Il y a des erreurs qui te suivent, d’autres que tu corriges ; puis celles qui te hantent. Peu connaissent ton aversion pour les créatures, les hybrides ; tu n’aimes pas ce genre de… mélange. Pas plus que tu ne souhaites reconnaître leurs droits.


Le comble pour une ambassadrice qui est censée être lisse, dénuée de préjugés. L’héritage de ton éducation si particulière reste encore ancré en toi ; une cicatrice qui ne disparaîtra jamais. Tu récoltes encore aujourd’hui les fruits de ces enseignements nauséabonds. Quelque temps auparavant, tu es venue à la Pomme D’or sous l’impulsion d’une connaissance.

Inutile de dire que le spectacle ne fut pas à ton goût, tu l'auras fait savoir de la pire des manières. Résultat des courses : une danseuse blessée, un scandale à étouffer ; une réputation à protéger. La maitresse des lieux t’a donc posé un ultimatum simple : tu consommes une fois par semaine ou l’affaire s’ébruite… et tu sabotes ainsi tout ton dur labeur en qualité d’ambassadrice.

Toi, pragmatique, tu n’as pas refusé ; bien que tu cherches encore à comprendre pourquoi Colemann a proposé un arrangement pareil. Qu’importe, le mal est fait, maintenant tu assumes ton erreur jusqu’au bout.

Assise à une table, la frustration qui bout dans tes veines malgré le facies stoïque. Paradoxalement malgré ton dédain et le fait que tu souhaites fuir en courant à la moindre occasion, tu es élégante ce soir. Un costume ébène, un petit foulard en soie blanche autour du cou, tu fais l’effort d’être pimpante à défaut d’être aimable.

La tête tournée vers les représentations des artistes ; un divertissement passable bien que ce n’est pas ton genre. Tu t’amuserais presque si l’on oubliait tout le contexte autour de ta présence.

Mais voilà « qu’elle » vient gâcher ce moment : Constance Colemann, celle qui a posé l’ultimatum. Tu fais mine de l’ignorer ; tu la regardes toutefois du coin de l’œil, maintenant qu’elle s’installe près de toi. Elle prend ses aises. Quoi de plus normal, tu es dans son antre, pas l’inverse.

Pour autant tu ne lui montres aucun respect, encore moins d’attention, tu captes son propos, mais ne réponds pas. La cigarette à la bouche, tu expires la fumée, la craches avec mépris. Tu n’aimes pas cette femme. Et lorsqu’elle te demande ce que tu veux consommer, tu réponds d’un ton calme certes… mais ne laissant nullement place au doute quant au dégoût que tu ressens pour elle :

─ Mêlez-vous de vos affaires. Tu es là pour consommer, pas discuter, encore moins lui faire plaisir. Tu te retiens déjà de lui refaire le portrait à coup de phalanges. Les doigts posés sur la table se recroquevillent, ton poing se serre. Tu n’es pas de bonne humeur. Et pourtant… cette réplique s’échappe : quelque chose de fort. Suffisamment pour me faire oublier votre présence après quelques verres.

L’ambiance est au beau fixe, indubitablement. Tu ne comprends pas Himeka. Tu ne comprends pas pourquoi même exécrée par elle, tu finis irrémédiablement par poser tes obsidiennes sur elle ; constatant qu’à défaut de l’apprécier… tu la trouves ravissante. Mais ça, non seulement tu n’oseras pas lui avouer, mais encore moins à toi-même. Tu chasses cette pensée en secouant la tête, l’air agacé, le visage crispé.

─ Vous n’avez rien de mieux à faire que venir m’emmerder ? Pourquoi tu reprends la parole ? Pourquoi tu relances la conversation ? Tu souhaites qu’elle s’en aille alors pourquoi ? Une fois de plus tu ne comprends pas et ça te rend folle. Faites donc ce que vous savez faire de mieux et allez vous trémousser sur la scène. Nous n’avons rien à nous dire. Allez dandiner votre fessier ailleurs.  

Tu te dis que tu aurais mieux fait de tenir ta langue. Dès qu’elle se délie, Colemann en profite pour cracher son venin. Tout ce que tu dis se retourne instantanément contre toi… et ça te frustre au plus haut point. Tu tiens à ton travail, ta réputation, la prochaine erreur sera la dernière.

Une fois de plus, tu navigues en eaux troubles ; sur le champ de bataille face à un ennemi que tu ne saurais vaincre, car tu n’as pas les armes. Et comme souvent lorsque le contrôle d’une situation t’est arraché, tu souffres dans un silence de marbre ; le regard se perd au loin, tes pensées s’entrechoquent dans un chaos sans fin.

Peut-être que tu si ne bouges et ne parles pas elle finira par se lasser ? S’en aller ? Que nenni ! Tu l’amuses ; elle ne risque pas de s’éclipser de sitôt. Tu ne peux que te maudire, toi et ton caractère de merde.

─ Qu’on abrège mes souffrances… rien n’est plus désagréable que de vous entendre causer.

