La maison est en vue. Ses courbes floues face à tes pupilles. Merde. Tu peines à garder les yeux ouverts. Tu ne dois les mètres parcouru qu'à la force d'Elijah. Tes jambes ne tiennent plus, ton mollet, meurtri par le piège à loups, semble se déchirer de nouveau. La douleur tire la moindre fibre de ton corps. C'est dans tes os, tes veines, le mal qui rugit à en faire perdre la tête. Le manque d'eau et de nourriture te fait perdre pied, tu luttes pour rester conscient. Ton épuisement est tel que le simple fait de marcher te donne envie de tomber dans le sommeil. Mais tu ne peux pas. Pas encore. Tu t'accroches à la voix d'Elijah. Tu pourrais presque le trouver sympa si tu ne le savais pas aussi pourrit que toi.

— Il se pointera pas en plein jour.... Trop risqué... Et il va devoir rendre des comptes s'il fait quelque chose d'aussi voyant... On a encore un peu de temps...

Mais pas beaucoup. Il a raison. Tu vas devoir lancer des sorts (pas ton fort), piéger les alentours de la maison (ta spécialité).

— Ezra voudra jamais partir... Il va falloir piéger les alentours, ouais...

Parler tactique t'aide à ne pas crever sur place. Tu essayes de pousser sur tes jambes mais tu n'as plus la force de rien. À peine celle de lever ta baguette pour ouvrir la porte, vous engouffrer dans le salon. Tu te laisses tomber dans un râle douloureux sur le canapé. Tu crois que tu as de la fièvre. Tu crois que tu vas crever.

— Ezra....

Tu sens son odeur, tu en sens d'autres aussi. Ennemis ? Amis ? T'as encore la force de trembler sous la frayeur.

— Où est-ce qu'il.... Est... ? Ezra... ?

Tu ne sais pas quel jour vous êtes, mais t'es persuadé qu'il est censé être là, que ce n'est pas normal qu'il ne soit pas là. Où est-il ? Où est-il ? OU EST-Il ?

— Elijah... Ou est-ce qu'il est... ?

La vérité, c'est qu'il pourrait te tuer-là. Dans ta tête, trotte l'idée qu'il va certainement le faire. Tu serres ta baguette. Serre le couteau dans ta main. T'as pas la force de lever les bras, pourtant. Et dans ta tête ne pulse qu'un seul nom. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra.

Tes paupières tremblent, papillonnent. Ta tête bascule contre l'accoudoir du canapé et tu te retrouves à fixer le plafond, absent. T'es vaguement conscient qu'Elijah te prend en charge, tend ta jambe, lance quelques sorts destinés à te faire du bien. Et ça te soulage, sur le coup, la respiration moins sifflante bien qu'encore faible et tremblante, la douleur chronique mais moins meurtrière. Tu tournes des yeux brillants sous la fièvre.

— Putain t'es adorable...

Peut-être que tu délires aussi, un peu. Et tu le vois s'éloigner, ton regard retourne vers le plafond. Tu n'oses pas bouger, tu n'oses pas même fermer les yeux. Tu es à la maison. Parce que tu as une maison, non ? (non). Tu te tentes de te convaincre que le cauchemar est fini, qu'il prend fin. C'est le plafond de la maison d'Ezra. C'est le plafond de ta maison. Tu es revenu chez toi. Entier (presque). Tu es en sécurité (non, tu ne seras jamais en sécurité). Pourtant tu te sens terrifié encore. Tu sursautes au bruit de la maison qui travaille, grogne tant ça fait mal. Non. Non. Tu n'es en sécurité nulle part. Tu es entouré d'ennemis. Atlas va revenir. Si tu fermes les yeux tu le verras. Quand tu les rouvriras il sera là à te fixer. Et Ezra n'est pas là. Ezra n'est pas. Ezra. N'est. Pas. Là.

NOAH ?

