Les mains de part et d'autre du lavabo tu prends le temps de respirer. Tu as le visage humide de l'eau dont tu t'es aspergé dans l'espoir vain de calmer l'ouragan, d'endormir la tempête. Rien n'y fais. Tu as le cœur qui cogne et la tête lourde d'un milliard de bourdonnements, d'images et de sons tous aussi déplaisants et meurtriers les uns que les autres. Darya et Clovis vont former une famille. Clovis va être père.

Il devait l'être, en quinze ans d'amour sans réciprocité tu t'étais infligé cette vérité pour ne pas qu'elle en vienne à te blesser. C'était écrit, lui avec une femme, toi avec une autre, des enfants destinés à devenir les meilleurs amis du monde à l'image de leurs pères. Tu étouffes un rire amer. T'aurais préféré ne jamais lui dévoiler. Merde. Merde. Merde.

— MERDE !

Tu cognes ton poing contre le lavabo, coupe l'eau car de toute évidence son bruit ne sera qu'un unième appel à la violence. Tu caresses l'idée d'envoyer un discret message à Cassandre, de lui demander d'inventer une excuse pour vous sortir de là. Ta seule obsession est la fuite. Oui. Oui. Tu vas faire ça. Tu fouilles avec précipitation dans ta poche, c'est alors que la porte s'ouvre.

Merde.

Un mélange acerbe de colère et de détresse te prend à la gorge.

— Casse-toi.

Mais il se cale contre la porte. Par reflet interposé vous vous observez. Tu es furieux, il est désemparé. Dans sa jolie bouche se bouscule des centaines d'excuses que tu es incapable d'entendre. Tournes en boucle le sourire de Darya, son étreinte, son baiser, l'impression terrible qu'une partie de lui se réjouit. Il va t'échapper, il l'avait toujours su mais, une fois encore, il n'avait rien. Il t'as menti. À force de l'entendre se justifier ton poing viens de nouveau cogner. Tu pivotes sur tes talons, désigne la porte d'un geste de la main.

— T'es sourd ? Je t'ai dit de te casser.

Qu'il ne te pousse pas à bout.
Tu l'aimes, mais pour la première fois de ta vie tu comprends que tu es capable de le haïr et de le mépriser aussi.

— Va donc retrouver ta femme, va donc continuer de roucouler comme le bon petit sang-pur que tu es. Je ne veux pas te voir, Clovis, tu me donnes envie de vomir.

Un accident ! Tu lèves les bras au ciel, exaspéré, prends un ton faussement conciliant avant de virer dans le méprisant.

— Un accident ! Bon, si c'est un accident ça change tout ! Tu te fous de la gueule de qui ?

Tu ne contrôles plus la tension dans ta mâchoire, les tremblements de colère qui viennent parcourir ton corps. Et sa tentative de t'attendrir... Tu connais ses mimiques par cœur. Tu le prends comme un unième affront, comme un ultime manque de respect. Comment ose-t-il se comporter comme un môme pris en faute quand la seule attitude acceptable est de ramper ? Il ne te prend pas au sérieux. Il n'a jamais rien prix au sérieux.

— Ce qu'on s'était dit ?

T'as un rictus mauvais.

— Que tu serais à chier ? Que tu avais décidé qu'elle deviendrait ta femme alors que rien ne t'y obligeait ? Que c'était soit te subir, soit te perdre ?

Tu le hais. Tu le hais. Tu le hais. Ta mâchoire tremble, de mémoire d'homme jamais on ne t'avait vu aussi en colère.

— Tu crois que je me mets dans cet état parce que tu lui as écarté les cuisses à cette chienne ?

T'es hors de toi, ton expression semble se perdre dans une tentative de sourire, mais qui se déforme, horriblement, dans la plus pure expression de mépris et de haine. Il t'a brisé le cœur. Tu l'as vu. TU L'AS VU. Comment peut-il jouer aux aveugles ?! Tu as le regard brillant.

