Quand la chance vous tombe tout cuit dans le bec comme ça, c'est con de pas s'en saisir. La tourmantine était ta chance et on commence à te connaître, Noah, t'es pas du genre à laisser une belle opportunité te passer sous le nez.

Voilà plusieurs soirs que tu campes dans les bars de l'allée des embrumes, des petites fioles avec un rien de poudre dedans sous le manteau. Le cristal te tourmantine t'étais arrivé soudainement, de façon totalement imprévue. Une bagarre de rue avec un type louche. Un bon coup de poing dans la mâchoire, le type était tombés raide. Pas mort, juste évanouit, mais c'est qu'un détail. En lui faisant les poches, t'avais trouvé quelques gallions et surtout une petite bourse extensible avec quelques cristaux dedans. T'avais aucune idée de la valeur du truc, mais t'avais eu dans l'idée de les revendre. Un jour que tu étais resté à la maison, t'en étais arrivé à vouloir les casser pour en faire des plus petits. C'est là que la magie avait opéré. Tu ne gardes pas beaucoup de souvenirs de cette journée. Tu te revois juste sur la table basse à casser tes cristaux puis après ce fut... L'euphorie. T'avais croisé un ancien contact, discuté un peu sans vraiment rien dire. C'est là que t'étais venu l'idée des fioles, de la poudre et de la vente. Aucune idée de si ce truc allait tuer des gens ou créer des dommages, ce n'était pas ton problème. Tout ce que tu savais, c'était que les camés de l'allée des embrumes étaient toujours en quête de nouvelles expériences et qu'en poudre, tes petits cristaux devenait bien plus faciles à consommer et à écouler. T'en vendais discrètement. Au départ à d'anciens potes, puis la bouche à oreille avait ramené d'autres curieux. De quoi te payer tes coups sans qu'Ezra ne puisse le voir sur les comptes. De quoi lui acheter son putain de poney, juste pour lui prouver que toi aussi, tu pouvais lui offrir quelque chose comme n'importe qui. T'étais là, la bière à la main, quand il est entré dans le bar pour s'asseoir à ta table. D'un coup d’œil, les gens s'en vont. Tu esquisses un sourire, le type à les codes.

— C'est donc ça qu'on dit de moi ? Beau et musclé ? Remarquez, c'est pas faux.

Tu bois une gorgée, pose ton verre avec fracas sur la table avant d'essuyer ta bouche d'un revers de la main.

— T'es pas un camé, l'ami.

Tu portes ta main à ta veste. Tu plisses les yeux, toujours sourire.

— T'es donc pas un client.

De ta main libre tu viens tapoter la table, t'adosser plus confortablement contre ton siège.

— J'te fais pas un dessin. T'es qui et tu veux quoi ?

En général quand un gars du milieu vous complimente, c'est mauvais signe. Et ce type est assurément un gars du milieu. Sa tête ne te dit pas grand-chose, mais quand il se présente enfin, tu écarquilles légèrement les yeux. Ce nom, Oswin, tu le connais.

— Ouais, t'es pas inconnu au bataillon.

Pour ne pas dire qu'il a une sacrée réputation. Tu te redresses légèrement sur ton siège, conscient que le type en face de toi n'est ni un branquignol, ni un amateur. Tu ne sais pas encore dans quelle mesure c'est une mauvaise ou une bonne nouvelle pour toi. Tu fronces franchement les sourcils, l'air de lui dire en silence de signifier ses intentions. Et elles ne tardent pas.

— ... C'est quoi l'arnaque ?

Tu croises les bras sur ton torse, tu te méfies, trop habitué à ce qu'on te fasse miroiter un trésor pour au final ne t'offrir que les miettes. Tu avais compris que tes petits cristaux étaient géniaux, mais tu te pensais libre d'écouler ton petit stock avant que les gros poissons ne viennent à ta rencontre.

— J'résume, on s'associe pour faire de mon petit trafic éphémère un plot sérieux et permanent, bien bien, j'adore, en plus je suis gagnant sur tous les fronts, si c'est pas merveilleux !

Tu te penches légèrement en avant pour souffler.

— C'est bien ça le problème.

Tu te laisses de nouveau aller contre le dossier de ton siège. Tu saisis ta bière, en bois une gorgée.

— Quelle garantie j'ai que tu ne vas pas juste me voler ma came et me faire crever pour en faire ton propre business, hm ?

Tu poses ta bière, tu te lèves pour contourner la table, aller te servir derrière le bar pour prendre un verre et une bouteille quelconque. Tu les poses en silence devant Oswin avant de te rasseoir. Puis, tu désignes le verre et la bouteille d'une main.

— Vas-y, Oswin, fait moi ton petit exposé.

La menace est claire, mais elle a le mérite de te faire sourire. Pas que tu ne la prends pas au sérieux, non, ce type est très sérieux. Mais voilà trop longtemps que tu n'avais pas entendu le doux langage de la rue. Et il te plaît. Brutal, franc, authentique. Après des semaines à écumer les bureaux d'hypocrites, avoir affaire avec un type qui menace de t'égorger te fait le plus grand bien. Ainsi donc vous parlez le même langage. Parfait.

Tu souffles du nez. De ce qu'il te raconte, il saisit juste une opportunité en vole. Tu le dévisages. Son discours pourrait être sobre, mais il s'empresse de jouer dans l'affectif... Et il touche juste. Tu sens la frustration gronder à mesure qu'il décrit si justement tes émotions. Tu as passé des années dépossédées de tout. Ton humanité, ta famille, ton avenir, ton identité. Puis il a fallu que tu sois dépossédé de ton foyer, même de ton couple. Tu as subi les parasites qui te faisaient passée pour le privilégié. Et tu en as assez. Oswin à peut-être raison, c'est peut-être là la chance d'enfin te rendre justice, d'enfin avoir ce que tu mérites. Tu n'es plus Hyperion, mais tu peux toujours être roi. Le monde à tes pieds, c'est tout ce que tu mérites et c'est tout ce que tu auras. Ils auront beau essayer, personne ne te détrônera.