Tu gémis, rauques. Papillonne de nouveau des yeux. C'est le plafond de la maison. Tu sens qu'on te prend la main. Une peau chaude, douce, beaucoup plus douce que la tienne. Tu passes ton pouce dessus. Et une odeur. Son odeur. Tu tournes la tête. Et tu le vois.

— T'es vivant...

Tu souffles, comme-ci tu ne réalisais pas encore.

— T'es vivant...

Une supplique, le soulagement qui s'échappe. T'as aucune force dans les mains pourtant tu essayes de serrer sa main. Si faible. Tellement faible. Un géant de papier déchiré.

— Il a dit qu'il te ramènerait là-bas... Je ne veux pas que tu viennes là-bas...

Tu tends mollement le bras, incapable de le lever bien haut.

— Bébé...

Est-ce que la fatigue te fait halluciner ? Une partie de toi hurle, cherche à te faire reprendre une plus grande possession de tes moyens. Mais si le Ezra en face de toi n'existe pas tu te tâtes à te laisser mourir là, comme ça. Plutôt que de revoir le visage d'Atlas, plutôt que de revoir le visage du Ezra que tu connais. Celui qui te regarde avec mépris, celui qui te regarde coupable, celui qui t'en veut d'exister, celui qui sourit face à ses amis, celui qui ne rit jamais avec toi, celui qui se fait tendre avec Hermès, celui qui ne fait qu'évacuer ses besoins primaires avec toi.

— Je suis pas encore crevé... T'es déçu...

T'arrives à caresser sa joue avant de laisser tomber ton bras. Déglutis, mais le manque d'eau fait brûler ta gorge.

— Putain...

Il y a quelque chose d'humide entre tes doigts. Tu peines à comprendre que ce sont des larmes, ses larmes. Et tu le regardes, sans comprendre. Il pleure ? Ezra Strauss pleure ? Pour toi ? Merde, t'es peut-être bien plus proche de la mort que tu ne le pensais. Il est donc capable de pleurer pour toi. Pas parce que tu l'épuises, pas parce que tu le tues, mais parce que tu es ravagé et que te contempler lui fait mal. Il peut donc avoir de l'empathie pour toi, Ezra. Ah. Merde, revoilà les fantasmes.

— C'est bien. Reste vivant..

Mais tu ne lui dis pas, que tu ne le crois pas. Tu pensais la cave derrière toi, pensait Atlas derrière toi. Tu devais le tuer, tu devais lui faire payer, tu devais inverser la vapeur entre vous. C'était le plan, la suite logique, la vengeance que tu mérites et pourtant... Pourtant, il t'y avait ramené si facilement. Tu n'aurais pas tenu cinq ans de nouveau. Tu te serais fracassé en à peine un mois. Et s'il n'y avait pas eu Ezra... S'il n'y avait pas eu ce garçon que tu as envie de posséder comme personne, si la penser qu'il t'oublie et que ton existence devienne aussi creuse que le vide, ne t'obsédait pas autant... Oh. Oui. La vérité, c'est que tu serais déjà mort. Atlas t'as empoisonné. Il t'a bousillé. Tu ne comprends que maintenant qu'il a tué à chaque fois l'homme que tu étais pour en faire un résidu de faiblesse. Il faut que tu le tues. Il faut que tu le tues. Et ce n'est qu'après l'avoir quitté que tu comprends que l'idée t'excite autant qu'elle te terrifie. Car alors est-ce qu'Ezra continuera de pleurer pour toi ?

T'accueilles le verre d'eau avec reconnaissance, bois goulûment malgré la douleur, le feu dans ta gorge, la torture de chaque déglutition. Tu laisses les gouttes glacées perler sur ta peau te réveiller, laisse la douceur du liquide éteindre le feu. Enfin. Enfin. Enfin. À boire.

— La jambe c'est aussi de la faute de ton frangin... Mais le reste c'est lui, oui.

