Je rêvais que je retournais à Kasa maras laima, j’avançais sur cette allée de galets ronds et aplatis par les pas des visiteurs. Le vent était paresseux et de ses longs doigts, il faisait à peine trembler les lourdes feuilles du dattier familial et le bleu du ciel était aveuglant par sa perfection.

La nature ne produisait pas la moindre chanson et mon souffle se détachait de l’atmosphère dans un épais nuage gris, je pouvais distinguer à l’oeil nu la moindre goutelette d’humidité s’enfuyant de mon corps et revenant avec empressement à chaque inspiration. L’aspect des hauts murs de terre cuite m’apparaissait comme terrifiants de leur perfection, celui qui était moi dans mes limbes appuyait sa main là où des fissures tendres se dressaient dans ses souvenirs d’antan. La cour était vide des caquettements des poules, des bêlements de chèvres familiales et des rires des miens et cet étrange silence écrasait méticuleusement la moindre paix que ces visions familières pouvaient provoquer en moi.

Tout était de la plus délicate nuance de faux, comme si d’un geste brusque imprévu, je pouvais déchirer cet arbre face à moi avec l’aisance d’un enfant jouant avec du papier mâché. Mon corps déambulait dans les couloirs tiré par des mains invisibles cachés dans les recoins de mon rêve, les chambres défilaient sous mes yeux. Vidées de leurs habitants, les épais livres de sorcellerie européens sur les bureaux me paraissaient étrangement lugubres comme recelant le secret de la scène se jouant dans mon esprit endormi. La porte de ma chambre était ouverte et une légère lumière dorée illuminait le dallage irrégulier du sol.

Quelque chose fredonnait à l’intérieur de la pièce, d’une première impression il me semblait que c’était une voix la créatrice de cette mélodie. Mais plus mon corps était lentement attiré dans ce lieu, plus il m’apparaisait que c’était la pièce dans son entiereté, celle qui produisait ce son. Ce n’était plus une chanson mais un étrangement frottement de matières l’une contre l’autre, créant cet étrange sonorité.

Et je me souviens, dans cette transe, de cette volonté puissante de fuir. J’étais dans la lascivité d’un corps contenté mais d’un esprit tourmenté, chaque pas aggravait cette panique primitive dans mon torse. Il fallait fuir, fuir loin de ce décor de théâtre et du dernier acte dont je pressentais la conclusion. Au pallier de la porte, je tremblais presque. Cette étrange odeur de canelle me rappelait tant de souvenirs, des rêves oubliés, des souvenirs bannis de mon esprit.

Sur mon lit, au milieu des couverturés tissés par mes ancêtres, était étendu La femme. Ses membres étaient éparpillés sans la moindre grâce, comme si elle n’était qu’une vulgaire poupée dont son propriétaire s’était lassé. Sa chevelure manquait et à certains endroits, mes yeux pouvaient deviner la courbe de son crâne. Entièrement nue, je n’arrivais pas à distinguer les parties de son anatomie qui séparait les femmes des hommes, mais le pire était sa bouche. A moitié ouverte dans une grimace, je ne pouvais même plus me souvenir du sourire qu’elle offrait au monde entier, au ciel et au soleil sans exception. Ses lèvres étaient distordues et relâchés comme si elles n’étaient qu’un élastique détendu par un trop grand nombre d’usage. Ses cuisses étaient teintées d’un rouge rubis et son regard, bien que sans la moindre lueur de vie, me suivait et se moquaient de ma carrure tremblante. Elle était la reine de ce lieu, et j’étais devant son trône de sang.

Une voix rauque émanait des murs, ponctué par le claquement des rideaux de coton léger aux fenêtres.

“Tu aimes ce que tu vois, Ridwaan ?”


Ainsi, le rêve s’arrêtait et mes mains, pleines de sueur, s’aggripaient aux draps avant qu’un râle à peine humain fuyait de mes lèvres serrées. Je ne pouvais pas lui échapper, je ne devais pas lui échapper.
J’ai aimé ce que j’ai vu.


Dans la pièce au fond de cet appartement que je nommais mien, dormait à poing fermés le fruit de mon crime.


