C'est la première fois que tu dors aussi apaisé Teddy, et ce depuis des semaines. Premier martin où tu te reposes vraiment, d'ailleurs. Trop habitué à te lever tôt pour rejoindre le terrain de Quidditch. T'entrainer, du matin au soir, le soir passé avec les coéquipiers, la nuit à survivre au clair de lune. T'es crevé depuis des années. Heureusement pour toi, Sage Black et son lit existent. T'étais tellement bien contre lui que tu ne l'as pas senti se lever.

Tu te réveilles naturellement un peu plus tard. Constates que les draps sont vides. Tu te demandes où est-ce qu'il est. S'il est en bas ? Parti faire un tour ? T'as déjà oublié ce que vous vous êtes dit hier à propos d'aujourd'hui. Tu enfiles mécaniquement des vêtements propres que tu sors de ton sac. Le manche de ton balai en dépasse, tu manques de te le prendre dans la tronche.

Une fois en bas, tu le pistes à l'odeur. Un tricks de loup-garou très pratique que tu lui as appris. Le rejoins dans le garage. À la vue de la bécane, tu siffles. Hausses un sourcil.

— « Alors ? Tu me sors pas la phrase magique, Ma moto c'est TA moto ? Ça marche que pour les chambres ? »

Tu ne retiens pas un petit rire cinglant et monte à l'arrière. Les bras autour de sa taille. Tu rêves de conduire un bolide comme ça. Vu d'en haut (parce que la moto vole, oui) ça ne te change pas vraiment des virées en balai. T'as toujours préféré le ciel à la terre - et le vertige ne te heurte point.

À destination, tu poses les deux pieds dans le sable qui borde une maison. Tout est trop blanc et épuré. Le ciel un peu gris, c'est pas très différent du reste de l'Angleterre ça.

— « On est où ici ? »

T'es jamais venu dans ce genre de coin. Tu connais pas le village, tu connais pas la mer. Tu fronces les sourcils quand il raconte avoir grandi ici. T'auras pas d'aussi belles histoires à lui raconter. Ton enfance c'est les bois et les cris.

— « Ah ok. »

Tu fais pas de commentaire sur la perte de ses parents. Tu te doutes bien que c'est douloureux. Tu peux pas te comparer cette fois. T'as pas connu ta mère alors ça compte pas. Tu glisses une main pudique dans son dos pour le frotter et le laisses entrer. Tu ne sais pas si tu apprécies la déco, elle t'apaise en un sens. C'est très blanc, très lisse. Ça t'agresse !

— « J'arrive pas à comprendre comment vous avez pu habité ici... et maintenant là-bas. Ça n'a rien à voir. »

Tu plisses le nez, t'imprègnes de toutes les odeurs. Il y en a plein que tu connais pas. Ça réveille ton instinct. A ses doigts qui se lient aux tiens, tu te laisses guider. Pas besoin d'acquiescer, tu le suis.
Vous montez à l'étage à un moment. Tu vois les petites lettres noires inscrites sur les portes des chambres.

— « Rien a changé depuis ? »

Figé dans le temps.

Ça ne t'étonne même pas que son père étouffait à Londres. Tu as vraiment du mal avec la maison à Square Grimmaud.Elle est à la fois immense et très compressé. Une sorte de tour aux étages infinis et au parquet qui grince. Tu trouves cette maison davantage pur et apaisante. Une sorte de petit coin de paradis qui arrive quand même à t'intimider. Un endroit très chargé en énergie - ça t'agresse. La paisibilité ne masque pas totalement toute la tristesse et la mélancolie. Et cette fois tu arrives à la percevoir. Grâce à lui.

Le nombre de fenêtre est impressionnant. C'est sûrement ce qu'il diffère de la maison à Londres. Tu t'abstiens de commentaires. Tu es même étrangement silencieux, presque trop concentré dans le sens du détail. Puis vous montez à l'étage. Le commentaire sur le grand-père t'arrache un grondement. Tu visualises un peu trop bien la scène. Des enfants emmenés contre leur gré après avoir vécu le choc d'une perte. Puis tu repenses à Neal - aux circonstances particulières. Tu lui raconteras plus tard.

— « Putain c'est fou comme rien n'a changé. »

Tu te sens pas de dire autre chose. Fronces les sourcils. Les jouets au sol te stressent. Ça te ramène à des flashs malgré toi. Portes une main à ton front, fiévreux, pris de vertiges. Les corps ensanglantés sur le sol, le visage de Neal. Tu n'as pas un bon rapport avec l'enfance. Tu vas pour tourner les talons, quand il parle de sa famille. Tu te retournes, mais il ne te regarde pas.