Tu passes des doigts incertains sur ta peau. Les boursoufflures des brûlures encore là. Un rire douloureux sur les lèvres à l'évocation d'Hermès.

— Pour voir sa sale tronche te consoler ? Non merci...

Tu saisis sa main, soudain.

— Pas d'hôpital Ezra... S'il te plaît.

Et c'est la peur dans ton regard. Tu ne veux pas quitter cette maison. Tu ne veux pas être dans une grande chambre blanche entouré d'inconnu. Tu ne veux pas qu'on sache que tu es en vie. Tu ne veux pas qu'on déclare qu'Hyperion Priest s'en est sorti. Ton frère, c'est déjà un supplice (tout ça parce que tu as voulu épargner à ce trou du cul d'Hermès une connerie), alors tu ne veux pas imaginer le visage parfait de ta mère et les traits autrefois admirés de ton père.

— Je veux rester ici.

Incertain quand tu demandes.

— Parce que c'est chez moi ici... Hein ?

C'est chez nous, hein ?

Transparait soudainement la peur primaire de l'abandon dans ton regard fiévreux. La peur enfantine d'errer seul dans le néant. Souffle quand tu imposes (la poigne frêle et molle, tant qu'on pourrait croire que ce n'est pas la tienne).

— Je veux que tu restes avec moi.

Parce que t'as eu peur pour moi, hein ?

Dans la fièvre, t'as encore la force de rire. Un rire rauque, déchirant. Tu fixes le plafond, papillonnes. T'as la sensation qu'on te tire dans une espèce de demi-conscience dont tu n'es pas sûr de revenir. Alors si tu parles, c'est autant pour garder contact avec la réalité que pour te forcer à rester éveiller.

— Je lui ai beaucoup manqué...

Mais tu te cambres sous la douleur. Soudaine. Puissante. Elle monte de ta jambe, s'élance de tout ton corps. Tu déglutis avec difficulté. Bien sûr que c'est chez toi. Et t'as envie de le croire. Pourtant tout ce qu'il dit, c'est par pitié. Trop terre-à-terre pour goûter pleinement au rêve. Même à l'article de la mort la réalité s'impose, brutale, sans pitié. Ça tombe bien, tu ne veux pas de sa pitié. Tu veux tout le reste. Bien sûr que c'est chez toi. Mais t'as quand même envie d'y croire. Juste pour te dire que si tu crèves, ça aura été sous ton propre toit, pas dans un caniveau, pas comme un chien.

Tu serres mollement sa main. Tes forces te quittent petit à petit, épuisées par deux semaines de souffrances. Tu fixes le plafond, tu sens la fatigue te ronger, alourdir tes paupières. La vérité, c'est que t'as peur de fermer les yeux. T'as peur de rêver. T'as peur de te réveiller ailleurs. T'as peur de voir son visage en ouvrant les yeux. Tu entends Ezra qui revient vers toi, te dit qu'un médecin arrive.

— Hm.

T'as du mal à garder les yeux ouverts. Est-ce que tu vas mourir ? Est-ce qu'Ezra pleurera ? Est-ce qu'on te regrettera, ne serait-ce qu'un peu ? Les pensées incohérentes se succèdent. T'es loin, trop loin pour répondre à Ezra s'il te parle, trop loin pour comprendre ce qu'il se passe. T'as aucune notion du temps qui passe. Tu vois juste à un moment une silhouette inconnue se pencher sur toi. Sa voix résonne, étouffée, comme si elle te parvenait de l'autre côté d'une porte. Tu hoches la tête mollement sans comprendre ce qu'on te dit. T'as juste la vague impression d'avoir entendu : Ça va faire mal.

Et d'avoir pensé que ce n'était pas très original.


