Tu n'es pas le gérant, juste le propriétaire des murs. Pourtant, on te surprend souvent à arpenter les couloirs du Basilic, ton club. Une certaine fierté face à cette acquisition. Ta première en vérité. Tu avais voulu, à l'époque, tenter l'audacieux, choquer aussi. Puisqu'on attendait de toi d'être lisse, tu t'étais dit que, quitte à rentrer dans le moule, t’allait en esquinter les contours. Pourtant quand tu avais déposé le projet sur la table, père avait été agréablement surpris. Tu te souviens de son sourire satisfait, de ta propre déception en voyant qu'il approuvait. C'est une très bonne chose d'avoir une main diversifiée, mon fils avait-il dit. Aujourd'hui dieu seul sait à quel point il avait raison.

Tu balayes la salle du regard, attentif. La salle ne désemplit pas. Que tu ne sois pas le gérant officiel avait permis d'éviter le boycott, mais les rumeurs quant au fait que tu étais l'officieux avait attiré les curieux. C'est comme ça que fonctionnait le Basilic. Une communication ciblée pour les jeunes en manque de sensation, en manque de rébellion et une réputation assez solide pour convaincre les moins fréquentables d'y faire un saut.

— Bien. Et nos bénéfices ?
— Sauvés monsieur et le mois d'octobre sera encore meilleur.
— Parfait. Des choses à me rapporter ?

Un autre avantage de ce lieu. L'endroit idéal pour se tenir au courant des dernières rumeurs, des dernières modes chez cette population se voulant subversive tout en jouant le jeu du système. Ils auront tous un rôle dans la reconquête de ton prestige, alors tu veilles à prendre régulièrement la température. Dans la salle tu vois évoluer jeunes et moins jeunes. Des hommes en retrait autour de leur bière et leurs cartes, un groupe sur la piste. Tu reconnais certaines têtes, mais un détail t'attire. Du coin de l’œil, tu l'observes, cette silhouette encapuchonnée dans un coin. Seule. Visiblement désireuse de le rester. Tu la vois se lever, son visage se tourne, juste un peu, mais ça te suffit. Tu penses être fou, frappé d'hallucinations. La courbe de ce nez, ce profil unique, ces boucles blondes qui dépassent de la capuche.

— Monsieur ?
— Veuillez m'excusez.

Tu le plantes là, tu as cessé de respirer une seconde. Ton pas se fait pressé, toi qui veilles pourtant à rester droit et calme, toi qui mises tout sur l'apparence détachée d'un homme sûr de lui. Tu traverses la piste, t'engouffre dans le couloir, ton lourd manteau long tel une cape funèbre, personne n'ose t'interrompre, personne ici n'ose t'interrompre. Tes pas te guident jusqu'à la porte des toilettes. Tu hésites, avance, recul. Non. Impossible. Ça ne peut pas être lui. Tu as rêvé. C'est Iphigénie, depuis qu'elle t'a parlé de lui son visage t’obsède. Mais tu ne le reverra pas, plus jamais, après tout lui-même n'a rien fait pour te voir. Tu fais marche arrière, t'arrêtes, rebrousses chemin. Non. Non. Quitte à passer pour un fou tu veux savoir, tu ne veux pas avoir à te noyer encore dans l'alcool pour effacer de ton crâne la courbe de ses putains de boucle blonde. Alors tu ouvres la porte, la première chose que tu vois est une baguette pointée sur toi. Tu portes ta main à ta hanche, mais n'as pas le réflexe de dégainer. Parce que ce que tu vois devant toi c'est ce que tu as rêvé de voir, ce que tu avais peur de voir. Ces putain de boucles blondes, ce putain de regard, cette putain de voix.