— Tu lui as fait un enfant... Mais surtout, tu aimes ça. Tu crois que je ne l'ai pas vu ? Comment tu la considères ? Comment tu lui laisses prendre de la place ? Comment tu étais soulagé de l'avoir engrossé ?

Elle devait être la pièce rapportée qu'il devait subir en grand héros tragique. Mais aujourd'hui, c'est toi. C'EST TOI.

— Tu l'aimes. Ou du moins tu commences à l'aimer.

Tu ne vois pas d'autres explications. Clovis n'a jamais été fidèle après tout.

Tu écarquilles les yeux, choqué qu'il ose te contredire, qu'il ose te demander le comprendre. T'es soufflé, un bref instant, par son culot. Puis ton expression se déforme et, cette fois-ci, tu cries.

— ARRÊTE DE TE CHERCHER DES EXCUSES !

Tu pointes un doigt haineux dans sa direction.

— Depuis le temps que tu baises tout ce qui bouge, ne me fait pas croire que tu ne sais pas ce qu'est la contraception !

Il devait le vouloir, les enfants en 2032 n'arrivent pas par hasard. Et son sourire, tu ne vois que ça. Il est là pourtant tout te reviens en déformer. Tu le vois lui, heureux, épanouie, entouré de son gosse et de sa femme et toi derrière, comme un con, à ne pouvoir rien faire d'autres que regarder. Il n'y a pas besoin d'orcruxe pour cauchemarder. Ton regard dérive sur le bijou à sa main. La colère et la détresse qui t'agresse rendent tentante l'idée de passer cette foutue chaîne à ta main. Ainsi, tu pourrais exploser, dire tout ce que ta bouche n'arrive pas à formuler. À quel point il est injuste, a quel point il te ment sans jamais l'assumer. Tu fixes, dangereusement, furieusement tenté. Les vagues souvenirs que tu gardes de la chaîne étaient exutoires. Elle te disait la vérité. Contrairement à lui, elle ne mentait pas. Soudain Clovis fit un pas. Tu recules, percutes le lavabo derrière toi. Tu remarques qu'il a les larmes aux yeux, la main qu'il pose sur ton torse te brûle.

— Ne me touche pas !

Tu balayes sa main avec la tienne, ta peau heurte le métal froid de la chaîne. Tu retiens sa main et serre. Il pleure. Mais c'est à toi de pleurer. Et soudain tu la sens, aussi discrète qu'une brise. Il t'a toujours manipulé. Il s'est servi de toi. Pour ne pas être seul, pour se sentir roi. Dernier fils, vilain petit canard. Il avait besoin de briller et tu étais là. Même ton amour, ça n'a été qu'un outil en plus pour te garder près de lui. C'est clair. Tu l'as toujours su mais tu n'as jamais voulu le voir. Tu serres davantage, cherches à graver le froid de la chaîne dans ta peau. Tous tes complexes, tes doutes, tes peurs, ton besoin criant d'être aimé, ton besoin criant de réciprocité, tout ça est un terreau bien trop fertile pour ne pas être exploité. Tu as le regard flouté de larmes.

— Tu es injuste. Tu prends, prends, prends, prends, sans jamais rien donner.

Tout ce que tu as pensé sans jamais te l'avouer, tu dis. Tu trembles, t'es ravagé. Quelle merveille cette chaîne. Magnus n'était peut-être pas le grand méchant que tu soupçonnais.

— Tu n'étais pas obligé de te marier. Rien ne pressait. Ton statut était assuré, tu étais jeune, ta réputation était intact, tes fonds également... Tu t'es marié parce que tu l'as voulu, avoue ?

Tu souffles.

— Tu présentes la chose comme un sacrifice, mais tu avais le choix. Tu as décidé de te marier, de faire comme ton père... Tu as décidé ça.

Tu serres davantage, caresse la chaîne du doigt. Ton regard est embué de larme, pourtant la colère reste intacte.