Sous tes doigts, tu sens une texture douce, familière. Le bruit familier des draps qu'on froisse. Tu plisses les yeux, les ouvres, ce n'est pas le plafond du salon. Tu mets quelques secondes à reconnaître celui de ta chambre. Ton regard glisse doucement, t'ose à peine bouger. Tu prends conscience d'avoir la jambe totalement enroulée dans des bandages épais, tes poignets aussi. Ton corps est lourd, douloureux, mais tu es propre. Les cheveux encore un peu humide. On t'a lavé. On t'a transporté. Combien de temps t'as perdu conscience, exactement. Tu essayes de te redresses, grogne sous la douleur, t'entends des pas qui se précipitent dans la couleur, tu jettes un regard à la porte. Tu vois flou, mets tu temps à bien distinguer la silhouette qui rentre. Tu lèves la tête, abruti, à moitié assommée, à moitié perplexe.

— Ezra ?

On t'aide à t'asseoir dans ton lit, tu grognes, porte une main sur ton torse. Putain, ça fait mal. T'es épuisé. Mais étrangement, tu te sens plus ancré dans la réalité qu'a ton dernier moment de consciences.

— Qu'est-ce... Qu'est-ce que ?

Il fait encore jour, t'as pas dû dormir longtemps. Peut-être le temps des soins ? Un tout petit plus ?

— Le toubib est parti ?

Tu raccroches les wagons. Ezra a appelé de l'aide. Quelqu'un était venu. Ce n'était pas Hermès. On avait dû te soigner, te transporter ici. La fenêtre de ta chambre et la porte son grande ouverte malgré le mois de décembre. T'ignores si ça vient d'Ezra ou si t'avais oublié de fermer en partant, y a deux semaines, quand Elijah t'avait donné rendez-vous.

— Putain quelle merde...

Tu tournes la tête, essayes de te remettre. Comme-ci observer chacune de tes possessions pouvait te convaincre que c'était finit. Que tout était terminé. Tu tournes la tête vers Ezra. Tu le vois distinctement à présent.

— Je t'ai fait peur bébé ? ... Qu'est-ce qu'il a dit... Ton toubib ?

Tu as dormi presque une journée. Tu laisses à l'information le temps de remonter et tu tournes ton regard vers lui. Il a les yeux creusés par la fatigue. T'a-t-il veillé ? C'est terrible, tu l'imagines là, posé sur cette chaise un peu plus loin. Là pendant des heures à frémir à la moindre respiration qui s'arrête, à la moindre absence de son. Avait-il dormi ? S'était-il autorisé le sommeil ? Ou tremblait-il tellement pour toi qu'il n'avait pas osé ne serait-ce que lever le petit doigt ?

Je t'ai fait peur, bébé ?

C'est cruel à demander. Mais quelque part, c'est cruel de voir que c'était la première fois depuis longtemps qu'Ezra te témoignait réellement de l'affection. Il n'y avait pas de sang à sucer, cette fois-ci. Pas de prix à gagner. Rien derrière lequel il aurait pu se réfugier pour excuser le fait qu'il te parle, qu'il te touche, qu'il te possède. Alors que t'es qu'une raclure, la montre difforme qui a tenté de le tuer, qui a tenté de tuer Hermès. Le type qui rentre en sang chaque soir, qui a empilé depuis la naissance une montagne de cadavre. Et il s'est fait un sang d'encre, qu'il dit. Ah. Putain. Oui.

— T'es capable de t'inquiéter pour moi... Whoua.

Et tu laisses traîner tes yeux sur les draps. Fronce les sourcils quand il parle des mesures prises pour vous protéger. Tu ouvres la bouche, te fais surprendre par la toux. Tu plaques ta main sur tes côtes, ton corps est toujours douloureux. Tu souffles, putain, si Atlas attaquait maintenant c'est à peine si tu saurais vous défendre. Mais tu secoues la tête, tes cheveux s'échouent, éparses sur ton front et tes joues maintenant que le gel ne les retient plus.

— T'as bien fait. J'installerai des pièges aussi... Quand je pourrais me lever.