— Clo-

Il abaisse sa baguette, te contourne, comme-ci tu n'existait pas, comme-ci tu n'étais qu'un simple mirage sur son chemin. Ton cœur se gonfle sous la frustration, ça fait quatre ans et la dernière fois que tu l'as vu c'est devant une tombe. Ça fait quatre ans et il te contourne. C'était à la vie à la mort entre vous. Aujourd'hui ce n'est plus rien. D'un geste sec tu lui agrippes le poignet et le retiens. Le tire, l'éloigne de la porte pour le remettre en face de toi.

— Tu restes-là.

Ce n'est pas une question.

Il donne des ordres. Encore. Au moins l’impertinence continue d'être sa seule religion. Autrefois tu aurais souri ou soupiré, déjà lasse de son entêtement, attendri de cette force qui le poussait toujours en avant. Aujourd'hui ton visage reste de marbre, tu détailles les ombres sous sa capuche, tu te surprends à ne pas imploser devant tant de proximité. Tant mieux.

— Ça m'étonnerait. Tu n'as aucun ami ici, Clovis.

Tu ne sais pas si tu parles de toi ou des autres. Tout se mêle, se démêle, dans ses yeux tu vois la rencontre sur le chemin de traverse, toutes ces fois où vous avez fait le mur, les rires complices dans les couloirs, les regards entendus dans la grande-salle, les mains qui se cherchaient parfois sous les tables, la dernière fois où tu l'as vu de dos, la tombe gravée à son nom. Ta main toujours contre son poignet, aucun ami, pourtant tu ne l'as toujours pas retirée. Tu souffles du nez face à sa dernière réplique, le rictus en coin, tu ne sais pas si tu as envie de lui encastrer le crâne contre le mur ou si tu as envie d'une chose autrement plus honteuse.

— Pas autant que la tienne. Quoi que, pour un macchabée tu as le visage étrangement intact.

Pas le teint grisâtre des morts, pas la peau grignotée de vers, les orbites toujours pleines. Tu hais ce mélange de soulagement et de déception. Le voir t'électrise de trop nombreuses façons. Pourtant, tu t'acharnes à le regarder. Il est a la voit semblable à ce que tu as rêvé chaque soir et étranger. Les mots d'Iphigénie résonnent : ce n'est pas Clovis. Et pourtant. Pourtant. Ton sourire insolent se meurt.

— Trois ans. La dernière fois que je t'ai vu c'était devant ton cercueil. Quel imbécile, j'aurai dû penser à regarder à l’intérieur.

Tu voiles à peine la colère dans ta voix. Tu réalises que tu ne lui as pas pardonné, que la culpabilité à beau être là, elle n'est rien face au sentiment de trahison qui t'étreint. Cet homme-là, tu lui a cédé tout et dans sa tombe il ne t'avait rien rendu. Aujourd'hui encore, il ne te rend rien.

Voir autant d'expression sur un visage que tu t'es figuré figer aussi longtemps à quelque chose de glaçant (fascinant). Ses lèvres tremblent, tu ne sais pas si ça te touche ou si tu jubiles. Tu ne sais pas si tu veux te venger ou tout reprendre du début, revenir à jour de septembre sur le chemin de traverse pour tout revivre ensembles, parce que tu n'as jamais rien regretté du temps passé avec lui, rien, pas même une seule seconde, jusqu'à aujourd'hui. Alors quand il te rend le coup tu t'efforces de ne pas broncher. T'essayes de te souvenir si une fois dans votre vie vous vous êtes ainsi déchiré. Tu soutiens son regard, trop fier, parce que tu es devenu fier ainsi isolé de lui. Fier, trop pour lui laisser penser que tu serais capable de l'étreindre, d'oublier, de l’accueillir comme de rien pour le supplier de reprendre là où tout c'était arrêté. Non. Plutôt crever.

Pour un fils de meurtrier
Tu souffles de nouveau, baisses les yeux un instant, comme-ci tu prenais du temps pour encaisser. Acide (amer), quand tu lui réponds. Quand tu t’entends, t'as l'impression de l'entendre lui, trois ans plus tôt.

— C'est marrant d'entendre de ta bouche un reproche sur la filiation.

