Tu esquisses un sourire à Grenat alors qu'elle te fait part de la demande de Jasper. Laisse dans un soupir les papiers que tu lisais sur ton bureau pour la suivre tranquillement à travers les couloirs. Tu aurais préféré qu'il vienne te chercher lui-même parce que tu n'as jamais aimé tous ce cirque qu'ils avaient tous l'habitude de faire. Mais tu ne dis rien et te contente d'avancer, le regard un peu triste qui s'éclaire un instant à l'œillade inquiète que t'adresse Grenat.

— Tout va bien, madame ?
— Tout va bien Grenat, ne t'en fais pas.

La petite elfe ne semble pas convaincue (à raison) mais elle ne cherche pas à en savoir plus, tu ne lui répondrais pas de toute façon. Lorsque vous arrivez à la véranda, tu restes un instant sur le pas, te fige aux notes d'antan qui s'échappent de ce vieux piano que vous n'aviez plus touchés depuis si longtemps tous les deux. Il est là, dos à toi, à appuyer sur les touches au rythme de cette mélodie dont tu te rappelles chaque note et toi tu es là. Debout à l'entrée d'une pièce dans laquelle tu n'es pas sûre de vouloir mettre les pieds malgré la chaleur agréable qui y règne.

Tu avances d'un pas, tes pupilles qui l'observent encore alors qu'il se retourne en t'entendant. Grenat s'esquive pour aller vous préparer quelques rafraîchissements alors que tu avances encore. Tu as l'air bien tranquille pour quelqu'un qui a peur Iphi. Il faut qu'on parle. Oui, il faudrait.

— De quoi veux tu parler, Jasper ?

Il faut.
Un sourire à tes lèvres alors que tu prends place à ses côtés, sur le banc en face du piano. Tu ne vous feras pas l'affront de te mettre loin de lui pour fuir l'effort qu'il fait. Ses doigts pour glisser sur les touches un instant puis tu cherches à poser ton regard dans le sien.

T'as l'air un peu éteinte Iphi.
T'es fatiguée.

— Dis-moi, je t'écoute.

La voix calme pour masquer l'appréhension naissante. Tu imagines bien de quoi il souhaite te parler finalement. Il fut un temps où tu n'attendais que ça, qu'il te parle.

Tu te fais silencieuse alors qu'il semble exprimer bien trop facilement ce que tu essaies de lui faire comprendre depuis longtemps déjà. La simplicité de ses mots t'arrache une esquisse faible alors que tu souffles doucement pour tenter de contrôler le flot d'émotions diverses qui te traverse. Le soulagement, la joie, la peine. L'amertume de constater que toi, malgré que tu sois heureuse d'entendre enfin de telles paroles, tu ne parviens pas totalement à passer outre. C'est que tu as accumulé tellement de rancœur, tellement de colère que tu ne sais plus ni vers qui les diriger ni comment les évacuer. Ça boue si fort dans ta tête que tu as l'impression qu'elle n'attend qu'une dernière fausse note pour éclater et achever de te consumer. Tu ne dis rien parce que tu es heureuse mais que tu as mal, Iphigenie. Est-ce que ça veut dire que c'est trop tard ?

Vos regards qui se croisent, la détresse dans le tien ne doit pas lui échapper. Tu ne sais pas (tu espères), mais Jasper est censé être celui qui te connaît le mieux dans cette maison, dans cette vie infernale, même, que vous menez. Il était censé ne jamais te laisser et tu lui en veux de t'avoir abandonné, mais tu mélanges tout, pas vrai ? Tu ne sais pas, ne sais plus. Tout est bien trop compliqué, c'est sûrement déjà trop tard vu comme tu n'as plus espoir. Lorsqu'il arrête de jouer, tu appuies au hasard des notes, les yeux baissés vers celles-ci, tout en l'écoutant. Une fois. Silence. Deux fois. Silence. Trois fois, quatre fois. La mélodie est inexistante mais le son t'aide à te concentrer, à mieux cerner sa demande et ce qu'il cherche à te dire.