T'essayes, esquisses un mouvement avant d'abandonner. Tu grimaces, peste contre ton corps faiblard. T'es pas censé l'être. Tu détestes l'être. Tu laisses ta tête choir contre le mur. Fait chier.

— Mais y a peu de chances qu'il se ramène. C'est trop risqué pour lui... On a un peu de temps devant nous, t'en fais pas.

Mais tu te tends. Tu fuis son regard quelques instant, fixe tes mains. On a un peu de temps. Seulement un peu. L'air sombre qui se dessine sur ton visage.

— Je vais le tuer...

Il le faut. Tu parles de la mort avec nonchalance d'habitude. Pourtant, soudain, l'air devient lourd.

— Il faut que je le tue.

Tu secoues la tête, passe une main sur ton front. Tu dois le tuer. Tu as toujours su que tu devais le faire. Est-ce que tu flippes, Noah ? Est-ce que t'as des remords, Noah ? Non. Pas de remords. Parce que tu ne l'aimes pas. Pourtant, ça a un goût de fin que tu n'apprécies pas. Tu te racles la gorge, viens chercher la main d'Ezra pour la prendre. Un simple caprice. Après tout, tu n'oublies pas que t'es malade et qu'il te fait office d'infirmière.

— Il est où ton frère ?

C'est dangereux, qu'il dit. Il t'avait habitué à plus d'intelligence, c'était lui le cerveau après tout. Là, il ne fait que soulever l'évidence. Évidemment que ça l'est. Mais il faut te rendre à l'évidence, le laisser respirer ça l'est encore plus. Ce n'est qu'une danse macabre entre vous deux. C'est une tornade funeste pour trop de gens maintenant. Hermès, Elijah sont sacrifiables, tous les hybrides de cette terre le sont. Mais Ezra est dans son viseur et tu ne peux plus te permette de repousser l'échéance. Il va falloir le que tu le tues.

C'est dangereux.

— Il est dangereux.

Tu hausses un sourcil, il a viré Elijah. Il ne souhaite pas s'attarder sur le sujet. Si t'étais plus en forme, tu jubilerais de savoir un des deux cafards exilé au loin. Il te manque presque, le temps un peu insouciant où, entre deux gueules pétées pour le compte de Romulus, ta seule préoccupation était de savoir comment te débarrasser définitivement de ces deux parasites. Il fuit ton regard, serre un peu plus la main. Ton petit guerrier en face de toi. Capable de mettre un couteau sous la gorge d'un être humain, mais qui rougit encore comme un adolescent au contact de ta paume. Un diamant innocent souillé de sang. Il est parfait. Ce diamant-là, il faut que tu le protèges, il faut que tu l'éloignes. D'eux. De lui. Ils t'avaient éduqué à sacrifier ta vie et ton corps pour la cause, pour la famille, pour le clan. Ils t'avaient montré que la cause, la famille et le clan n'étaient que mensonges. Pourtant, les valeurs n'avaient pas tant changé depuis ta transformation. Tu avais juste choisit de sacrifier ta vie et ton corps à une cause beaucoup plus égoïste, à un clan beaucoup plus restreint. Et ce qu'il dit est adorable, Ezra. Un sourire qui pointe sur tes lèvres, mi-chemin entre mépris et tendresse.

— Je serais libre, t'y crois vraiment ?

Tu tends douloureux ton autre main, glisse tes doigts contre sa joue.

— J'étais l'un de leur, mon cœur. Tu t'en souviens ?

Est-ce qu'il se souvient ? Cette époque où dans les couloirs tu offrais des beaux sourires aux hybrides, où tu flirtait avec l'interdit. L'époque où Hyperion Priest était le roi de la cour et où tous tombaient dans ses filets.

— Si ton copain vampire n'est pas trop con, il me tranchera la gorge. Ta justice en aura rien à foutre de ce que j'ai pu subir, ça ne ramènera pas toutes les vies que j'ai prises.