Non tu n’es pas heureuse de la divertir. Chaque fois que tu l’entends, que tu poses tes iris sur elle, tu veux lui faire du mal. Tuméfier son parfait épiderme de coups, arracher ses cordes vocales pour qu’enfin elle la ferme. Tu veux la réduire au silence… un silence de mort.

Un brin macabre ce que tu lui réserverais si l’on t’en donnait la chance. D’autant plus que la maitresse des lieux ne faisait que commencer. Elle se penche vers toi, continue ses provocations, les accentue, au même rythme que ton agacement qui grime petit à petit. Ce jeu de patience est dangereux, tu as déjà craqué une fois, pourquoi pas une deuxième ?

C’est ce que ton interlocutrice cherche. Elle cause, elle cause, enfin la boisson arrive et toi tu l’entames déjà. Consciente toutefois que c’est impoli de ne pas répondre à ses questions, tu tournes la tête vers, elle, les obsidiennes la fixant d’un air mauvais. Tu craches ta vérité avec agressivité et mépris :

─ Vous en avez une grande bouche… lorsque vous êtes bien au chaud, dans votre petit cocon. Je me demande ce que ça donnerait à l’extérieur de vos murs, sans personne pour veiller sur vous, personne pour vous protéger. Tu devrais te taire, te mettre en opposition par un silence de marbre, mais c’est plus fort que toi… tu as ton petit caractère après tout. Tu poses la paume de ta main légèrement au-dessus de sa poitrine, la repoussant délicatement. Tes propos eux… sont encore moins ambigus que les précédents : priez pour que je ne vous croise pas à l’extérieur de votre boui-boui. Le cas échéant, je vous ferais danser comme personne… si bien que vous ne vous en remettrez jamais.

Une nouvelle gorgée, tu ne t’en rends pas compte, mais l’alcool commence déjà à faire son effet… te dépossédant du peu de contrôle que tu penses avoir. Les mots ne te restent plus en travers de la gorge, ils sortent sans ambages, sans que tu ne puisses filtrer.

─ Non. Je ne vous ai jamais vu danser. Quel intérêt... je ne suis là que pour ma dette à payer, pas pour satisfaire votre égo de diva dégénérée. Faites du gringue à ceux que ça intéresse... vous n'êtes pas mon genre.

D’ordinaire tu es franche… tu viens tout juste de mentir. Tu ne lui donneras aucune satisfaction. Aucune. Tu en es résolue. Tu n’as toujours pas conscience que c’est peine perdue… tu es rentré dans son jeu et tu ne sauras t’en sortir. L’étau se resserre.

Une qui s’amuse, l’autre en pleine agonie. Ce n’est pas seulement le fait d’être dans son antre, mais aussi le poids de tes responsabilités qui t’écrase. Tu ne veux pas seulement prouver aux autres que tu es différente de tes géniteurs… mais aussi et surtout à toi-même.

L’inconvénient pour une personne haut placée, c’est la gravité d’une erreur ; même quand elle semble minime. L’importance de la tienne gonfle graduellement, comme une tumeur. Doucement, mais surement elle grandit, dévore, consume. Et Colemann le sait, donc elle se permet tous les excès.

Entre ses murs tu es sa proie, en dehors tu serais la sienne. Sauf qu’elle n’est pas de cet avis. Elle l’évoque même ; il te suffit d’un regard pour exhiber ton désaccord. Si le tien pouvait tuer, elle serait morte une bonne centaine de fois déjà.

Tu reprends la parole, excédée, marquant chaque syllabe comme une menace supplémentaire :

─ Ne… me… poussez pas… à bout.

Tu l’as vu n’est-ce pas ? Le changement soudain dans son regard, la métamorphose de ses pupilles. Même imbibée d’alcool tu n’as pas pu le rater. De quoi te rendre encore plus en colère, de quoi t’inciter à faire des folies. Mais plus que la menace qu’elle laisse planer, c’est la provocation qui t’énerve davantage.

Tu ne prends pas peur face aux monstres des autres, Himeka.
Tu ne crains que les tiens.
Parce qu’eux, tu les as déjà vus faire du mal.
Tu sais ce dont tu es capable.
Et ça te terrorise plus que n’importe qui, n’importe quoi.

Ton plus grand ennemi, c’est toi-même. Mais Colemann est une antagoniste tout aussi redoutable. Plus encore lorsqu’elle s’engouffre dans ton espace, lorsqu’elle t’empêche de respirer. Le contact sur ton épiderme, son souffle dans ton oreille.

Elle joint la parole aux actes. Non contente de te punir, elle veut t’envahir, détruire le moindre sentiment de sécurité que tu ressens. Tu sens ton cœur s’accélérer, les sueurs froides parcourant ton échine. Au bord de l'implosion.

Mais tu ne peux pas, tu sais que tu ne le peux pas. Tu serres le point si fort que tu sens tes articulations craquer. Mords ta lèvre à tel point que le carmin finit par couler. Tu fermes les yeux, cherchant au fond de toi la quiétude dont elle veut te priver.

Tu supplies l’univers qu’elle en vienne à t’abandonner, t’oublier. La souffrance silencieuse, vieille amie qui vient te visiter, comme à chaque fois.

