19h15, tu profites d’un de tes rares instants libres avant de partir jouer ton set journalier. Sans rien faire, comme c'est trop rarement le cas. En fait, ne rien faire devient carrément une occupation entière.

Pop derrière toi, tu te retournes pour tomber nez à nez avec ton pire cauchemar.
Ou du moins, l’incarnation de ton pire cauchemar.

L’elfe passe son poids d’une jambe à l’autre, manifestement aussi à l’aise que toi.
En silence, le regard qui pourrait tuer, tu attends. Espère (bêtement) qu’il parte, qu’il se soit “trompé”. Comme si atterrir en plein milieu de ton salon pouvait être une erreur.

Enfin, tu en es bien une aux yeux de son maître.
Aux yeux de ton p a t e r n e l

Mais l’intrus ne bouge pas et alors que tu grognes : Qu’est ce que tu veux ? pas aimable pour un sous (comment le pourrais-tu), il se décide enfin
A faire tomber le couperet.
— Jeune maître Adam
Je t’interdis de m’appeler comme ça, craches-tu sans réfléchir.

Que te veux-t-il ?
Ton paternel
car il vient en son nom c’est évident. Comment pourrait-il en être autrement ?

Te tuer
Te rattraper
T’enfermer ?


F u i t e.
Bonne solution la fuite. Lâche mais pas honteuse.

A peine décampe tu que l’elfe et sa magie t’immobilise :
— Jeune maître, poursuit l’elfe, t’épargnant ce que tu supportais le plus, le maître est mort.

Le maître.
Ton paternel (mauvais mot pour lui mais tu n’as que ça).
Ton geôlier, ton abuseur.

Mo r  t .  .   .  ?    ??   ???


Impossible.

Mais impossible... rien n'est impossible.
Surtout de sa part. Pour te hanter encore et encore, t'agoniser d'injures te reprochant cette vie que pourtant il a choisie à ta place.
Tu n'"aurais pas dû" mais que pouvais-tu faire contre ?


Alors pour vérifier, tu prononces les mots honnis, ceux que ta langue s’est vue interdite de former.
Il a des Inféris à la cave.
Et le serment-prison n’est plus.
Comme un parpaing entier sur tes gencives, la vérité te percute et pourtant tu peines à réaliser.
Tout ce que ça implique


Les mots sonnent entre vous deux et à l'expression de l'elfe, il sait mais ignorait que toi aussi.
Et pourtant, combien de fois aurais-tu voulu de pas l'avoir su ? Combien de fois aurais-tu voulu tout ignorer ?
La souffrance d'alors te parait presque minime comparé à la terreur pure qui demeure toujours dans ta chair, gravée à jamais.
Te rappelle tes échecs. Te rappelle ta souffrance.


Vraiment alors ?
Vraiment mort. Vraiment, car tant qu’il vivait jamais ut n’as pu avouer à Cadence les sévices qu’il t’avaient infligés.
C'était ta faute, tu l'avais provoqué et tu avais donc reçu un enseignement adapté.

Tu devrais fêter ça. Pas vrai ?
Le replongement dans les résurgences des traumatismes ne sera que passager pas vrai ?
Mais

Oui, il y a un mais. Ou plutôt un "cependant".

Cadence.
D’un sursaut, tes pensées passent à elle. Si toi, tu te fiches de ta famille (ou plutôt que tu t’affaires à en rester éloigné), tu sais que ça n’est pas son cas.
Mais ils ne briseront pas Cadence.
C’est bien la seule chose dont tu es certain, même si tu dois y laisser ta vie, si tu dois replonger dans tes traumatismes jusqu’à suffoquer.
Tu t’y noieras de bon cœur si ça peut sauver ta sœur.

Au manoir ? demandes-tu pressant, et l’elfe hoche la tête.
Alors déjà tu cours, Cadence occupe tes pensées.

Si toi seul tu te serais réjoui, la nouvelle est en fait un coup au cœur. Parce que le statu quo t’allait (tu survivais avec) mais la nouvelle situation tout aussi bien ; alors qu’elle…

La porte de ton appartement claque (ne te fais pas un seul soucis pour l'elfe et tu as probablement laissé une fenêtre ouverte de toute façon) alors que tu prends juste ta veste, ton casque, tes clés et ton téléphone qui chute pendant que tu dévales l’escalier. L’attrape en te baissant, puis la moto vrombit, direction l’appartement de ta sœur. Jamais tu n’aurais voulu à ce point pouvoir transplaner.