Les pas lourds le long du couloir. Il n’adresse aucun mot à Ezra. Aucun signe. Aucun geste. Aucun regard. Il ne prend même pas la peine d’observer sa présence derrière lui. Ayant une totale confiance en son collègue. Et après sa déclaration, il serait très mal vu pour lui de prendre la fuite. Au risque de se condamner seul. Même si cette idée lui titillait l’esprit. Il aimerait avoir à le rattraper. Pouvoir enfin le maîtriser librement et légalement surtout. Le rendre à sa merci. Le laisser sans défense, tremblant, face à lui. En sachant pertinemment qu’il est condamné. Voir son regard s’éteindre petit à petit. Remplacer son éclat de défi par le vide propre à ceux qui risquent de tout perdre.

Une délicieuse image qui peine à quitter son esprit. Jusqu’à ce qu’il s’arrête enfin vers une salle de réunion vide, qu’il avait mobilisé pour l’occasion. Profitant de son caractère reculé pour organiser un interrogatoire de fortune. De quoi discuter en tête à tête avec Ezra Strauss. En souvenir du bon vieux temps.

Il fit signe à son collègue de l’attendre à l’extérieur, lui faisant comprendre qu’ils n’avaient nul besoin d’être tous à l’intérieur au même moment. Il pouvait ainsi s’assurer que personne ne vienne interrompre leur amicale conversation.

En rentrant sans tarder. Il se laisse tomber sur le bureau présent. Avant de faire signe à Ezra de s’installer. Face à lui.

Installez-vous je vous en prie.

Son sourire qu’il arborait fièrement depuis leur rencontre, commençait à s’estomper petit à petit. Jusqu’à ne plus être qu’un lointain souvenir.

Bien. J’ose espérer que vous ne me ferez pas perdre mon temps, cette fois-ci. Monsieur Strauss. La vie d’un être humain est en jeu.

Tapote du doigt sur la table, la tête penchée vers lui.

Je fais appel à votre humanité. Si tant est que vous en ayez. Vous. Les monstres. Ça vous parle non ? L’humanité ? Ou est-ce une notion qui vous est totalement étrangère.

Il n’y avait aucune moquerie dans sa voix. Aucune ironie. Aucun sarcasme. Son regard était posé sur son suspect numéro un. Sans sourciller, le ton neutre, le visage inexpressif. Choisissant ses mots avec un soin tout particulier, les énonçant avec un calme presque surnaturel.

Je veux tout savoir. Sans mensonge. Votre relation avec Aurel Davis. Relation privée également. La dernière fois que vous l’avez vu, que vous lui avez parlé. Comment vous vous êtes quitté lors de votre dernière discussion.

Se redresse sur le bureau. Le surplombant par sa taille.


Dites-moi tout. Absolument tout. C’est dans votre intérêt.

Il insiste sur ces derniers mots. Dans son intérêt. Il n’y avait pas de conseil. Mais un avertissement dans le ton de ses paroles.

Il l’observe s’installer en silence face à lui. Sans dire un mot. En silence. S’enfermant dans un mutisme qui se voulait protecteur. Sûrement de peur d’en dire trop. Ou pas assez. Il le fixe ouvertement, sans vergogne, détaillant sa posture, le moindre de ses mouvements, la sueur qui perle sur son front. Absolument tout. Il le mettait à nue, là, face à lui. Sans rien lui laisser. Pas la moindre once de pudeur. Rien. Si ce n’est cette angoisse grandissante. Il ne souhaitait rien d’autre que des aveux. Et c’est dans cette optique qu’il avait pris la peine de venir. Refaire la rencontre de ce vieil « ami ».

C’est moi qui pose les questions.

Sa voix est sèche. Grave. Le coupant net. Lui autant tout autre espoir de l’interroger sur des quelconques choix qu’il aurait délibérément pris. Il n’allait pas inverser les rôles. Pas à un seul instant. Il ferait tout pour lui retirer ce droit, pour éloigner cette possibilité autant que possible. Bien déterminé à le laisser seul avec ses accusations. Il aura tout le temps de ressasser ses inquiétudes et ses doutes ainsi.