─ Lâchez-moi.

Tu te doutes que ton impératif sera ignoré. Forcée d’écouter cette vérité qu’elle glisse à ton oreille ; cet aveu que tu tais. Tu t’y refuses à y penser, encore moins l'évoquer. Pourtant c’est vrai. Son parfum t’enivre et son contact ne te tétanise pas parce que tu la crains… mais parce que tu n’arrives ni à nier ni à réfuter. Tu ne mens pas aux autres, mais aussi à toi-même.

Elle le sait ?
C’est pour cela qu’elle va aussi loin ?
Tu préfères ne pas y penser.

Enfin tu respires alors qu’elle s’éloigne un peu de toi. Tu mets ta main devant ta bouche pour cacher ton toussotement, cacher ta respiration qui s’est arrêtée. Tu reprends ce souffle qui te manquait et tes obsidiennes viennent à la fixer de nouveau. Tu ne mâches pas tes mots :

─ Plutôt crever que de coucher avec une monstruosité comme vous. Un verre pour faire passer les mots que tu prononces, ravaler ta fierté dans le même temps. Vous ne me plaisez pas, vous êtes hideuse en dehors comme en dedans !

Tu n’as pas la patience de tes géniteurs Himeka. Les jours passent et bien que tu te promettes de ne pas mentir éhontément comme eux… c’est exactement ce que tu fais. Tout ton corps se met à trembler, tu te sens faible, à la merci de ton ennemie.

Tu te hais parce que tu n’arrives pas à la haïr elle. Tu te hais parce que ce n’est pas que la colère qui fait tambouriner ton palpitant contre ta poitrine. Ce que tu ressens, tu as trop honte pour le nommer. Elle a raison sur toute la ligne.

─ La bouteille est vide.

Une autre. Vite.
Te saouler pour oublier tout… jusqu’à la douleur dans ta poitrine.

L’alcool ne frappe pas, il tabasse ; surtout un estomac vide comme le tien. Une erreur de plus qui va saler davantage l’addition bien lourde que tu payes. Mais ce n’est pas le pire dans l’histoire… au contraire, il est à venir. Plus question d’être sur la défensive.

Une revancharde à la rancune tenace comme toi ne peut se permettre d’abandonner. Rendre les armes ne fait pas partie de tes habitudes ; encore moins des traditions de ta famille. Chez les Senjōgahara la lutte est perpétuelle. Même face à un adversaire plus fort que soi.

Malheureusement, l’alcool n’est pas connu pour être un stimulant cognitif. Tu passes à l’offensive certes… et de quelle manière. Colemann commet une erreur monumentale en évoquant tes parents, plus encore lorsqu’elle parle de privilèges.

Toi, tu remets enfin les pendules à l’heure. Dans ton esprit tu n’as plus rien à perdre, c’est en tout cas ce que te dit la bouteille vide et la prochaine à entamer. D’un bond tu te lèves, entrainant avec toi ta chaise, te rapprochant dangereusement de la maitresse des lieux.

Tu t’assois de nouveau, te penches vers elle, puis poses ton coude sur la table, enfonçant ton menton dans la paume de ta main. Les obsidiennes rivées sur ton hôtesse, la fixant dans le blanc des yeux.

─ Quand j’étais plus petite… mon père avait l’habitude de me battre à chaque fois que mes résultats n’étaient pas à la hauteur de notre réputation. Ma mère préférait m’ignorer. Plutôt que d’apprendre à me défendre, j’ai tout fait pour les satisfaire. Tu te sers un verre, cul sec, et ça repart de plus belle : puis ce fut le tour de mes petites sœurs jumelles, puis mon petit frère. C’est à ce moment-là que j’ai pris la décision d’apprendre à me défendre, pas pour me protéger moi, mais eux.

Colemann parle de lâcheté, elle n’a pas tort. Avant de te dresser face à ton géniteur, tu n’as montré aucun courage. Tu as subi, encaissé, souffert. Jusqu’à atteindre un point de non-retour.

─ Le privilège… c’est comme démarrer avec quelques mètres d’avance dans une course. Si tu marches… tu finiras par perdre contre ceux qui continuent de courir. Tu te rends subitement compte que tu deviens bien familière avec elle ; sans doute que son attitude déteint sur la tienne. La preuve étant alors que tu te saisis de son verre de vin pour en gober le breuvage d’une traite. Toi aussi tu attaques, toi aussi tu provoques. Tu luttes avec tes armes.

─ Huh… je déteste le vin. Constat amer, mais constat quand même. Je n’ai jamais arrêté de courir. Parce que je veux les dépasser. Mes privilèges… je les ai abandonnés le jour où j’ai compris qu’une cage, même dorée, reste une cage.

