— J'ai mis toutes mes ressources sur le coup, quoi qu'il lui soit arrivé, on le retrouvera. Je te le ramènerai, je te le promets.

Elle te regarde, semble vouloir y croire mais une certaine fatalité se lit dans son regard. Tu comprends. Tu ne comprends que trop bien. Quand ça fait mal, si mal qu'on en a peur, une partie de nous considère le pire dans l'espoir de le rendre moins dévastateur s'il arrive. Tu presses tendrement son bras. Tu n'as pas envie de lui dire que ça ira. Pourtant, c'est bel et bien une promesse en l'air que tu viens de lui faire. Peut-être s'en est-elle rendu compte, peut-être que c'est ce qu'elle avait besoin d'entendre. Dans tous les cas elle ne le relève pas. Une lueur de remerciement dans ses yeux quand le téléphone sonne, elle s'excuse d'un hochement de tête et tu recules. Tu attends qu'elle ait quitté la pièce pour passer une main sur ton front et soupirer. Neal, lui, à l'air dévaster.

— Neal...

Il inspire, ses yeux se mouillent de larmes. Tu te souviens que toi aussi tu n'as pas pensé nécessairement à bien. Le soulagement que tu as ressentit en voyant l'absence de Clovis, la jalousie que tu as encore le culot de ressentir en voyant qu'il ne t'appelle pas, ne te parle pas, alors qu'il t'as promis tous le reste mais s'affiche avec sa bague de fiançailles au doigt. Tu secoues la tête, écœurer par ton propre égoïsme.

— Hé.

Tu presses doucement son épaule, cherches son regard.

— On va s'asseoir, vient.

Tu l'accompagnes doucement vers le fauteuil le plus proche, attrapes la carafe d'eau et les verres qui ne quittent pas les tables des Cornwell, car on reçoit ici aussi bien que chez les familles de sang-pur. Tu lui tends le verre d'eau une fois qu'il est assis, t'accroupis devant lui.

— Ne culpabilise pas, tu n'y es pour rien.

Autre mensonge. Comment en être sûr. On ne sait même pas s'il disparut, enlevé, mort. Alors comment savoir pourquoi ? Non. Non. Neal n'y est pour rien.

— Tu n'es pas affreux. Mon meilleur ami ne sortirait pas avec quelqu'un d'affreux.

Tu presses doucement son bras, essayes de faire rassurant quand tes propres fondations s'écroulent. Des sensations terribles de déjà vu quand tu cherches Vanitas du regard et que tu ne vois plus rien. Perdre Clovis avait faillit te tuer. Tu ne devais ta survie qu'à Vanitas et Iphigenie. Perdre Vanitas t'achèvera sûrement. Clovis n'est pas doué pour consoler les gens (et il va se marier à une autre) et Iphigenie ne pourra jamais t'apporter le genre d'oublie dont tu as besoin. Non. Non. Tu ne peux pas penser à ça.

— Combien de temps ça fait que tu es sur le qui-vive à prendre soin des autres, Neal ? Tu es à bout. Craque un bon coup, Neal, ça te fera du bien. Je ne te jugerai pas.

La vérité, c'est que tu n'as pas de réponse à lui offrir. Ça pourrait être tout aussi bien un accident professionnel que quelque chose de plus profond. Les photos des disparus (trop nombreuses) te font pencher pour l'une des conclusions, mais il est encore trop tôt pour le dire. Tu es surtout trop terrifié pour oser t'avancer.

Et tu te retrouve-là, un peu idiot, à pas de ne savoir quoi lui dire. Le silence te semble inconvenant, mais tu n'as pas la capacité de lui donner les mots qu'il attend.

— Je... Je n'en sais rien.

Tu lâches, comme-ci ça pouvait tout rattraper.

— Mais de nombreuses personnes sont en train de s’activer pour découvrir la vérité.

Tu devrais limiter les promesses malvenues. Tu n'en fais rien. Trop impatient que tu es d'imposer le pansement sur une plaie qui n'a même pas reçu la moindre désinfection.

— Tu ne le perdras pas, Neal. On va le retrouver. On va le ramener.

Je vais te le retrouver. Je vais te le ramener.

