Accoudée au comptoir d'acajou de son bar huppé favori, elle ressasse sans bien faire attention à ce qui se passe autour d'elle. Les journées au Ministère de la magie sont longues et pleines de responsabilités dont elle s'acquitte volontiers, mais qui s'avèrent épuisantes. Curieuse place que la sienne, après tout, lui étant revenue après la mort de sa mère lors de l'attentat, et au travers de laquelle il lui semble chercher un réconfort fantôme qu'elle ne trouve pas. À cela s'ajoutent le retour inexplicable de son frère qui lui a éhontément ravi la place qui lui était due à la tête de la famille, et la disparition d'un des jumeaux Black qui met ses proches dans tous leurs états. Il lui est insupportable de voir son aimée Darya dans un tel désarroi. Alors elle a fait ce que font les adultes de ce monde quand la vie devient trop pressante : elle s'est rendue dans un endroit familier afin de siroter sa boisson préférée, en espérant que cela permette à ses pensées de retomber.

Une jeune femme s'installe soudain à ses côtés, et elle sursaute presque en sortant de sa torpeur. Celle-ci déborde d'assurance, avec ce sourire au coin des lèvres et cette voix pleine avec laquelle elle commande à sa place. Evonice est surprise – prise au dépourvu serait plus exact. Jette un regard incertain d'abord au barman, puis à sa compagne inopinée, à qui elle adresse l'ombre d'un sourire plus automatique qu'autre chose, un brin désarçonné.

Merci.

Les boissons arrivent, hypocras carmin servis dans des verres à pieds en cristal. La jeune femme entame le sien sans attendre, ni briser le contact visuel avec elle, et finit par pousser l'autre dans sa direction avec un clin d'œil charmeur. Ses entrailles font un bond alors qu'elle tire le verre vers elle, suffisamment maîtresse d'elle-même pour ne pas laisser ses jours rosir. Se tromperait-elle en affirmant qu'on lui fait du charme ? Comme percevant ses interrogations, l'autre se présente – Envy – et le doute n'est plus permis. C'est une pointe d'angoisse, cette fois, qui s'empare d'elle. Elle s'estime rompue à l'art de dissimuler ses véritables attirances. Envy les aurait-elle perçues, ou joue-t-elle ce numéro de charme avec tout le monde ? Diligente, elle répond néanmoins poliment :

C'est très gentil. Evonice Lestrange, enchantée.

Et de plisser légèrement les yeux, incapable de lutter contre la persistante impression que les traits d'Envy lui sont familiers.

Pardon, mais se connaît-on ? J'ai vraiment l'impression de vous avoir déjà vue.

Mais où ?

Envy comment, par ailleurs ?

Peut-être que le nom l'aidera. Peut-être a-t-elle fréquenté l'un ou l'une de ses proches, au Ministère ou ailleurs, ce qui expliquerait son sentiment de déjà-vu.

Tout, en vérité, l'intrigue chez toi : de ton assurance sans limite à cette apparence aux antipodes de la sienne, si jeune, colorée, vibrante de la culture du magicnet dont elle n'est pas pleinement familière. Elle devine les tatouages qui dépassent des ourlets des vêtements, entrevoit également le soin et le temps dédiés à ce maquillage travaillé et à ces multiples piercings qui lui font passer un pli songeur sur le front. Envy Chadwick, vous êtes une créature si éloignée de son monde que vous en devenez déroutante.

Si elle se questionnait un peu plus tôt sur la véritable nature de tes mots, ou plutôt sur leur réelle intention, elle est désormais sûre : on lui fait du charme. Et bien peu subtilement. Cette fois, sous la grossièreté voilée des propos, elle sent une vague teintée rosée recouvrir ses joues. Un instant, elle s'interroge. Quand s'est-on attelé à la séduire pour la dernière fois ? Ou plutôt – quand est-ce qu'une personne répondant à ses vraies attirances s'est-elle mis en tête de la séduire ? Il lui semble bien que la réponse soit : jamais. Jamais une femme n'est venue vers elle avec de telles intentions et une telle détermination, pour la simple raison qu'elle s'en est prémunie, consciencieusement, pendant bien des années. Que tu sois passée aussi facilement outre sa façade de performance hétérosexuelle la surprend, sans doute plus positivement qu'autre chose. Un tel exploit, mêlé à une pareille insistance, ne mériteraient-ils pas une chance ?

Alors elle laisse de côté la réticence qui s'était élevée lors des premiers instants, accepte que s'exposer dans un lieu de rencontre implique d'en faire, des rencontres. T'accepte, toi. Elle opine du chef tandis que le visage s'éclaire brièvement, satisfait d'avoir trouvé en quoi ces traits troublaient ses souvenirs.

Chadwick, bien sûr. Je connais bien votre père.

