Elle s'était extraite du Ministère et des obligations qui s'y trouvaient, toujours innombrables, en sachant que Darya l'attendait à Melrose. Avait transplané sans encombre jusqu'aux limites du domaine, et traversé la barrière magique pour être accueillie par le peu d'elfes de maison encore présents au manoir. Ceux-ci l'avertirent qu'en plus de Darya, Clovis était là, et elle ne retient pas une grimace devant cette déplaisante nouvelle. Elle tâche toutefois de n'en pas faire grand cas et rejoint prestement le grand salon, où l'attend son amie dont elle aperçoit le dos en approchant, avant qu'elle ne se retourne pour lui faire face.

Darya, répond-elle en écho à sa salutation.

Si seulement tu savais, Darya, à quel point son être frémit lorsqu'elle pose les yeux sur toi, à quel point son cœur s'emballe et son teint menace de s'empourprer. Des années qu'elle couve ta beauté grandissante d'un regard tendre, admiratif, qui va bien au-delà de l'amitié, à sa plus grande honte. Puisses-tu ne jamais t'en rendre compte, elle en mourrait d'embarras.

Je t'en prie. Les murs ont des oreilles, là-bas. Espérons que ce ne sera pas le cas ici.

Elle glisse un regard vers le plafond, devinant la présence de son frère à l'étage supérieur, dans ses appartements personnels.

Tes préoccupations, elle les pressent : tu lui avais déjà touché quelques mots des derniers évènements qui avaient troublé sa famille. Il ne serait que logique que tu souhaites t'en épancher plus en profondeur, sans indiscrétion.

Vos mains se frôlent alors que tu déposes entre ses doigts une bouteille de sa boisson favorite. Son visage s'éclaire d'un sourire très agréablement surpris, touché par l'attention.

Tu t'es souvenue ! Merci !

Et de se diriger vers le bar du grand salon, dont elle extrait deux verres à pieds qu'elle vient déposer sur la table basse. Désigne les banquettes richement brodées d'un geste doux.

Installe-toi, je t'en prie. Je vais nous servir.

Lorsque chaque verre est rempli, elle lève le sien dans ta direction, initiant un toast en silence – au nom de votre amitié. Elle plonge les lèvres dans le sien, goûtant la caresse de l'alcool sucré contre sa langue avant de s'enquérir :

Je suppose que tu as dû croiser mon frère, avant que j'arrive. Il ne t'a pas embêtée ?

Quelle inquiétude t'habite, Darya ? Tu es tendue, elle le voit bien en dépit de tes efforts pour le dissimuler, en dépit de ce sourire pour lequel elle se damnerait. En trempant de nouveau les lèvres dans son verre, elle espère silencieusement que l'alcool saura calmer tes nerfs. Puis tu lui confirmes sa crainte, et ses yeux se lèvent au plafond – d'agacement, cette fois, malgré tes mots qui cherchent à l'atténuer, diplomate.

Je n'en doute pas. Mais j'aimerais autant que tu ne doives pas avoir affaire à lui.

À ce frère maudit revenu d'entre les morts plus changé qu'il n'y paraît. Elle fronce les sourcils à la question, s'écarte du dossier de sa banquette pour venir poser son verre sur la table un peu plus durement qu'escompté.

Absolument pas. Et rien n'ira bien tant qu'il sera à la tête de cette famille.

Son amertume est sans limite. Damnées soient ces règles archaïques qui donnent la mainmise à son frère sur leur famille, alors que cette place lui revenait de droit, à elle, l'aînée, plus dévouée et plus méritante. Et sans disparition inexpliquée à son actif.

Ses doigts glissent sur le pied de son verre, encore troublée, tandis qu'elle écoute des excuses qui n'ont pas lieu d'être.

Oh, je t'en prie. Rien qui ne puisse attendre un peu. Tu n'as pas à t'excuser.

Pas à moi, manque-t-elle d'ajouter, mais même si ce serait juste, elle craint que ça ne soit trop équivoque. Rien, pas même un mot maladroit, ne trahira la promesse qu'elle s'est faite il y a dix ans de cela : garder enfouis ses sentiments pour toi. Elle les empêchera méthodiquement d'éclater au grand jour, par tous les moyens. Tu ne dois rien soupçonner de tout cela, rester étrangère à ses émois.