Tu finis par t'asseoir sur le sol. Étends une jambe devant toi, rabat l'autre contre ton torse pour appuyer ta tête dessus. Au loin le tic-tac terrible de l'horloge (t'as envie de l'exploser). C'est pourtant un bruit qui aurait tendance à te rassurer et à te bercer. Tu soupirs.

— Il n'est pas question de hiérarchiser nos souffrances. Tu es bouleversé et je le suis, c'est tout ce qu'il y a à savoir. Alors ne t'excuse pas.

Tu accio un verre que tu remplis d'eau avec la carafe que tu poses au sol.

— Tu sais, c'est la première personne à m'avoir dit de pleurer un bon coup. J'étais comme toi, je suis comme toi, craquer n'est pas un automatisme, c'est même plus un manquement à mes obligations qu'autre-chose. Mais je me souviens qu'il m'a crié dessus un jour pour dire "chiale, crétin". J'ai pleuré...Peut-être bien des heures sans m'arrêter. Et, ça n'a pas réglé le problème, mais avec le recul, je me dis que pleurer m'a peut-être sauver la vie.

Tu prends une gorgée.

— Je ne te dis pas de pleurer si tu ne le sens pas, on peut essayer de se rassurer autrement. Mais sache que craquer apporte parfois plus que de prendre sur soi.

Un conseil que tu n'appliques que trop peau toi-même.

Tu lèves les yeux vers lui, surpris. Tu n'as jamais eu la sensation de lui apporter quoi que ce soit. C'était quelque chose de plutôt récurant dans tes relations. Tu as trop de mal à estimer ce que tu apportes en comparaison de ce que tu coûtes. Vanitas en était le plus bel exemple. Tu as pris, pris pendant dix ans. Par gourmandise, par désespoir, par compulsion. T'aimerais dire par amour, mais ce serait malhonnête. Si t'as toujours été jaloux de ce qui pouvait l'emporter loin de toi, ça n'a jamais été que par addiction, besoin, comme quand on arrache à un alcoolique son verre de vin. On ne pleure pas l'amour de la bouteille que ce qu'il apporte. Tu secoues la tête.

— Je t'avoue que je peine à savoir en quoi j'ai pu le sauver.

Ou même l'aider. Tu voudrais courir vers la prochaine piste, mais les informations et les indices tardent à arriver. Et tu comprends sa frustration. Pour ça que tu t'agites, pour ça que tu rampes devant Clovis. Mais pour une fois qu'il parle, Neal, tu ne vas pas l'en empêcher. Tu joues avec ton verre, fixe le sol, absent. Un sourire brisé à tes lèvres.

— Ah, ça... Il est trop fier pour se laisser avoir. Tu peux être sûr qu'il se démène juste pour éviter d'être dans le rôle du rescapé... Putain, Van, où est-ce que tu es... ?

Tu vides ton verre d'eau à défaut de savoir quoi faire d'autres. Que Neal te pousse à lâcher la pression te fais rire tristement.

— Je suis du même bois que toi, je ne sais pas craquer.

Alors que tout se fissure déjà, mais t'es incapable de faire jaillir les larmes. Il y a la brûlure dans la gorge, le poids oppressant dans ta poitrine, mais pas les cascades salées que t'es censés déverser. Tu poses ton verre sur le sol, lèves de nouveau les yeux vers lui.

— Tu as dit que vous aviez parlé du passé. Je suis curieux.

Comme-ci parler de lui ferait revenir plus vite lui ou l'appel salvateur qui te donnera une autre piste à exploiter.

L'idée ne t'avait jamais traversé l'esprit. Pourtant, y a une certaine fierté, un certain désir aussi d'être celui qui porte. Comme-ci ça faisait de toi quelqu'un de meilleur, de plus fort, de plus méritant au bonheur. Tu n'avais jamais vu les choses sous cet angle, la présence de Vanitas aussi évidente à cette époque, aussi vitale par la suite. Mais tu ne peux t'empêcher de baisser les yeux, confus.

— Je regrette de ne pas l'avoir libéré plus tôt. Ma présence n'a pas non plus été simple pour lui.

Tu lui as fait tellement porter, tant et si bien qu'il est devenu dépendant de ton poids. Un mélange de culpabilité et de fatalisme, parce que t'arrives pas non plus à être totalement repentant. La vérité, c'est qu'elle te manque presque votre dépendance toxique. C'est toujours la même chose, quand les bras que tu convoites se refusent à toi, tu cherches à plonger dans ceux qui n'iront pas te rejeter. Mais ils ne sont plus disponibles, ses bras. Et tu n'as plus le droit de faire marche arrière, question de respect.