Il est venu te demander cette paix que tu recherches depuis des mois et toi tu n'en es même pas satisfaite. Pas vraiment énervée non plus, ou peut-être un peu de tout ça à la fois. Tu dérailles Iphi, sûrement parce que ça fait une semaine déjà que tu ne dors presque pas. Plus si l'on oublie la seule véritable nuit que tu as passé depuis plus de trois mois. T'es crevée.

Une nouvelle note pour pour accompagner la fin de sa tirade.
Tu te souviens encore de ses regards de l'autre fois.
De tes pensées -de chacun de vos actes.

Tu inspires, n'appuies plus sur les touches malgré que tu sembles forcer. Vu de l'extérieur on pourrait croire que tu n'y parviens simplement pas tellement tu es crispée. Ce n'est pas tout à fait ça, la réalité étant que tu es bataillée entre l'envie stupide d'appuyer encore et celle de parler. Tu ne peux pas faire les deux, alors tu réfléchis. Soupir à tes lèvres juste quand Grenat s'approche de vous, deux tasses de thé sur un plateau dont l'une qu'elle offre à Jasper. Tu les regardes, hébétée. Est-ce que c'est vraiment du thé ? Il répond avant que tu n'ais pu formuler tes interrogations.

— Je vois.

Tu souris. Un sourire pour de vrai, doux et sincèrement content alors que tu récupères ta tasse.

— C'est bien que tu fasses ça, Jas'.

Tous ces efforts là, ça te donne envie de réessayer.
Peut-être.

Alors après un silence pendant lequel tu bois quelques gorgées de thé, tu prends la parole. L'intonation calme tandis que tu t'excuses, toi aussi.

— Je suis désolée aussi, tu sais ? J'ai conscience d'être difficile à vivre et particulièrement ces derniers temps.

C'est la façon gentille de dire que t'es infernale et ça t'arrache un petit sourire coupable avant que tu ne reportes de nouveau ton regard sur les touches, la tasse de thé tenue sur tes cuisses.

— Hm... Tu me demandes de parler honnêtement mais à vrai dire je ne sais même pas par où commencer. Peut-être que- tu le regardes. Tu te souviens quand je t'ai dis que tu étais mort depuis la disparition de Clovis ? dévies. Je ne l'ai pas réalisé sur le coup mais je t'ai perdu ce jour-là. Tu étais en vie bien sûr, mais t'étais pas vraiment là. Je me suis démenée comme une folle pour essayer de te ramener, j'ai même pensé réussir à un moment. C'était avant que père- Enfin, avant l'attentat, tu sais. Après ça je crois que toi et moi on s'est totalement perdus. le regardes encore. Je veux te retrouver Jas', j'ai besoin de toi. De toi vivant et de toi dans ma vie. Mais je ne veux pas être dans ta vie, je ne veux pas que tu sois dans la mienne si à tes yeux je ne suis qu'un pion sur un échiquier. Est-ce que tu comprends ? Je veux être ta soeur, parce que c'est ce que je suis mais je veux être moi aussi. Moi Iphigenie Cecilia Fawley, pas seulement celle que tu m'as forcée à choisir l'autre fois.

(celle que tu veux marier)

Tu bois une nouvelle gorgée, puis une autre. Tu n'as pas parlé particulièrement vite mais tu lui laisses le temps d'assimiler un peu avant de reprendre.

— Tu crois qu'il est possible pour nous de redevenir le frère et la sœur d'avant ? Ceux qui faisaient équipe contre le monde entier en grimaçant derrière le dos de nos parents. un léger sourire qui s'étire à cette pensée. J'espère bien que l'on ne fera plus rien d'aussi puéril bien sûr, mais tu vois l'idée ? Une équipe, Jas', pas un chef de famille et son larbin. Parce que toi et moi sommes plus que ça. J'aimerai que tu le comprennes, je ne veux plus jamais avoir à te dire que tu me tues ou que tu es mort.

Comme la dernière fois.
Et tu ne veux plus jamais avoir à subir son indifférence sur le sujet.

— Je veux t'épauler, pas te servir. C'est comme ça que sont censées fonctionner les équipes après tout.

Tu soupires après coup, l'impression d'avoir beaucoup trop parlé mais de n'en avoir finalement pas assez dit. Parce que tu n'as pas tout dit, mais tu imagines que c'est déjà un bon début.

