Il n'avait pas fallu longtemps avant que les voix ne s'élèvent, s'exclament avec surprise, frénésie et tristesse. Les bruits courent que tu es rentré, que tu es en vie mais à ses yeux Clovis tu n'es toujours que le fantôme de ce frère qu'elle a perdu il y a trois ans déjà. Où es-tu ? Elle écoute les voix, Iphigénie, parcourt les couloirs rapidement et les journées passent sans que ne se dessinent à son regard les traits de ton visage.

À la place les mots de rage, les coups bas et les bousculades. Tu l'évites, pas vrai ? Ils s'étaient moqués, tu sais. Elle n'est pas digne de toi, qu'ils sifflent ces serpents. Tu la détestes mais elle t'aime encore, Clovis. C'est parce qu'elle t'aime qu'elle a besoin de te retrouver -où es-tu, dis ?

Arrête de t'échapper.
Reviens, Clovis.

Ou bien laisse la t'attraper.
Truquer les dés pour plus facilement te retrouver.

Ce n'est pas si difficile, plutôt rapide même. Profite de connaître tes déplacements pour provoquer le hasard de vos retrouvailles, parce qu'il faut te voir pour le croire. Alors que détour de ce couloir l'Atrium qui s'annonce. Noir de monde, comme toujours. Des visiteurs, des employés, elle cherche des yeux les boucles d'or de tes cheveux -à quel point as-tu changé, dis ? Finit par se figer un instant lorsque de loin, enfin, tu te dévoiles. Même de dos elle est incapable de t'oublier, ça faisait longtemps, Clovis.

Trop de temps en tout cas passée immobile à te contempler, en tout cas, car déjà les insolents la bousculent. Renversent au sol son tas de papiers avant de s'en aller en murmurant. Des mots qui ne blessent plus, ou pas encore du moins, des mots qu'elle connaît déjà par coeur mais auxquels elle ne prête pas attention aujourd'hui car après avoir récupéré rapidement ses documents, c'est vers toi quelle fonce. Par chance tu t'engouffres seul dans le petit ascenseur et sans même réfléchir la voilà qui s'immisce à tes côtés.

Te bouscule à son tour.
((comme pour te souhaiter bon retour))

— Désolé.

C'est à peine soufflé, pas très concentré tandis que ses doigts glissent sur sa baguette pour verrouiller les portes de l'ascenseur. Laissez-moi. Laissez-nous ! Les pensées qui hurlent alors qu'enfin elle prend le temps de te regarder. Un pas en arrière s'adosse contre la parois, elle a les lèvres plissées et le regard perdu de te savoir vraiment là.

Qui a t-il à dire désormais ?
Il faut tout recommencer.

— Clovis...

À peine soufflé, murmure enroué. Ce serait de trop de se jeter dans tes bras, n'est-ce pas ?

— Je suis désolée.
Tu es vraiment vivant.

Bon retour.
Est-ce que tu me détestes toi aussi ?

Elle s'attendait à beaucoup tu sais, à toute sorte de chose à vrai dire mais certainement pas à ça. Que tu la salues, aussi mornement soit t-il, c'est incompréhensible. C'est en t'observant un peu plus, troublée par tes mots latents, qu'elle remarque ton air absent. Ce doit être normal après tout, pas vrai ? Ignore la remarque sur ces autres qui attendent dehors. Qu'importe ! Ils font tous de sa vie un enfer depuis plus d'une semaine alors ils peuvent bien patienter encore un peu. Peut-être, avec un peu de chance, que cela saura leur apporter la sagesse qui manque à leurs comportements puérils..

Les excuses sortent spontanément, elles sont sincères tu sais. Iphigénie n'a pas pour habitude de mentir, encore moins te mentir à toi. Tu n'es pas responsable dis-tu. Si tu le penses vraiment alors pourquoi ce regard froid, Clovis ? Pourquoi tu la regardes comme tous la regardent toi aussi.

Laisse tomber ?
Jamais.

— Tu te tromp-

Coupée par ta demande, elle ne s'écarte pas. Réalise qu'elle aurait sûrement dû ensorceler l'ascenseur plutôt que les portes pour le rendre bien plus lent au trajet. C'est quel genre de brimade qu'on reçoit pour avoir mit en retard le Ministère entier ? Va savoir, elle s'en fiche.