— Tu t'es foutu de moi. Vanille chocolat, tout ça, c'était des conneries. Tu t'es servi de moi, tu n'as jamais aimé que toi.

Tu sens que tu as raison. Elle te dit que tu as raison.

— Ça a dû te rassurer de me voir crever d'amour depuis quinze ans, hm ? T'as dû te dire que j'étais la bonne poire ultime, le bon petit chien qui continuerai de te lécher les bottes peut importe ce que tu pourrais faire, hein ?

Caresse la chaîne, toujours plus vite, toujours plus fort.

— Et maintenant quoi ? Tu vas me demander d'encaisser ? De te pardonner et d'observer sagement comment ta vie est magnifique au côté de cette pute Black ?

Ta main à ta poche, autour de ta baguette.

— Et moi je t'ai cru.

Votre amitié, votre amour. C'est rien que du vent.
Ta mâchoire crispée, tu hurles, désespéré. Tu pointes ta baguette avec violence contre le torse de Clovis et tu agrippes la chaîne pour essayer de la lui retirer.

— Je pourrai détruire ton mariage ! C'est tout ce que tu mérites ! Tu crois que les Black resteront les bras croisés en apprenant que tu te farcis un déchu ? Je peux te ruiner ! Donne-moi une raison de ne pas te ruiner ! LE GRAND HÉROS CLOVIS HUMILIÉ ! Pourquoi tu ne m'aimes pas ? Pourquoi tu me mens ? POURQUOI JE NE DEVRAIS PAS RÉDUIRE TA PRÉCIEUSE RÉPUTATION EN CENDRE ?

Tu ne la veux pas, elle et son pouvoir. Ce que tu veux, c'est l'espace de libération et d'expression qu'elle t'offre. Cette certitude d'être écouté, d'avoir raison. Parce que tu as raison, n'est-ce pas ? Besoin qu'on légitime les torrents acides qui te secoues depuis presque dix ans, besoin d'être la seule victime, de ne pas avoir à partager les tors. Tu es lasse et effrayé d'être celui que fait mal, celui que faute, d'être le méchant. Alors tu tires, tu t'accroches à elle, veux graver son contact dans ta chaire puisqu'en sa présence, tu te sens compris, légitime. Clovis est le soleil, tu es la lune. Seulement, tu n'en peux plus de te sentir brûlé, tu n'en peux plus qu'il ne le voit pas. Tu veux le voir culpabiliser et rampant. Tu veux le voir cesser ses jeux subtils pour pleurer, hurler, non comme un dieu, mais simplement comme un homme. Alors tu tires. La haine te déchire, tu pointes ta baguette et hurles des menaces ! Tu veux lui faire mal et tu veux qu'il s'excuse, qu'il accepte ta sentence. La chaîne te murmure la vengeance et tu la crois. Oui, elle a raison, c'est ce dont tu as besoin. Mais Clovis résiste, ses joues ravagées de larme tu le sens tirer et tu tires davantage, le visage crispé sous l'effort. Il essaye d'écarter ta baguette, tu retiens les mille maléfices que tu brûles de lui lancer. Et la chaîne te susurre pourquoi tu te retiens ?! Il mérite ! IL LE MÉRITE ! et Clovis répond.

PARCE QUE TU ES TROP FAIBLE !

Tu trembles un instant, il en profite pour se détacher de toi, te priver de la chaîne. Tu esquisses un geste de la main effrayé, comme terrifié d'être loin d'elle. Elle est ton souffle, elle est la seule chose qui te comprend, il n'a pas le droit ! Mais son absence te laisse transit de froid. Tu clignes des yeux, comme perdu. Tu recules d'un pas, titubes. T'appuies, les mains en arrière, sur le lavabo derrière toi. Tu cherches au sol des réponses qui ne sont pas là. La colère est toujours là. Le sentiment d'injustice continue de crier en toi. Quand tu relèves les yeux vers Clovis, tu ne peux t'empêcher d'y voir l'ombre d'un bourreau et d'un ennemi. Et tu as froid.