Je vois.
Vraiment ?

Tu espères, Iphigenie. Silencieuse écoutes ce qu'il a à te dire lui aussi, et si les premiers mots te font baisser un peu les yeux, tu le laisses continuer. Il ne voulait pas avancer sans lui. Tu essaies de comprendre ce combat que tu avais retardé jusqu'à l'épuisement et que lui avait perdu dès la première seconde, tu essaies de t'imaginer -et si tu t'étais écroulée toi aussi ? Tu n'as malheureusement pas eu le temps de le vouloir parce que tu te souviens que tout ce qui t'importait à l'époque c'était de préserver Jasper.

À la place tu l'as étouffé, un peu comme il le fait aujourd'hui.
Ça a eu l'effet inverse qu'il dit, ça l'a dégoûté.

— Je suis désolée.

Ça vaut aussi pour père. Tes iris qui se posent sur lui alors que tu fronces légèrement les sourcils, intriguée. Tu portes la tasse à tes lèvres alors qu'il poursuit. Tu n'es pas sûre de comprendre ce qu'il te raconte, et pourtant c'est étrange car rien de ce que Jasper te dit ne t'étonne vraiment. Il te faut un peu de temps pour mettre de l'ordre dans tout ça. Jasper en profite pour se lever et revenir avec le petit plateau d'échecs qui trônait sur la table plus loin. À sa vue tes lèvres qui s'étirent en sourire doux des souvenirs que cela t'amène. Lui et toi enfants qui jouiez des heures durant sans vous arrêter. Tu n'es jamais parvenue à le battre, ça n'a jamais été ton truc les échecs bien que tu ne sois pas si mauvaise mais tu préférais regarder. Lui contre père, lui contre mère. C'était un peu comme à Poudlard, au club de duel. Jasper maître du monde, c'était beau, c'était grand. T'étais tellement fière à l'époque -pas mal frustrée lors de tes défaites aussi, mais bon.

Tu observes les pièces disposées sur le plateau d'un œil critique.
Tout était calculé mais est-ce que cette situation l'était vraiment ?

C'est une question que tu te poses alors que tu relèves les yeux pour chercher ceux de Jasper. Il a eu peur, tu imagines. Tu peux comprendre Iphigenie, qu'il n'a pas été aisé pour lui de se retrouver du jour au lendemain à cette place après un tel drame. Alors qu'il termine en te désignant le plateau, tu soupires doucement avant de reprendre quelques gorgées de thé. Tes iris qui se perdent sur les pièces au centre du plateau, tes doigts pour se saisir d'un cavalier isolé.

— Je crois que tu t'es précipité, Jas'. ...Est-ce que tu te souviens de la durée de la plus longue de tes parties contre père quand tu étais enfant ?

Dix heures et vingt-deux minutes. Père avait décrété qu'aucun de vous n'irait dormir tant que cette partie ne se terminerait pas et tu avais dû assister à un combat acharné, en noter les moindres détails. C'est une soirée qui t'a marquée et que tu n'es pas prête d'oublier.

— J'ai encore le détail des coups dans mon carnet, tu sais. léger sourire. Ce que je veux dire c'est que tu n'as pas besoin d'aller vite, ni de céder à la pression. S'il faut vraiment voir notre situation comme une partie d'échecs géante alors tu dois être en condition. Et moi...

Tu te tournes un peu dans sa direction afin de lui montrer le cavalier que tu as dans ta main, l'agite un peu sous son nez avant de le replacer sur le plateau.

— Moi je suis un cavalier. Toi tu es un fou, je pense. Pourquoi à ton avis ?

Parce que tu es la passion et lui l'intellect.
Le coeur et la raison.

— Ne sous-estime pas le rôle de tes pièces, Jasper.

Parce que tu ne veux pas qu'il te sous-estime toi. Tu n'es pas qu'un pion, tu as une âme, vous tous avez une âme ici.