Même si tu n'as pas tué beaucoup, à l'époque. C'était le job d'Atlas de porter le coup fatal. Toi, tu étais la diversion. La succulente et impudique diversion.

— J'ai pas confiance dans ta justice. Elle est peut-être efficace pour les gens bien comme toi, mais pour nous non.

Tu caresses sa joue du pouce.

— Laisse-moi régler cette histoire. C'est ma famille, mon problème.

Et pourtant, tout ton corps se tend. Il résonne encore des tortures d'Atlas, résonne encore du regard de tes parents, résonne encore de ce soir où Hyperion Priest est mort et où tous on déclarer que la chose dans la cave était un imposteur. Tu détournes le regard. Comme à chaque fois que ton esprit tente de te ramener dans la cage, tu le cherches lui. Lui et l'illusion d'importance qu'il te donne.

— Bébé... Je suis fatigué. Tu veux pas rester un peu avec moi ?

Il s'est inquiété pour toi.

— C'est que tu m'as terriblement manqué... Et je t'ai manqué aussi, non ?

Il est adorable à s'acharner. Si, adorable quand il essaye. Le truc, c'est que tu ne cherches pas à être humain. Tu ne cherches ni pardon, ni rédemption pour tes actes. Tu as fait ce que tu as fait. C'était froid. C'était distant. C'était cruel. Tu n'irais pas jusqu'à dire que tout avait été absolument nécessaire. Mais tu n'exprimes pas tant de regret. Dans tous ceux que tu as condamnés, il y en avait des dangereux. Certains qui avaient déjà tué, agressés, manipulés. Des semi-vélanes qui se servaient de leur sang maudit pour pervertir l'esprit des plus faibles qu'eux, des vampires suceurs de sang, des loups-garous fous à la canine facile. Non, tu n'es peut-être plus aussi fier qu'autrefois de ton héritage, mais tu n'en es pas désolé. Tu n'en seras jamais désolé. Raison pour laquelle c'est adorable qu'il essaye de te sauver, Ezra. Il n'y a rien à sauver, pourtant. Tu ne veux pas être sauvé. Tu veux juste goûter à ce sentiment d'appartenance qui est cher. Tu veux juste posséder, parce que c'est la seule chose que tu estimes et que tu connais.

Il s'en renferme, et toi tu tends la main. Il lutte entre son envie et sa logique. Tu es un salaud, mais il a une affection pour ce salaud. Une affection ou une addiction. Quelque part, ça revient au même. Tant qu'il a besoin de toi...

— J'ai été piégé, je me ferai plus avoir.

Et tu glisses ton regard sur son visage boudeur, son regard qui se fait plus vitreux, le tic si transpirant et révélateur de sa langue qui passe sur sa canine...

— Pour une fois que tu me chouchoutes j'ai presque envie de te dire que ça en valait la peine.

T'as l'œil qui brille. Tu le connais trop bien pour ignorer les signes. Et tu ne sais pas si tu es déçu ou si tu es soulagé de voir les bonnes habitudes déjà de retour. Il ne se sera pas inquiété longtemps. Aussitôt rentré, déjà à rêver de ses crocs dans ta gorge. Tu lui a terriblement manqué, qu'il dit. T'as une pensée amère, deux semaines que sa réserve de sang personnel n'était pas là. Ça a dû lui manquer oui. Pas toi, au final. Juste votre cérémonial. Juste la débauche. Juste votre danse malsaine qui mêle soif et orgasme. Mais qu'importe, quelque part. T'es trop naze pour vouloir quémander plus. Si c'est comme ça que tu es indispensable alors soit. Tant qu'il a besoin de toi... La différence entre amant et esclave, est-elle si importante ?

Tu glisses ses doigts sous son menton pour le forcer à relever la tête vers toi. Ton regard froid face à ses yeux vitreux.

— T'as mordu personne quand j'étais absent ?

Presque jaloux. S'il lâche le nom d'Hermès, tu n'auras pas la force de cacher ton dégoût.