Ta confession adoucit son visage encore agacé l'instant d'avant par la pensée de son frère, et par-dessus la table, elle tend une main qui ne demande qu'à être saisie, serrée en gage de votre amitié – un je sais muet. Et quand la raison de ta venue se dessine à grands mots préoccupés, c'est la surprise qui s'insinue sur ses traits, relève ses sourcils et entrouvre sa bouche. La nouvelle est aussi tristement choquante que ton désarroi lui fait peine à voir. Du bout des doigts, elle serre ta main pour chercher à te rassurer.

Ne t'inquiète pas pour ça. Légère pause. Regulus a disparu, tu dis ? Est-ce que tu sais quelque chose ? Les aurors ont-ils dit quoi que ce soit ? Raconte-moi. Dans le désordre s'il le faut.

Un pli songeur s'inscrit sur son front alors qu'elle t'écoute avec attention. La situation était assez grave pour avoir réuni le clan au complet, visiblement : elle n'a pas manqué cette partie, qui l'inquiète davantage qu'elle ne saurait le dire.

Tu as toujours été ainsi Darya, douce et prévenante, à toujours choisir tes mots avec soin, à faire preuve de diplomatie délicate pour ne jamais froisser, à dire les choses compliquées avec des airs de suggestion pour qu'elles passent mieux. Elle en est coutumière, de cette capacité qui est la tienne, l'a toujours admirée, mais aujourd'hui, elle lui arrache un bref éclat de rire amer.

Rentrer dans le rang ? Ça n'arrivera jamais. Il sera toujours lui- et il ne sera jamais Uriel.

Celui qui aurait dû être le véritable chef de cette famille après son père, celui qui aurait dû te passer la bague au doigt et lui permettre de t'appeler sa belle-sœur – celui qui n'aurait pas dû s'éteindre si jeune dans l'attentat. Un frère aîné qu'elle regrette profondément et qui avait toutes les différences du monde avec leur jeune frère. Lui avait compris les attentes qui pesaient sur la progéniture d'un Ministre de la magie, tout comme elle.

Ne parlons pas de sa future épouse, dit-elle en portant la main à son front, yeux brièvement fermés. Ça va m'agacer. Surtout que je plains d'avance la pauvre élue.

Rouvre les yeux, ébauche un sourire triste mais sincère quand tu la rassures comme tu le peux sur ce rôle rêvé dont elle était si proche et qui lui a pourtant filé entre les doigts. Elle repousse le rose qui menace de lui monter aux joues sous le coup de ta plaisanterie, en bonne maîtresse de ses sentiments. N'a-t-on pas idée de jouer avec son cœur énamouré avec pareilles insinuations !

Tu saisis cette main qu'elle te tend, et te confie à elle comme vous l'avez fait mille fois pendant votre jeunesse à Poudlard. À la grimace préoccupée qui naît sur tes lèvres, profondément soucieuse, elle répond en miroir par une mine tendue et désolée.

Ne dis pas ça. Je suis certaine que ça n'a pas de rapport avec ton poste. Si quelqu'un cherchait à te viser toi, il ne s'y serait pas pris ainsi.

Néanmoins, un enlèvement ... La mention de la maison en désordre ne la laisse pas tranquille.

D'après ce que tu me dis, c'est Sage qui était visé. Je pense que tout ça avait pour but de le faire réapparaître, justement.

Vos mains se séparent, et elle goûte le contact fantôme de tes doigts contre les siens avant de se réappuyer contre le dossier de sa banquette, saisissant son verre sans encore le porter à ses lèvres. Plisse les yeux, pensive, devant ce flot de paroles inquiètes qui t'échappe mais fait néanmoins pleinement sens.

À qui penses-tu, Darya ?

Où veux-tu en venir ? Qui pourrait se rendre coupable d'un tel acte ? Qui pourrait en vouloir à Sage ?