Une très charmante soirée. L'amertume dans sa voix ne te surprend pas, quand on sait qu'il s'agissait d'une punition, mais pour toi qui n'avait que dix ans à l'époque et qui n'avait encore jamais connu Poudlard, ce duel sonnait comme le choc des Titans. Tu y avais assisté sur l'ordre de Père, à cause d'une broutille faite plus tôt dans la journée et dont tu ne te souviens pas. Après ça, tu t'étais éclipsée dans ta chambre morte de fatigue. Tu en étais ressortie bien vite suite à la visite surprise de Caelus le grincheux qui t'avait apporté une miche de pain -sans doute avait-il eu pitié de vos ventres affamés et discrètement tu es allée voir Jasper, pour le réconforter. Il avait ce regard que tu détestais voir accroché à son visage, un peu comme celui qu'il arbore aujourd'hui. Celui qu'il arbore bien trop souvent depuis trop longtemps déjà.

Un sourire satisfait à tes lèvres alors qu'il comprend où tu veux en venir et te décris le rôle du cavalier, tu hoches la tête.

— Aussi, ses déplacements sont irrationnels. Il est imprévisible.

Comme toi, effectivement. Tu le laisses poursuivre tout en prenant quelques gorgées de thé supplémentaires, tes iris posés sur le plateau. Il en bouge les pièces, joue une partie dont tu n'as qu'une moitié des détails. Nouveau sourire à la mention de Rosalia. Votre grand-mère avait toujours su trouver les mots pour vous aider, sûrement autant qu'elle est capable de lire au travers des gens. Tu songes d'ailleurs qu'il serait temps d'aller lui rendre visite, la dernière date d'il y a un moment déjà.

Tranquillement tu poses ta tasse juste à côté du plateau. Le roi blanc en échec dans les mains de Jasper, tu le lui prends délicatement pour le remettre debout sur le champ de bataille. Lève tes yeux pour chercher les siens.

— C'est une raison de plus pour prendre le temps, non ? Avant de trouver contre qui ou quoi tu te bats, trouve tes alliés. Est-ce que le concept d'échecs fantômes te parle ?

Ce sont ces parties un peu spéciales ou les pions du camp d'en face ne bougent pas. Ou on remarque les coups qu'après qu'il soit porté et que le pion touché se détruise. C'est une variante récente des échecs sorciers encore méconnue mais qui correspond parfaitement à votre situation. Pour avoir assisté à quelques matchs, tu sais qu'il est possible de l'emporter. Il faut savoir prendre le temps et avoir confiance, avant d'être stratège.

Un silence qui s'installe alors entre vous avant que Jasper ne reprenne la parole et tu te crispes presque instinctivement à ses mots. Tu aurais préféré qu'il ne dise rien. Tes lèvres pour échapper un soupir soudain plus agacé tandis qu'Adara apporte un petit tas de dossiers.

— C'était donc la raison derrière ta demande.

Tu avais finis par oublier, portée par l'envie d'aider.
D'un œil critique tu observes un instant les dossiers, d'abord sans en toucher aucun puis tu finis par te saisir du plus haut de la pile. À peine ouvert que tu le refermes déjà pour le lâcher près de ton verre, les traits dégoûtés.

— Mère est vraiment sérieuse ? J'y crois pas. Montre-moi les tiens. À qui as-tu envoyé tes lettres ?

Avant que tu ne te saisisses de sa pile pour en feuilleter rapidement le contenu. Tu vas pour faire un commentaire sur la qualité bien trop parfaite de cette liste (écœurant) mais il poursuit et mentionne Izar. Tu tournes rapidement la tête vers lui. T'as l'impression d'étouffer soudain.

— Izar ? Jas- Tu sais que- Il. Aaaah c'est pas vrai. C'était pour ça alors, l'autre jour ?

Un jour, s'il veut être discret il faudra couper la langue de vos elfes de maison. Ou alors tu finirais par leur donner à tous une potion de vérité, qu'ils arrêtent de te tease simplement des détails dont tu ne veux rien savoir.

— Jasper, Izar il- C'est mon ami.
Je crois qu'il m'aime bien.

Sûrement beaucoup trop pour ce que tu as à lui offrir en retour. Seulement tu n'as pas besoin de lire ces dossiers pour savoir que tu les refuseras tous. Rien que le premier nom a failli te donner de l'urticaire alors les autres ? Lancelot Avery. Une blague, vraiment. Tu aurais presque préféré Sage Black. Presque.