Et il s'énerve Clovis, pointe sa baguette sur toi, t'interpelle comme-ci tu devais te mettre à sa place. Quelle place ? Tu te braques, ne supportes pas de le voir insinuer que tu devrais te faire plus compréhensif quand lui t'a plongé dans un enfer dont tu n'es jamais vraiment sorti. Tu te retrouves contre la porte, a choper son poignet pour tenter d'écarter sa main. S'il veut jouer au plus fort alors soit. Entre ta première année à Poudlard et ton diplôme tu t'étais fait duelliste de renom et entre son départ et aujourd'hui tu étais devenu mauvais perdant. Tu bascules ton poids sur lui, tends le cou pour te tenir au plus près de son visage. Tu craches d'une voix rauque, était-ce la première fois que vous vous parliez sur ce ton ?

— De quoi, Clovis, de quoi ? D'un fils de terroriste ? D'un traître ? Ou bien d'un con qui t'as pleuré et n'a jamais cessé de penser à toi quand toi tu battais la campagne ?!

Son front contre le tien, la rage dans le regard. Tu le pousses à ton tour, pointe ta baguette devant toi pour le tenir en respect.

— Tu n'as aucune idée de ce que tu nous as fait subir, de ce que tu m'as fait subir.

Tu passes une main sur ton visage, avant de pointer un doigt accusateur vers lui.

— Tu ne penses qu'à ta gueule, t'as jamais pensé à rien d'autre qu'a ta gueule.

Tu retiens la suite sur le bord de tes lèvres.
Comme ton père.

La vérité, c'est que tu lui en veux de ne pas t'avoir infligé son secret. Il aurait pu partir, il irait pu tout quitter, si seulement il t'en avait parlé. T'aurais fait de ses confidences un trésor à emporter dans la tombe, t'aurais menti, t'aurais trahi, t'aurais vécu avec ça, t'en aurais souffert peut-être, tu aurais su au moins pourquoi. C'est à ton tour de te sentir tremblé, quand proche de son visage il souffle quand il avoue. Oh. Oh. Tu aimerais le croire. Tu aimerais qu'il passe du baume sur tes blessures qu'il te dise qu'il a vraiment pleuré, qu'à chaque seconde de son exil une partie de lui voulait tout plaquer pour revenir. Et pourtant son absence te reste au fond de la gorge tel du plomb. Vanille, Chocolat, vous vous étiez promis tant de choses qui pour toi on été des serments.

— Je suis incapable de t'imaginer mort.

Tu souffles, tremblant. C'était d'une telle évidence pourquoi ne le voyait-il pas ? Il marche sur ton pied et tu grimaces, recul un peu sous la douleur mais ne baisse pas les yeux longtemps. Il enchaîne, sa putain d'insolence comme bouclier. T'as envie de jeter ta baguette, de lui coller ton poing entre les deux yeux pour qu'il s'écrase. Ton véritable nom dans sa bouche c'est une insulte que tu ne tolère pas. Alors tu exploses, Jasper, tu exploses au bout de trois ans à faire bouillir l'immonde cocktail.

— Que tu le saches ou non ? Le pire ? Mais le pire Clovis ce serait QUE TU N'EN AI RIEN A FOUTRE ! Que ça ne t'importe pas, que tu me fasses comprendre qu'on a souffert pour rien, que je suis devenu ce que je suis pour rien !

T'ouvres tes bras, soufflé. Rictus fou, déformé, un mélange d'hilarité et de détresse, où étiez vous donc passés ? Qu'aviez-vous fait pour en arriver à ce jour, aujourd'hui, à vous déchirer pour les crimes d'autres ? Dévasté, quand tu demandes enfin ce que tu as hurlé tant de fois dans le miroir depuis son retour.

— Pourquoi tu ne m'as rien dit ? Quelle est donc cette chose insurmontable que tu ne pouvais pas affronter avec moi, alors qu'on a tout affronté ensemble ?