Je t'aime, qu'il dit.

— C'est maintenant que t'y réfléchis ? T'es vraiment trop con.

Tu ne peux pas retenir la remarque acide qui te brûle les lèvres.

— Tu n'y as donc pas pensé quand tu lui as écarté les cuisses ?

Non évidemment que non. Ton regard cherche derrière son épaule le lavabo où la chaîne a atterri. Tu brûles de la reprendre, tu as la gorge sèche rien que d'y penser. Tu vas pour tendre la main. PARCE QUE TU ES TROP FAIBLE ! Ça résonne de nouveau. Dieu que tu le hais d'être le héros.

— ET MERDE !

Tu laisses abattre ton poing contre le lavabo, cherches dans la douleur un électrochoc pour l'oublier elle, sa douceur, son écoute, le manque que tu ressens à ne pas la sentir contre ta peau. Tu tournes le dos à Clovis pour ouvrir précipitamment un robinet, t'asperger le visage d'eau glacée. Tu renouvelles l'opération plusieurs fois avant de relever les yeux et de croiser le regard de ton âme-sœur dans la glace.

— Pourquoi je te prendrais en pitié, hm ? Tant que qu'elle existe ton mariage sera un désastre et ça m'arrange.

Tu ne t'en caches même pas. Tu fronces les sourcils dans le miroir.

— Tu vas me demander de t'aider en me faisant les yeux doux pour ensuite me jeter dès que tu auras ce que tu veux ? Et au nom de quoi ? De ta réputation ? De ton rôle ? De ta femme ? Depuis quand es-tu devenu aussi insipide, Clovis ?

Lentement, tu te retournes, tu as encore le souffle court de tes cris et de la transe de l'horcrux.

— Quel avenir pour moi dans ta vie, Vanille ? Quel avenir pour nous deux ?

Dois-tu le croire lui ou la croire elle ? Jusque-là elle ne t'as valu qu'une main dans les flammes, quand lui t'as valu trop de cœur brisé pour une seule vie.

Tu souffles du nez, amer. C'était à prévoir qu'il te renvoie à tes propres fiançailles. Et tu pourrais les faire passer pour un unième sacrifice en son nom. Après tout, c'est aussi son secret que tu protèges en comblant les attentes de Caldwell. D'ailleurs, pourquoi est-ce que tu retiens ?

— Si je peux fuir ce mariage, crois-moi bien que je le ferai.

Mais tu ne peux pas. Caldwell te tient à la gorge. Outre votre histoire, il sait pour le reste. Les magouilles du Dissemdium, des contacts peu flatteurs avec la population douteuse de l'allée des embrumes. Le peu de réputation que tu as réussi à sauver s'envolerait en éclat à la seconde où il ira dévoiler ses sources. Tu perdrais le peu que tu as réussi à sauver et à construire. Tu perdrais Emma. Maxine ne te laisserait probablement plus poursuivre votre travail, quand bien même elle ne jugerait pas. Tu secoues la tête. Oui, tu sais qu'elle est belle, tu sais qu'elle est douce, patiente, compréhensive, démonstrative.

— Veux-tu arrêter de souligner les qualités de ma fiancée ? Elle n'est pas toi !

Furieux. Encore plus quand il te met dans la face le seul argument que tu ne peux pas contrer. Le seul qu'il fasse réellement mouche. Car tu n'as aucune pitié pour Darya et tu as perdu celle que tu avais pour Clovis ce soir. Mais l'enfant, lui... Tu as été trop sensible aux affres de l'enfance pour ne pas avoir de sympathie.

— Pff, t'as aucune pitié à sacrifier les gens autour de toi mais tu acceptes de te comporter en être humain décent pour un môme qui n'existe pas encore.

