Il fallait te rendre à l'évidence - il ne viendrait pas.
Peut-être avais-tu mal indiqué les choses en lui demandant de te rejoindre. Peut-être que le papier s'était perdu, au lieu d'atterrir entre ses mains. Tu aurais peut-être dû le lui demander de vive voix. Mais à quoi bon de regretter maintenant - il n'était pas là, et tu attendais toujours, comme un idiot.
Mais c'est ce que tu es, Earl, un idiot. Qui croit naïvement que le monde pourra peut-être t'avoir en sa faveur.
Si l'univers croyait que t'envoyer un ange te réconforterait, il avait tort.
Dans ta solitude, voilà que tu es interrompu.

J'attendais quelqu'un, oui.

Temps passé, car de toute façon, il était évident que tu ne le verrai pas venir. Surtout maintenant qu'un inconnu trop bavard avait pris sa place.
Tes yeux se posent sur ses doigts alors que tu hausses un sourcil, surpris. Pourquoi se déshabille-t-il ? Il était vrai qu'il n'y avait plus que vous dans le petit salon de thé, mais tout de même.
Ta surprise ne fait que s'agrandir lorsqu'il se défait de son habit. De son harnais.
Tu croyais que les anges sorciers étaient les vélanes, mais apparemment, tu t'étais trompé.

... Ça ne devait pas être confortable d'être ainsi restreint.

C'est tout ce que tu parviens à dire une fois qu'il s'est rhabillé, mais ses ailes, ses plumes, restent tout de même à découvert - et tu ne parviens pas à détacher ton regard d'elles. Qu'était-il ? Tu savais que les hybrides possédaient des ascendances différentes, mais tu n'avais jamais encore entendu parler d'êtres ailés.
Mais connaissais-tu vraiment bien le monde magique depuis que tu avais abandonné la volonté de le détruire, Earl ?

Un sourire, léger, glisse sur tes lèvres, Earl.

Il paraît que c'est un enfer, oui. Je compatis fortement si vous avez eu à en porter.

L'image du drapeau posé en travers d'une chaise dans une chambre à peine éclairée te revient à l'esprit - et tu l'effaces, d'un geste quelque peu négligeant.

Je n'attends pas les gens sans importance.

Mais il n'était pas venu, Earl.

Je n'ai pas dû être assez clair sur le rendez-vous. Ça arrive.

Tu aurais pu lui envoyer un message. Tu ne l'as pas fait.
Voulais-tu vraiment le voir ici aujourd'hui ? Ou est-ce que tu jouais encore sur la fine ligne entre mensonges et vérité, Earl ?
Elle était bien trop étroite cette route que tu avais choisie.

Vous travaillez ici j'imagine. Je vous ai vu toute la soirée. Être restreint aussi longtemps doit pas faire du bien à votre dos.

Il te tend la main - tu hésites.
Ce n'est que le temps d'un flottement, mais tu n'étais pas venu là pour nouer de nouvelles relations. Si ?
Tu ne sais plus où tu en es pour être vrai. Alors ta main se tend, vient serrer la sienne.
Tes yeux s'accrochent au tatouage qu'il dévoile (intentionnellement ?) et tu espères qu'il n'aura pas vu le tien.
Ils ont pourtant l'air tout deux aussi durs à porter.

Earl.

Tu te râcles la gorge, ramènes ta main à toi, abaisse tes manches - ne sait-on jamais - hésites une nouvelle fois.

Peut-être juste quelque chose de gazeux - il est trop tard pour un café.

Tu te passes une main dans la nuque, ne sachant pas comment agir dans ce contexte - jusqu'à ce que tu te rappelle l'existence de la politesse.

Merci.

Tu le contemples, pensif.

Vous travaillez ici depuis longtemps ?

Tu attends qu'il revienne, une ombre de sourire glissant sur tes lèvres à la teinte et l'odeur de la boisson. Menthe.
Tu aimes la menthe. Il est bien tombé.

Un an ça fait déjà un petit bout de temps quand même. Vous comptez continuer à travailler ici ?

Le verre est froid sous tes doigts. Tu t'amuses à les glisser le long des creux, tout pour ne pas avoir à lever les yeux.
Pourtant, il te fait le regarder, curieux.

C'est pas pire que d'autres grandes villes.

Elles étaient toutes pareilles de toute façon. Bruyantes, grouillantes de monde, de soupirs, de regards, plus désagréables les uns que les autres. Peut-être que tu devrais te retirer de ces clusters infernaux, trouver un petit coin tranquille, isolé.
Peut-être.