— « Lesquels ? »

Et les nouvelles s'accumulent. Lui et Reg vont gérer la famille. Les mariages arrangés ont été abolis.. Tu te figes.

— « Sérieux ? »

Tu t'en doutais un peu, qu'il n'allait pas vraiment s'y plier. Sinon ça serait fini depuis longtemps - mais au fond de toi tu te demandais encore s'il aurait le cran de t'abandonner au dernier moment pour aller retrouver une pimbêche au sang pur à l'autel. Tu es soulagé, mais surtout glorifié. Parce que c'est toi qu'il choisit et seulement toi, prêt à sacrifier des siècles de tradition.

— « T'es au courant que je veux pas d'enfant et que si jamais on en avait ils seraient tout sauf pur. Ça te dérange pas, hein ? »

Hein ?

Il t'explique ce que tu te doutes déjà - ce que toute la société murmure dans leurs dos (alors qu'ils en sont conscients) ; qu'ils ne seront plus pur la prochaine génération ou celle d'encore après. T'as appris une fois parti que sa cousine avait épousé autre sang pur, mais a perdu son nom Black. Tu ne sais pas ce que son cousin veut faire. Tu t'en fiches en fait. Tout ce qui t'importe c'est ce que Sage décidera. Parce que tu ne comptes pas le lâcher, qu'importe sa famille exige le poids d'un sacrifice. Tu hoches la tête, étires un sourire triste.

— « J'y connais rien. Je peux pas totalement comprendre les problématiques que tu rencontres mais... je serais avec toi quoi qu'il arrive. À tes côtés. »

Les enfants c'est compliqué. Tu te permets de préciser.

— « Tu sais que je sais. J'ai confiance en toi pour être un père admirable. C'est juste... moi. Les gosses ça me fait peur. Ils me rappellent qu'un jour j'en ai été un et j'ai peur de devenir comme lui. »

Tu soupires. Ses lèvres a ta joue la font légèrement rosir. Tu sais pas quoi penser de cette histoire de pureté. Ça t'est égal. Ils seront aimé. Tu crois. Tu l'espères de tout ton être.

Vous traversez une chambre pour rejoindre un balcon. Tu renifles l'air malgré toi, mais tu ne perçois rien d'autre qu'une vieille empreinte humaine. Tu devines que Sage a dû reconnaître quelque chose de plus profond. Tu ne dis rien.

Tu le rejoins sur le balcon. Observes l'horizon et la mer. Le vent iodé chatouille tes narines. La vue à tout d'un paradis. Tu ne connais pas le paradis. Tu pensais qu'il se trouvait dans le ciel là où les dieux font mourir le vent.

— « Tu voudrais de l'aide ? C'est là que tu veux habiter c'est ça ? »

Ensemble peut-être. Mais tu ne te permets pas de demander.

Tu ne seras jamais comme lui. C'est quelque chose que tu avais besoin d'entendre - surtout de sa bouche à lui. Parce que Neal n'en parle jamais. Quand il te le disait c'était pour se rassurer lui, pour se protéger de toutes les images infâmes que ton père lui a inscrit dans la tête pour toujours. Tu y penses parfois, à ce que tu serais devenu si tu avais accepté de devenir le prince des loup-garous, comme il t'appelait. Tu n'as rien d'un prince Teddy - t'es à peine un génie. T'es surtout traumatisé et perdu.

Soupire aux creux de tes lèvres. Sage accepte ton aide - tu comprends que c'était une demande en sous-entendu. Tu laisses échapper un petit rire, amusé. Construire des trucs ça te connait (non pas vraiment).

— « Alors c'est parti. »

Tu le dévisages d'un air mortellement sérieux.

— « Je vais repeindre une pièce et tu vas te rendre compte du désastre, mon plan est parfait. »

Mais à peine le temps de se moquer que Sage développe un peu plus sa pensée. Tu fronces les sourcils. Pourquoi est-ce qu'il fait ça tout le temps ? Aller par étape, espérer que tu comprennes, puis t'expliquer parce que t'es trop con pour interpréter.

— « Pourquoi tu balances ça comme si tu me demandais en mariage ? J'avais compris. »

Un brin vexé, tu te pinces l'arrête du nez.

— « Hors de question que tu dormes dans une autre chambre et que tu me laisses le canapé. »

Tu lui voles un baiser à l'arracher puis recules pour t'adosser à la barrière, un peu plus décontracté.