Ravi de voir que vous comprenez vite.

Il ne relève pas sa remarque sur son espèce. A son grand damne. La seule faiblesse de l’auror résultait dans l’ignorance de ses piques. Mettre sous silence ses attaques et ses tentatives pour déstabiliser son interlocuteur était le seul moyen raisonnable et logique de résister. Heureusement pour lui, il n’allait plus lui laisser l’occasion d’abuser de ce stratagème.

Il écoute ensuite attentivement ce qu’il avait à lui dire. Des excuses. Rien de plus. Un tas d’excuses insensés et futiles. Rien de concret et d’intéressant.

Nous avons mis la main sur des échanges entre lui et vous. Notamment des lignes magicnet intéressantes. Et vous allez me faire croire que vous étiez juste « amis ».

Il pousse un soupir de lassitude, faisant mine d’être agacé. Avant de craquer ses doigts par réflexe. En réalité, il jouait entièrement la comédie. Une mise en scène pour le déstabiliser davantage.

Nous sommes partis du mauvais pied. J’en ai conscience. Vous savez, lorsque je vous demande la vérité. Lorsque je vous demande d’éviter de mentir. Et de nous faire perdre du temps. A tous les deux. C’est justement pour vous tester Monsieur Strauss.

Il l’attrape par le col l’espace d’un instant. Le relevant de son fauteuil. Lui faisant face du haut de sa position.

Je déteste perdre mon temps. C’est compris ? Répondez. Suis-je assez clair Monsieur Strauss ?

Il le relâche violemment, l’envoyant se rasseoir sans aucune délicatesse. Avant de se réinstaller également. Comme si de rien était.

Laissez-moi vous posez la question une nouvelle fois. Faisons comme si rien de tout ceci n’avait eu. Qu’elle relation aviez-vous avec Aurel Davis ?

C’est qu’il a du répondant le demi-monstre. Depuis la dernière fois que leur chemin s’était croisé. Il n’avait plus l’intention de se mettre en boule et de pleurer. Plus à présent il semblerait. Plus maintenant. Hélas. La marque qu’il lui avait laissé au niveau du poignet témoignait le contraire. Du coin de l’œil il l’observe. Cette marque. Contrarié. Cette affaire devenait de plus en plus personnelle à ses yeux. Il ne pouvait pas supporter de voir un être tel que lui se rebeller. Porter la main sur un sang pur. C’était intolérable. Aujourd’hui. Ezra Strauss allait tomber. Il était coupable. Quoi qu’en dise les faits.
Il fera tout pour le faire avouer.

Il était fini. Il venait de sceller son destin ici et maintenant. Il ne lui restera plus que des regrets, d’amer regrets de cette rencontre. Encore.

Un ami. Hmm. Juste un ami vous dites. Mais vous flirtez avec lui ? Vous venez de l’avouer. Donc à vos yeux. Monsieur Strauss. Les gens flirtent souvent avec leurs « amis » ? J’ignore les coutumes des…. Votres. Mais chez nous, le flirt n’est pas réellement lié à l’amitié.

Il ne prenait plus la peine de cacher son mépris. Qui éclatait enfin au grand jour. Exultant de son regard, de sa posture, de sa gestuelle. Chaque partie de son corps lui faisait comprendre à quel point il n’avait absolument aucune estime pour lui. Bien au contraire.

Et votre copain. Pour reprendre vos termes. Il est au courant de votre relation avec Aurel Davis ? Imaginez un peu, ce qu’il irait penser. Si jamais nous venions à lui amener les preuves. Nous n’écartons aucune piste dans cette affaire. Soyez en sûr.

Rien de tel qu’une menace pour lui faire comprendre qu’il était piégé dans cette salle. Qu’il n’y avait plus aucune échappatoire. Il voulait le réduire à sa merci. Entièrement. Qu’il s’abandonne sans retenu.

