Plus des enfants. Cela semblait évident, en vue de l’évolution drastique dont ils avaient tous fait preuve - cela semblait évident, de leurs mots de leurs regards et de leurs tourments. C’était évident, car ce n’était plus avec ce même regard qu’elle contemplait le monde, leur monde, et ce que les Lestrange avaient laissé au fil des années, au fil du temps.
Et ils avaient toujours vécu avec - vécu avec les pleurs vécu avec les doutes. Mnemosyne elle même sait qu’il y en a eu tant ; des non-dits jusqu’aux mensonges elle n’a su dissimuler toute son inquiétude, car rien ne l’effrayait plus que de constater sa famille - son sang - lentement au loin s’effriter. Et si elle y avait pourtant été préparée, elle avait toujours regretté ce moment.
Comme l’enfant en elle l’aurait regretté il fut un temps ; elle enrage de cette idée, alors que ses pupilles brûlent sur son propre reflet.

Mais elle n’est plus une enfant, alors elle jettera volontiers au feu le peu d’espoir qu’elle avait préservé ; elle a été bien trop stupide par le passé. Trop stupide et naïve de s’enfermer dans des convictions, dans une idée de liberté, dans un désir de grandir qu’elle n’atteint aujourd’hui qu’en persifflant sur ceux qui ne suivent pas sa route.
Et c’est à cette conclusion que ce manoir la renvoie ; l’imperfection, l’insatisfaction. Hier sous les éclats, elle n’a pas eu besoin d’un bras auquel se tenir, elle n’a pas eu besoin qu’on l’appelle qu’on l’a demande - elle s’était présentée seule et était repartie seule, parce que c’était ainsi qu’elle était la plus lumineuse.
Mais qui la forçait à contempler ses murs s’ils ne la renvoyaient qu’à l’idée d’une enfance stupide, de bêtes espoirs que l’âge lui avait fait oublier ? Elle-même ; car s’efforcer à contempler l’échec dans sa forme la plus cruelle était la meilleure façon de ne plus jamais le reproduire.
Et elle n’en veut pas à Clovis, pas à sa soeur, ni même à ses parents - elle est la seule à pouvoir blâmer. Car sinon jamais n’aurait-elle transplané jusqu’ici dans l’espoir de pouvoir lui parler - son frère. Celui qui lui a partagé ses tourments, ses doutes, ses larmes. Celui qu’elle admirait, comme on admirait plus grand que soi. Parce qu’il avait ce qu’elle n’avait jamais eu ; et parce que maintenant il s’envolait, poursuivait ce pourquoi il était sans doute venu au monde. C’était du moins ainsi que Mnemosyne avait toujours pensé - mais c’était terminé désormais, car peu lui importait les sentiers qu’on désirait creuser pour elle.
Mais pourtant, elle reste bloquée. Figée devant son propre reflet ; c’est néanmoins bien loin d’être Narcisse absorbée par son propre reflet. Peut-être parce qu’elle était effrayée de ce qu’elle pouvait ressentir - était-ce de la peine, de la tristesse ou de la colère ? Elle qui était venue brûler de vieux démons, se surprenait à n’en percevoir qu’un seul ; et c’était bien elle.

Tant de choses qu’elle ne veut peut-être pas admettre ; parce que nous ne sommes plus des enfants, clovis mais le fait est que Clovis, tu t’es sans doute présenté bien plus adulte qu’elle.
Mépriser pour dissimuler, haïr pour condamner - elle n’en a jamais été plus avancée au final. Ce qui ne lui importait pas, devenait jour après jour plus pesant et lourd à porter. Parce qu’il n’y avait rien de plus arrogant qu’une vie qui peine à avancer.
Alors c’est inutile ; et elle sent le monde autour d’elle se consumer. Comme si elle n’avait jamais voulu rien d’autre que ça - rien que ça, mais c’était stupide. Parce que si le monde brûlait, alors il ne pourrait pas la regarder. Ni-même la contempler devenir quelqu’un, quelqu’un de mieux que toi, quelqu’un de mieux que vous. Car fut un temps, c’était tout ce qui importait.
Mais ce n’est pas qu’un désir, c’est une réalité qui ravage le manoir et que son esprit embrumé lui a forcé d’omettre. Alors elle ignore, un instant cette odeur qui devient finalement de plus en plus étouffante - peut-être cela lui semblait-il tout simplement être une hallucination, hallucination forgée par son esprit pour assouvir ce qu’elle ne pourrait jamais accomplir.

Pourtant soudainement, son propre reflet lui semble même s’effacer, c’est son propre regard qui se voile. Ses paupières qui se font couleuvre volcanique alors elle se rend compte Mnemosyne, que ce n’est pas seulement son esprit.
Elle se rend compte mais quand elle est décidée de pousser la porte de sa chambre ; ce n’est pas le monde qui brûle, c’est leur monde. Et elle n’a aucune idée de pourquoi, elle n’en a aucune idée mais le feu, en arabesques cyclopéennes devant elle, ne l’avait jamais autant effrayé auparavant. Elle le regarde, dévorer la surface elle le regarde étouffer les alentours, les fragments d’un temps, d’un temps qu’elle avait détesté observer s’effriter. Comme elle avait détesté observer cette bâtisse faire son temps, elle déteste aujourd’hui ce tableau d’horreur que la catastrophe peint et elle s’accroche à ce qui lui reste.
Et elle le sait pourtant ; elle ne survivra probablement pas cette fois. Mais elle crie, elle t’appelle Clovis ; elle s’arrache les cordes vocales alors qu’elle sait que tu n’es pas là, plus là. Et c’est peut-être ce qui l’effraie le plus au final.

Dans les flammes, le feu ravage déjà la chair - il ne consume pas que le bois il consume le derme, le tissus - il se plaît à ravager ce qui est déjà épuisé. Et Mnemosyne s’écroule, les doigts tiraillant les traits de son visage sans doute déconstruit par la peur et les larmes ; pire encore, c’est une rage incontrôlée qu’elle laisse éclater, comme désespérée.
Parce qu’elle aurait aimé plus, elle aurait aimé mieux. Mais peut-être que c’était ainsi dont elle devait s’éteindre ; peut-être que ce feu ravageur qu’elle espérait être avait toujours existé pour entièrement la consumer.
Ce qui était probablement le plus décevant, était qu’elle s’éteigne en même temps que ce fichu manoir ; sa némésis, modèle de son insuffisance.

Comment es-tu tombé des cieux, Lucifer, étoile du matin ?
Car c’est l'ange déchu qui a chuté, pris d’orgueil, enivré par l’élévation. Car toi qui foulais les nations, tu t'es brisé contre la terre.
Alors Lucifer fut jeté aux enfers ; Mnemosyne elle, fut consumée par leurs flammes.