Un collègue du Ministère. Pas dépendant de son service, mais une connaissance néanmoins. Alors qu'elle entrouvre les lèvres pour s'étendre sur ton père, tu te rapproches, d'abord légèrement puis plus franchement, comme pressentant l'inintérêt des mots qui veulent s'extraire d'elle. Il n'y a plus que quelques centimètres entre vous, et il lui semble que le rose sur ses pommettes s'accentue. Lorsque tu parles, votre proximité lui permet de sentir le sucre de l'hypocras sur le fond de ton souffle, et quelque chose rugit dans ses entrailles. De manière tout à fait imprévisible, plutôt que de s'offusquer, et se met à éclater de rire, en écho à ton ricanement. Une main repose sur le pied de son verre, l'autre se lève vers sa bouche pour lui permettre de rire poliment, comme on le lui a toujours appris.

On ne m'a jamais courtisée de la sorte, avoue-t-elle, amusée, lorsque son rire se tarit. Du moins, pas aussi ... frontalement.

Elle t'imite et porte son propre verre à ses lèvres, mais au lieu d'en prendre une simple gorgée élégamment comme elle le fait depuis son arrivée, elle penche la tête en arrière pour terminer l'alcool qui y reste sans en laisser une goutte. Le verre s'échoue sur le comptoir avec un petit bruit sec, tandis qu'elle se tourne vers toi, plonge ses yeux verts dans les tiens, sombres et langoureux, et lâche sans hésiter :

Continue.

Le temps lui fera peut-être regretter cette décision. Mais pour l'heure, le cœur esseulé crie pour s'abandonner à la compagnie qu'on lui présente – sans doute le temps d'une nuit, peut-elle s'abandonner à être qui elle est vraiment.

Ce tutoiement à l'aura si familière qui la crispait bien un peu, lorsque tu es arrivée toute débordante d'assurance, commence désormais à lui plaire. Il cimente cette proximité que vous tissez, agrémente la complicité qui se crée entre les deux inconnues que vous êtes, pourtant piquées d'intérêt l'une par l'autre. Et elle voit bien la surprise sur ton visage lorsqu'elle t'invite à ne surtout pas cesser, d'abord désarçonnée, puis satisfaite. Ce petit rire qui t'échappe lui caresse les entrailles et elle y répond par un doux sourire, toute ouïe alors que tu poses tes conditions.

Très bien, approuve-t-elle sans faire de difficultés, amusée, même. Je suis sûre que je peux te faire oublier ton père ... Envy Chadwick.

Elle réemploie ton nom complet en guise de taquinerie, comme pour marquer que les formalités ne sont jamais loin, lorsqu'on vient d'une bonne famille. Sa voix se veut également enjôleuse, presque plus grave, tant les promesses que portent cette soirée – que tu portes, l'excitent d'une manière qu'elle aurait du mal à décrire.

Tu commandes à nouveau des boissons et elle émet un petit rire discret, toujours poli, caché derrière sa main, et manque de te demander si tu comptes parvenir à tes fins en l'enivrant, mais renonce avant que les mots ne franchissent ses lèvres, estimant la remarque encore un peu trop audacieuse pour la jeune femme sage qu'elle est – ou se doit d'être.

Je vais être parfaitement honnête avec toi, commence-t-elle en posant le coude sur le comptoir, laissant son menton reposer sur ses doigts fermés, je n'ai jamais eu l'habitude de boire des cocktails. À toi de changer ça.

Ce n'est pas le genre de choses que l'on boit dans les grandes familles. Et encore une fois, elle s'enhardit, et use de ce tutoiement que tu lui as demandé un peu plus tôt. Vos boissons arrivent et elle ne touche pas tout de suite à son verre, portant plutôt un regard curieux vers ton cocktail avec dans les yeux l'ombre de l'intérêt pétillant qu'on a pour les choses qu'on nous a toujours interdites. Tu la vois sans doute faire, malgré son désir d'être discrète, car tu pousses alors ton verre dans sa direction et tourne la paille vers elle. Ta main se saisit délicatement de son menton et elle sent son cœur bondir, de moins en moins capable de se conformer à son habituelle allure de glace. Un sourire se dessine sur son visage en écho au tien, et sans rien dire, elle se penche vers toi et enroule les lèvres autour de cette paille que tu lui tends. L'alcool monte jusqu'à sa langue et l'étonne par sa douceur alors que son sourire ne la quitte pas. Après une gorgée, elle lâche lentement la paille, et pince doucement les lèvres en approchant son visage du tien, son menton toujours dans ta poigne séductrice. Vos souffles sont si proches qu'ils s'entremêlent alors qu'elle murmure :

C'est délicieux.

Les autres et le décor du bar huppé n'existent plus alors que tout en elle, de sa pose lascive à son intonation enjôleuse, crie encore.