dix-huit heures devient dix heures.
fin d'après-midi troquée pour la matinée.
inspire l'air de londres, rowan, ignore le poids qui s'installe sur ses épaules.
il avait des responsabilités à honorer, une idée à consolider.
ne serait toutefois pas seul, présume avoir le soutien de sa famille.
celui de son frère, du moins.
c'est naturel, instinctif, de voir ses pas le mener vers l'un des seuls endroits de ce continent auquel il porte un quelconque attachement.
tourne la poignée du domaine familial après une brève hésitation — étouffe le pincement au coeur qui le prend chaque fois qu'il pense un peu trop à ce qui s'y est déroulé.
devine sa présence, à défaut de pouvoir l'entendre.
son esprit est une forteresse de silence.

— sage ?

il ne doute pas que son murmure atteigne ses oreilles, il l'avait appris à ses dépens et plus d'une fois.
et vu le bruit à l'étage, c'est bel et bien le cas.
referme doucement la porte derrière lui, l'observe dévaler les escaliers du coin de l'oeil.
se plante devant lui, sage, le serrant contre son torse.
ça lui avait manqué.
il le laisse filer, léger sourire aux lèvres faisant écho à celui qu'il arbore.
tu ne m'as pas prévenu
grimace penaude.

— surprise ?

fait mine d'agiter les mains, rowan.
air amusé
soulagé
de le voir aussi bavard et volubile.
redoutait plutôt le mutisme familier, celui qui indique que ça n'allait pas.

— laisse-moi deux minutes pour arriver, et je te raconte tout ça ?

sourcil arqué, il le charrie doucement sur son entrain.
le suit lorsqu'il grimpe au premier, traverse les couloirs et les pièces qu'il connaît comme le fond de sa poche pour rejoindre le salon.
dépose ses effets personnels avant de prendre place sur l'un des fauteuils, le regard ancré dans le sien.

— c'est temporaire.

ne voit pas l'intérêt de tourner autour du pot, rowan, expose les faits sans détours.
le simple sac qu'il avait apporté avec lui en était la preuve : un séjour bref.
le prochain le serait moins.

— pour le moment.

ses doigts tapent sur ses cuisses au rythme désordonné de sa nervosité, là où il avait posé ses paumes.

— j'ai proposé à min d'étendre ses relations en europe, et pas seulement qu'avec nous. je ne pensais toutefois pas que la responsabilité de le faire me tomberait dessus.

il devrait s'en réjouir, pourtant.
on lui faisait confiance.

— et... j'aurais besoin de toi.

de vous tous.

sa neutralité lui fait baisser les yeux un instant.
regretter d'avoir commencé par le sujet épineux.
mais plus vite ils en parleraient, plus vite ils passeraient à autre chose.
profiter du peu de temps qu'il passe à londres, avant son prochain séjour.
il confirme ses certitudes.
le poids sur ses épaules semble moins lourd à porter.
son frère demande s'il avait discuté du projet.
incline la tête de côté, faible haussement d'épaules.

— en partie.

le principe du conseil avait seulement été accueilli d'un sourcil arqué et d'une mine pensive.
pour les mariages, rowan s'était fait évasif, mentionnant simplement que les choses étaient compliquées suivant la remarque du patriarche.
du moment qu'aucun d'entre-vous ne s'énamoure d'un troll
ça avait été lancé sur le ton de l'humour, l'aurait fait sourire d'ordinaire.
mais il ne sait pas si l'ouverture dont le clan avait fait preuve à leur arrivée quant à la nouvelle réalité de sage s'étendrait aux unions.
aux enfants.
à la pureté du sang.
ça lui importe peu, ils sont tous voués à s'éteindre.
parfaitement au courant que certaines familles masquent les cracmols et moldus de leurs arbres généalogiques — le subterfuge fini éventuellement par être découvert.
et il n'a aucune idée de jusqu'où ils étaient prêts à les suivre, dans ce début de révolution d'une institution vieille comme le monde.

l'écoute parler, sans piper mot.
éclair de culpabilité au fond des prunelles à la mention du manoir.
il ne se fiche pas de l'endroit, a seulement une relation conflictuelle avec celui-ci.
il y a l'ombre de leur grand-père semble toujours présent, s'allie au sentiment d'insécurité qui lui colle à la peau depuis l'automne.
et les occasions heureuses, bien que distantes maintenant, avec leurs parents.
lorsqu'il évoque canopus, le débat engendré par celui-ci, c'est la même mimique qui tord ses traits.
n'est pas surpris, rowan.
malgré les atrocités commises, ça reste leur oncle.
le père de leurs cousins.
le frère de leur tante.
un black.