Et il évoque le passé, Neal. Son passé à lui. Tu fronces les sourcils, repenses à cette époque maudite. Tu secoues la tête, il ne pouvait pas savoir.

— Tu sais, je pense que tu n'aurais rien pu faire. Il y a un temps pour tout et à l'époque, il avait peur. Si notre relation avait été différente probablement que je n'en aurai rien su non plus.

Tu secoues la tête.

— Mais tu es là maintenant, au bon endroit et au bon moment. Tu lui donnes ce dont il a vraiment besoin et que je n'ai jamais pu lui apporter. C'est sur ça que tu devrais te concentrer.

Tu relèves le regard, oses lui adresser un sourire. Tu ne sais pas si tu seras de bonne compagnie, mais la proposition te touche.

— Ce serait avec plaisir.

Un rire sur tes lèvres, alors que tu fixes le sol.

— Ne lui dis pas, mais son café a toujours été atroce.

Tu soupires.

— Je pourrais te faire rencontrer ma sœur, elle a des tonnes d'anecdotes gênantes sur Van.

Et comme une confession.

— J'admire, tu sais, ce que vous êtes ensemble.

Tu entends, mais tu n'en restes pas moins dubitatif. Oui, vous en aviez eu besoin. Besoin de cet oubli, besoin de cette tendresse, besoin de cette fausse appartenance à l'autre, de cette parodie d'amour. Une partie de toi en a encore besoin. Besoin parce que tu te sens atrocement seul, besoin parce que tu doutes que Clovis puisse t'empêcher de franchir certaines limites. C'est terrible, de regarder l'homme qu'on aime en face et de ne pas avoir confiance. Tu donnerais tout pour un souvenir à sauver, tu donnerais tout pour pouvoir ne plus douter de lui. Et tu sais ce qu'il te dirait, Vanitas, s'il était là. Qu'il faut laisser faire le temps. Et il ne te manque que davantage. Tu ne réponds pas, parce que tu n'as rien de bien à répondre.

Mais rire timide quand il parle de cuisine.

— Sa cuisine est... Étonnante, dirons nous.

Parfaitement horrible et tu sais que ce n'est pas à mettre sur le compte de ton palet délicat.

— Je te conseille d'avoir une potion pour la digestion avec toi.

T'as encore le souvenir terrible de cette bouillie informe qu'il t'avait fait pour passer la gueule de bois. Oh, tu n'as plus été saoul après ça, pendant plusieurs semaines, parce que trop effrayé de devoir de te tenir le ventre comme tu as pu le faire après avoir ingurgité sa préparation. Et ça te fait presque sincèrement sourire. Parler de lui, de ses échecs, c'est comme-ci il pouvait franchir le seuil de la prote d'un instant à l'autre pour râler qu'on parle dans son dos. Tu le vois déjà, les bras croisés, à dire que tu exagères. Tu ravales ta salive, l’inquiétude aussi. La mention de Teddy te fait crisper la mâchoire.

— Ah, Teddy... Je l'aurais très certainement apprécié si ma sœur n'avait pas jeté son dévolu sur lui, à l'époque.

Ton regard vers lui.

— Ne plain pas ma famille, mon père est un terroriste, ma mère, une narcissique opportuniste. Plains Iphigenie, plains moi peut-être, si tu veux.

Tu te rends compte que c'est peut-être un peu sec, un peu dur à entendre.

— C'est le jeu. Les sangs-purs devaient nous renier pour sauver leur image. Tu sais, j'ai toujours été soulagé que Van ne fasse plus partie des nôtres. Cette communauté est un vrai rouleau-compresseurs où personne ne se fait de cadeau.

Tu l’exècres, autant que tu as besoin de son approbation. Ce paradoxe te ruine, ce n'est que le premier d'une longue liste. Mais c'est alors qu'il te pose l'autre question. Ton regard s’écarquille quelque peu. Tu sais à quoi il fait allusion. Et t'admires le temps qu'il prend pour parler de toi alors que son petit copain est porté absent. C'est peut-être pour ne pas devenir fou qu'il se concentre sur le malheur des autres. Et t'as pas l'audace de mentir, cette fois-ci. Peut-être justement pour ne pas devenir fou.

