Il n’attend personne.
La nuit le désarçonne ce soir, bercé par la solitude. Il n’a pas l’envie de sortir ni l’envie d’être à l’intérieur. N’a pas envie d’être seul mais ne veut voir personne. N’a pas envie de dormir mais déteste être éveillé. N’a pas envie de vivre sans vouloir non plus s’éteindre à jamais. Alors à la place il erre. Regard sur le plafond, ses jambes trop longues dépassant du canapé pour pendre dans le vide. Rien ne se passe pourtant il a ce sentiment étrange. Une vague sensation d’effroi infondé tapie dans sa poitrine.

Pas un bruit.
Pas un son.
Pur silence dans sa maison.

La seule dissonance est le maigre tintement de l’aiguille qui compte les secondes - il l’a suivie pendant un moment mais a perdu le compte éventuellement. Il a pris sa dernière dose à l’heure, comme toujours. Il se sent presque un peu malade, ce soir - peut-être qu’il en a trop pris ces derniers temps.

Il ne sait pas.
Il ne sait plus.
Est-ce que c’est vraiment important ?

La sonnette le fait sursauter. Il se redresse d’un coup, tête tournée vers la porte d’entrée. Qui peut bien lui rendre visite au milieu de la nuit ? Ce n’est pas Balthazar, il serait simplement entré. Romeo l’aurait appelé.

Et surtout.
Surtout.
Son nez si fin le sent malgré la distance et le bois.
L’odeur du sang empli ses poumons.
Quelque chose ne va pas.

Il finit par se relever et aller ouvrir, fait un pas en arrière par réflexe quand ton corps tombe au sol sous la surprise. Et il reconnaît ta chevelure et puis tes traits et enfin ta silhouette inanimée. Il a si peu de semblables, comment pourrait-il t’oublier ? Son coeur sombre dans sa poitrine et s’agite pour remonter. C’est sans soucis qu’il te ramasse et te porte à l’intérieur, fermant la porte à double-tour pour assurer votre intimité et votre sécurité. Tu finis étendue sur le canapé et lui va fouiller sa salle de bain - heureusement, avec Balthazar, il a eu le temps de se préparer. Des potions de soin et puis sa baguette, au cas où. Des bandages. Il te rejoint ensuite et sans trop de pudeur se permet de vérifier où tu peux bien être blessée pour s’occuper de tes plaies et de te rafistoler bien qu’il soit loin d’être un expert. Mais les gens comme vous n’ont pas le luxe d’être sélectifs.

L’inquiétude le pèse.
Il est content, pourtant, d’être plus que rassasié. L’odeur du sang n’est pas suffisante pour le rendre fou, il est plus que capable de se contrôler. Malgré les tâches carmines sur ses propres mains et l’état dans lequel tu es, il est surtout terriblement préoccupé par ta santé. Doucement, il vient caresser ta joue, secouer doucement ton épaule.

Eléonore, tu m’entends ?
Secoue encore un peu plus, s’il peut éviter de te réveiller par magie il préférerait.

Eléonore.
Son ton si impassible suinte d’émotions discrètes, alors qu’il finit par dire assez bas pour garder la conversation un secret bien que personne ne soit là pour vous écouter.

Qu’est-ce qui s’est passé pour que tu finisses dans cet état…
Vraiment.
Pourquoi il continue de ramasser les gens en morceaux ?
Pourquoi ceux autour de lui ne peuvent avoir la paix ?
Le monde lui semble de moins en moins beau.

Il s'en fait, Niko.
Il n'a pas tant l'habitude que ça de récupérer les corps dégoulinant de sang de ses proches. Il s'attend à ce qu'un jour l'un d'eux tombe à sa porte mais ne lui parle pas. Ne parle plus. Jamais. Il a ajouté ça à la liste des cauchemars récurrents et des motifs de sa culpabilité. Mais ta langue dépasse de tes lèvres et il s'autorise à rouler les yeux au ciel.
Comme si ça empêchait son coeur de couler dans sa poitrine.

Pourtant il s'occupe de toi.
Mieux que le gibier qui s'est occupé de tes plaies. Elles sont moches et il a un bref tremblement au bout des doigts. Il n'est pas médecin. Et si un jour il fait une connerie ? S'il aggrave la situation ?
Mais pour le moment il sait plus ou moins ce qu'il fait. Il a le minimum de connaissances nécessaires pour ça. Alors il soigne, Niko. A défaut d'être formé pour ça.

Mais il s'en fait, Niko.
Et parfois ça fait oublier le plus évident. Ta commande le fait sursauter alors qu'il observe tes plaies et ta moue contrariée.

Oh.
Ça coule de ses lèvres comme une réalisation sans la moindre intonation. Il se redresse, tapisse de sang le reste de sa maison (c'est pas grave, il aime bien nettoyer tant qu'il ne faut pas passer l'aspirateur) et porte sa main rouge à la porte du frigo pour en sortir deux poches qu'il te ramène. Ça devrait être largement suffisant. Sûrement. Il en a plus au besoin de toute façon. L'avantage d'être Niko, c'est qu'on a toujours plus que nécessaire pour pallier à tous les imprévus et les accidents.

Tiens.
C'est pas le sien.
Il pourrait, pourtant. D'ailleurs si tu y tenais vraiment il te laisserait accès à son poignet ou à sa nuque, comme tu préfères, bien qu'il doute que le sang d'un hybride soit meilleur que celui d'un animal. Mais il te laisserait faire. Que les autres se nourrissent sur lui (de lui) ça ne le gêne pas le moins du monde.
C'est seulement lui, le problème.