— je vois.

darya est enceinte
instant de flottement, alors qu'il fixe sage comme si une deuxième tête venait d'apparaître aux côtés de la première.
la seconde d'après, c'est avec un empressement frénétique qu'il tire son téléphone de sa poche, manque de le catapulter au sol par accident.
message envoyé à une vitesse fulgurante, fautes d'orthographe en prime.
il aurait aimé être présent.
présume qu'elle aussi.
mais le positif supplante le négatif, son sourire est large, lui ferait presque mal aux joues.

— elle va bien ?

iris sombres se décrochant de l'écran, l'observe quelques secondes en silence.
à s'enquérir au sujet des autres, il en oublie le plus important.

— tu vas bien ?

le fixe toujours lorsqu'il se met à parler, téléphone oublié entre ses jambes.
répond à sa question concernant darya.
elle semble bien aller, mais inquiète concernant son père.
ça l'étonne peu, l'est aussi de toute façon, concernant le personnage.
la pause qui suit lui fait arquer un sourcil, perplexe.
le soupir qui lui échappe n'aide en rien.
s'apprêtait à lui demander si quelque chose clochait, mais sage poursuit.
son sourire disparaît en un battement de cils.
un horcruxe ?
clovis se baladait avec un horcruxe et s'était marié à sa cousine.
cousine qui attendait maintenant un enfant et-
...le soucis est bientôt réglé
la colère qui s'était manifestée s'estompe légèrement.
il est rassuré de savoir le danger temporairement entreposé dans une pièce de la demeure, qu'il n'attendait qu'à être détruit.
mais son propriétaire doit être en état de le faire.
la bonne blague.

— je veux bien croire qu'aucun d'entre-nous n'ait eu de modèles sains, froid, mais c'est complètement con de trimballer un horcruxe.

jusqu'où les effets de la malédiction s'étaient-ils ancrés ?
avaient-ils fait des ravages sur l'entourage de clovis ?
était-il même conscient de ceux-ci ?
trop de questions sur lesquelles il préfère ne pas se pencher à l'heure actuelle.

— il commence sacrément mal le bail.

c'est grommelé entre ses lèvres pincées.
culpabilité toujours aussi prenante en constatant que bien des choses auraient pu être évitées, s'il n'avait pas disparu.
glisse une main dans ses cheveux, rowan, la laisse ensuite retomber sur l'accoudoir.
il hoche doucement la tête, note malgré tout la réticence derrière ses mots.
se fait précis, sage, n'expose que la surface.
le silence de son esprit n'est jamais aussi désagréable que dans ces moments.

— ça va. un peu fatigué, et le décalage ne va pas aider.

ce n'est pas le plus compliqué à gérer.

— je dors mieux. mais j'ai quand même quelques doses de sommeil sans rêves.

au cas où, qu'il ne dit pas.
il sait qu'il arriverait à lire entre les lignes.
et lorsqu'il ramène la conversation vers la raison de sa présence, de sa requête, ça lui tire un mince rictus.
classique.

— officiellement, c'est toi qui dirige cette famille. j'ai beau avoir endossé le rôle temporairement, je n'ai plus l'autorité qui vient derrière. au mieux, on me considère avec respect, mais tu sais très bien que ce n'est pas ce qui nous porte le plus loin dans ce monde.

le soucis, c'est que les plus récalcitrants peuvent le penser faible, d'avoir été kidnappé.
d'autres, qu'un loup-garou ne devrait plus être considéré comme pur, encore moins chef de famille.
c'est à son tour de soupirer.

— en soit, il veut seulement étendre ses affaires en europe. sur le plan financier, avec le commerce, mais aussi relationnel.

il n'y a pas qu'ici, que les sangs-pur déclinent.

— je te laisse deviner pourquoi je n'ai pas spécialement eu envie d'évoquer les petites réformes prévues sur le mariage.

sage se redresse, et il sait pertinemment ce qui l'a fait tiqué.
ça lui aurait déplu de l'entendre de la bouche du patriarche min, comme ça lui déplaît maintenant.
lui-même n'éprouve aucun plaisir à avancer cette requête, aurait préféré la passer sous silence.
présume aussi que le rappel sur leurs statuts officiels n'aide pas la situation — même s'il avait occupé le poste, ce n'était plus le cas désormais.
plus tout à fait.
la couronne est partagée.