— Je ne gère pas.

Première confession.

— Je me noie dans le travail pour ne pas me noyer dans l'alcool. Manquerait plus que je finisse à Sainte-Mangouste, il serait capable de m'en vouloir.

Tu souffles, plein de mépris, remplit de nouveau de verre comme un ivrogne en manque.

— Je l'aime, il m'aime soit disant. Mais il va se marier. À une femme impitoyable, mais trop juste pour que je m'en prenne à elle. Apparemment, je dois lui faire une place. Mais apparemment tout vas bien, aussi, puisqu'il m'aime !

Tu fais claquer ta langue sur ton palet, acide.

— Van a dû te faire un résumer de ma grande saga romantique, à pleurer, n'est-ce pas ? Le pire, c'est que même quand j'ai l'opportunité de m'envoyer en l'air et de le quitter, je ne la saisis pas. Quoi que quitter... Je ne sais même pas s'il y a quelque chose à quitter.

Tu soupires.

— Comme tu peux le voir, c'est loin d'être simple.

Tu soupires, viens de nouveau poser ton front sur ton genou. C'est compliqué, un dilemme sans bons ni mauvais choix. Quoi qu'il se passe, tu sais qu'il y aura quelque chose à sacrifier. Tout a un prix, rien n'est gratuit, t'as toujours envié la vie des autres parce que tu fantasmes leur quotidien comme étant plus simple. La vérité, c'est que c'est peut-être aussi terrible et dur pour tout le monde. Seulement t'as besoin de te raccrocher à l'idée qu'il aurait pu exister, quelque part, un monde où tout aurait été plus simple.

— En théorie, rien n'oblige à nous marier, que ce soit à une sang-pur ou même à une femme d'ailleurs. Mais... Comment te dire ça. C'est un peu comme quand ton supérieur te demande quelque chose. Théoriquement, ce n'est pas un ordre, mais si tu dis non, tu sais que tu le paieras cher.

Tu redresses la tête.

— Le nerf de la guerre, ce sont les enfants. L'adoption est une possibilité mais tes enfants ne feront alors pas parti de la communauté. Enfanté avec une femme en dessous de ton statut est une possibilité aussi, mais tes enfants ne partageront alors pas ta pureté de sang. Tu perds ton statut, tes privilèges.

Et t'as bien conscience que pour quelqu'un de l'extérieur ce genre de questionnement doit sonner archaïque. Ça l'est entièrement. Cela fait longtemps que tu as admis que le mode de vie sang-pur ne pouvait pas s'accorder avec le progressisme.

— Vanitas te dira que tout ça est très con et il a raison. Par pitié ne lui dis pas, il serait trop content de m'entendre admettre que j'ai tort.

T'oses un sourire, continue.

— Le truc qu'il faut comprendre, c'est qu'on a tous été élevés dans l'idée que c'est notre capacité à perpétuer la lignée et à protéger sa pureté qui fait de nous des gens estimés. Tes réussites personnelles, ce que tu es en tant que personne est très secondaire

Et tu confies.

— Sincèrement, je n'ai aucune envie de me marier. L'idée me dégoûte. Épouser une femme dans le seul but de lui faire des enfants me file la nausée. Mais j'ai peur, si je ne joue pas le jeu et que, admettons, je sois le dernier sang-pur de ma lignée : est-ce que j'offrirais à mes enfants toutes les chances de réussir ? Est-ce qu'on n'ira pas les juger ? Est-ce qu'on n'ira pas les empêcher d'aller au bout de leurs ambitions ? Je ne veux pas qu'on leur fasse payer mes choix.

Tu soupirs, laisse ta tête basculer en arrière pour regarder le plafond.

— Clovis... Clovis c'est différent. Son choix est logique mais le timing... Rien ne le presse. Il a tout le temps de passer la bague au doigt à quelqu'un pourtant il... S'il avait continué de me repousser ça n'aurait pas été un problème. Mais il ne m'a pas repoussé. Alors qu'importe que ce soit un choix ou pas, Clovis est et reste un sinistre trou du cul.

Tu poses ton regard sur Neal, secoues la tête.

— Navré, je parle mal.