Tu continues de t’approcher d’elle, ton visage du sien. Les effets de la boisson commencent dangereusement à se faire sentir. Il n’est plus seulement question de te désinhiber, mais aussi de faire ressortir cette vérité si délicate à admettre :

─ J’ai menti… je ne te trouve pas hideuse. Mais je te déteste quand même. Un regard furtif posé sur ses lèvres, tes yeux commencent ensuite à se balader un peu partout, détaillant ses formes, s’arrêtant sur son décolleté quelques longues secondes alors que le rouge te monte aux joues. Tes iris reviennent vers les siens. Puis te vient une idée folle : dis-moi… si je dois me ruiner pour ta danse privée, ça effacerait enfin ma dette ? Ou j’aurais au moins le droit à une réduction de peine ?

L’alcool tabasse, défigure jusqu’à ta vision de toi, du monde et surtout… celle de Colemann. Mais au fond, le filtre qu’il lève n’est que celui du mensonge. Tu es enfin honnête avec elle ; mais aussi et surtout avec toi-même.

Oui.
Tu n’es plus à une erreur près.

Non. Bien évidemment que non. À aucun moment tu ne t’attends à sa pitié ; tu serais surprise du contraire. Alors ses mots ne te touchent pas, mais un sourcil se hausse. Tu dodelines de la tête alors que les effets de l’alcool s’aggravent. Le peu de filtres que tu avais… disparaît.

Les yeux dans les yeux, un sourire discret au coin de tes lèvres se forme. Ton histoire la fait rire, à aucun moment elle ne se sent désolée pour toi. Elle a bien raison. Toi-même tu l’admets, le sarcasme suintant de tes propos :

─ Tu me vois pleurer ? Manifestement non. Tes pleurs sont aussi glacés que tes sourires figés. Au contraire… je leur suis reconnaissante. C’est en battant l’acier qu’on forge le katana ; pas en le cajolant.

Tu n’as jamais réclamé quelconque pitié de qui que ce soit… sachant pertinemment que tu n’en aurais de personne. Si même tes propres parents n’en ont aucune, pourquoi les autres en auraient ? Colemann n’est qu’une personne de plus sur une liste sans fin.

Ça t’amuse même qu’elle le mentionne. Tu ne pourras jamais compter sur sa compassion, l’inverse également. Colemann en est naturellement dénuée de la même façon que tu n’en ressentiras jamais pour elle ; car elle est une monstruosité. Raffinée, certes, mais une monstruosité quand même.

Son regard, tu le soutiens, ses provocations tu y réponds. Tu rentres dans son jeu car tu ne peux tout simplement rien faire d’autre. Le poison alcoolisé dans tes veines, ravage ton esprit, prend le contrôle de ton corps.

Et pourtant, malgré tout cela, ton pragmatisme ne disparait pas. Lorsque la maitresse des lieux te propose un marché… aussi alléchant soit-il, tu as tes réserves. Pour la première fois depuis que tu la côtoies, tu ricanes, tu te gausses. Tu la sais perfide, tu ne tomberas pas dans son piège… pas vrai ?

─ Ah oui, aussi facilement que ça ? Un baiser pour une dette effacée ? Embrasser une personne du même sexe, tu ne le conçois pas. Mais elle ? Plutôt cuire tes lèvres au barbecue. Tu te moques d’elle, comme si elle en avait quelque chose à faire : remarque, si j’embrasse le crapaud, peut-être qu’il se métamorphosera en princesse.

Tu en ris davantage. Mais il faut toutefois reconnaître une chose à ton adversaire : son plan est aussi diabolique que réfléchi. Elle fait appel à ton pragmatisme de la même façon qu’elle alimente ton dégoût. Elle t’impose un dilemme de taille.

En temps normal, c’est ton poing qui irait embrasser son visage, sans l’ombre d’une hésitation vu la magnitude de l’affront. Mais c’est bien là le problème… les circonstances sont particulières. Ton esprit embrumé, ton palpitant qui tambourine dans ta poitrine. Tu en viens à considérer l’idée. Elle t’offre une porte de sortie ; déverrouille la cage en échange d’une faveur simple, mais couteuse.

Tu n’as plus envie de réfléchir aux conséquences Himeka. Seulement au résultat immédiat. Ton corps se penche de lui-même vers elle de la même façon que ton visage. Tes lèvres effleurent les siennes et tu as soudain un mouvement de recul. Tu zieutes aux alentours comme si tout le monde vous observait. Puis ton regard de nouveau sur elle, ton front qui se plaque contre le sien :

─ Tu vas tenir ta parole, Colemann ? Tu ne la laisses pas le temps de répondre que tu enchaines : tu vas tenir ta parole. Je ne contenterais pas d’un pion si tu me mens… j’irais briser les os de la reine un par un ; peu importe les conséquences.

T’as déjà sombré, t’es déjà tombé bien bas. Pour toi tu as déjà touché le fond, tu ne peux que remonter. Tu ravales ta fierté au même titre que le reste de la bouteille. Le bout de tes doigts posé sur les lèvres de ton ennemie. Un court passage sur leur commissure puis un constat :

─ Je te hais, Constance Colemann.

Pourtant, c’est bien son souhait que tu matérialises. Les armes que tu jettes à ses pieds. Sa chevelure que tu viens agripper. Ses lèvres que tu viens chercher comme elle l’a demandé. C’est un baiser d’une passion ardente certes… mais d’une haine sans égale.