— ce n'est pas à moi qu'il faut le dire, sage, la voix plus faible, c'est toi qu'altaïr a choisi. à leurs yeux, je n'étais que le remplaçant.

oh, il a fait la paix avec tout cela.
ce salon avait vécu ses hurlements et son vitriol face à ce que leur grand-père avait fait.
les cases dans lesquelles ils avaient respectivement été forcés, les attentes posées sur leurs épaules et les graines de ressentiment et d'appréhension qui s'étaient enracinées en lui au fil des ans.
ce n'était toutefois pas le cas pour les autres black, famille éloignée qui voyait déjà d'un mauvais oeil le fait qu'ils étaient trop jeunes pour se trouver à la tête de celle-ci, l'un comme l'autre.
mais ses iris dorés lui rappelle cette impulsivité farouche qui l'habite depuis toujours, plus souvent au premier plan ces derniers mois.
ne doute aucunement qu'il ferait des pieds et des mains pour changer les choses, c'est bien cela le problème.
agir avec précipitation ne réglerait rien.

— et on pense que c'est moi le plus impétueux de nous deux.

il esquisse un sourire, rowan, mais son expression redevient rapidement sérieuse.
considère sa proposition de pacte pendant quelques instants, reste silencieux.
les mariages sont des unions sur papier, les époux font bien ce qu'ils veulent et les serments magiques sont rarement pris à la légère.

— ce n'est pas une mauvaise idée, mais encore une fois, c'est quelque chose qui risque de difficilement faire l'unanimité. c'est plus facile de mentir quand la magie n'est pas impliquée.

et ça ne rectifierait pas le problème qui tracasse les sangs-pur plus traditionnels.
son rire le fait grimacer, ses mots plus encore.

— pas toi directement, ni même moi, mais ses enfants peut-être. sa famille. assurer la pérennité du nom. enfin, tu sais très bien ce qu'il recherche, et il n'est pas le seul. mais ce n'est pas sa priorité. ou la mienne, dans cette entreprise.

se cale plus confortablement sur le fauteuil, tête appuyée sur le dossier, à observer le plafond.
laisse les secondes filer, doigts tapant de nouveau sur sa cuisse.
le sujet est déjà suffisamment délicat, mais ce n'est pas le seul qui le tiraille.

— teddy est toujours en france ?

acquiesce lorsqu'il met le sujet du mariage de côté, ce serait un problème pour plus tard.
il ne peut qu'être rassuré d'avoir son soutien pour l'autre facette de la tâche qu'on lui a confié.
le plafond est observé pendant quelques secondes, question lancée en sa direction.
c'est toujours compliqué de lui tirer les vers du nez.
baisse les yeux, rowan, croise les siens, sourcil arqué.
il souffle.
oui
détourne ensuite le regard.

— mmh.

faible encouragement, attend simplement la suite.
elle ne tarde pas, remue les braises d'irritation qui subsistent toujours.`
ils n'ont pas le temps, qu'il dit.
semble penser qu'une pause était préférable et ça lui fait grincer des dents.
mais il sait que c'est nouveau pour sage.
qu'ils ne naviguent pas les relations sociales de la même façon, que tout est plus difficile pour lui.
son esprit est hermétique, ses émotions enfermées dans celui-ci.
la tension qui l'habite est visible.
lui intime de ne pas lui faire la morale.
ça lui arrache un rire bref.
pense visiblement si fort que même un occlumens arrive à capter.

— tu fais ce que tu veux sage.

doute qu'il apprécie d'être protégé comme lorsqu'ils étaient gamins.
à son tour soupirer.

— tu connais le fond de ma pensée. on en a déjà parlé. si c'est ce qui te sembles le plus juste, fait comme ça.

s'incline vers l'avant, menton posé dans le creux de sa paume, coude toujours appuyé sur le fauteuil.

— je me permets toutefois un conseil. parlez-en clairement. de vous. de vos attentes respectives. les non-dits ruinent vite une relation.

et pas seulement en amour
il esquisse un sourire aussi amusé que crispé.

— si ça peut te rassurer, je te promets que je ne vais pas le transformer en carpette, la prochaine fois que je le vois.

mais c'était une autre histoire de le prendre à part et de lui rappeler qu'il ne faut pas faire de mal à son frère.