— Né dans un village sorcier du Nigéria, de l’union d'un sang pur et d'une sang mêlée. Sa mère était une métisse nigérianne - française et son père l’un des très nombreux descendants des vieilles familles de Houngan de cette région.
— 3ème fils et 5ème né de cette famille, il grandit sous la tutelle sévère de sa mère, ses frères et les membres de sa famille étendue. Tout le monde dans ce village est lié d’une façon ou d’une autre à Ridwaan, et son éducation se veut rigoureuse et poussée mais elle n’est que destructrice pour le caractère encore malléable du garçon.  On lui apprend à se taire et à obéir, à être un fils à défaut d’être un enfant, à devenir un homme.
— Développe des dons magiques de façon particulièrement précoce, il rentre dans le cercle des élus du village à pouvoir apprendre et comprendre les magies anciennes transmises par son grand-père et ses soeurs. Un lien de concurrence et de fraternité se lie entre les 8 enfants Salihu, mais très vite, des rôles leur sont donnés et cela conduit à rancoeur; amertume entre la fratrie.
— Son père est absent, travaillant pour le Ministère magique nigérian et ne revenant que pour attendre d’être traité comme un roi. Sa mère est épuisée par ses nombreuses grosesses et enfermée dans les songes de sa vie à Beauxbatons. Ridwaan ne connait l’affection que par les cliquetis bienveillants de sa grand-mère muette et les bétises communes avec ses frères ainés.
—Ses frères partent petit à petit pour Uagadou, il demeure quelque temps l’ainé, à réprimander les petits né de la famille et à recevoir félicitation des adultes. Il a aimé ça, ce pouvoir à défaut de l’amour dont il commençait à devenir assoiffé.
—C’est à son tour de recevoir cette petite pierre dans sa paume, et son coeur est léger la première fois qu’il arpente le chemin vers la montagne de lune. Le muet désir de dominer est flatté par la main forte de son père sur ses épaules, et cette voix “Prends ce que tu dois prendre, ne me fais pas honte”.
— Réparti Comète, il croisera celle qui modifiera le cours de son temps. Maliha Ina. Petite fille fluette, née Moldue d’une famille d’expatrié congolais, l’âme de Ridwaan fut définitivement aspirée par ses grands yeux noirs. Il lui a été impossible de l’approcher, lui déjà auréolé de la gloire des siens et elle, l’inconnue, l’étrangère, l’isolée.
—Les années se passent, Ridwaan s’élève comme élève modèle et reproduction des Salihu avant lui , là où Maliha restait désespéremment seule et luttait pour s’adapter à un monde dans lequel elle n’était pas née.
— La vérité était que Ridwaan était désespérement envieux, jaloux de tout ceux à qui Maliha offrait ses sourires et son temps, sa popularité ne servait à ses yeux qu’à écraser les rares amitiés qu’elle réussisait à former. Ironie, il se persuadait qu’elle l’adorait mais Maliha ne connaissait que de lui la lumière aveuglante qu’il émettait.
—Au délà de cette relation, il ne possédait que des liens superficiels avec autrui. Ses véritables passions étaient de travailler ses sorts, maîtriser le rythme des mains pour créer des sortilèges et la contemplation de la fumée.
—5ème année, un regrettable incident a lieu entre les différentes ethnies que compose Uagadou suite à une recrudescence de vol d’ingrédients de potion (500g de ventricules de dragon en outre). Son nom est chuchoté, on attend de lui qu’il guide mais son implication lui vaut une sévère remontrance de son père, le dédain des siens et une exclusion temporaire. Pendant une semaine, il ne verra plus Maliha. Pendant une semaine, elle respirera.
—Il s’efface désormais, tapi dans l’ombre. Il n’arrive toujours pas à lui parler mais il la contemple. Ses notes demeurent toujours aussi excellentes et des cours avancés de vaudouisme lui sont proposés.
—Fin d’étude, il tente de lui parler. Son regard est toujours noir et absent quand elle lui demande “Tu es qui ?” La fierté est piquée et son amour se fait anxieux. Que faire ? L’un de ses frères lui offre la solution “deviens puissant et toutes les femmes t’aimera.” La main de son frère tenait la hanche de la femme qui deviendra bientôt son épouse.
—Sur les conseils et les recommendations de son père, il part à Beauxbâtons pour étudier un bi-DEMA en droit et politique magique, Langues et Cultures magiques. Les années sont longues, floues, épuisantes. La culture européenne lui est étrange, l’usage de la baguette frustrante mais il s’adapte. Quand son esprit n’est pas pris par les cours et les études, il pense à Elle.
— Retour au Nigéria, sa mère l’adore, son fils revenu de la terre de son enfance. Un poste dans la Coopération magique internationale lui est offert et il accepte. Maliha a disparu et le soleil lui apparu noir pendant 8 longues années.
—Une solide réputation s’accrocha à lui, et quand il ne travaillait pas, il s’acharnait à remonter la trace de celle qui était sa seule obsession.
—31 ans. Au fin fond de la savane, il retrouvait la femme qui était la sienne. Elle vivait en autarcie, heureuse de ses recherches sur les populations d’une race magique de fennec. Elle l’accueilla chez elle avec plaisir et petit à petit, son rêve était à portée de main. Il l’avait rien qu’à lui, et elle l’attendait un sourire sur les lèvres.
—32 ans,  il tremblait d’anticipation quand il la demanda en mariage. Le rire tonitruant de Maliha est une insulte tandis qu’elle chassait ses larmes. Elle n’aimait pas les hommes, elle n’aimait pas les femmes non plus. Elle n’aimait que cette vie paisible qu’elle avait construit par elle même, pour elle même. Et la gloire, la richesse de Ridwaan lui était parfaitement égale.
—Le reste était comme un rêve, sa baguette fut brandit et ses lèvres frémissèrent les mots d’Imperio. Elle se donna à lui, les yeux noirs toujours aussi absent.
—A t-il été heureux ? Il ne le savait pas. Son secret reposait au fond de la savane, et bien assez vite, le ventre plat de Maliha s’arrondit. Que faire ? Comment expliquer cet enfant ? Il lui était impossible de montrer Maliha aux siens, son état était explicite.
—Son fils, Isah, vint au monde pendant l’une des pluies torentielles de la saison des pluies. Dans la joie des instants à tenir son fils, il n’a pas remarqué qu’un étrange regain de lucidité s’était installé dans le regard de sa victime. Mimant le sommeil, elle se jetta dans le lac situé à côté de son habitation. Ridwaan ne se rappelle que de cette étrange paix qui habitait ses traits et des cuisses rouge du sang de l’enfantement.
— Une proposition soudaine lui a été offerte, partir en Angleterre comme diplomate pour remplacer celui vieillissant de leur peuple. Alors avec son fils et les adieux des siens qu’il fuit vers l’Angleterre, la gloire, la puissance et les richesse ne pouvant absoudre l’horreur de ses actes.

((il fallait fuir les fantômes de ses crimes))