Tu t'es souvent demandé ce qu'il pouvait bien penser. Les mots, les phrases, tout ce qui lui traversait l'esprit depuis toutes ces années pour le rendre aussi brisé. Tu t'es souvent demandé pourquoi, pourquoi alors qu'il lui arrive avec toi de briller si fort, fallait-il que tout soit si sombre autour de lui ? T'as pensé : C'est dommage. Il ne mérite pas ça. Personne ne mérite ça, mais Renard -Renard c'est particulier. Il fait parler ton coeur, Renard. C'est pour ça que même après toutes ces années tu peux pas t'empêcher de vouloir rester à ses côtés.

Comme une fleur alors tu viens te poser contre les rambardes sur le trottoir d'en face. L'œil qui observe l'entrée, les allers, les retours; guette, avisée, l'heure sur ton pineapple avant de zapper la musique. Toujours tranquille, tu profites du temps que tu as pour souffler un peu, te dandiner, sourire à peine sans te préoccuper des passants tout autour.

Et puis après les minutes silence les âmes s'en vont finalement. Passent la porte du ministère pour rentrer chez elles -adieu longue journée de travail bonjour weekend adoré. Les vendredi c'est amusant de tous les voir si pressés mais aujourd'hui tu te demandes plutôt Renard Renard où es-tu ? Les yeux pour chercher son visage parmi la foule, tu l'aperçois alors le pas qui s'arrête un instant. Vos regards qui se croisent quand tu te redresses, prête à le rejoindre ou qu'il te rejoigne qu'importe.

Seulement Renard se fait farouche aujourd'hui.
Il te regarde puis s'enfuit.

— Mais- ?
La saleté !

Tu te crispes une seconde avant d'échapper un soupir. Baguette discrète entre tes doigts, coincée dans la manche de ton blouson, tu t'éclipses de ton trottoir pour rejoindre le sien et lui courir après. Appelles son prénom comme on chanterait une chanson.

— Renard ! Renard attends !

Mais il n'attend pas, Renard. Alors finalement trop proche c'est son corps que tu enlaces pour vous arrêter tous les deux. Son dos contre ta poitrine, tes bras venant entourer son torse. Pas si essoufflée d'avoir couru mais le souffle court -battements de coeur affolés de l'avoir ainsi hélé, tu laisses reposer ton front contre son épaule. Son sarcasme pour t'étirer un sourire.

Ça fait déjà autant ?

— Tu me dis toujours que t'as pas le temps et que t'es occupé, alors qu'elle a envie de te voir Alcyone capricieuse, alors je viens directement maintenant.

C'est plus facile que d'attendre le bon moment.
Bonsoir Alcyone.

Un peu plus grandes les lèvres qui s'étirent.

— Salut Renard.

Ses bras pour te serrer doucement quand il se tourne vers toi. Tu souffles, toujours contre son épaule.

— Tu as du temps ?

Il t'a manqué.

— Tu les arrêteras pas en te tuant à la tâche, tu sais ? Et ce serait triste si tu mourais.

Toi tu ne veux pas. T'en pleurerais si fort jusque ta mort. Parce que Renard c'est- Différent. Fort, indescriptible. Alors oui les criminels peuvent bien patienter un peu, de toute façon demain ils seront encore là. Et de nouveaux viendront remplacer les absents parce que c'est ainsi que va le monde, pas vrai ? Ce monde que tu ne veux pas sans Renard pourtant.

— Je sais ce que disent les journaux -qu'elle a voulu disparaître ?

Qu'elle lui a brisé le coeur, même inconsciemment. Tu n'es personne pour lui en vouloir alors à la place du fiel ce sont tes doigts qui viennent serrer doucement sa peau. Renard n'est pas friand des contacts tu le sais, mais cet effort qu'il fait pour toi -pour que tu puisses le comprendre mieux et communiquer avec lui, ça te fait plaisir et tu ne veux rien gâcher.

— J'ai demandé à Croyance s'il en savait plus mais Croyance c'est pas toi alors c'est pas pareil.

Tu as toujours eu besoin de voir les gens en face pour les comprendre. Les on-dit ne sont pas des concepts que tu parviens à assimiler facilement alors forcément, malgré toute la bonne volonté de ton ami il n'a pas pu t'éclairer autant que tu l'aurais voulu.