Alors qu'on a vaincu tout, y compris l'amour pour que l'amitié perdure, à une époque où on aurait pu tout jeter s'il l'avait seulement demandé. On pourrait encore maintenant. Mais la nostalgie fort heureusement s'en va avec l'alcool. Tu martèles ton propre torse de ton doigt, avance, défiguré, tu peux tout encaisser mais ses coups à lui sont pire que la plus violente et longue des agonies.

— Qu'est-ce qui justifiait que tu me fasses ça, à moi ?

Tu saisis son col, le ramène à toi.

— Je te pose la question Magnus Clovis Lestrange.

Son rire transperce la pièce. Ce n'est plus Clovis, avait dit Iphi. Mais elle se trompe. C'est lui. Ce lui qu'elle ne connaît pas. Clovis a toujours été ce funambule qui riait à quelques millimètres de la chute. Et Clovis à chutée. L'homme que tu as en face de toi n'est qu'un pilier brisé après s'être fissuré pendant des années. Quelque part au fond de toi tu as pitié. Mais tu n'arrives pas à accepter. Son fardeau, quelque qu'il soit, ne justifiait pas ce que vous avez endurez. Toi, Iphi, tous.

— Alors pourquoi nous l'imposer ?!

Il ne réfléchit pas. Il en réfléchit jamais. Il brille, sans se soucier des brûlures que son éclat entraînera. C'est indélicat de le lui reprocher maintenant alors que toute votre vie durant tu t'es laissé volontiers immoler. Pourtant, les mains solidement ancrées sur son col tu ne décolères pas. Ne supporte pas qu'il soit l'assassin. Ne supporte pas de le retrouver vivant, mais de le savoir perdu. C'est peut-être là que tu as franchi la ligne de trop. Son poing part, ta tête se renverse. Ton corps heurte violemment le sol. Ta respiration se coupe, la douleur lancinante dans ton nez se propage dans chaque millimètre de ton faciès. Contre tes lèvres, tu sens quelque chose de chaud, au goût acre, métallique. C'est ton sang qui s'écoule de tes narines sous le choc. Sonné, Jasper, quand tu sens son poids contre toi, ton regard grisâtre papillonne, tu grimaces, un peu perdu, le choc assez grand pour te déboussoler assez longtemps pour que ses larmes t'atteignent.

Et soudain, c'est un enfant que tu vois pleurer. Pas juste un connard égoïste qui s'est amusé à brûler votre lien si précieux sous l'autel d'un hypothétique fardeau. C'est l'enfant endeuillé qui est rentré pour retrouver sa maison vide, qui n'a ni pu dire adieu, ni pu demander pardon. Et c'est ton père qui as fait ça. Ton père, à qui tu ressembles tellement.

— C'est vrai...

Tu lâches rauque. C'est vrai. Tu n'as rien empêché. Tu l'as laissé décimer votre amitié, décimer votre quotidien si bien rodé. Tu n'as rien fait. Ce sont ses larmes qui viennent se mêler aux tiennes. Ploc. Ploc. S'échouent contre tes joues pour couler, unies, sur le sol.

— Je n'ai rien vu venir... Je ne savais pas... Je n'aurai jamais voulu... Ils ne méritaient pas ça...

Tu tends les mains, incertain, t'as lâché ta baguette pour venir cueillir son visage.

— Je voulais juste te retrouver...

Cherche à le serrer, à la sentir. Vos corps, vos cœurs meurtrit.

— Je suis désolé... Je n'ai rien vu... Je n'ai rien pu faire... Je l'ai laissé tout détruire...

T'as la gueule en sang. Le cœur en miette. Combien de fois as-tu rêvé sentir de nouveau ses boucles contre tes doigts ?

— Je voulais te retrouver... Je n'ai rien fait... Je suis désolé...