C’est une chaleur incandescente qui étouffe et irradie ton corps, tu espères t’embraser et partir en fumée avec elle… et son antre de malheur. Si tu dois disparaître… autant la rayer de la face de ce monde également.

C’est que tu veux de tout ton être.
Pas vrai, Himeka ?

Elle te dit qu’elle tiendra parole… tu n’as pas besoin de plus pour passer à l’acte. Lippes et langues qui dansent ensemble, tes doigts qui s’entremêlent dans sa chevelure, de la même façon que les siens dans la tienne. Tu lui concèdes cette bataille.


Mais la guerre ne fait que commencer. Pourtant la victoire appartient bien à la maitresse des lieux, il n’y a pas de doute. À la seconde où se séparent vos lèvres, tu as le souffle coupé, Himeka. Ta poitrine se serre et la douleur se fait sentir. Elle te dit que tu es libre, elle s’amuse de ce baiser affriolant. Toi tu ne sais quoi dire, encore moins quoi faire.

Tu sais deux choses : que tu la détestes pour ce qu’elle t’a forcé à faire… et que tu te hais davantage d’avoir cédé. Répondre à ses provocations n’aura fait que te mettre davantage dans l’embarras, tu restes sans voix, essayant de reprendre ta respiration alors que tu expires par saccades. Tu la vois s’éloigner de toi et ça te soulage.

Tu as peur, Himeka.
D’elle… de toi… de ce que tu ressens.
Tu ne sais pas vraiment.

Tu sais juste une chose : c’est que tu ne sais rien. Si l’on t’avait demandé ton nom à cet instant tu n’aurais pas su quoi répondre. Tu te détestes sans savoir pourquoi. Parce que c’est elle que tu as embrassée ? Parce que c’est toi qui l’as embrassée ? Ou peut-être que finalement… ce n’était pas si mal.

Mais non.
T’es bornée.
Tu réfutes cette idée.

Le poing se heurte à la table, une fois, deux fois, trois fois. Tu n’oses plus la regarder dans les yeux, encore moins la regarder tout court. Et cela n’arrange rien lorsqu’elle te propose de réitérer l’expérience. La rage au ventre, tu tournes cette fois la tête vers elle, l’assassines du regard. Tu veux répondre, mais…

─ Je… je ne… je…

Elle t’a cloué le bec. Il faut l’admettre. Mais il y a toutefois une information qui te monte au cerveau. Malgré l’emprise de l’alcool et la confusion dans ton esprit, tu vois là une opportunité. Un moment à l’abri des regards ? Une occasion de lui faire payer. On le dit, on le répète, l’alcool n’est pas un stimulant cognitif. Désinhiber et abrutir, voilà ce qu’il fait. Et même une personne avec un esprit vif comme le tien peut en être victime.

Tu as perdu une bataille, mais la guerre fait encore rage. Et là, tu as une chance de te débarrasser de ton ennemie. Une fois seules à seules… tu vas en finir avec elle. Oui. Tu prends une grande inspiration, calmant le rythme effréné de ta respiration dans le même temps. Tu sais que tu n’auras pas d’autre aubaine comme celle-ci. Tu la mets à l’écart… et tu la fais souffrir autant qu’elle te fait souffrir.

Alors tu tends ta main vers elle, ne pouvant contrôler ce rouge qui te monte aux joues. Tu n’es pas bonne actrice, tu ne sais que contenir tes émotions, pas en interpréter d’autres. Tu ne mens pas… tu omets simplement toute la vérité, te contentant de ce qui pourrait la faire mordre à l’hameçon.

─ Plus fort… je veux te haïr plus fort encore. Je n’en ai pas terminé avec toi… encore… je veux te détester encore…

Tu veux lui faire du mal, tu veux qu’elle paye. Cette douleur dans ta poitrine t’empêche de respirer, ton cœur se serre si fort que tu voudrais te l’arracher. Il n’y a qu’un remède à la violence que tu contiens dans tes poings… c’est de la laisser s’exprimer.

Le facies est froid, le ton monotone. Le regard est intense, dévorant ; tu n’es ni sensuelle, ni lascive, ni espiègle comme Colemann. Mais comme elle, tu as encore des cartes à jouer.

─ Tu me dois une danse…

Privée ; à l’écart, sans les centaines de paires d’yeux pour témoin de ce que tu comptes faire d’elle. Tu peines à cacher tes intentions tant tes yeux hurlent ton aversion pour elle et ce que tu lui réserves. Mais tu la crois suffisamment imbue d’elle-même pour tomber dans le panneau.                                                        

Tu penses lui tendre un piège… alors que tu tombes dans le sien. Que tu le saches ou pas, cela ne change rien ; tu ne reculeras pas et elle non plus. Vous êtes deux créatures bien différentes malgré vos similitudes. Lorsqu’une décision est prise, vous ne revenez pas dessus.

Tu l’accompagnes sans faire d’histoire, le poing serré. Tes pas sont lourds, tes sens émoussés ; tu restes néanmoins focalisée sur son objectif, sur la concrétisation de ton plan… aussi foireux soit-il. Pas un regard pour ceux qui t’entourent, les obsidiennes rivées sur Colemann ; à croire qu’elle disparaitra si tu clignes des yeux. Tu ne veux rien laisser au hasard.