Tu es excédé. Et comme à chaque fois que l'amertume te prend, le goût de l'alcool te reprend. Tu soupires, et merde, tant pis. Tu te lèves, cèdes à tes bas instincts en allant piocher dans la première carafe de vin à ta portée pour te verser un verre. T'aurais voulu quelques choses de plus fort, le vin à la sale tendance de ton plongée dans la mélancolie des heures durant avant de t’assommer suffisamment pour te faire dormir.

— T'en veux un ?

Quitte à boire, autant que ce soit à deux.

— En d'autres termes, si je dois résumer ce que tu dis... Je serais un gros masochiste, c'est ça ?

Tu ris pour toi-même, descends une première gorgée. Tu balances, ironique.

— Ça expliquerait pas mal de chose.

Tu t'adosses contre la table, pose ton verre et vient t'appuyer contre elle avec tes mains.

— Pour être honnête avec toi, si j'ai mis autant de temps à lâcher Vanitas c'est parce que j'étais terrifié de me retrouver seul face à...  Tu désignes la pièce d'un grand geste. tout ça.

T'as un sourire triste, sans vie, quoique teinté d'amertume.

— Mais quand tu es arrivé, j'ai sauté sur l'occasion. J'espérais pouvoir me consoler en vous voyant heureux. Projeter tout ce que je veux et que Clovis ne me donnera jamais en vous observant. Aller au restaurant, aller danser, se balader dans les ruelles de Londres main dans la main, les dégustations de vin devant la cheminée... Ces bonheurs quotidiens et simples.

Cette fois-ci, tu ris sincèrement.

— Putain, mais c'est que je suis vraiment masochiste.

Tu fixes ton verre.

— On va le retrouver, Neal. À ce stade, votre bonheur m'importe plus que le mien.

Tu fixes, interdit, le verre qui s'abaisse. S'il te plaît, qu'il dit. Mais aucun jugement, aucun regard blessé. S'il te plaît, qu'il dit. Tu pourrais presque entendre, Tu veux mieux que ça. Tu pourrais presque entendre, T'es pas aussi méprisable. Alors tu fixes ton verre en silence, laisses la main de Neal, doucement te prendre ta bouée de sauvetage, l'éloigner, elle et l'océan sur lequel tu la fais flotter. Ce n'est que là que tu tournes le regard vers lui. Il ne t'a pas arraché le verre des mains comme Clovis. Il ne t'a pas regardé blessé, comme Iphigenie. Et soudain t'as un rire nerveux, débile. C'est pour ça qu'il l'aime, Vanitas, hein ? C'est parce qu'il a le regard compréhensif que personne n'a eu ni pour lui, ni pour toi. Et l'étreinte qu'il t'offre elle te déstabilise. Presque d'une tendresse maternelle. Ses mots t'effritent. T'as la gorge plus nouée quand tu souffles.

— Tu parles vraiment comme lui.

Pudique. Trop pour le prendre dans tes bras. Pas assez pour ne pas laisser tomber ton front sur son épaule. T'es épuisé. Fatigué. Incapable de définir clairement un cap. Si seulement t'étais né gryffondor et pas serpentard. Si seulement t'avais eu plus de courage. Si seulement t'avais été un soleil comme eux et pas une autre comme toi. Si seulement. Si seulement. Sauf qu'on ne refait pas la réalité avec des suppositions. Tu secoues la tête quand il te lâche enfin.

— Non. Non... Tout ce que tu dis est très juste, Neal.

C'est juste trop compliqué, pour un milliard de raison. C'est trop compliqué au point d'en être contradictoire. Tu veux prendre ta revanche tout en ne te tombant pas dans le même piège que tes parents. Tu veux la paix tout en déclarant la guerre. Tu veux le bonheur tout en souhaitant l'inespérable. Tu veux des enfants mais les options qui se présentent à toi t'effraie.

— Quand vous parlez, toi et Vanitas, ça sonne tellement simple. C'est comme-ci vous me disiez qu'au final, il n'y avait pas de vrais problèmes. Et le pire, c'est que vous avez sans doute raison.

Tu glisses dans un sourire triste.

— Je ne sais pas si ça me soulage ou si ça m'énerve.

Tout est compliqué, parce que tu rends ça compliqué.

— Quand il reviendra allons dîner, tous les trois. Je crois que je ne serai pas contre apprendre à cuisiner quelque chose.