Tu ne fais que ça. Porté. Porté encore. Crouler sous le poids des attentes et des conséquences. Porter une famille dans laquelle tu as cru mais qui, à une exception près, t'as déçue. Porter la culpabilité de tout un monde alors que vous n'avez rien fait, que tu étais tout autant que les Lestrange victimes d'un père. Porter l'ignorance et tout ce qui va avec, devoir prétendre le contraire quand ton père et ton oncle ont emporté avec eux leurs secrets. Porter. Toujours porter. En silence, il n'a même pas idée d'à quel point tes lèvres se sont scellée. Si peu de compassion, mais quelque part tout ceci était attendu. Pourtant tes mains contre ses visages et tu as la sensation de le retrouver une brève seconde. L'humidité de ses larmes contre tes doigts. Clovis si près. Clovis qui s'en va. Si tu te tuais en le désignant coupable se rendrait-il seulement malade ?

Il te repousse, se lève, son pied qui vient s'écraser contre ton épaule et tu encaisses. Comme d'habitude, sa fierté, sa suprématie en guise d'armure. Toujours paradoxal, Clovis, à cracher sur son héritage tout en usant de la même autorité que ses ancêtres. Tu pourrais le croire déterminé à te haïr pourtant ce sont les sillons de ses larmes qui tâchent ses joues. Tu as été son meilleur ami. Tu as été même plus que ça. Peut-être aurais-tu pu accepter sa haine et t'y noyer si tu n'avais été que ça. Mais voilà, Clovis a oublié que tu n'as pas seulement été que cet ami, tu as été son ombre aussi.

— Pour qui sont ces mots, Clovis ? Moi ou...

Tu lèves la tête, le défi dans le regard. Qu'il t'écrase s'il le souhaite, tu n'iras plus baisser la tête. Rauque quand en braquant tes yeux dans les siens, tu l'assassines.

— Toi ?

Et tu cherches dans chaque courbe de son visage le moment où il ira tressaillir, se trahir. Du bout des doigts tu viens tirer ta baguette vers toi.

— Haha, tu devrais prendre quelques cours de théâtre, c'est navrant comment toutes tes répliques sonnent faux.

De ta main libre, tu pointes ta baguette vers lui.

— Ginny à tort, tu n'as pas tant changé et tu n'es pas effrayant du tout.

T'as le nez en sang, t'as les yeux rouges, t'es décoiffé, misérable sous les coups. Mais ce n'est pas toi qui fais pitié.

Le coup est armé mais ne part pas. Ta baguette l'en dissuade. Ah, ainsi donc, il n'avait pas oublié de quoi tu étais capable. Tu soutiens son regard, t'étonnes qui ne te pointe pas de la sienne, juste pour donner le change. Une erreur stratégique que tu le sais trop intelligent pour la commettre. Se pourrait-il qu'il ne cherche pas en réalité l'affrontement ? Oh, ça ne te surprendrait plus, après trois ans à faire le mort auprès d'un ami qu'on avait juré de ne jamais laisser, pourquoi pas des coups pour appeler à l'aide ? Montrer qu'on s'aime ? Depuis quand, êtes vous aussi misérable que vos parents ? Son avertissement te fait sourire.

— Je le suis déjà.

Tu secoues légèrement la tête, soudain insolent, comme pour lui remettre dans la face que c'est lui qui t'as fait ça. Comme pour lui demander : Alors, Clovis, ça fait quoi d'enfin me faire saigner ?

— Mais c'est trop aimable de t'en inquiéter. Ton bon cœur ne t'as pas totalement quitté.

Qu'est-ce que tu cherches, Jasper ? Un autre coup ? Un cri ? Une autre insulte pour essayer d'accepter que l'amour est mort, que le passé est passé, qu'il a changé, que contrairement à tout ce que tu avais juré et pensé, il y avait bien quelque chose de plus fort que votre amitié ? Tu ne sais pas, il se penche et tu ne détournes pas le regard, accueilles sa main sur ta mâchoire d'un grognement. Il provoque, tu ne sais pas si c'est par sadisme ou désespoir. Tu devrais le croire. Tu n'y arrives pas. Tu as vu ses larmes. Pourquoi était-il parti ? Pourquoi n'était-il pas revenu ?