Et pourtant l'argument fait trop écho en toi pour que tu l'ignores. Car pour qui te bats-tu si ce n'est pour les enfants que tu espères ? Tu te tournes de nouveau face au lavabo. Quand tu le sens dans ton dos, tu te tends légèrement. Ses bras autour de ta taille t'arrachent un frisson à mi-chemin entre le désir et le dégoût.

— Quand je dois l'embrasser, je pense à toi.

Et quand tu la toucheras. Mieux vaut ne pas y penser. Tu secoues la tête, captes, en levant les yeux, le blond de ses cheveux dans ton dos.

— Un mariage sans amour ce n'est rien de plus qu'un vulgaire contrat, ça s'annule. Je pensais la forcer à divorcer, détestable comme je peux l'être ça ne devrait pas être compliqué. Mais un enfant, Clovis... Un enfant !

Il ne divorcera plus, n'est-ce pas ?

— Tu ne la quitteras pas.

Et ça te dégoûte, qu'il lui reste fidèle sur le papier quand tu es le seul à le mériter. Tu te retournes lentement, poses tes mains sur ses poignets pour le forcer à se détacher de toi. Tu le juges quelques secondes avant de parler.

— Le pourras-tu ? Lui mentir à elle ? Mentir à ton gosse en lui faisant croire que tout vas bien dans le meilleur des mondes à la maison ?

Tu penches légèrement la tête, tu plisses des yeux, sévère, intransigeant. Il en est fini de Clovis qui pose les conditions. Ce soir, c'est toi qui imposes.

— Ne me promets pas ton amour si c'est pour que j'en récolte seulement les miettes.

C'est tout ou rien. C'est toi ou c'est elle. Mais tu ne le partageras pas, tu ne le partageras plus. Tu délaisses un de ses poignets pour lui saisir le menton avec à peine une pointe de délicatesse. Tu es en colère.

— Je vais te promettre quelque chose, boucle d'or. Tu ne me partageras pas avec Cassandre longtemps, parce que contrairement à toi je n'ai pas l'attention de pourrir at vitam eternam dans cet enfer. Je serais meilleur que toi, je te prouverai que tu as tort de rester dans ce mariage, tort de partager ta vie avec quelqu'un d'autre que moi. On peut être plus puissant que nos parents sans pour autant être pur.

Tu serres son menton, relève davantage sa tête.

— Ma vie sera merveilleuse et la tienne sera malheureuse, Clovis. Je te noierai sous ma réussite jusqu'à ce que tu étouffes, jusqu'à ce que tu n'en puisses plus de ta vie et que tu me supplies d'avoir le mauvais rôle et de t'en extirper. Alors regarde-moi et aime-moi comme il faut, parce que c'est la seule chose qui te sauvera toi et ta progéniture. As-tu compris ?

C'est un plaisir coupable de le voir à ce point acculé. Peut-être devrais-tu le soutenir et le rassurer, seulement tu n'en as pas encore l'envie. Pas tout de suite. Tu savoures ces secondes où tu as fait tomber Clovis de son trône, où tu t'es couronné toi-même roi. Savoure la justice que tu te rends, parce que c'est bien de ça dont il s'agit. De justice. Juste de justice. Devant ses justifications tu secoues la tête, tes doigts toujours à son menton.

— Le reste oui, pas l'ignorance, pas l'oubli. Ne te fais pas plus bête que tu ne l'es.

Tu le regardes se renfermer sur lui-même, au comble de la détresse. Ses mains plaquées contre ses oreilles, il te donne une impression de fragilité trop rare pour qu'elle ne t'émeuve pas. Non. Pas tout de suite. Il faut que tu te venges, encore. Alors tu lâches son menton, glisses, rauques.

— Oui, je t'aime à ce point-là.

Et toi, Clovis. Et toi ?
T'as autant l'envie de lui faire avouer qu'il est moins bon que toi à aimer autant que tu as l'envie (le besoin) qu'il te prouve le contraire. Sa jalousie à le don impudique d'apaiser la tienne. Tu le considères quelques secondes en silence avant de glisser.

