C'est l'été donc tout le monde se barre en vacances. Mais il n'y a pas moins de malades ou d'accidents durant les mois de juillet et d'août. C'est juste la merde pour ceux qui restent travailler - sans parler de la clim toujours en panne malgré les reparo lancés à longueur de temps. Tu vas finir par crever de fatigue avant de crever de chaud. En plus... on t'a collé au service généralisé. Assis derrière un petit comptoir, tu gères les stocks pour les autres médicomages.

L'avantage, c'est qu'au moins t'es pas obligé de parler toute la journée. Tu restes à ta place, regardant dans le petit ordinateur la liste des potions et où elles sont rangées pour aller les chercher, puis les remplir sur les chariots qui roulent tout seuls jusqu'aux membres du personnel adéquat. La tête dans le creux de ta main, tu fixes les horloges s'agiter et les papiers voler tout autour de vous.

Hm. Tu lèves le regard vers une drôle de femme. Tu l'as déjà croisé par le passé. T'es persuadé que c'est la semi-vampire qui travaille au ministère. Tu attend qu'elle formule sa demande. Comme un robot, tu cherches dans le programme la gestion de distribution du sang aux hybrides recensés.

— « Nom. »

Attend qu'elle te le donne.

— « Pas dispo. »

Vingt-huit. Elle s'offusque. Tu perds pas encore patience Leslie. Accio silencieux sur le calendrier accroché derrière elle. Tu lui montres la date de la semaine prochaine. Espères qu'elle comprenne qu'elle aura rien avant cette date que tu t'agaces à pointer de l'index.

Tu penses (à tort) qu'elle va partir et en rester là. Qu'elle va comprendre... le fait que tu aies autre chose à faire que de négocier avec la première venue alors que tu n'y peux rien. C'est pas toi qui décide, toi tu constates juste que les stocks sont vides. Damnation. Elle ne part pas ! Pire, elle te force à abaisser le calendrier. Et tu sens bien qu'elle n'a pas celle d'une innocente jouvencelle. Tu plaques l'objet sur le clavier de l'ordinateur et la toises.

— « Non. »

Tu t'efforces de lui expliquer ce que tu es incapable de développer ou d'argumenter.

— « Pas ma faute. »

Mais les demandes un peu cavalières se muent en menaces et tu n'aimes pas du tout. Si seulement tu pouvais lui balancer tout ce que tu penses. Et tu penses beaucoup de choses à ce moment là.

— « Menace ? »

Vingt-trois. Tu vas pas tenir longtemps. Tu tapes sur ton téléphone rapidement dans l'outil notes, pour lui tendre.

Tu avances le menton, l'air de dire : bon tu bouges de là maintenant ?

Elle se met à parler comme toi. Tu rêves ou elle parle comme toi ? Est-ce que c'est par désespoir pour t'apitoyer ou elle se fout de ta gueule ? Pas sûr que tu restes poli si c'est le deuxième. T'aimes pas du tout qu'on se moque de toi, surtout quand tu fais tout ce qui est dans ton possible pour être le plus clair possible. Tu grondes dans ta barbe (que tu n'as pas) et gardes le portable tendu vers elle par réflexe. C'est qu'elle s'y adresse et ça te laisse aussi compréhensif que perplexe.

La menace se mue en négociation. T'as l'impression d'assister aux cinq étapes du deuil, c'est un peu pathétique. Après la colère, le marchandage. Puis c'est la dépression qui arrive à grand pas quand elle te sort ses yeux de merlans frits. Évidemment, tu te sens coupable. Elle ne peut pas comprendre que tu n'y peux rien.

— « Toujours non. »

Tu la pointes du doigt, excédé.

— « Bouchée. »

Tu vas pas aller piquer du sang à des patients comme ça au hasard, sinon t'es viré. Et puis même, ça va par delà ta conscience professionnelle.

— « Rentrez. Bon poulet. »

Dix-huit. T'es en train de baiser tout tes mots pour elle, ça te rend fou. Tu espères au moins qu'avec tout ça elle a compris, parce que sinon tu vas vraiment piquer une crise - et adieu le gentil masque du médicomage serviable et dévoué.

Tu sursautes légèrement quand elle se laisse tomber brusquement contre le bureau. Tu te demandes, curieux, si elle s'est faite mal. Décidément, entre la vieille qui parle qu'en gobelbabil et pense être poursuivie par le ministère russe, et la vampire en dépendance sanguinaire, t'es bien tombé aujourd'hui. Pourquoi c'est toujours quand t'es pas disposé à aider qu'ils viennent tous te hanter de leurs situations désespérées ?

Tu soupires bruyamment pour témoigner de ton impatience et surtout de ton agacement. Elle en profite pour relever la tête, une lueur étrange dans le fond des yeux. Tu en as la chair de poule. Elle te propose (quémande ?) d'être son cobaye pour cette fois. Tu passes immédiatement une main à ton cou, déglutis de terreur.

— « Pas droit. »

Tu fais non de la tête. En même temps, tu tapotes sur ton téléphone pour envoyer un message d'urgence à la sécurité. Peut-être bien que vous allez devoir libérer une chambre pour cette femme. Son état mental est instable et elle te fait peur. Mais avant que ton message parte, le pineapple glisse de tes mains et s'écrase au sol. Tu craques et gueules comme un putois.

— « SÉCURITÉ ! »

A peine tu hurles qu'elle se confond en excuse. Tu fronces les sourcils, un peu confus et désabusé par ses pardon qu'elle scande comme un bouclier d'immunité. Tu entends déjà des pas dans le couloir. La semi-vampire saute par dessus le comptoir pour se cacher derrière ton bureau. Tu ne sais plus comment réagir, trop perturbé par son attitude. Ça n'a ni queue ni tête, tu soupçonnes un trouble psychologique qui peut être aussi dangereux pour elle qu'il ne l'est pour les autres. Tu n'es sur de rien, après tout, ce n'est pas ta branche, mais c'est ce que son comportement incohérent.

Et évidemment, il faut que ça soit lui qui débarque. Tu fronces les sourcils, et désignes du doigt la coupable. Tu tentes d'expliquer correctement.

— « Dangereuse. Menace. Sang. »

Tu fais comprendre d'un regard sous-entendu que c'est sérieux, et qu'elle a besoin d'aide. Tu recules légèrement pour t'écarter, fais le tour du bureau pour passer de l'autre côté. Tu avais tapé sur ton téléphone entre temps discrètement, et lui montre avec la même tempérance.


Tu fais signe à d'autres médicomages de rappliquer, mais laisse au chef-guérisseur l'ordre à donner. C'est lui qui doit prendre la responsabilité, pas toi.