Sursaute à la brutalité de ta main qui l'écarte, elle écarquille les yeux, loin d'être effrayée mais légèrement apeurée. Elle est surprise, plus encore de percevoir l'espace de cette seconde où dans le mouvement son regard a croisé le tien (pour s'y accrocher fermement) de la peur ? Non. Pire encore. Tu lui as semblé terrifié et elle n'a pas eu les mots pour réagir, Iphigénie, fatiguée de tous ces poids qu'elle traîne elle aussi depuis des années -accablée par le plus récent et son coeur torturé. Alors elle n'a pu que suivre en silence l'œillade lancée à ta main, découvre pour la première fois la chaîne qui l'entoure avant que tu ne te dégages rapidement.

Ne reste pas là.
Non elle ne reste pas.

Sort bien trop vite pour te rattraper, sa main pour attraper ton bras sans se soucier de tous ces regards qui déjà se dardent sur vous.

— Attends ! Clovis s'il te plaît.

Il y a quelque chose qui cloche dans le contraire de tes réactions.
Quelque chose sur laquelle elle n'arrive pas à mettre de mots.
Et puis il y a elle aussi.

Iphigénie perdue qui ne sait plus comment t'aborder ni comment te garder.

— Accorde-moi un moment, un seul. Plus tard et loin d'eux.

Parce qu'elle ne peut se permettre de faire une esclandre maintenant, tu le sais.

— Arrête de fuir !
Regarde-moi.

Tais-toi.
De toi ce sont des paroles qui fendent le coeur.
Ça fait mal Clovis, est-ce que tu le vois ?
Peu importe.

Iphigénie ne dit rien, elle se fait silencieuse et attend, ses doigts entremêlés entre eux pour ne plus t'attraper (elle a bien vu comme tu l'as rejetée), que tu décides d'accepter sa demande. Autour de vous les murmures qui s'échappent salement et quand de tous ces autres tu fais baisser les yeux, elle ne plie pas, Iphigénie. Elle attend, debout face à toi -silencieuse à ton ordre mais loin d'être aussi soumises que ces rats qui n'attendent que ton départs pour la dévorer.

Alors tu dis plus tard en miroir de ses mots, mais plus tard elle le sent ne veut rien dire d'autre que jamais et elle s'y refuse. Plus tard devient alors une heure puis un lieu avant qu'une nouvelle fois tu ne lui échappes.

• • •
Une heure.
Un temps si long qui passe si vite.

En une heure elle a eu le temps de les entendre ces ouragans de haine et de dédain, elle a eu le temps d'en subir les dégâts, une nouvelle fois, mais elle se tient là, droite comme toujours sans jamais courber. Il y a ces regards réprobateurs tout autour, pernicieux entre les indignés et ceux, plus invisibles des rares qui ne se préoccupent pas d'une telle affaire. Et parmi toutes ces âmes il y a celle qui s'approche dangereusement tandis que ses doigts cognent le bois de la porte de ton bureau. Deux coups secs qui dessinent une grimace sur le visage de l'homme à quelques pas -celui qui somme l'éloignement et qu'elle défie d'oser faire seulement un pas de plus avant de simplement l'abandonner là, comme un con sur le pas de ta porte tandis qu'elle entre avant de la lui refermer au nez.

Tu avais dis une heure et la voici.
Ponctuelle Iphigénie, pas tout à fait indemne mais au moins pile à l'heure.

Elle a sur son visage des marques qui n'étaient pas là plutôt, les griffes d'une femme jalouse pour rougir sa joue droite et le coin de lèvre opposé coupé d'avoir sûrement trop répondu. Sa chemise aux manches relevées n'est plus si blanche, tâchée par-ci et par-là d'encre, de café et d'eau presque séchés; des tâches discrètes mais néanmoins visibles. Qu'importe.

Elle ne s'en vantera pas mais se console par le fait qu'au moins elle n'est pas seule dans cet état.

— Pardonne-moi l'apparence déplorable, les employés de ce service sont vraiment maladroits en ce moment et j'ai préféré venir te voir plutôt que de nettoyer.