— D'accord.

Tu tapotes le bois de la table, puis tu redresses le regard.

— Mais qu'est-ce qui me garantit que ta curiosité "insatiable" ne finit pas par te détourner de notre partenariat ?

Tu relèves le menton, fronces les sourcils.

— J'suis quelqu'un d'entier, Oswin. Sois je m'engage entièrement, sois je ne m'engage pas du tout. J'attends la même chose de mon entourage. Qu'il soit professionnel ou non, d'ailleurs.

Tu te penches, souffle.

— Alors si je marche avec toi, ce sera donnant donnant. Tes ressources seront les miennes, les miennes les tiennes. Tu me suis ?

Tu te cales dans ton siège.

— Concrètement, c'est quoi ton plan ?

Bien. Les mots ont une importance pour toi aussi, alors c'est parfait. Tu hoches la tête et lui intime en silence que tu es d'accord. Tu es conscient de t'engager dans quelque chose de grand, qui te dépasse probablement encore. Oswin ne fait pas faux bond à sa réputation. Il a des l'ambition et toi tu es quête d'en retrouver. Tu pourrais exprimer une pointe de regret à ne pas être capable, toi non plus, de te satisfaire d'une vie tranquille et rangée. Tu songes à Ezra, c'est de sa faute. Tu as essayé. Il a fait tout échoué. Vous avez besoin l'un et l'autre d'exister en dehors de vos quatre murs. Et tu as besoin de te gorger d'ego et de succès.

Il t'expose son plan. Les détails scientifiques te dépassent, ce n'est pas là ton domaine de compétence. Néanmoins un détail attire son attention.

— Le plan c'est d'en faire une drogue de synthèse ?

Tu fronces les sourcils, un brin septique.

— Et on y perdrait pas au change ?

Tu croises les bras. Ton expérience au côté de Romulus t'a donné quelques cartes. Tu ne sais pas comment on fabrique, mais tu sais comment on fournit et on consomme.

— Clair qu'on ne peut pas venir extraire directement à la source. Il faut que ça reste ici. Mais c'est un nouveau produit, est-ce que ton scientifique est assez bon pour faire ce que les grosses têtes du ministère mettent des plombes à trouver ?

Tu sors de ta poche un paquet de tabac et de feuilles à rouler. Dans des gestes étonnamment minutieux, tu te prépares une clope.

— J'ai quelques contacts, ça fait longtemps que je fais mes affaires ici. Romulus, tu connais ? C'était mon boss avant. Je peux embrigader certains de ses gars, mais faut s'attendre à des représailles, le type n'est pas partageur.

Tu énumères en silence.

— Y a quelques petits gangs locaux, du côté ouest du quartier avec qui j'ai déjà traité, mais c'est pas les gros bonnets de l'allée. Néanmoins, je pense que c'est une bonne chose. On traite pas avec les gros groupes quand on n'a pas les ressources pour.

Tu finis de roules ta clope. Tu la cales entre tes lèvres avant de sortir ton briquet.

— Je veux le contact de ton pote scientifique. Je veux tous tes contacts, en fait. T'y vois pas d’inconvénient, partenaire ?

Si Oswin en est arrivé là où il était, c'est que ses collaborateurs devaient être de qualité. Tu ne fais pas confiance, mais tu mises sur son jugement. Dans cet univers, il a plus d'expérience que toi. Tu savais extorquer de l'argent, vendre tes services, imposés ta protection. Vendre de la drogue était en revanche un art nouveau. Mais tu es étonnamment bon élève lorsque le sujet t'intéresse.

— Ok. J'aime bien, on parle le même langage toi et moi.

Tu esquisses un sourire en tirant sur ta clope. Tu vas donc viser les anciens membres de Romulus. Tu sais à quoi tu t'exposes. Mais tu connais l'attrait qu'est l'appât du gain pour les gens comme toi. Tu ne penses pas avoir longtemps à lutter pour les convaincre. Dealer une nouvelle drogue et en avoir la totale exclusivité, ça ne se refusait pas.

— Heureusement pour toi, je sais me battre.

Tu souffles un filet de fumée avant de braquer tes yeux sur lui.

— Sais-tu qui je suis ? J'veux dire... Vraiment.

Tu esquisses un sourire, aimes entretenir le mystère. Tu cales ta clope entre tes doigts et te penches sur le ton de la confidence.

— T'vois, je vais te faire une confidence, Oswin. Puisqu'on est partenaire, tout ça.

Tu lui fais signe de se pencher pour accueillir tes confessions dans la plus stricte intimité.

— Mes parents étaient des chasseurs de créatures. Et j'étais leur élève le plus doué.

Tu étires un sourire.

— Alors Romulus, j'en fais mon affaire.

Manière de lui dire qu'il n'a pas à s'en faire, le sale, ça te connaît. Voilà de nombreuses années que tu évolues en marge de la société. Tes codes ne sont pas ceux des gens du commun. Tuer la concurrence est une chose, au final, assez banal. Tu souffles une volute de fumée en levant la tête vers le plafond. Ses compliments te font rire.

— J'vais finir par croire que tu me dragues, Oswin.

Tu reposes ton regard sur lui, agites les doigts de ta main où se trouve la bague du calice.

— Comme tu le vois, je suis cependant déjà engagé.

Tu souffles du nez.

— Quand est-ce que tu penses qu'on peut se lancer ?