette rencontre forcée… Chaque détail venait tâcher ma soirée de souvenirs qui ne manqueront pas d’être étalés une fois confinés au manoir familial.

J’apprécie l’audace juvénile de mon compagnon, au moins nous serions deux à être des parias après ce soir. Soutenue par Monday, j’aurai aimé le sauver de son union qui ne semble en rien fusionnelle. Mais comment oser lui parler d’amour ? Les interventions toujours solaires de Sunday me donnent envie de le serrer contre moi, que nous puissions nous endormir couvés par sa chaleur et son énergie. Je me contente d’un maigre sourire, celui qui trahit ma peine. Même Ciara parvient à déposer un peu de sa chaleur dans mon cœur.

Et contre toutes mes attentes, me voilà incapable d’assimiler Raspoutine à la moindre émotion. Lui en qui je trouve toujours un réconfort presque moqueur, aujourd’hui ne m’inspire que peu d’affection. Peut-être était-ce sa position au côté de mon père — peut-être était-ce le regard pesant qu’il avait soumis à Ephraïm. Sinon le sous entendu que Baron s’apprête à écrire quelque chose que nous avons déjà tous lu.

Quelques dernières paroles s’échangent et une poignée de main vient conclure cette première partie de soirée désastreuse.

« Il travaille. Au ministère, papa. Nous en parlerons. Je t’aime. »

Je me penche, apposant une caresse sur l’épaule du paternel pour m’y appuyer et déposer sur sa joue une bise à la fois solennelle et aimante.

Pendant qu’il s’adresse à Monday, j’en profite pour embrasser le front de Sunday, aussi chaleureusement qu’il l’est pour moi.

« Si tu t’ennuies tu viens nous voir. D’accord ? »

Un dernier regard complice à Monday, qui de frère à sœur est assez clair — il faut qu’on parle. et je salue poliment Ciara, avant de saluer de la main Raspoutine, m’interdisant de l’interrompre dans le fil de sa conversation.

Éprise d’autant de colère que d'appréhension, je quitte le groupe sans lâcher la main d’Ephraïm. Les mots me manquent et c’est silencieuse que je m’éloigne de cette bile noire qui, malgré tout l’amour que je lui porte, constitue le noyau de ce que nous sommes ; les Stuart.