Himeka, ma pauvre princesse.
Tu es perdue.

C’est bien la monstruosité que tu exècres qui mène la danse, tu ne fais que suivre ses pas. Tu as beau te sentir prête, lorsque la porte de son alcôve se clos tu crois qu’elle est à ta merci. Tu oublies juste un détail de taille. Tu es loin d’être en pleine possession de tes moyens. Et même le cas échéant, aurais-tu une chance contre elle ? Ta fierté te fera dire oui. Mais le bon sens ? Rien n’est moins sûr.

Tu n’as pas le temps d’agir que déjà elle fond sur toi. Elle t’emporte dans ses draps, vient voler un baiser sur tes lèvres alors que ton corps s’écroule. Tu ne le sais pas encore, mais tu as capitulé au moment où ses lippes ont effleuré les tiennes.

Elle te demande jusqu’où tu es prête à aller.
Car pour elle, ce ne sera pas suffisant.
Pieds, poings, sortilèges.
Cela ne sera jamais assez.

Tu objectes. Dans un élan contestataire, tu te redresses en prenant appui sur ton coude, usant des forces qu’il te reste pour tenter de reprendre le contrôle, la surplombant. Tes mèches noires qui viennent s’échouer sur son épiderme hâlé. Tu replies ton coude, ton poing suspendu au-dessus de son visage. Tu veux frapper, encore et encore et encore jusqu’à ce qu’on ne puisse plus la reconnaître.

─ Je veux que tu souffres… que tu me supplies de te tuer… tes dents qui viennent saisir ses lippes, la pression que tu appliques, encore un tout petit peu et tu verras le carmin couler. Mais tu ne vas pas au bout. Au lieu de ça tu te redresses légèrement, te remémores à haute voix cette fois-là. Il ne m’a pas supplié lui… j’ai eu beau le frapper sans m’arrêter, lui briser les os et sa volonté, il ne m’a pas supplié d’arrêter. Encore un coup… un seul… et j’aurais été débarrassé de lui. Il a fallu qu’Akane m’implore à genoux pour que...

Tu cites le nom de ta petite sœur dans l’incompréhension de ton interlocutrice, elle n’est pas censée savoir qui elle est… tu ne lui parlerais jamais de ta famille, sobre. Pas plus que ta tentative de parricide avortée. Tu suis finalement le conseil de celle que tu jauges, viens attraper la peau de son cou entre tes dents pour la mordre avidement. C’est bien elle qui t’a conseillé de ne pas utiliser tes poings après tout. Lorsque tu es satisfaite, tu reviens à hauteur de son visage, tes doigts tenant son cou comme les serres d’un aigle autour de sa proie.

─ Je veux que tu agonises comme lui a agonisé. L’étau se resserre, ta prise s’intensifie. Je veux te haïr comme je le hais lui ! Tes ongles pour griffer la peau de ses cuisses, jusqu’au sang s’il le faut. Une fois encore tu suis son conseil. Mais toi… tu ne me supplieras pas Colemann ? Toi… tu me diras de ne pas m’arrêter, pas vrai ?

De nouveau tu viens mordre sauvagement son épiderme ; plus animale qu’humaine, tu mords, tu griffes, tu t’accapares d’elle comme elle a osé le faire avec toi. Ton corps bouge de lui-même, réalisant un souhait, un désir imprononçable que tu tais depuis les prémices de ton existence. Tu ne défies pas seulement celle dont tu partages les draps… mais toi-même.

─ Je te tuerai… de mes propres mains. C'est ce que tu veux, Colemann ?

Tu ne lui feras pas la faveur de lui pardonner ce qu’elle te fait subir. Elle n’a pas de pitié pour toi, tu n’en auras pas pour elle. Peut-être qu’un jour tu réaliseras qu’au fond… ce que tu fais là, c’est ce que tu as toujours voulu avoir, sans oser le saisir.

Tu la remercieras plus tard.
Ou jamais.                                                       

Pourquoi te livres-tu quand tu sais qu’elle n’a que faire de tes états d’âme ? Pourquoi ta langue se délie quand elle devrait rester cloitrée à l’intérieur de ta bouche ? Pourquoi tes lèvres viennent chercher les siennes alors qu’elles devraient rester scellées ?


Mais le plus important… pourquoi cherches-tu la réponse à ces questions alors que tu connais déjà la réponse ? Tu veux taire cette partie de toi qui veut s’ouvrir à elle alors qu’elle se fiche bien de toi. Tu veux taire cette partie de toi qui vient chercher avidement sa peau, ses caresses. Tu veux taire cette partie de toi qui la désire ; pendant qu’elle, l’appelle, la stimule.