— Cette situation est infernale...

Tu geins en passant te passant les mains sur le visage, comme si en le fait de les enlever allait te faire sortir de ce mauvais rêve. Pas du tout, c'est bien dommage.

— Je vais- prendre le temps d'étudier tout ça.

Tu ne veux pas te marier.

— Izar aussi, d'accord ?

Non non non non non.
Tu ne veux pas te marier.
Tu ne veux pas qu'il le fasse non plus.

— Je ne veux pas te laisser porter ce poids tout seul mais il va me falloir un peu de temps. S'il te plaît.

T'as promis.

— Les soeurs Guilligam ? Je ne suis pas sûre qu'Isabella Guilligam soit la solution à nos problèmes, c'est une véritable peste. Aradia cependant, hm.

Tu sembles réfléchir. Peu importe, pas vrai ? Tu jetteras un œil plus en détail à ses dossiers, pour l'aider à choisir, s'il le souhaite. Mais pour l'heure, tu reprends ta tasse pour en finir les dernières gorgées avant de la reposer, l'esquisse un peu amère qui s'étire alors que tu profites de ton geste pour ne pas le regarder.

— Je sais bien, je ne me défilerai pas je te l'ai promis.

À contre coeur bien sûr, mais tu ferais tout pour Jasper, même si ça prend du temps et que l'idée te semble insupportable. Un nouveau soupir à tes lèvres alors qu'il poursuit. Ton regard que tu reviens poser sur lui, tu étires une grimace agacée. Cette impression qu'il a déjà tout prévu d'avance t'énerve mais tu ne dis rien, lui concèdes que la situation est loin d'être simple et qu'à défaut de parvenir à quoique ce soit pour lui, il aimerait y parvenir pour toi. Ça te peine, cette idée. Parce que tu sais son coeur prit et le tien -le tien perdu. Si tu ne sais pas où il est, tu es certaine cependant qu'il n'appartiendra jamais à Izar.

Pourtant il en rajoute, Jasper.
Énonce avec facilité, pour tenter de te convaincre, ce que tu redoutais de t'avouer.

Il t'aime, Izar.
Je sais.

— Tu en fais trop, Jas'.

Encore. À chercher des excuses au fait qu'il te force la main. Mère, lui, au final aucun d'eux ne se rend compte que celui qui en pâtira le plus sera Izar, même pas toi. Ou peut-être ne le prend t-il pas en considération de manière volontaire. Tu ne sais pas mais ça t'agace.

— Quitte à devoir prendre une décision, laisse-moi au moins le gérer comme je l'entends, s'il te plaît.

Qu'il arrête de forcer. Où est le naturel si tout est déjà prévu d'avance ? Si pour les autres tu peux l'accepter, avec Izar c'est différent. Parce que tu le connais Izar, bien mieux que tous les noms sur ces foutus dossiers. Parce qu'il est amoureux, Izar, mais que toi tu ne l'es pas. Tu ne veux pas briser le peu qui vous retient en tirant trop sur la corde qui vous lie tous les deux. Il ne mérite pas ça.

(mais tu as conscience qu'une alliance avec les Black vous sauverait)
Ça t'emmerde.

Tes doigts qui se posent alors sur l'épaule de Jasper qui se confie. Tu tapotes.

— Ce sera un père intelligent, loin d'être fou. C'est seulement la situation qui est compliquée. Mais ne te précipites pas Jasper. Tu as... Du temps. Toi.

Visiblement.
Ton regard qui se reporte sur le plateau de jeu.

— Réfléchir avant chaque coup, tu te souviens ? Et si Mère insiste de trop... Je peux toujours la museler si tu veux.

Demi-sourire amusé à tes lèvres, tu n'avoueras pas que tu n'attends qu'une occasion pour le faire.

— Tu devrais avoir un minimum de dignité tout de même, vraiment.

C'est dit avec une pointe de malice malgré le sérieux dans ta voix. S'il te connaît bien il saura que tu n'as pas pour habitude de juger les autres, mais il existe certaines personnes comme Isabella Guilligam qui, en plus d'être plus insupportable que toi (tu demandes encore comme c'est possible), attirent plus d'ennuis que les autres. Vous n'avez pas besoin de plaies plus grosses que celles que vous possédez déjà, n'est-ce pas ?