Une esquisse à tes lèvres que tu étires encore comme pour le rassurer. Tu lui fais la promesse silencieuse que tout ira bien, en tout cas à tes côtés ça ira. Tu ne pars pas Alcyone, tu restes là, avec lui.

— Comment tu le vis tout ça Renard ?
J'ai besoin que tu me parles.

Dis-moi.
À quoi tu penses ?

Au milieu de tous ces gens qui passent à travers vous comment tu vas ?

Les années passent et vous restez les mêmes, c'est étrange comme fait à remarquer. Pourtant il n'a pas tort Renard, tout change autour comme en vous sans que cela n'impacte ce lien qui vous unit. Étrange mais touchant, alors les mots t'étirent ce petit sourire qui rapidement s'échappe. C'est que Renard avoue ne pas savoir comment se cacher et tu ne sais jamais toi-même si tu dois en être désolée.

— T'es pas obligé de me dire, tu sais.
Je sais lire, tu sais.
Un peu.

S'il ne veut pas tu ne forceras pas. C'est pour ça que votre relation ne change pas après tout, parce que tu ne veux jamais y aller trop fort. Ce n'est pas la peine de piétiner des éclats déjà brisés alors- Tu caresses doucement du bout des doigts l'espoir, si ce n'est d'un avenir, de quelques instants tendres à lui offrir. Rien qu'un moment, à deux, à trois, à mille qu'importe, même seul si ça lui chante, tant qu'il sourit.

Pourtant ce n'est pas de la joie qui s'échappe quand il se livre Renard -comment pourrait-ce ? Une grimace à peine qui se tire sans vraiment assombrir ton visage, tu l'écoutes pour te faire gardienne de ses confidences. De ses peurs, ses doutes, ses pleurs. Tout ce qu'il souhaitera bien te donner.

— Tu crois ?

Mauvais karma ou mauvais timing, va savoir. Ça ne veut pas dire qu'il en est forcément responsable.

— Je trouverai ça si simple que tout ça ne soit qu'une question de karma. Mais tu sais que rien est jamais facile Renard. Tu le vis tous les jours toi.

Il le subit.
Se subit aussi, sûrement.

Tout est si noir autour, où est la lumière ?

— Je dors avec toi ce soir. Demain aussi si tu veux.

((s'il le faut))
Papa s'en sortira très bien sans toi.

Taquine esquisse qui s'étire alors quand elle se fait réconfortante pour tenter de réchauffer ton âme gelée. C'est qu'il fait si froid dans les abysses.

— Tu veux bien, hein ?

Il a le regard qui fuit et le coeur qui hurle si fort Renard, tu le vois bien de là où tu es. Tu l'entends, le ressens. Sans pouvoir y changer quoique ce soit sous vos silences ce sont des choses que tu sais. Renard prisonnier n'a jamais cessé d'hurler mais s'il ne s'entend pas lui-même tu sais qu'il ne pourra pas être sauvé. Parce que ce n'est pas ton rôle à toi de sauver les autres, Alcyone. Qu'ils soient tes amis ou de parfaits inconnus tu n'en as pas les capacités.

Égoïstement tu en rêverais.
Un rire alors qui s'échappe, à la pensée, à ses mots qui accompagnent son sourire.

Est-ce quelqu'un lui a déjà dit comme il est beau quand il sourit Renard ?

— Évidemment ! Y a pas meilleur remède contre les peines de coeur tu sais bien.

La complicité de quelques instants, tu ne recherches pas plus que ces secondes volées pour le faire non pas oublier mais s'évader -que plus tard en y repensant il se dise qu'il n'était pas tout seul, qu'il a su sourire lui aussi. Même sans y croire, même sans espérer. Qu'il y avait eu un début.

Il y a cet éclat dans ton regard alors qu'il te demande de lui tirer les cartes. Partagée entre la joie et le doute, tu hésites. Est-ce seulement une bonne idée ?

— Tu veux ? T'es sûr ?