Dans le méandre de ton esprit, deux voix s’élèvent au-dessus du marasme des autres. L’une t’exhorte à lutter, l’autre t’implore de capituler. L’une se superpose à l’autre et vice versa. Ce petit manège tourne en boucle depuis de longues minutes, entrecoupé de silence où c’est ta propre voix qui s’élève, ces soupirs que tu ne peux réprimer malgré ta volonté de les taire. Cette envie naissante, grandissante, d’avouer cette vérité que tu veux garder sous silence.

« C’est pas moi que tu veux tuer. »
Elle a raison. Ce n’est pas elle que tu veux tuer.
C’est cette partie de toi qui la désire.
Celle qui prend le contrôle de ton corps.
Celle qui te fait abandonner jusqu’à l’envie de résister.

─ N-non… c’est… c’est faux… je te déteste toi… c’est toi que je veux…

Que tu veux quoi ? Tu n’as pas le temps de finir ta phrase que la prédatrice reprend ses assauts sur ton épiderme carminé par le passage de ses griffes. Tu voulais la faire faire souffrir, c’est tout l’inverse qui se produit. Le contrôle que tu voulais reprendre… alors que tu en es dépossédée depuis le début.

Ce n’est pas elle que tu hais, mais toi-même. Cette colère désespérée que tu projettes sur elle, l’écho de ce que tu rejettes depuis toujours, que tu refuses d’accepter parce tu n’as jamais su assumer cette vérité. Dans n’importe quelle autre situation, tu aurais encore lutté ; mais soudain c’est la voix de celle qui te torture qui se superpose au-dessus de tout, jusqu’à tes pensées.

« Arrête de résister ».
Mains liées, corps entremêlés. Elle te surplombe et tu ne peux que l’observer. Tu dois l’admettre… Constance Colemann est une merveilleuse monstruosité. Si tu dois sombrer, autant qu’elle soit celle qui t’emporte au fond du gouffre. Il n’y aura pas de lendemain de toute façon. Après cela, tu disparaitras de sa vie comme elle s’évaporera de la tienne.

Elle te provoque encore.
T’incite à fuir pendant qu’il est encore temps.
Mais tu le sais aussi bien qu’elle.
Jamais tu ne prendras la fuite.
Jamais tu ne lui feras ce plaisir.
T’es perdue, Himeka.
Alors tu t’abandonnes à elle.
Comme la voix le suggère.
L’autre s’est tu.

─ Je n’ai jamais reculé devant personne. Certainement pas devant toi, « bébé ».

Tu lui renvoies l’insulte qu’elle te fait, l’appelant du même sobriquet. D’un élan vif, presque inespéré, tu te redresses et viens enrouler tes bras autour d’elle, ne cherchant même pas à te défaire des liens qui entravent tes poignets.

─ Une Senjōgahara ne fuit pas devant l’ennemi. Nous luttons, perpétuellement.

Consciente du ridicule de tes propos, même la nippone en toi récitant le mantra de sa famille ne peut s’empêcher d’en rire. La plus grande ironie c’est que tu crois vaincre alors que tu ne fais qu’échouer. Mais qu’importe, tu réfléchiras aux conséquences plus tard. Lorsque tu seras en mesure de réfléchir.

─ J’en veux pas de tes scrupules, encore moins de ta pitié. Je ne suis pas là pour t’aimer, mais te haïr… ne gâche pas mon plaisir.

Tu viens chercher une nouvelle fois ses lèvres ; tu fais danser ta langue avec la sienne, l’entraînant avec toi alors que ton dos vient joncher le matelas. Himeka, tu t’es décidé de t’emparer d’elle à la seconde où tu as franchi le seuil de son alcôve. Avec tes lippes tu matérialises enfin cette vérité que tu tentes de taire, la criant sans émettre un son de ta voix.

La repousser ou la désirer.
Du pareil au même.
Tu ne sais plus faire la différence.
Tu sombres, Himeka.                                                       

Que tu le veuilles ou non, cette nuit n’a rien d’éphémère, Himeka. Elle te laissera un souvenir paradoxalement aussi vague qu’impérissable au réveil. L’instant où vos corps entremêlés dansèrent à l’unisson cette chorégraphie lascive restera gravé. La mémoire dans la peau.

Dans ton esprit également, mais pas aux premiers instants du lendemain. Pas au moment d’un réveil unique en son genre. Quand tes yeux s’ouvrent, ta vue est trouble, tu distingues à peine la silhouette aux courbes sinusoïdales dont les rayons du soleil caressent sa peau cuivrée. Encore moins son visage. C’est à peine si tu penses être dans un rêve.

Plusieurs indices viennent réfuter cette hypothèse. Les douleurs que tu ressens dans un premier temps. Les latentes se réveillent et tu as l’impression qu’on donne des coups de marteau dans ton crâne. Néanmoins tu mets bien quelques longues secondes à sortir de ton état comateux. Tes yeux papillonnent et finissent enfin par s’ouvrir.

Grand ouvert sur le clou du spectacle.
Sur un corps dénudé et un visage que tu reconnais.
Le sien.