Elle a préféré saisir la chance de ne pas définitivement te perdre, Clovis.

Le pas tranquille, elle s'avance sans attendre d'invitation jusqu'au fauteuil trônant devant ton bureau pour y prendre place. Remarque alors que ses jambes la lâchent juste au-dessus que ces derrières tremblaient encore légèrement. Rien de visible cependant, malgré un léger froncement de sourcils après la constatation. Finalement les croise pour y apposer ses bras et enfin lever les yeux pour aller chercher ton regard. Morne ou mort elle ne sait pas encore, mais au moins tu es là.

N'est-ce pas ?
N'est-ce pas ?

— Tu as changé, Clovis.

Non pas tu es vivant mais bel et bien tu as changé.

Tu sais.
Tu sais et elle frissonne, Iphigénie, lorsque ton regard se pose sur elle. La tête plongée dans des papiers dont elle se fiche éperdument mais le bleu de tes yeux encré droit dans les siens. C'est terrifiant. Pourtant elle ne relève pas, préfère garder le silence de ses pensées encore trop embrouillées pour elle, malgré le sourire un peu triste qui vient la trahir.

— Tu trouves ?

Elle n'en a pas tant l'impression pourtant, d'avoir grandi. C'est que ces dernières années ont été si remplies qu'elle n'a plus prit le temps de se regarder depuis bien longtemps. Il y a eu trop de plaies à panser, ton absence aussi, qu'il a fallu gérer.

Ne me regarde pas comme ça.
Un soupir à tes lèvres dont elle ne s'offusque pas, elle se fait patiente Iphigénie, toujours troublée mais loin d'être impressionnée par ce nouveau toi qu'elle découvre chaque seconde un peu plus.

Et la pensée qui revient alors que tu lui demandes ce qu'elle veut.
Il y a quelque chose qui cloche.

Sans savoir si cela vient d'elle ou de toi, parce qu'elle n'a pas encore le recul nécessaire afin d'évaluer tout ça.

— Je ne sais pas.

Il n'y a pas d'intérêt au mensonge alors elle se fait honnête, la voix claire et douce bien qu'elle soit loin de son énergie habituelle.

— Comment saurais-je alors qu'il y a quelques jours encore tu étais mort aux yeux du monde ? Pas aux siens, jamais aux siens. Comment alors que mon sang a tué le tien ? Dis-moi.

Un silence, le temps d'une inspiration.
Ce n'est pas suffisant pour mettre de l'ordre dans ses idées mais tu ne lui permettras pas plus, n'est-ce pas ?

— J'ai agi sur un coup de tête, j'avais besoin de me rassurer il fallait que je te vois, que je t'entende !

Elle aurait insisté à en crever si tu avais refusé.

— Et pourtant à présent que tu es là, je ne sais pas. Parce que tu n'es pas le Clovis que je connais et je ne crois pas que les récents événements soient la cause profonde de cette distance entre nous. Qu'est-ce que tu penses ?

De toi, de tout ça, de vous.
Peu importe les papiers, elle s'en fiche des papiers.

Étire à ses lèvres une esquisse plus tendre tandis qu'elle t'adresse ses derniers mots.

— Je suis heureuse de te savoir en vie, vraiment.
Mais tu m'inquiètes, j'ai peur Clovis.

Tu n'imagines pas comme tu lui as manqué tout ce temps.
Parle-moi je t'en prie.

Il y a une différence entre n'avoir rien à dire et ne pas vouloir parler, Clovis. Une différence qu'elle ne mentionne pas mais qui demeure tout de même bien réelle, alors elle ne peut s'empêcher de se questionner. De vouloir alléger ton fardeau tout en se demandant pourquoi personne ne se confiait jamais -pourquoi tous ces secrets et ce rejet si c'est pour derrière te presque doux ?

Un souffle s'échappe de ses lèvres à la mention de sa situation, les lèvres légèrement pincées et le regard résigné. Tu sais, elle ne pense même pas au fait que tu étais visiblement au courant et que tu n'as rien fait (il aurait fallu être aveugle pour ne rien voir après tout). Elle s'en fiche de ça.

— Tu ne peux pas me demander ça.

De partir, d'abandonner.
Elle ne peut pas.