Il se rassoit, contemple tout le rouge autour de vous. Sans la moindre faim. Une simple démangeaison le long de son cou, un vague désagrément dans sa gorge qui descend dans sa poitrine. Comme une toux qui démange désagréablement mais que tousser ne ferait qu'aggraver. Il sait mieux. Il reporte ses yeux sur toi.

T'es vraiment obligée de faire ça ?
Chasser les vampires.
C'est un peu comme chasser les vôtres. Qui sait. Si son père n'avait pas quitté le pays, est-ce que tu serais allée le tuer aussi ?
Il baisse les yeux.
Peu importe.
C'est pas comme s'il le reverra, de toute façon.

Le sang dans la poche toujours insipide. Toujours froid. Sorti même du frigo pour le conserver comme un aliment normal. C'était son quotidien. Un régime désagréable qu'il détestait mais dont il ne pouvait se passer. Ce qu'il détestait être ce qu'il était.

Animal.
Les rares poches humaines de Sainte-Mangouste étaient, comme mentionné, rares. Et donc il n'en avait pas toujours sous la main, à défaut de toujours avoir du stock d'animal. Il n'est pas bien convaincu pourtant par ton explication.

Facile pas forcément. Mais mon père n'a jamais rien fait qui lui mériterait d'être traqué. C'est à cause de traqueurs que sa vie s'est écroulée. Qui peut dire qui sont vraiment les gentils ou les méchants ? Personne n'est parfaitement objectif.
C'est qu'il parle beaucoup, Niko.
Parfois, seulement.

Tu veux les protéger mais qui te dit que tu ne fais pas plus de mal que de bien pour certains ? Les vampires sont des êtres comme nous. Quand tu en tues un, tu en rends d'autres malheureux. Je serais triste si mon père mourrait.
Mais c'était l'inévitable.
Partout où il y avait la peste il y avait des médecins.
Partout où il avait un mal on cherchait un remède.
Partout où il avait une gêne on cherchait à l'enlever.
La déraciner à la source.
Alors il se contente de soupirer, sachant très bien que débattre ne mènerait à rien. Ce n'est pas comme si tu allais changer d'avis si simplement.

Et te voilà.
Avec cet air qu'il connaît trop bien.
Il ne cille pas, s'y attendait presque, alors qu'il défait machinalement les premiers boutons de sa chemise pour laisser sa peau blanche en vue, dégagée pour te faciliter l'accès à la source.

Fais donc.
Car s'il ne le ferait jamais de lui-même, il n'avait rien contre ceux qui le faisaient à sa place, et surtout pas sur lui. Alors la voie t'es libre et le buffet tout juste à portée, alors qu'il te laisse y goûter.

Il savait que tu ne changerais pas d'avis et que la conversation était stérile. Il savait mais il avait quand même tenté (idéaliste) au fond de lui que de pouvoir ramener des gens à sa cause. Mais c'était un raté. Sa proposition et lui. Alors à la place il se contente de soupirer, se contente de t'accueillir contre lui comme si c'était la plus naturelle des choses. Car ça l'est, après tout, pas vrai ? Que de se nourrir. Et pourtant rien que de s'imaginer à ta place il a les mains qui tremblent. Mais il te soutient, avec force, pour ne pas que tu tombes.

Grimace à peine à la morsure un peu hargneuse.
Sûrement méritée.
(Il ne mérite pas de tendresse.)

Doucement, tu vas avaler de travers.
A se gaver ainsi.
Il se dit qu'au moins il a de la chance d'être grand, si ça change quelque chose. Il est plus tenace, sûrement, plus de nourriture au dedans. Alors il se laisse faire et il se contente de caresser un dos qui n'attend pas de douceur mais ça le berce lui alors qu'il ferme les yeux.

Passif.
Il n'y a rien d'autre à faire.
Si ce n'est attendre que ça soit finit.
(Et s'il en meurt, qu'il en soit ainsi.)
Peut-être que Balthazar sera en colère.
Alors à la pensée il tapote ton épaule.

Bois pas trop, faut que je sois opérationnel pour nettoyer avant que ça ne sèche sur mes sols.
Que Balthazar ne voit pas.
Les mauvaises priorités, sûrement.
Mais c'est déjà ça.

Tu te nourris et lui se laisse partir. Loin de tout ça. Loin du sang et loin de vous. Il ne reste que son corps, récipient de sang et nourriture dont il faut se nourrir. Il ne reste que ça, et c'est déjà de trop. Il faudrait tout effacer pour enlever tous ses péchés.

Et finalement, il revient.
Tout doucement mais un peu plus serein.

Tant mieux.
C'était le but après tout.
La caresse d'une langue contre sa peau qui pique comme du désinfectant sur une plaie alors qu'il finit par se reculer légèrement, toujours mal à l'aise avec la proximité de n'importe qui. Se faisant, il passe un pouce sur sa joue, étalant le sang plus qu'il ne l'enlève, comme une trace d'amour laissée après les méfaits.

Je veux bien, si tu te sens en forme.
Et il se relève, soudainement bien grand malgré un dos vouté par le poids des années. Il s'empresse d'aller à l'évier, de mouiller une serviette et d'essuyer sa joue avant de te la lancer pour que tu puisses te nettoyer. Avant de constater l'étendue des dégâts avec un frisson de dégoût et les restes d'une faim légèrement tiraillant. Jamais.

Sans façon.
Alors il va chercher sa serpillère, qu'il mouille tout autant et avec laquelle il s'affaire sur le sol. Il doute que la magie soit suffisante pour le carnage qui est fait. Et plus il nettoie, plus l'eau devient rouge. Plus les traces s'effacent, si facilement. Comme si rien n'était arrivé.

Tu penses que tu peux prendre un torchon pour essuyer ?
Après tout il faut bien fignoler.