je suis fidèle, moi. véritable satellite toujours amoureuse d’un astre à la fois – pas plus non sinon les cœurs s’emmêlent et le ridicule déchire les âmes : un par un. c'est qu’on me voit en orbite auprès d’un certain monde, c’est vrai ; j’ai plaisir à plaire, plaisir à ce qu’on veuille devenir mon astre à moi... mais je le jure : je n’aime qu’un cœur à la fois.

« isaac ! » je toque à la porte, entre machinalement : ce n’est pas comme si je pouvais attendre d’entendre qu’on m’invite à le faire... il faut savoir se suffire, quelques fois. « et bonjour à toi feliz ~ » le sourire aux lèvres mais les mains sont prises, impossible de lui céder une caresse... toutefois je déposa mes affaires sur le bureau, avant de venir tendre une main vers cette douceur qu'est son chat. l'instant fut bref pourtant justement apprécié, cependant il me fallait revenir à mon intérêt principal.

« je t'ai apporté un café, mon cher isaac... et j’aurai un petit service à te demander ? » m’installant sur son bureau, je croise mes jambes, glisse le café dans l’axe où il se trouve. « j'aurai besoin du dossier de sergeï marakov. un sorcier jugé pour incitation à la haine, cette année. tu saurais me le trouver, où je dois supplier quelqu’un d’autre ? » l'espoir léger pourtant présent qu'il ne cherche pas à creuser dans mes recherches personnelles, je tapote sur le chapeau de son gobelet l'idée un peu perverse que ce son l'énerve assez pour ignorer tout le reste (mais le sentiment assez pure que la redondance de ce bruit puisse le guider à saisir sa boisson sans plus d'aide).

pas un détail de trop – pas une information disposée à être volée. isaac prenait toujours le soin (ou la défense) de remettre à sa place le moindre papier qui aurait le malheur d’attiser la curiosité des audacieux. quel homme intelligent...

je me satisfais de l’observer boire son café, comme une inconnue qui n’attire guère l’oeil, devant une peinture qui elle absorbe toute la lumière ; et l’art est beau, concret, simple pourtant efficace. son bureau est un musée qui se meut chaque jour et pourtant, dès qu’un pied traverse l’encadrement si sacré de la porte qui garde ses secrets, le lieu redevient le même qu’à l’habitude : rangé et impeccable. il y avait de quoi vouloir tout saccager, mais sa carrure était-elle qu’il m’imposait un respect immuable que je ne pourrais détruire.

mon sourire est en expansion, lorsqu’il formule le fond de sa pensée. ah quelle idiote étais-je de croire qu’un peu de sympathie pouvait berner son intellect. installée sur son bureau je garde pourtant mes mains bien à plat sur le bois, le regard inlassablement porté sur isaac.

« on ne peut rien te cacher, à toi... » et jamais je n’oserai essayer. alors que devais-je tenter ? le sujet aurait pu être survolé, assez haut pour ignorer mes intentions, mais assez bas pour rester honnête. sinon : abandonner – faire taire mes motivations qui n’avaient pas à être craintes, ni à être dénoncées... juste garder mon caprice comme une volonté intime, que le monde n’était pas encore autorisé à écouter. après tout, moi, on ne m’a jamais rien laissé entendre.

« je n’ai rien à ajouter au dossier, tu m’en vois désolée. » reprenant mes quelques feuilles dans la main, je me releva pour venir me réinstaller plus proche ; juste à côté du café et de mes écritures qui, eux, lui faisaient face. « mais j’aimerai revoir cette affaire en profondeur. j'ai bien peur d’avoir remarqué une sorte de... négligence. je voudrais juste vérifier, isaac. prouver que la justice est impartiale, et prouver que j’ai des compétences. », m’élever dans cet univers où les apparences sont trompeuses, faire taire les rumeurs, tuer les mœurs, éveiller les consciences. je me pencha pour tenir son gobelet, lui interdisant de l’apporter à ses lèvres. « si tu n’es pas apte à m’aider, dis-moi qui peut l’être. » même si je n’espérai compter que sur lui. « isaac si ça n’était pas important je ne te le demanderais pas. et si c’était légalement repréhensible, crois-moi que je me servirai moi-même. » mais cela suffirait-il à lui faire abandonner ses potentielles réticences ? j'ai comme la désagréable impression qu’il ne semble pas disposer à tout m’offrir sur un plateau – ah, comment résister à un homme aussi séduisant.

diable, cet homme. un simple commentaire de sa part et ses mots prennent la valeur d’ordre : alors je retire mes fesses de son bureau pour rejoindre le siège qui lui faisait face. à sa hauteur, ses lèvres étaient plus agréables encore à admirer, je regrettais cependant la distance que le meuble imposait entre nous... mais j’imagine qu’il faut savoir faire des concessions. je m’accoude au bureau, mon visage dans mes mains, découvrant qu’en plus de vouloir être tenue par ses mains, je tuerai pour caresser son sourire avec mes lèvres.

j'admire le papier exécuter sa tâche, véritable louangeuse de la grâce dont la magie pouvait témoigner. une fois qu’il quitta la pièce, je me retournai à nouveau pour contempler l’homme de mes rêves, alors qu’il s’était comme affalé dans son fauteuil. et dieu que j’imagine des choses, avec lui, et ce fauteuil.