— C'est ça qui te manque, bébé ?

Tu tends la nuque, tu sais le geste provocant. Mais c'est fait pour.

— Je vais crever si t'es pas capable d'être raisonnable et doux.

Tu l'observes en silence quelques secondes avant de tapoter tes draps, l'inviter (lui ordonner), de venir s’asseoir à côté de toi.

— Viens-là.

Tu attends qu'il le fasse, profite de ne pas avoir à te tordre pour passer tes doigts derrière sa nuque.

— J'ai même pas le droit à un bisou après tout ce que j'ai vécu ?

Il lutte dans une guerre qu'il a lui même déclencher. Il te regarde comme-ci tu étais le démon tentateur alors que c'est lui qui bave devant la pomme. Toi, t'as presque rien à faire. Juste à ne pas te débattre, juste à tendre la nuque. Quelque part c'est presque hilarant. Un sacré bonne blague, même comme ça il ne consent à t'embrasser que parce qu'il a soif.

Pourtant tu ne dis rien. T'as appris à ne pas gâcher le peu d'amour que tu reçois en réclament en plus de la tendresse de la sincérité et du respect. Après tout, c'est à l'image de ce que vous êtes, non ? Certains dirait même que tu mérites cet amour où on se pompe plus qu'on ne se désir. Et ce n'est pas comme-ci tu avais les standards mièvres de tes congénères. L'amour. L'amour. L'amour. Atlas devait t'aimer et quand tu penses à lui tu vois la cage. Maman devait t'aimer et quand tu penses à elle tu vois son visage impérieux qui éloigne la lame de rasoir de toi. Papa devait t'aimer et quand tu penses à lui tu vois le dégoût dans ses yeux. Attila devait t'aimer et quand tu le vois tu vois la déception dans son regard. Alors dans le fond, c'est pas si terrible que ça, Ezra qui est censé t'aimer mais quand tu penses à lui tu vois la soif. Tu grognes quand il passe ses jambes de part et d'autres des tiennes pour venir s'asseoir sur toi. Un peu douloureux, mais ses lèvres contre les tiennes et tu entreprends déjà te percer ses défenses, de sentir sa langue contre la tienne. Tu passes une main dans le creux de son dos pour le maintenir contre toi. Il est là. Finalement, t'es pas si gourmand que ça.

Mais il se dérobe de nouveau. Toi, tu maintiens pourtant ta main contre son dos.

— Comme-ci la perspective de pas m'avoir dans tes pattes pendant deux jours te faisait pas bander.

Tu secoues la tête mais lèves les mains devant toi, petit ange innocent.

— J'te tente pas, je demande juste à ce que mon mec me réconforte un minimum.

Ton mec. Toujours rien d'officiel mais c'est arrêté dans ta tête depuis poudlard déjà qu'Ezra est ton mec. C'est tellement habituel à force, est-ce qu'il aura la force de relever ?

— No shit, bébé.

Tu laisses alors ton front choir contre son épaule, enserres tes bras autour de lui. T'ancres son odeur contre toi pour chasser celle d'Atlas, l'atmosphère humide de la cage. Contrebalances les stigmates de ces deux dernières semaines en respirant tout ce qui fait lui, en gravant contre ta peau tout ce qui n'est pas Atlas.

— Reste avec moi.

C'est pas une supplique. Tu viens glisser tes lèvres contre cou, presque doux. Inhabituel quand on connaît comment tu déshabilles avant d'embrasser.

— Tu veux un secret, bébé ?

Tu souffles, un relent de cruauté dans ta voix alors qu'elle est pourtant bien plus guillerette qu'elle ne le devrait. Soudain, tout est bizarre, s'il pouvait voir tes yeux il les verraient vitreux, sans âme, aussi dur que la glace.

— Je me suis tâté a laissé tomber. S'il avait pas menacé de venir te chercher, je me serais laisser tuer.