— Tu sais, je n'affronte que ceux qui le mérite.

Il pourrait te briser plus que le nez mais qu'importe.

— J'attire ton attention sur le fait qu'il n'y a que toi qui me frappes depuis le début de cette conversation. Pourquoi à ton avis ?

Tu laisses sur tes lèvres se peindre à sourire insolent. Il est douloureux, tant dans l’exécution que pour ce qu'il représente. Quand Iphi t'as demandé si tu comptais le voir tu avais dit non. Mais tu en avais eu l'envie. Seulement trop peur de ce que tu allais trouver, parce que tu le savais déjà. Ta famille avait le sang de la sienne sur les mains. Tu n'y étais pour rien, mais cela revenait au même. T'avais peur qu'il voie dans tes traits ceux de ton père, qu'il voit dans le timbre plus rauque de ta voix le signe que tu n'étais plus toi, qu'il te montre que tu n'existes plus, qu'après plus de dix ans de fier service ta liberté t'étais rendue. T'avais peur de le voir lui et de comprendre que ce petit garçon que tu avais suivi était mort, que ce garçon que tu avais aimé (vraiment) était mort.

Tu ne le laisserais pas te tuer sans le tuer avant.

— Parce que tu mens. Fais-toi passer pour un vieux lion blessé si ça te chante. Quand je te vois, Clovis, je ne vois qu'un petit chaton apeuré en manque d'affection.

Tu appuies ta baguette contre son torse, juste pour le dissuader de te faire de nouveau mal, parce qu'il va falloir que tu te nettoies si tu veux rentrer chez toi sans alarmer qui que ce soit.

— Cesse de me rejeter si tu n'en a pas l'envie.

C'est ce que tu penses ?
Tu hoches la tête, insolent que tu es. Oui. Puisqu'on en est à tout se dire, oui, c'est ce que tu penses. Il n'est rien qu'un gamin à la dérive, un gosse que la connerie des plus vieux a forcé à grandir trop vite, à assumer trop vite. Il est ton reflet dans le miroir. Parce que tu n'es pas bien différent. Et ça te tue de voir que même dans le malheur il te ressemble. Il y a toujours eu cette connexion presque providentielle entre vous. Liés. Dans la joie, les rires, les épreuves, la colère, la tristesse, le déni. Liés. Dans la plénitude et la souffrance. À croire que vos âmes sont sœurs, à croire qu'on a signé à votre naissance un contrat à vos noms dont aucun de vous ne connaît les clauses.

Tu vois son regard qui se voile, puis son visage se décompose. Tu as touché le point sensible, brisé le saint ego. Pendant une seconde, le visage que tu vois n'est pas celui du garçon que tu as suivi autrefois. Du coin de l’œil, tu vois l'étrange chaîne à sa main frémir. Il y a quelque chose d'autre a dit Iphi.

— Menteur.

Tu souffles, parce que tout chez lui trahi l'importance des apparences. Et dans un sens, malgré la rancune, bien que tu lui en veuilles toujours, tu comprends. Toi aussi, tu pries tous les jours pour que le masque tienne, tu le supportes à coup d'alcool, de cigarette et d'insomnie. Et lui ? À coup de quoi le supporte-t-il ? Et tu balances ta dernière carte, ton plus grand atout. Son corps se fige, son visage se fait statue de cire. Si proche, que tu peux détailler l'iris de ses yeux, la façon dont ses cils embellissement si magnifiquement ses deux putains d'océans. Sa bouche, plus abîmée qu'il y a trois ans. Ses imperfections, qui ne sont que fresques fragiles de ce qu'il a traversé durant sa fuite. Il n'a pas le choix. C'est horrible à entendre. C'est un soulagement.