J’ose espérer que sa disparition n’est pas le résultat d’une querelle amoureuse. Qu’en pensez-vous ? Votre copain est jaloux ? Ou alors vous l’avez fait disparaitre vous-même. Pour éviter débruiter votre liaison.

Ses doigts tapotent à nouveau sur le bureau. L’air de rien. Soumettant ses hypothèses avec un détachement macabre.

Après tout, vous aviez l’intention de me le dénoncer lors de notre rencontre précédente. C’était son nom que vous avez donné. J’ai une bonne mémoire Monsieur Strauss. Et en y repensant à présent. Je trouve que c’est une drôle de coïncidence ? N’est-ce pas ? Dénoncer votre collègue. Juste avant qu’il ne disparaisse. Voilà qui est…. Surprenant ?

Le sourire s’était dressé à nouveau sur ses lèvres. A mesure que l’étau autour de lui se refermait. Davantage. De plus en plus.

Votre relation avec Aurel Davis semble être bien complexe. D’ami à flirt ? De flirt à délateur ? De délateur à disparition ? Mettez-vous à ma place. Tout ceci est plus qu’étrange à mes yeux.

Sa colère le quittait peu à peu. En voyant avec une satisfaction qu’il peinait de plus en plus à dissimuler, le comportement de sa cible principale changer. Pour être tout à fait franc, il se délectait à présent de cette scène, flattant son égo de voir l’homme en face de lui en proie à la triste vérité. Il n’y aura pas de justice pour les hommes tel que lui. Si ce n’est la justice de ce sang-pur.

La seule qui importait réellement à ses yeux. Sa propre justice. De quoi redorer le blason des sang-pur. Pour que les créatures telle qu’Ezra prennent enfin conscience de la place qui leur revient de droit.

Vous ne savez rien ? Pourtant, nous venons d’apprendre tellement plus, depuis que vous avez accepté de coopérer. Il ne revient pas à vous de décider qui est impliqué ou non.


S’enfonce davantage dans le fauteuil profitant du spectacle que le sang-mêlé daigne lui offrir.

Écoutez, je n’ai pas de temps à perdre avec vous. Soyons clair. La vie de cet homme est en danger. Vous êtes la dernière personne ayant eu un contact avec ce dernier. Vous avez un certain passif également. Vous avez cherché à le dénoncer auprès d’un auror. Beaucoup de coïncidence pour un suspect tel que vous.

Ses doigts craquent le long du bureau.

Mais je ne suis pas sans cœur pour autant. Je reste un homme. Un vrai. Moi. Alors voilà ce qu’on va faire Monsieur Strauss. Sois-vous me donnez le nom d’un coupable potentiel. Qui le serait plus que vous. Après tout, la délation, ça vous connait. Sois-vous refusez de coopérer.

Fait mine de soupirer longuement.

Et dans ce cas…. Je n’aurai pas d’autre choix que d’agir. Quitte à prévenir votre famille, vos proches, vos amis…. Votre copain également. Et nous allons tous les interroger. Les uns après les autres. Quitte à fouiller dans leur vie, dans leur passé, jusque dans leur avenir proche.

Rictus qui apparait au creux de ses lèvres.

Je me demande ce que votre…. « copain ». Pensera de ces SMS que vous avez envoyé à ce dénommé Aurel Davis. Je serai curieux de voir sa réaction.

Maintenant. Justice pouvait être faite. Non pas selon leur vérité, non pas selon des faits futiles et insignifiants. Mais selon sa vérité à lui. La seule qui a le mérite d’exister. D’être prise en compte.

Il tourne autour du pot. Refuse de répondre concrètement. Il commence à l’agacer de nouveau. Une nouvelle forme de colère. Une bêtise propre aux siens, à son espèce. Incapable de comprendre des mots simples. Des paroles sensées. Il lui offrait pourtant une chance, dans sa grande mansuétude. De s’en sortir. Malgré toutes les coïncidences qui l’accablent. Malgré ça, il ignorait encore le sujet, faisant le sourd. Chouinant et implorant qu’aucune des deux options ne se réalisent. A croire qu’il n’avait toujours pas compris quel genre d’homme il avait en face de lui.