Ce n'est pas un amant que j'attends.

Verre porté à tes lèvres le temps de souffler de cette question qui fait la chasse aux informations - c'est comme ça que fonctionne la sociabilisation, Earl, fais-toi y.

Je travaille en plonge dans un bar. Rien d'incroyable.

Une légère grimace. C'était même moins qu'incroyable - c'était misérable.

Tu l'observes un instant, finis par te fendre d'un léger sourire, une ombre à peine pourrait-on croire.

Je peux comprendre la volonté d'aller là, où va sa fratrie. C'est un musicien ?

C'est presque invraisemblable que tu parviennes à discuter ainsi, détaché. Comme si tu étais encore quelqu'un de viable à la société. Ça t'amuse, Earl, et tu noies ton scepticisme dans le verre froid.
La menthe rafraîchit tes idées.
Tu ris à sa remarque, secoues la tête.

Ça paye et c'est tout ce qui compte.

Tu étais mieux payé en étant prof. Pourtant, tu n'avais aucune volonté d'y retourner. Peut-être que tu aurais des compétences pour travailler ailleurs, mais devoir faire des entretiens d'embauche dans le monde sorcier, c'était être constamment rappelé que tu étais non-magique, comme ils le disaient si gentiment pour pas t'insulter de cracmol.
Tu préfèrerais crever.

C'est... Je pense que le message que j'ai laissé n'était pas clair, c'est tout.

Tu hausses les épaules. Ce n'est pas comme si tu étais réellement étonné. Réellement blessé.
Peut-être que tu avais vraiment laissées les choses floues pour être seul, un moment de plus.

Ce n'est pas grave au final. J'ai eu un diabolo menthe à la place.

Ton sourire est pâle lorsque tu lèves le verre vert vers lui avant de boire dedans.
L'important était d'essayer, n'est-ce pas ?

Un danseur.
De tous les métiers de l'art, les danseurs ont toujours eu ton plus grand respect. Doux, magnifiques, dotés d'une douceur et d'une élégance qu'aucun autre ne pouvait avoir. Ils étaient beaux, les danseurs, oui.
Pourtant, jamais tu ne t'étais attardé à regarder les danses. Jamais tes yeux ne se sont posés plus de temps qu'il ne fallait sur ces corps suaves en mouvement, eu tu te contentais de contempler immobiles, et de loin. Il fallait croire que tu ne souhaitais pas voir une beauté dont tu pourrais être trop aisément privé.

Vous êtes fier de lui ?

Au timbre de sa voix, il te semblerait que oui, qu'il en était fier. Sinon il n'en aurait pas parlé, n'est-ce pas ?
Sa question, elle, te désarçonne. Tu rougis légèrement de cette invitation soudaine.
Tes yeux suivent les courbes de son corps quelques instants avant de revenir à ses yeux.
Tu n'avais pas prévu de finir ainsi ta soirée. Mais les réconforts étaient peu nombreux et tu ne voulais pas te les refuser.
Après tout, personne ne t'attendait, n'est-ce pas Earl ? Si ce n'est pour Marquis qui avait l'habitude que tu ne rentres pas toujours.
Une gorgée de diabolo, tu te lèches les lèvres avant de te décider, riant légèrement.

Je pourrais cuisiner, si vous voulez. Je ne suis pas mauvais - je vous montrerais.

Un frisson glacé parcourt ta nuque et tu lèves la main pour t'en débarrasser, Earl, comme si ce n'était qu'un courant d'air qui avait soulevé la chair de poule sur ta peau, comme si un frottement allait t'en défaire. Etais-tu entrain de faire une connerie ? Sûrement. Mais avais-tu encore la force de t'en empêcher ? Cette question là, tu refusait d'y répondre.
Tu finis ton verre lorsqu'il se relève, lui souriant légèrement.

Ce n'est pas si difficile lorsqu'on en comprend les fondements.

Tu te relèves à ton tour, hochant la tête. Ta main se tend pour lui offrir ton verre vide, alors que tu remets ta chaise à sa place, soupirant doucement.

Bien sûr, je vous attends.

Un sourire, un regard aux alentours, tu hésites un peu, avant de secouer la tête et sortir dehors, dans la rue bien moins fréquentée désormais, sortant une cigarette.
Pourtant, tu ne fais que jouer avec, sans même l'allumer, pensif et immobile, le regard dans le vide.
Qu'est-ce que tu fais, Earl ?