Dans ta langue natale, tu t’interroges à voix haute, sans même en prendre conscience, comme un réflexe :

─ Qu… qu’est-ce qu…

Les premiers flashs de la veille qui arrivent. Tu te rends compte petit à petit que ce que tu prends pour un songe n’en est en réalité pas un. Un mouvement de recul, tu sursautes, glissant du lit avant de t’écrouler sur le sol dans un fracas. Un gémissement de douleur, tu tentes de te relever tant bien que mal, tes obsidiennes rivées sur Colemann.

─ Qu’est-ce que tu fais chez mo… chez toi ? Tu te rends subitement compte qu’il n’en est rien en jetant un coup d’œil aux alentours. De nouveaux souvenirs remontent.

Colemann.
La Pomme d’Or.

Tu parviens à te mettre sur tes pieds, mais l’équilibre est précaire. Tu titubes et cherches à analyser une situation dans laquelle tu es totalement dépassée. Tu baisses la tête et constates. Ta nudité. Les traces de son passage sur ton corps ? Griffures, suçons. Tu remontes la tête vers elle, rouge de honte, le doigt pointé sur elle :

─ Toi… ne t’approche pas !

Tu paniques, tu cherches tes vêtements du regard, tu vois ta veste et ton pantalon, mais pas de trace de ta chemise. Tu enfiles le tout en essayant de garder l’équilibre. La douleur dans ton crâne est insupportable, les effets secondaires de tout l’alcool ingurgité font ravage. Tu fermes les boutons de ta veste, la gêne et le dégoût imprimés sur ton visage. Tu cherches auprès d’elle une réponse que tu crains déjà savoir :

─ Qu’est-ce qu’il s’est passé ?! Tu hausses le ton, ta voix tordue par un mélange de colère et d’embarras : qu’est-ce que tu as fait ?! Elle est la seule responsable, tu en es persuadée. Jamais tu n’aurais couché avec elle. Elle est tout ce que tu détestes, tout ce que tu n’es pas. L’incarnation de tes névroses.

Après la gêne vient la honte, après la peur, l’effroi, après l’effroi la colère. Tellement folle de rage que tu en perds le contrôle de tes jambes alors que tu tombes à genoux, tu sens que tu étouffes, ta gorge se serre, tu essaies tant bien que mal de respirer, mais le souffle vient à te manquer.

Les événements refont surface.
Les réponses à tes questions également.
T’as qu’une seule envie, c’est de crever.
Ou de la crever.                                                       

T’as l’impression d’être en plein cauchemar ; pourtant tu es bien éveillée Himeka, c’est pire que ce que tu redoutais. Une nuit avec une autre femme c’est déjà un drame ; mais avec elle ? C’est une humiliation, purement et simplement. Si bien que ça te rend folle.

Une oreille traine pourtant sur les explications de Colemann ; tu comprends qu’en échange de quelque chose elle a effacé ta dette ? Tu te rappelles l’avoir embrassé… et que tout s’est enchainé à une vitesse vertigineuse. Mais tu préfères rester dans le déni. Tu te redresses, reprends ton souffle en inspirant longuement.

Elle te montre les stigmates de votre nuit sur son épiderme hâlé, ça ne fait que de te dégouter davantage. Pas question de le reconnaître encore moins de l’assumer. Pour toi, c’est un piège qu’elle te tend. Et lorsqu’elle se lève pour se couvrir, tu fais tout pour rester loin d’elle, tu sais que si jamais tu t’approches… ça va mal se finir.

Tu nies en bloc, tu rejettes cette idée, jusqu’au mouvement de tête de négation. Tu n’y crois pas malgré ce dont tu te souviens, ce n’était pas toi, tu n’aurais jamais fait ça.

─ Tu ne diras rien parce qu’il ne s’est rien passé !

S’il le faut, tu es prête à la répéter à la terre entière. Mais non, évidemment que non. Tu vas taire cet événement, l’enterrer au plus profond de toi et ne plus jamais en reparler par la suite. Pas question de le reconnaître, de l’admettre. Rien que d’y penser ça te rend malade.

La rage au ventre, qui grimpe le long de ton corps, s’installe dans ton esprit ; tu perds le peu de contrôle que tu as essayé de conserver alors que tu frappes violemment le mur, une fois, deux fois, trois fois. Tu entends tes phalanges craquer, tu vois le carmin couler.

Le regard suintant de haine dans sa direction, tu répètes une fois de plus qu’il ne s’est rien passé comme si tu essayais de te convaincre toi-même.

─ Il ne s’est rien passé, il ne s’est rien passé ! Tu passes la porte de la chambre, donnant un nouveau coup en plein de dedans, tout en hurlant : il ne s’est rien passé !

Tu te le répètes, encore et encore et encore alors que tu cherches la sortie, la furie au visage. Si quelqu’un avait eu le malheur de croiser ton chemin à cet instant… qui sait ce qu’il pourrait lui arriver. Tu ne prends pas ce risque, tu vas chercher ta baguette dans la poche de ta veste et après avoir vérifié que tu es à l’abri du moindre regard, tu transplanes pour quitter cet endroit de malheur.

Enragée, humiliée comme jamais.
Mais avec ta dette effacée.
Tu ne la reverras plus.
Car si tu la croises de nouveau… seulement l’une d’entre vous y réchappera cette fois.