— Il ne tient qu'à toi de t'en souvenir. Je ne suis jamais parti.

Mais toi si.
Ah, c'est tellement facile. Tu plisses les yeux en le regardant. Une main à sa joue pour le sortir de son apitoiement.

— Cassandre est une amie, ma seule amie chez les sangs-purs pour être exact. Alors je ne m'excuserai pas de lui sourire.

Qu'il te regarde, tu veux qu'il te regarde.

— Mais ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas se sourire l'un l'autre non plus. Si tu prenais la peine de me regarder... Regarde-moi.

Tu attends que ses yeux se plongent dans les tiens.

— N'aimes-tu pas mes yeux pour les fuir à ce point ?

Tu glisses un plus ta main sur sa joue, vient prendre possession de ses boucles blondes.

— Tu as proposé de vivre notre vie dans leur dos. Je te repose la question : en es-tu capable ?

Tu le jauges, chercher toute trace de lâcheté dans son regard.

— Je te suivrai au bout du monde pour peu que tu le mérites. Parce que, crois le ou non, tu me manque. Alors, Clovis. Es-tu capable de vivre dans le dos de tous ?

Femme, enfant compris.
Il n'a qu'un mot à dire.

Tu sautes à pieds joints dans un enfer pavé de bonnes intentions. Tu ne t'en sortiras pas indemne, n'est-ce pas ? La conscience d’œuvrer à ton propre malheur, tu réalises que tu as du mal à lui faire confiance quant au fait d'être le gardien de ton cœur. Et pourtant, tu vas. Par lâcheté, faiblesse ou peut-être est-ce par courage. Qui sait ? Tu es lasse de questionner votre relation, votre affection, votre lien. Tu regrettes l'époque de la simplicité et du déni, pour autant, tu réalises que tu ne reviendrais pour rien au monde à ces nuits à Poudlard où tu profitais de son euphorie pour nicher ton nez pour rire dans son cou. C'est peut-être ça qui a changé. Le passé ne te séduit plus autant que quand il revenu. Tu réponds d'un sourire maladroit.

— Il faut toujours qu'on s'embarque dans des aventures impossibles.

Tu le regardes, laisses ses lèvres se poser contre ta peau. Ce ne sera un désastre que si tu décides que ça en est un. Tu passes ton pouce sur sa joue. Il n'y aura plus de retour en arrière après ça. Tu le considères une seconde.

— Ok. Ok, je te crois.

Ta main à l'arrière de sa tête, tu te perds dans ses boucles, te penches sur lui pour l'embrasser à pleine bouche. L'envie de glisser entre ses lèvres un nouvel avertissement assassin, mais tu sais qu'il sera inefficace, lassant. Clovis est déjà suffisamment brisé et ton sadisme à ses propres limites.

Vous vous donnez en cet instant le pire rôle, celui des traîtres, des menteurs, des égoïstes et des amants. Qu'importe, puisque dans le fond, vous avez toujours été deux sales gosses. Tu respires entre deux baisers, le colle à toi. Tu viens embrasser le coin de ses yeux, ses joues pour effacer les sillons salés de ses larmes. Tu reviens à sa bouche, l'embrasses encore. Vous n'irez pas plus loin. Ce n'est ni le lieu, ni le moment. Ça n'empêche pas de profiter de l'instant, de soupirer d'aise quand tu bloques son corps contre la porte, quand tu sens son souffle tremblant contre ta peau. Pourtant, l'heure tourne et vous ne pouvez pas vous permettre de faire de vos égarements quelque chose de trop long.

— Nous allons devoir y retourner.

Tu as l'air contrarié. Tu sembles hésiter quelques secondes, mais oses quand même.

— Je suis désolé, pour la chaîne.

Tu fuis son regard. Dans le fond, tu n'as pas menti, tu as simplement exprimé les peurs primaires qui te rongent depuis que tu dois le partager de bon.

— Tu es fort pour réussir à la porter comme tu le fais.

Tu le penses sincèrement.