— « Deux loup-garous dans une baraque côté sur la plage ? J'aurai jamais cru upgrade ma vie comme ça. »

Tu rouvres un oeil, comme pour surveiller que vous vous êtes bien compris. Tu exaltes à la vue de son sourire en coin, narquois comme le lord qu'il est. Ah, ce que ça t'agace, cette attitude princière qu'il a quand il fait le fier. Ça t'agace autant que ça t'excite. Tu te sens piqué à vif. Fronces le nez comme un chien le ferait, Sage s'avance vers la rambarde du balcon pour s'y appuyer. Il te coince dès lors dans une position familière. Tu penses immédiatement au gala, l'esprit vif quand il s'agit de te rappeler de ce genre de détails. Moins quand il s'agit de retenir des visages et des dates de personnes qui ne t'intéressent pas.

— « Qu'est-ce que tu dis ? »

Tu siffles entre tes dents, faussement mauvais, faussement atteint dans ta fierté de mâle alpha imaginaire et fantasmé (par ton père tout craché). Tu finis par t'étrangler d'un rire nerveux mais étrangement sincère. Pur, toujours avec lui.

— « Purée j'avais oublié que je m'appelais Theodore. »

Tu frissonnes.

— « Heureusement que t'es là pour me le rappeler. Je t'aurai bien dit que je préfère Sage Hingsley mais c'est mort. Hors de question que tu portes le nom de mon connard de géniteur. Va falloir que je m'accoutume. »

Et pourtant, au fond de toi... ça te fait quelque chose. Hinglsey, c'est toujours comme ça qu'on t'a appelé. C'est ce nom là qui est connu dans le monde du Quidditch. C'est ce nom là qui t'a rendu célèbre. Tu préfères esquiver le sujet. Et c'est parfait... parce qu'il t'extirpe à tes pensées parasites pour en amener une autre. Très claire. Tranchante, vibrante. Il t'embrasse et tu écarquilles les yeux, le regard fixé vers le vide. Je t'aime. Encore confus par ta réflexion, tu ne réagis pas tout de suite. Tu le dévisages sévère comme s'il avait sorti la connerie du siècle. Avant de te racler la gorge. Tu précises ton attention.

— « Désolé j'étais ailleurs. »

Lui embrasses le front.

— « Moi aussi. »

Tu détailles la maison par l'interstice de la baie vitrée du balcon.

— « Je sais pas. On pourrait commencer par aller piquer une tête à la plage. Je me suis jamais baigné tu sais ? Dans la mer, je veux dire. »

Parce que les soirées au lac noir à risquer sa vie bêtement, ça tu connais.

— « Et on parlera déco plus tard. »

Grognes quand il te prend pour un imbécile. Évidemment que tu sais que vous habitez sur une île. Et pourtant ouai, t'as jamais foutu un pied dans la mer. A croire que Romulus n'avait pas jugé ce divertissement pertinent. Le problème aussi pour une meute de loup-garou en cavale, c'est que vous évitiez généralement de vous rapprocher des cotes. Vous étiez plus à l'aise terrés au fin fond des forêts les plus sombres, les plus lugubres, et les moins fréquentées.

— « Sérieux ? Putain tu m'apprends un truc, là. »

Tu passes une main dans tes cheveux humides de sueur et de sel. L'odeur est particulière mais elle ne te déplait pas.

— « Quoi ? Tu veux pas te baigner là ? »

Fronces les sourcils.

— « J'ai rien contre le fait de voyager, on peut partir un week-end comme tu dis mais je vais avoir besoin de prendre rapidement contact avec l'entraineur des Griffes. J'ai besoin de régler ça avant de partir n'importe où. »

Finalement, il consent à y aller - non sans lancer une petite pique. Main dans la main certes, il t'entraine, mais tu frappes l'arrière de son dos avec une force que tu peines à mesurer, il est propulsé vers l'avant sur le lit de ses parents (vous aviez déjà un pas dans la chambre).

— « Merde Sage, ça va ?! »

Tu éclates de rire. La tension qui vous hantait semble s'être évaporée d'un coup. Tu serres le poing devant ta bouche, hilare.

— « C'est le coup des brassards aussi, tu me cherches. Je sais nager gros bêta. Par contre toi je vais te couler. »

Tu le chopes par la taille pour le mettre sur ton épaule, puis descends furieusement les escaliers. Une fois au rez de chaussée, tu le lâches et retires ton haut.

— « Ouai... tu sais d'avance ce que je vais dire. »

Étires un large sourire.

— « LE DERNIER DANS L'EAU DOIT UNE SOIRÉE DE MASSAGE À L'AUTRE. »

Et tu t'élances.