« tu es si intransigeant... » et s’il n’était pas aveugle il serait sûrement décontenancé de voir comme ma critique était accompagnée d’un regard tendre. « sergeï marakov est un sorcier et étudiant russe, condamné pour incitation à la haine après qu’il ait partagé son opinion à propos des moldus sur les réseaux sociaux. j’aimerai savoir pourquoi cette affaire a quasiment été passée sous silence. un gosse à peine défendu dont on a fait taire l'histoire ; sûrement pour ne pas plus froisser la communauté non magique, et, c’est le détail qui me dérange, vois tu. je n’ai pas pour projet de modifier le dossier, je veux juste trouver pourquoi on a quasiment ignoré cette affaire… il doit y avoir quelque chose qui cloche. et s’il n’y a rien, tant mieux ! j’aurai juste voulu bien faire mon travail. »j’inspire. et voilà mes derniers mots qui m’échappent sans que je ne puisse jamais l’expliquer; « tu voudrais déjeuner avec moi cette semaine ? »

ma main glisse doucement sur le dossier qu'il m'adresse nonchalamment, afin de le rapporter jusqu'à moi. un coup d'oeil rapide sur le nom de mon du coupable et je referme la pochette ; loin de douter de la courtoisie de monsieur mais assez professionnelle cependant pour toujours relire jusqu'à 3 fois ma copie… voilà les traumatismes que cela vous cause de n'entendre mot : l'incompréhension était une herbe sauvage qui aimait se reprendre sans qu'on ne l'invite.

« et je t'en remercie infiniment… » presque chuchoté tant ma voix était basse, car j'estime son aide précieuse, et ne doute jamais de pouvoir venir trouver dans son bureau un peu de conseils (qu'ils soient agréables ou non) ; mais j'avoue être déçue de n'être autorisée à profiter de sa présence qu'entre les murs du ministère. heureusement, il reprit parole, me tendant la perche. je regarde ses mains, son cou, sa mâchoire, ses yeux. c'est donc ça, une obsession ? ça me rappelle un quart de seconde tout ce que j'ai pu être au lycée, pour le regard d'un homme. mais je suis moins maladroite, plus patiente ; je devrais pouvoir m'en sortir dignement cette fois-ci.

« si c'est le motif qu'il te faut pour déjeuner avec moi, je viendrais te demander des services plus souvent. tu sous-entends d'ailleurs qu'en dehors de ces lieux nous ne parlerons pas boulot…? puis-je abuser un peu de ta clémence et t'inviter à dîner, dans ce cas ? dis moi ce que tu aimes manger. » j'allais peut être trop vite ? oh isaac c'est si différent de le convoiter lui et de ne pas papillonner autour des coeurs légers aux nuits éphémères… mais je jure de ne pas abandonner.

il me dit de revoir mes espérances à la baisse et pourtant il précise préférer diner à mon appartement plutôt qu’en restaurant... les signaux sont si contradictoires, j’ai presque l’impression de jouer à un jeu ; tout en sachant pertinemment que les règles sont faîtes et adaptées pour lui et lui seul.  

mon regard se perd sur la pièce, laissant le silence lui tenir compagnie. je me demande comment ne pas être éliminée de cette aventure qui ne commence qu’à peine – enfin, pour moi en tout cas, elle a commencé. « tu en dis trop, et pas assez à la fois... » comme s’il se permettait de laisser entrouvertes des portes qui ne mènent à rien – alors que faut-il tenter pour trouver le bon chemin ? je me tourne vers son chat, il calme ma pression ; et puis je lui signe, en silence : « tu ne veux pas m'aider un peu ? », un bref aparté avant d’inspirer fièrement, me repositionnant correctement face à mon interlocuteur. « je te propose de goûter à ma cuisine coréenne, vestige de mère-grand. un seul commentaire désobligeant de ta part cependant et tu termineras ton plat sur le paillasson... on ne critique pas les recettes de mamie choi. » je lui souris, comme convaincue que malgré la pénombre il saurait voir tout l’éclat que j’ai rien que pour lui. « en échange, tu apportes le dessert ? » c’était peut être prétentieux de ma part mais, j’avais plaisir à croire que moi aussi j’étais en position pour négocier... ne serait-ce que le gâteau qui clôturerai cette parfaite soirée.

les murs sont érigés par lui-même, et ils paraissent bien haut - de quoi faire détaler la moindre âme trop fragile qui ne supporte pas le moindre rejet. et j'aurai du en faire partie, si ma raison seule me guider. pourquoi m'empêtrer dans ce combat difficile quand bien d'autres coeurs seraient plus faciles à prendre ? quand sa main se lève j'ai comme l'impression qu'il me signe que le pouvoir, la parole, et le choix sont à lui. que me reste-t-il . plus les minutes passent et plus mon envie d'être tenue dans ses bras se change en une violence délicate et dominatrice : je le mettrai à genoux.