Alors qu'elle pose la question, fébrilité au bord des lèvres, une pléiade d'hypothèses lui traverse l'esprit. Le coupable pourrait revêtir tant d'identités ... Et même être multiple. Les raisons d'en vouloir à une famille de Sang-Purs peuvent déjà être nombreuses, alors de surcroît une famille liée aux affaires du Ministère et au Département des Mystères ... Les prétextes ne manquent pas.

Elle capte ton regard qui se dirige vers le plafond, esquisse un bref froncement de sourcils en croyant que tu t'apprêtes à désigner son frère, lorsque tu la détrompes finalement. Ton père ... Il est vrai que Canopus Black n'a jamais été réputé pour sa bonté d'âme. La pureté du sang et la réussite de sa progéniture lui sont tout particulièrement importantes. Mais de là à commettre un tel acte ?

Ton père ? répète-t-elle, incrédule. Tu le penses capable de s'abaisser à faire une chose pareille ?

Fronce les sourcils, faisant tourner son alcool dans son verre, les pensées trop lourdes pour songer à y tremper les lèvres. Elle te voit serrer les bras contre toi, perçoit ton inconfort. Le tumulte de ta relation avec ton père ne lui est pas inconnue, et elle devine l'effort que ça a dû te demander de non seulement porter tes soupçons sur lui, mais aussi de les formuler comme tu l'as fait. Ça la désole, tu sais, de te voir comme ça.

Ça se tient parfaitement, qu'elle acquiesce gravement.

Pose finalement son verre sur la table, pensive.

As-tu fait part de tes soupçons aux aurors ? Si ton père est aussi coupable que tu le penses, il vaut mieux que ce soit eux qui interviennent plutôt que toi. Qui sait quel risque tu pourrais courir.

Ni à quelles représailles vous pourriez vous exposer.

Les sourcils se froncent à ta réponse, et elle se fait pensive. Capable d'encore bien pire ? Canopus Black lui est toujours apparu comme sévère, attaché à son sang et au prestige qui l'accompagne, mais pas pour autant prompt à verser dans des actions aussi basses. Mais elle te croit, sans la moindre arrière-pensée, et c'est bien ce qui l'effraie – qui de mieux placé que toi, après tout, pour savoir ce dont cet homme serait capable ? Pour elle, ta parole est d'or.

Tu lui réponds par la négative et elle perçoit tes frissons, ton appréhension, et ça la peine au-delà des mots. C'est douloureux pour elle de te voir dans cet état, loin de la Darya posée, souriante, diplomate qu'elle connaît si bien, qu'elle a fréquenté de près pendant de si longues années à Poudlard. Ton verre se pose sur la table alors que tu te lamentes, désespérée, et instinctivement, elle tend de nouveau la main pour la poser sur la tienne.

Calme-toi Darya. Depuis le temps qu'on se connaît, tu ne m'es jamais apparue comme une personne qui tire des conclusions hâtives. Si tes soupçons se portent sur ton père, c'est qu'il y a de bonnes raisons. Fais-toi confiance.

Retire finalement sa main pour saisir de nouveau son verre, tandis qu'un pli songeur creuse son front. Elle réfléchit, lève de nouveau les yeux au plafond où son frère évolue en silence, puis se décide à te proposer quelque chose, la voix calme et posée :

Veux-tu que je me charge de glisser la piste à mon frère ? Clovis est un idiot, mais il reste le chef des aurors. Il saura faire aller l'enquête dans le sens de tes soupçons sans que ça ne retombe sur toi.

Elle vide son verre de la dernière gorgée qu'il contient avant de le poser sur la table, non loin de la bouteille d'hypocras entamée.

À toi de me dire. Je ne ferai rien sans ton aval.

Mais ça, tu le sais, n'est-ce pas ?

La tension s'amenuise visiblement de tes épaules, et elle s'en réjouit silencieusement. En presque deux décennies que vous vous fréquentez, il lui est facile de lire tes moindres gestes comme les mots d'un parchemin. Alors que le doute qui te pesait s'élève, elle sourit d'abord à ta remarque, particulièrement amusée, puis éclate de rire, et une petite partie puérile enfouie au fond d'elle espère qu'à l'étage au-dessus, son frère l'entend et s'en offusque. Cette maison n'est pas vouée à demeurer à jamais une marque de deuil.

