Le mouvement est sublime : la foule, agitée par l'euphorie des fêtes mondaines, rit aux éclats ici et là. L'immobilisation des groupes par table s'est terminée. La soirée est bien entamée et avec elle, les plus âgés, venus pour la convenance, sont partis - ce genre de galas s'étalent souvent jusqu'à très tard dans une fausse connivence entre les invités. Pourtant, jusqu'au bout de la nuit, il est question de bien paraître. Les bals de charités organisés par la famille Smith permet un faux relâchement.

Beau n'a pas pu venir en tant que journaliste : il est avant tout un fils. Il a du bien s'habiller, dans une tenue qui a coûté une fortune d'ailleurs, du genre de celles à la fois de créateur et à la fois taillées pour la personne qui la porte. Il paraît bien : c'est un bon fils, un bon frère, un bon homme qui a réussi et qui parle bien. Comme les Smith les plus âgés, il a dû s'exprimer au micro de la scène, au fond de la salle de réception, pour remercier les convives de leur venue, souligner l'importance de perpétuer les esprits de fraternité etc etc. Rien de nouveau, rien de surprenant mais lui a le verbe charmant et vif : il plaît à ceux qui l'écoutent. Ces festivités sont l'occasion de renouer, à chaque fois, avec ceux de l'enfance : il retrouve des gens avec qui il a grandi, parfois perdus de vue, parfois toujours à ses côtés.
Dans le coin du regard, depuis le début de soirée, il voit Margot : il a voulu attendre que les
courtoisies se dissolvent avec les heures passées pour l'approcher, attendant patiemment son heure. Leurs yeux se croisent souvent - à chaque fois Beau lui sourit - puis revient à sa discussion.

Mais maintenant ! Il est une heure et demi du matin, il voit Margot assise à une table qui n'a pas été débarrassée, sur son téléphone. Naturellement, il s'assied à ses côtés sans s'annoncer, coude sur la table, visage dans sa main - et il sourit en l'observant, cette fleur qui menace de faner à tout instant. Il attend qu'elle le remarque pour enfin parler, Tu es en beauté ce soir. Ca me fait plaisir que tu sois venu, ma belle. C'est moi qui ai insisté auprès de ma mère pour que tu viennes chanter ce soir. Il prend un verre de champagne à moitié plein abandonné par un déserteur de la soirée. En tout cas il n'est pas sien. Il joue avec, le fait tourner entre ses doigts. La soirée est à ton goût ? Tu t'ennuies pas trop ? Il est penché, rivé vers elle, nonchalant dans sa toute puissance.

c'était toute la richesse ostentatoire que margot observait ce soir, c'était l'excès et l'oubli du monde un monde un instant, juste un instant, que margot sentait parmi les invités du gala des smith. et margot était maintenant membre de ce club élitiste de richissimes et de personnalités connus. quelque part elle se sentait dans son élément le plus naturel et puis d'un autre côté elle n'avait pas grandi dans ça — c'était nouveau et inné à la fois. même après toutes ces années
elle était magnifique margot (probablement l'une des plus jolies) et elle contrastait avec les ridules et les traits trop tirés des femmes présentes. elle avait la chair encore désirable et ses formes étaient droites ; comme on imagine la beauté inégalée de la jeunesse
elle avait chanté aussi, quand on avait acclamé son nom et qu'on attendait qu'elle aligne trois notes, qu'on la voit vibrer au son des instruments enchantés. sur le piédestal et depuis lors elle avait vu beau et ils avaient échangés des regards mais margot ne sut les interpréter — c'était quelqu'un beau et s'il ne fallait à tout prix pas le froisser elle ne savait que faire de lui (et de ses beaux sourires)

ce soir-là margot n'avait pas bu de trop (on ne fait pas d'excès dans ces soirées-là) et bien que la salle commençait à se vider elle réfrénait douloureusement l'envie de prendre une bouteille de vin onéreuse qu'elle finirait chez elle — elle prit son téléphone pour passer le temps ; fuyant les conversations à rallonge et les je vais bien merci
mais quand elle chercha à s'isoler on la rattrapa
« beau! tu m'as surprise
ça me fait plaisir que tu apprécies mon art tu sais » elle sourit et adopte cette posture charmante qu'on lui connaissait en public « c'était somptueux. m'ennuyer ? non du tout, disons seulement que je prend un moment pour m'assoir ; et toi tu t'amuses ? » seulement dans ces soirées-là on ne s'amuse pas on joue un rôle

et elle prend une (trop) grande gorgée du liquide doré de sa coupe