— Elle a détruit la nôtre.

Tu souffles calmement, n'ose pas tout de suite retirer ta baguette, la facette la plus paranoïaque de ta personnalité redoutant le piège.

— On avait tout et ils nous ont tout pris. Elle a payé... Ma famille. Elle paye encore. Mais ce ne sont pas les responsables qui souffrent le plus dans cette histoire et ça me tue.

Votre seul crime, à Iphigenie et toi, c'est d'aimer plus profondément sa famille que la vôtre. De l'aimer lui, plus profondément que les vôtres.

Lentement, tu abaisses ta baguette, glisse une main maladroite, tendre contre ses boucles. Il te manque. Tu le trouves d'un égoïsme sans nom. Tu souffles, presque triste, tes lèvres à quelques battements de cils des siennes, parce qu'il a fallu que tu te rapproches. Décidément, tu as le chic pour admirer les salauds.

— Ça ne me dérange pas, cela fait longtemps que je ne suis plus innocent. D'ailleurs, l'avons nous jamais été ? Innocents.

Toi et moi ?

C'est cruellement vrai.
Des petites vies faites d'injustices. Et il à peine quelques années vous en étiez encore à croire, à espérer, que vous pourriez y échapper. Car la tristesse, le vide, ça n'arrive qu'aux autres. Nous. Nous on est spéciaux. Nous on peut changer les choses. Naïfs. Mais ces garçons sont morts depuis longtemps. En ce qui te concerne, tu baignes dans la violence sous toutes ses formes depuis assez longtemps pour savoir que tu ne pourras jamais t'y soustraire. Même si une partie de toi espère, Jasper. Mais ça, ce n'est que par pure nostalgie.

— Je ne te le demande pas. Tu es bien trop occupé à te traîner pour remonter la tienne.

Pique insolente. Des reproches, toujours, ce même besoin pressant, toujours. Plus les mots son durs plus son souffle caresse ta peau. Besoin pervers, interdit, de le sentir. Besoin légitime, admis, de le rendre coupable. Coupable de son absence, coupable de n'avoir rien vu, coupable de ne pas être venu te chercher, coupable de revenir trop ravager pour que tu puisses réellement le haïr. Exactement comme cette nuit. Le temps suspendu maintenant, exactement comme ce soir-là. Les relents de ses lèvres contre les tiennes, de tes doigts tremblants contre sa peau, du poids de son bassin contre toi et le cœur, le cœur Jasper, qui tambourine, accepte d'être esclave. Tu lui en a voulu. Longtemps. Tu lui en veux maintenant. Le déteste déjà a mesure que tes lèvres s'entrouvrent que ton regard se voile. Mais il s'arrache. Cette fois-ci c'est lui qui s'esquive mais la frustration reste la même. Les mots font mal. Il te désarme, faible que tu es, idiot que tu es d'avoir baissé ta garde. Merde.

Et tu te laisses trop dominer par tes émotions.
— À qui le dis-tu.

De ta main sur sa joue, tu glisses, agrippes sa nuque et pousses de toutes tes forces pour le projeter à terre. Tu détestes. Tu détestes qu'il te prenne pour un con. T'as tant pardonné, à Poudlard. Il ne savait pas. Tu ne voulais pas qu'il sache. Tu ne pouvais pas lui en vouloir. Mais aujourd'hui l’innocence est morte. Tous ses gestes sont armes, punitions et tu commences à avoir assez d'estime de toi pour comprendre que tu ne mérites rien de tout cela. Tu te projettes en avant, profites d'être encore en appuie contre les toilettes pour te jeter sur lui. Tes mains viennent, rageuses, s'emparer de ses poignets. À califourchon sur lui, un bref sourire blessé sur tes lèvres avant de souffler.

— Tu me sous-estimes en plus de te surestimer.

Tu appuie plus fort, te penches de tout ton poids sur lui.