De grandes choses, je n'en doute pas. Tu n'as besoin de personne pour briller, Alya Darya Black.

Sa proposition incluant son frère te laisse songeuse, elle le voit bien, et elle opine en silence lorsque tu objectes en évoquant ton propre chef de famille. D'un côté, cette pensée, comme toujours, la rend amère, et de l'autre, elle s'interroge avec un brin de curiosité. Elle connaît bien peu Sage – du moins pas aussi intimement que toi, même si vos familles sont liées de par leur statut. Donnera-t-il son aval au fait de mêler Clovis à cette affaire, lui qui semble se mettre le monde sorcier entier à dos depuis sa réapparition ?

Entendu.

Un sourire tendre glisse sur ses lèvres, empli de nostalgie.

Bien sûr. Comme au bon vieux temps.

Sans se départir de l'affection sur ses traits, elle te regarde te saisir de ton verre et y plonger les lèvres, là où jusqu'alors tu ne faisais que le bouder ou le toucher du bout des doigts tant l'inquiétude était grande. Heureuse d'avoir pu véritablement t'apporter ce que tu cherchais, elle se penche légèrement vers la table pour saisir la bouteille afin de se resservir, l'esprit léger.

Je prépare mon costume pour le WizGala, comme une grande partie du monde sorcier, je pense. Je compte y aller en fée Maléfique. Et toi, quel personnage as-tu choisi ?

Le ton de la conversation change définitivement pour quelque chose de plus léger, chasse à coups de sourires et de mots complices les problèmes qui pesaient sur les esprits maintenant que ceux-ci ont été décortiqués et prennent moins de place. Il est question du WizGala, désormais, événement que les membres de familles nanties comme vous l'êtes connaissent par cœur, voient revenir chaque année. Celui-ci cependant s'annonce différent, et promet d'avoir un goût amer. C'est le premier depuis l'attentat du mois d'août ... Et bien qu'elle essaye de ne pas y penser, c'est comme si chaque préparatif du gala l'y ramenait irrémédiablement.

Merci, qu'elle te répond avec un doux sourire.

Toujours enthousiaste, ça la rendrait presque nostalgique de ces années scolaires révolues. Après une légère pause, elle poursuit :

Oui, Declan Bergling, de la Gazette. C'est ... C'est la première année que je n'irai pas avec Jasper.

Le ton se fait amer, plein de regrets. Les raisons sont évidentes, et tu les connais, mais malgré tout, elle conserve une sympathie qui ne devrait sans doute pas être envers son ex-fiancé.

À tes mots tristement pensifs, à ton soupir, elle s'en veut légèrement de n'avoir pas pensé à toi. L'attentat t'a impactée toi aussi, et rendra aussi tes festivités bien différentes.

Je suis désolée, Darya. Toi et Uriel formiez un si beau couple, soupire-t-elle. Je suis certaine que tu trouveras vite un cavalier. Une belle femme de Sang-Pur comme toi, c'est certain que tu recevras des invitations.

La plaisanterie la fait éclater de rire. Quand bien même ce pourrait être une façade, elle est heureuse de ne pas te voir te morfondre. Ce gala va être particulier pour vous deux, pour bien des raisons, et vous avez tout intérêt à vous soutenir l'une l'autre comme vous l'avez toujours fait. Ensemble, à travers tout, pour toujours.

Mieux vaut rester sur Morticia, finit-elle par répondre, sourire aux lèvres. M'est avis que ton père n'apprécierait pas la présence d'Alamak ... Et si je puis me permettre, tel que je le connais, il doit déjà penser à ton avenir.

Un bien bel euphémisme pour dire que Canopus Black n'avait pas son pareil pour saisir une opportunité, et que celle que représentait Uriel Lestrange n'étant plus, il devait s'atteler à en chercher une nouvelle. Ainsi fonctionnent les choses, dans les vieilles familles comme les vôtres. On ne s'épouse pas par amour, mais par alliance.