— J'ai encore des choses à faire ici, je ne peux pas laisser tomber. Je vais survivre tu sais, ce ne sont que des égratignures.

Des bleus, des insultes, de la haine pure qu'elle préfère minimiser parce que pour elle, sur elle et à ses yeux ce n'est rien de plus que ça. Et puis si elle part qui veillera sur toi ? Elle aimerait comprendre, elle aimerait tellement comprendre celui que tu es devenu, trouver dans tes yeux des réponses qui ne viendront sûrement jamais.

Alors le murmure s'échappe tout seul et elle baisse les yeux un instant, comme une évidence qu'elle est incapable de garder pour elle.

— Contre quoi te bats-tu donc pour être aussi dissonant... ?
Je pensais que c'était moi.

Mais ce n'est pas elle.
Les aveux qui viennent en fond colmater les fissures car malgré tout elle l'est vraiment, heureuse que tu sois en vie. Les étoiles (son espoir) ne lui avaient pas menti, alors elle est heureuse. Un sourire à ton égard avant que tu ne viennes contourner le bureau dans un silence bien plus triste que pesant. Elle se redresse à son tour pour t'observer de plus près, toi et tes boucles d'or si douces, toi et ton air absent, toi comme tu es à présent, Clovis. Indescriptiblement douloureux.

Ses doigts à tes joues quand tu lui demandes de partir, elle se hisse comme elle peut sur ses pointes pour venir joindre vos fronts, décidée.

— Je n'abandonne pas. Ni toi ni rien du tout Clovis.
Alors ne m'abandonne pas de ton côté.

— Tu as sûrement de très bonnes raisons pour avoir fait tout ça, et la situation actuelle est innommable alors je ne peux prétendre savoir ou comprendre ce que tu ressens, d'autant que tu ne me dis rien. Mais j'espère que tu comprends qu'il est hors de question, Clovis, que je te laisse te détruire.

Toi ou tout d'ailleurs, c'est un peu la même chose.

— Peu importe que je ne sois pas la bienvenue ni la mieux placée ou même que tu me détestes, je serai là.

Toujours.
Même sur le point de crever elle restera.

Tes doigts à son épaule qui enserrent plus fort qu'elle ne l'aurait cru lui arrachent une faible grimace du coin des lèvres, tandis que son regard se fait plus sérieux. D'aussi près qu'elle te regarde elle note les différences entre l'avant et maintenant, les courbes de tes joues sensiblement plus creuses par exemple, ou cette lueur dans tes yeux. Si brève, à l'image de cette expression d'effroi que tu avais eu plus tôt et qu'elle se refuser d'oublier.

Tu auras beau vouloir faire semblant, l'amadouer ou peut-être la rejeter, tu sais qu'Iphigenie ne suit la plupart du temps que son instinct, pas vrai ? Son instinct et son coeur qui lui disent de ne rien lâcher actuellement. Qui lui disent qu'il y a autre chose et que tu mens, aussi.

— J'aimerai y croire, Clovis.

Hélas c'est impossible, pas quand juste avant tu lui as prouvé qu'elle avait raison. Raison de se croire mais tort de vouloir chercher, pas vrai ? C'est bien pour ça qu'elle continuera d'essayer, sans céder.

À l'ordre que tu lui donnes une flamme dans son regard qui s'allume tandis qu'elle ne bouge pas tout de suite. Elle fait durer le silence un instant encore, avant de simplement rétorquer.

— Ça ne prend pas avec moi.

Elle concède pourtant à reculer d'un pas, après un bref instant de silence à vous jauger du regard. Un soupir pour apaiser la tension grandissante, puis, finalement, elle décide de tourner les talons. S'avance jusqu'au pas de la porte qu'elle ouvre avant de t'adresser un dernier regard perplexe.

Bien vite remplacé par un petit sourire provocant.

— On se voit bientôt.

C'est une promesse qu'elle te fait, silencieuse alors qu'enfin elle s'éclipse pour te laisser tranquille. Sans penser aux tourments qui l'attendent à l'extérieur de ton bureau, elle s'en va tranquillement. Presque paisiblement.

Parce que tu n'es pas le seul maître dans l'art de faire semblant, tu sais ?
Elle aussi a bien apprit.