D'autant qu'il n'y croit pas à tout ça tu le sais, vous en aviez déjà parlé il y a longtemps. Et tu ne veux pas fausser les choses ni chasser les espoirs Alcyone, il y en a déjà si peu.

Tu fais mine de réfléchir un instant, juste avant de vous mettre en marche, puis tu hausses les épaules d'un air nonchalant.

— Hm.. C'est assez calme malgré l'animation ? Je travaille beaucoup pour aider mon père et je vois toujours autant de monde. La routine quoi !

La vérité c'est que tu sais pas vraiment comment répondre à cette question. La moue légère pour trahir la perplexité face à tes propres mots avant de lui sourire et de lui attraper la main. Si tes doigts le serrent un peu c'est pour lui dire que tu es contente de le voir;
Que tu t'es inquiétée de sa disparition;
De son procès;
Que tu es heureuse de le savoir en vie;
Que ta vie à toi à côté de tout ça n'a pas vraiment changé;
Ton père, les factures, les galères;
Tu ne sais jamais vraiment quoi en penser.

C'est difficile après tout quand tu as tant l'habitude de simplement te laisser porter. Il ne faut pas être triste pour toi ni pour les fêlures qui te dessinent toi aussi. Tu ne l'es pas, toi. Alors il ne faut pas.

— Va pour les pizzas.

Mais à son pas traînant tu t'arrêtes, le retiens par le poignet du bout des doigts à la recherche de son regard. Où sont les sourires Renard ?

— Renard ce soir on rentre pas. Ni toi, ni moi d'accord ?

Ce soir vous allez partout et nulle part à la fois, peu t'importe bien où vous dormirez tant que ce n'est pas là-bas. Parce que tu refuses de le voir mourir si près de toi.

— Je veux pas t'empêcher de penser, je peux pas. En revanche je peux essayer de t'apporter un peu de paix. On rentrera chez toi demain, mais pas ce soir. Je veux pas rentrer ce soir.

Il semble hésiter, à peine le temps d'un instant -surprit Renard qui ne s'attendait pas à ce que tu décides de briser les codes pour le faire s'évader. D'où tu ne sais pas, tu n'es même pas certaine d'y parvenir mais comment le saurais-tu si vous n'essayez pas ? Un rire alors, clair comme le cristal, que tu offres au vent.

— Fais-moi confiance.

Ça va aller tu verras.
Elle ne peut faire que ça, tu sais ?
Pour t'aider, t'épargner un peu aussi. Alcyone ne peut peut-être pas te sauver mais elle a apprit à panser les plaies. Une à une, encore encore encore. Les siennes et les vôtres aussi. Alors ce soir ce n'est rien que vous. Sans les douleurs, ni les erreurs, ni les pleurs.

Rien que vous.
Elle et toi.

— Où tu nous emmènes ?

Curieuse Alcyone, tu le laisses mener la danse, vos doigts toujours liés, pour vous guider jusque ce café de l'autre côté de la rue. Il demande alors -On t'a déjà refusé quelque chose, avec Croyance ? Un rire qui s'échappe, les lèvres en sourire qui s'étirent, amusées.

— Il serait temps de commencer alors, pas vrai ? Mais pas ce soir. Attends demain Renard !

Demain oui !
Demain c'est bien.

L'impression de redevenir enfant, un peu, à ses côtés.

— Hm...

La moue légère alors que tu réfléchis, cherche ses mots avant qu'un serveur ne te coupe pour vous guider jusqu'à un petit coin près des fenêtres, au fond de la pièce. Tu t'y installes tranquillement après l'avoir remercié d'un signe de tête, puis c'est Renard que tu regardes ensuite, embêtée.

— Renard je ne veux pas décider de tout ce soir. Il faut que tu profites tu sais ?

Tu n'iras pas jusqu'à lui demander de s'amuser mais-

— Et puis... Hm. Non laisse la suite.

Les lèvres qui s'éclairent alors d'un sourire. Tu veux bien concéder les boissons pour cette fois.

— En parlant de Noël, j'ai un cadeau pour toi. Ce n'est pas grand chose mais j'ai pensé que ça te ferait plaisir ! Je te l'offrirai plus tard.

Plus tard oui, à l'abris des regards pour qu'il puisse en profiter tout entier.