Il te surprend, à se pencher ainsi sur toi, à te retirer le bâton des doigts. Tu lui offres un sourire - pensif - alors que tu secoues la tête.

Je peux comprendre, ne vous en faites pas.

Tu ne l'avais même pas allumée de toute façon. Peut-être arrêterais-tu un jour ? Les souvenirs de la fumée ornant la peau de Caïn, de la fenêtre où Croyance avait fumé ce premier soir t'assaillent.
Peut-être tu devrais arrêter.

Non, du tout. Je préfère.

Marcher pour se perdre dans son esprit, laissant le corps contrôlé par les réflexes, à suivre un autrui étranger. Qu'est-ce que tu fais, Earl ?
Les échanges sont superficiels mais pas désagréables - la chaleur de son bras étrangement réconfortante.
La bâtisse à laquelle il t'amène s'avère splendide, et un instant, tu te demandes pourquoi il travaille dans un bar alors qu'il semble vivre aisément.
La chouette te surprend, mais tu ne dis rien - te contentes de l'observer lorsqu'elle s'envole.

C'est un bel oiseau.

Une remarque qui n'attend pas de réponse, simple constatation - qui vaut aussi pour la demeure et la compagnie.
Tu le laisses te défaire de ton manteau, mais n'avances pas, l'observant.

Vous êtes bien aimable. Allons cuisiner, j'imagine ?

Tu le dévisages, avant de détourner les yeux, souriant doucement. Trop longtemps que tu n'as pas eu d'interactions sociales avec de vrais inconnus. Des gens qui ignoraient tes passifs et tes faiblesses. Il te semble que tu pourrais être plus libre - mais que tu n'en es que plus restreint.

Sa main dans ton dos est comme un sceau posé à même ta chair, à même tes cicatrices, longilignes, qui courent le long de ton échine. Un frisson te parcourt à ce contact, mais tu souris, Earl, te laisses guider, jusqu'à découvrir les lieux et les apprécier d'un regard ravi.

C'est dommage, le lieu est ravissant.

Un léger sourire en coin lorsqu'il t'offre un tablier, tu le noues sans y penser, ne réalisant qu'à sa demande que lui aurait bien plus de mal à s'en parer. Alors tu hoches la tête, tout simplement, te glissant derrière lui sans attendre. Ses plumes laissent apercevoir où tu peux faire le noeud sans les écraser, et c'est précautionneusement que tu attaches les deux cordons derrière lui.
Avait-il la même sensibilité que les oiseaux quand il s'agissait de ses ailes ? Tu aurais presque envie de toucher, de vérifier - mais tu n'en fais rien, te reculant d'un pas.

Quels ingrédients avez vous ? Que l'on puisse décider de ce qui sera cuisiné ce soir ?

Tu repasses devant lui, souriant - t'appuyant contre un comptoir, laissant tes yeux vagabonder, pensifs et investigateurs.

Un frisson dans ta nuque, comme une esquisse de quelque chose d'imminent qui aurait pu te tomber dessus - mais qui t'a été épargné. Une sensation glaciale d'un prédateur qui te guette, qui halète, qui piétine tes limites inexistantes - mais qui n'attaque pas, se contente de ronronner sans que tu ne saches si c'est par plaisir de chasser ou pas.
Probablement.

Vous... Oh.

Léger rire amusé, tu portes la main à ta nuque, observant le bocal entre ses longs doigts, venant ensuite réhausser tes manches. Mais voilà que l'ange parle, s'exprime et tu l'écoutes, esquisse une petite moue compréhensive.
Tu avais eu de la chance - ou son absence - de devoir vite te débrouiller seul. Alors la cuisine était vite devenue quelque chose que tu appréciais, dans quoi tu te complaisais. À défaut d'y être très doué, tu te débrouillais - et aujourd'hui tu t'y considérais même bon.
Tes yeux se perdent dans les siens à sa question.

Mon plat favori ?

Lèvres mordues, tu y réfléchis.
Ton regard s’embrume un peu lorsque tu parviens à l’identifier - lorsque tu te passes une main sur tes épaules, cherchant inconsciemment du réconfort.

Ce n’est pas tout à fait… Incroyable comme repas, je vous préviens.

Tu t’avances vers le frigo et l’ouvre, pour en sortir des fromages, des lardons et de la crême.
Quand tu étais jeune, Elle cuisinait des mac’n’cheese qui finissaient toujours par flamber. Mais le fromage croustillant et les pâtes légèrement brûlées étaient à jamais imprimées dans tes papilles comme un souvenir des joies de l’enfance - des joies de quand Elle était encore là.