Il est porté disparu ? Dois-je vous apprendre les bases même de notre langage ? A une créature-t-elle que vous ? Sincèrement ?

Le regard de mépris et le ton blasé qu’il affichait n’était pas une marque de sa comédie cette fois. Ils n’étaient pas simulés mais bien réel.

Je vais être franc avec vous Monsieur Strauss. Vous êtes fatiguant. Voir presque stupide à mes yeux. J’essaye de me montrer magnanime avec vous. J’essaye de vous offrir une chance. Mais vous refusez de la saisir.

Soupir qui traverse ses lèvres, alors que son regard emplein de mépris ce détourne enfin du visage de son interlocuteur.

Soit. Puisque vous refusez de coopérer…

Se dresse d’un coup. Quittant son fauteuil et son siège. Faisant mine de se diriger vers la sortie en silence. Avant d’ajouter, la main sur la poignée. Sans même prendre la peine de se retourner.

J’irai rencontrer votre copain. Je vais l’interroger également. Je verrai moi-même s’il n’est pas impliqué. Et à quel point je suis à côté de la réalité.

Le ton monotone tandis que sa main reste fermement ancrée sur la poignée, sans pour autant ouvrir la porte.

Vous ne pouvez-vous en prendre qu’à vous-même Monsieur Strauss. La prochaine fois j’espère que vous serez plus disposé à communiquer avec moi.

Ahhh. Il ne comprenait rien. Il ne comprenait pas. Il était tout bonnement incapable de comprendre. Bien au-delà de ses compétences. Bien au-delà de sa nature mi-homme. Non. Ce n’était qu’un petit demi-vampire idéaliste et naïf. Qui ne comprenait rien à rien. Ou qui refusait de le comprendre. De l’accepter. Cette vérité. Cette seule vérité qui dirige notre monde. Simplement. Et sans concession aucune.

Il ne prend d’abord pas la peine de se retourner. La main sur la poignée. Un souffle blasé qui traverse ses lèvres.

Pourquoi ? Vous êtes donc si naïf Monsieur Strauss ? Êtes-vous incapable de comprendre comment fonctionne ce monde ? Encore aujourd’hui. Je pensais qu’un homme tel que vous l’aurez compris depuis le temps. Aurait été amené à le comprendre. Mais je me trompais… Vous êtes enfermé dans un déni qui vous aveugle.

Ses mains quittent enfin la porte.

Laissez moi vous posez la question différemment. Et peut-être que vous serez en mesure de me comprendre.


Il se retourne enfin, s’éloigne de la porte, entame une marche lente vers sa victime.

Que dois-je dire à sa famille ? Ses proches ? Ses amis ? Alors ? Qu’en pensez-vous ? Que diriez-vous à ma place.


Son bras qui vient s’enrouler autour de ses épaules, par-dessus sa nuque. Son étreinte toxique qui se referme lentement autour de lui.

C’est ainsi que fonctionne la société humaine et magique. Celle des vrais hommes. Ils ont besoin d’un coupable, les hommes, les sorciers, les médias tel que vous. Vous voulez un coupable plus que la vérité. C’est ainsi que fonctionne le monde. Il n’y a pas de justice Monsieur Strauss, il n’y en a jamais eu. La justice n’est qu’accusation. Qu’une affaire de coupable. Qu’importe qu’il soit le bon. Du moment qu’on leur donne quelqu’un à haïr. A mépriser.

Sa voix se fait murmure, elle se veut insidieuse, elle veut pénétrer au creux de ses oreilles, s’insinuer jusqu’au fond de son âme.

Alors maintenant répondez moi. Que voulez-vous ? Endossez le rôle de coupable ? Aux yeux de votre copain ? Qu’il apprenne la vérité ? Ou allez-vous me sacrifier un nouveau nom ? Monsieur Strauss.