Parce que dans la cage t'avais touché du bout des doigts la libération. Pour la première fois depuis ta naissance tu avais pensé ces mots :

À quoi bon ?

— T'es très réconfortant quand tu me suces, bébé.

Tu ne précises pas quoi. C'est inutile. T'as le regard dans la vague quand tu lui avoues. T'aurais pu te laisser mourir là-bas. Parce qu'après tout il avait raison, Atlas. Ils avaient tous raison. T'es plus suffisamment humain pour être des leurs, t'es trop chasseur pour être comme eux. Alors quoi ? La seule chose qui t'attendait dehors c'était cette vie entre deux eaux. Cet entre-deux merdique, un pied dans un camp, un pied dans l'autre. Jamais totalement reconnu, jamais totalement pardonner. Oh, t'espères pas le pardon. T'en es pas là. Trop de cynisme, trop de dureté pour espérer la famille de nouveau, pour donner de l'importance à des concepts que tout le monde trahit à la moindre occasion. Non, si tu devais définir ce que tu veux, tu dirais que tu voudrais qu'on te foute la paix. Mais Atlas vivant c'est pas possible. Et quand on voit la ressemblance dans vos traits, tu te dis que pour eux aussi, c'est pas possible. Pourtant, une partie de toi craint la paix autant qu'il la réclame. Et si en paix, il te restait plus rien ? Si Atlas mort, tu te rendais compte qu'il n'y avait plus rien de grisant ? Tu te shoot à la colère et à la haine depuis ta naissance. Tu te shoot aux émotions brute, à l'adrénaline et à la violence depuis que tu sais ouvrir les yeux. Alors tu te demandes, si y a encore une place pour les gens comme toi. Si Atlas, tes parents, toi-même, vous ne vous étiez pas trop cassé les dents pour prétendre croquer la vie à pleines dents. Mais les réflexions c'est pas ton truc. C'est toujours triste quand tu réfléchis alors t'arrête. Ezra qui te plaque contre l’oreiller et la douleur qui surgit et irradie à tes épaules. Putain. Merci.

— Doucement, mon cœur.

Tu grimaces, le laisses s'échouer contre ton torse. Est-ce que t'es cruel au point de lui dire qu'il n'a rien reconstruit ? Qu'il a seulement empilé les morceaux pour que ça tienne debout. Mais que ça ressemble à rien. C'est bancal, c'est à ton image. Difforme. Dégueulasse. Tu passes tes mains dans son dos, fixe le plafond.

— T'as le seum, t'as investit trop de temps pour me laisser me foirer, c'est ça ?

Un rire rauque.

— Et t'as encore tellement de boulot à faire... Putain, heureusement que t'es têtu.

Tes doigts qui glissent, viennent caresser sa peau, se perdre dans ses cheveux. Ton diamant si précieux, si pur, si sale, si brut.

— J'peux t'en dire d'autres si tu veux.

Et sincèrement, vu de loin ça pourrait être un beau tableau. Fourré dans les bras l'un de l'autre, à vous glisser tes mots, les yeux rivés ailleurs, concentré votre chaleur. Dommage que tu parles, Noah. Dommage que tu sois incapable de dire autre chose que du sale.

— J'peux te dire que j'ai vraiment hésité à laisser ton frère crever sur cette table. Mais t'aurais trouvé le moyen d'être triste, alors je l'ai détaché.

Et visiblement, il tient parole. Quelque chose dont tu l'aurais pas cru capable. Comme quoi. Qui sait, si tu finis dans une cage avec Hermès et que t'en ressors vivant tu pourras peut-être prendre le café avec lui sans lui encastrer la tasse dans le crâne.

— J'peux te dire que j'ai pas vrillé en pensant à toi.

T'as ta main sous son t-shirt.

— J'peux te dire que deux semaines sans te toucher ou t'entendre râler c'était grave long.

Et tu lâches, réalise soudain.

— Putain... J'ai pu de pineapple.