j'ouvre le dossier, utilisant la pochette de se dernier comme page vierge, et, sortant un stylo de la poche de ma chemise, je commence à noter ce que mes yeux trouvent d'intéressants sur l'affaire. « tu demandes donc à ce que j'accepte de recevoir un homme autoritaire dans mon appartement, afin de lui cuisiner les petits plats succulents de feu ma grand mère ? tu mettrais tes pieds sous la table en attendant patiemment que j'apporte l'entrée, le plat, le dessert, et le vin ? à moins que tu insinues être le dessert, et dans ce cas je me demande si c'est un cadeau que tu me fais ou si c'est une offrande que tu me soutires. pour être franche avec toi isaac, en t'invitant déjeuner avec moi je pensais pouvoir te draguer le coeur léger, mais j'ai plus l'impression de devoir éviter des bombes, finalement.» je range mon stylo, faisant glisser les feuilles vers lui tout en gardant la pochette. « j'avais envie de paris-brest, isaac. si cette ébauche de relation sans nom n'a pour essence que mon assujettissement, j'ai bien peur de dîner seule. » ah, voilà mon audace toute affolée, mon féminisme en liberté. j'aurai beaucoup donné pour ne serait-ce qu'un baiser, mais pas ma fierté.

"lune, ma grande" ? quand est-ce que sa condescendance avait touché son paroxysme, jusqu'à l'infantilisation ? plus il exprimait sa pensée hautaine, plus la logique me hurlait d'abandonner cette idylle - surement car au delà de toute cette arrogance probablement calculée, il avait réussi à heurter mon égo. la vérité finalement n'est jamais bien loin, et elle est toujours désagréable quand elle survient pour mettre en lumière une réputation, ma foi, justifiée. oui isaac, je connais bien assez de monde pour être sûre que jamais un dessert ne manque à mes dîners. mais je sais aussi que c'est la première fois que j'invite quelqu'un à dîner chez moi. le rire jaune, toujours touchée par son caractère aussi plaisant qu'horripilant, je mord ma lèvre inférieure, contenant la portée de mes mots. un soupire, et je répondis. « mais c'est toi, que j'invite. »

la voix était petite, souffrante qu'on lui arrache ce détail qui n'avait rien d'extraordinaire mais qui se serait contenté d'être un non-dit. je me lève, vagabondent le pas léger dans le bureau. c'est comme cela qu'on fait la sourde oreille, en s'éloignant des lèvres - alors on ne peut plus lire sur elles, alors on ne veut plus les embrasser pour les faire taire. « tu ne connais pas mes aspirations, isaac. j'ai des idées plein la tête, des projets plus ambitieux que tu ne pourrais le penser, et d'autres bien plus ridicules. mais une chose est sûre, c'est que je suis surprenante, dans bien des domaines. » mon tour dans la pièce s'achevant, je me positionnai à côté de lui, curieuse de voir s'il se tournerai vers moi pour me répondre, ou s'il allait ignorer ma déplaisante surdité. « viens demain soir s'il-te plaît. » telle était ma requête. avec ou sans dessert, qu'importe. l'idée de devoir renoncer ne valait pas un paris-brest.

il accepte, enfin, sans ajouter à sa parole cette habituelle pointe d’amertume qui a le don de refroidir les envies. de quoi nourrir mon courage et mon audace, de quoi me faire oublier cette insolence qui mériterait bien des corrections.  

c'est surement pour cela que j’ai porté une main à sa joue, d’une tendresse infinie. juste assez de lenteur pour ne pas le surprendre, juste assez de douceur pour ne pas le commander – une caresse comme un courant d’air, simplement pour guider son visage vers ma personne. « ici. » la parole chuchotée. pas totalement sûre de ce qu’il me disait mais l’espoir était toujours gagnant – il faut bien cela pour ne pas baisser les bras, quand le combat vous fait douter. est-ce que ça vaut le coup ? mon ego survivra-t-il au sien ? puis-je oublier mes propres caprices pour les siens ? en le regardant j’ai autant de doutes que de certitudes, pourtant je n’ai pas envie d’abandonner. alors c’est ça, le coup de foudre ? il avait l’air moins dangereux, quand j’étais adolescente. ah, nous allons nous heurter de bien des façons, isaac ; je le sens.

« a demain. je pensais partir avec quelques notes parce que j’étais vexée que tu utilises ce service comme une dette, mais j’ai vraiment besoin de ce dossier. je te le rendrai demain soir. encore merci. »

s'il ne pouvait voir l’air un peu triste que mon visage avait, au moins entendait-il la peine que me coûtait de me soumettre à autrui. j'ai, comme dis, récupéré le dossier avant de m’en aller, une dernière caresse pour son tendre chat.