— Tu as changé, je te l'accorde. Mais, Clovis, tu ne mettrait pas autant d'énergie à me le montrer si tu en étais vraiment persuadé.

Un air presque de pitié, de jugement, l'espace d'une seconde, tu te permets de le prendre de haut, ce que tu n'avais jamais fait avant.

— Tu fais ce que tous les adultes font, tu te fais passer pour ce qui tu n'es pas. En cela, tu devrais arrêter d'essayer de dominer tout le monde, parce que tout ça n'a rien d'exceptionnel, crois moi.

Tu maintiens ta prise, la desserres juste un peu.

— Doit on continuer cette parodie de crise d'adolescence ?

Si tel est son bon plaisir, tes émotions te dominent après tout.

Oh non, ils ne seront pas poison que pour ses oreilles. Tu vas t'en assurer, qu'ils le deviennent pour sa peau, son cœur, tout jusqu'à la dernière fibre de son corps. Qu'il cesse, qu'il comprenne que s'il veut jouer au roi tu es prêt à jouer au bourreau autant de temps qu'il le faudra. Parce qu'une partie de toi est révoltée, Jasper, qu'il t'ai volé votre temps et que ton père ai achevé tout espoir de le retrouver. Tu n'avais rien voulu, rien demandé de tout ça. Tu n'as pas fauté, ni par ambition, ni par jalousie. Mais eux ? Lui. Lui. Avec son regard brûlant, ce visage que tu connais par cœur. Lui. Lui. Il n'a pas le droit. L'énervement te fait faire un faux-pas.

— Tu ne dominais pas tant que ça quand tu as réclamé après mes caresses.

Tu craches, sadique, le secret enfoui depuis des années déjà. Tu n'as jamais su s'il s'en souvenait. Tu as présumé que non. Tu as espéré que non. Furieux, mais désireux en cet instant de le choquer, de le déstabiliser, de lui faire mal ? Tu ne sais pas ce que tu espères. Sa combativité t'agace mais tu redemandes après elle. Oh, tu ne trompes personne, voilà trop longtemps que tu es tombé à ses pieds pour te redresser.

Et il provoque, encore. Et tu craches, encore.

— Seulement parce que je l'ai bien voulu. T'as toujours été si susceptible.

Mensonge. Et le pire, c'est que tu penses qu'aucun de vous deux n'est dupe. Mais qu'importe, puisqu'il veut que le jeu continue, puisqu'il veut voir jusqu'où tu iras, parce qu'il attaque encore et que tu te sens incapable de ne pas répondre. Il y a eu tellement de frustration, de mots étouffés, de sentiments sacrifiés. Tu n'en peux plus. C'est trop. Tu veux qu'on te le rende. Tu te déchires qu'on ne te le rende pas. Son bassin qui se mouve sous le tien. L'espace d'une seconde ton regard écarquillé. Une seconde. Et tu comprends ton erreur. L'expression qui s'anime de rage. Mais trop tard. Son genou dans ton ventre et tu te plies, le souffle coupé. Merde. Merde. Merde. MERDE.

Tu étouffes un grognement douloureux, sa main qui vient te chopper à la gorge, la gifle qui suit. Il y a si peu de temps encore, tu rêvais ses sourires. Fait chier. Rire dément qui s'élève du fond de ta gorge. Tu ne supportes pas. Tu ne supportes plus, de le voir te battre à plate couture.

— Tu n'auras pas le dessus.

Tu tends la main, agrippes sa gorge.

— T'as que de la gueule, Clovis. Tu n'auras pas le dessus, tu m'entends ?! Jamais !

Sur ta joue, ça pique. Il aurait pu frapper bien plus fort, tu le sais. Il pourrait te tuer, tu le sais.

— Je ne vais pas céder à tes caprices. Si tu veux me fuir aie les couilles de le faire ou assume d'être le gros lâche tu es.

Tu pourrais le frapper bien fort, tu le sais. Tu pourrais le tuer, tu le sais.
Mais tu ne fais rien.