Tu soupires faiblement à la suite de ses mots, te fais compréhensive parce que tu sais qu'il a raison. Tu n'as jamais été facile à vivre et subtilité n'a jamais vraiment été un mot de ton vocabulaire. Pas un mot qu'il ait déjà eu l'occasion d'exploiter (de voir) avec toi en tout cas -parce qu'il s'était fait aveugle à tous tes essais, Jasper. À chaque fois.

— Je la comprends Jas', mais arrête de forcer. J'ai conscience de ce que je dois faire et de quand je dois le faire. Le comment, cependant, ne devrait appartenir qu'à moi.

Parce que tu refuses qu'on te vole ça en plus du reste. Tu sembles étonnamment posée en prononçant ces mots, quoiqu'un peu agacée également. Il te fait confiance, non ? Il l'a dit, et tu as promis. Rire amer pourtant à la mention de votre mère, tu te retiens bien de commenter que cette vipère ferait mieux de surveiller ses arrières au lieu de te coller aux basques. Qu'est-ce qu'elle peut t'agacer ! Plus encore depuis l'arrestation de votre père.

Tu lèves les yeux vers lui lorsqu'il redit te faire confiance.

— Vraiment ?

Ce n'est pas que tu n'es pas convaincu, au contraire même, ça te fait plaisir et tu veux y croire. Tu y crois même un peu. Pourtant, vu vos antécédents à tous les deux et la situation actuelle, tu ne peux t'empêcher d'être un minimum méfiante. Tu espères qu'il soit sincère, que tout ça n'ait rien à voir avec de la quelconque manipulation. Car si tu perçois les efforts qu'il fait, tu n'es pas certaine qu'il perçoive les tiens. Après tout, il l'a avoué à demi-mot un peu plus tôt.

Il prend les dossiers pour les tendre à Grenat et tu souris avec lui.
Le feu c'est pas mal du tout comme idée.

— Merci Jasper, vraiment.

T'es fatiguée mais tu vas essayer encore une fois d'être une bonne personne. Pour lui faire honneur, qu'il puisse te contempler toute entière cette fois.

— Tu auras une réponse dans la semaine. Trois jours, au plus tard.

Te contempler alors que tu te dis adieu. Parce que tu as beau sourire tu restes éteinte, Iphigenie. Éteinte ou presque. Est-ce qu'il doit vraiment le savoir, ça ?

— Tu souhaitais discuter d'autre chose ?

Je veux te faire confiance. Ça sonne un peu étrange à ton oreille, pourtant tu te fais silencieuse à l'écouter s'expliquer. Ça te fait peur, tout ça, parce que tu réalises à mesure qu'il s'exprime que tu avais raison. Il n'a jamais vraiment vu, Jasper. Peut-être avant, dans l'enfance malgré tes crises mais plus depuis trois ans au moins. Tu ne peux pas lui dire, pas vrai ? Tu ne peux pas lui dire comme tu t'es donnée en trois ans, comme tu l'as épaulé, comme tu t'es assagie. Il n'écoute pas et tu en as assez de te répéter -ça a l'effet inverse, de toute façon.

— Ça a des allures de dernière chance, je n'aime pas ça.

Toute cette pression et lui qui se fait aveugle au fait si simple que l'inverse est aussi vrai. Mais Jasper est un faux patient, pas vrai ? Un mauvais fou. Ou le meilleur ? Va savoir. Tu laisses échapper un soupir las avant qu'il ne donne les dossiers à Grenat pour qu'elle s'en débarrasse. Au feu, hein ? T'as envie d'y croire encore Iphi. Alors tu t'accroches. Concèdes.

Trois jours c'est beaucoup, bien trop peu pour toi mais énorme pour lui et tu le sais. Un sourire en coin lorsqu'il te dit être reconnaissant.

— C'est normal Jas'.

Normal oui.
Mais tu crois que c'est une normalité que vous aviez oublié tous les deux jusqu'alors. De nouveau un soupir alors qu'il porte une cigarette à ses lèvres. La réponse à ta question qui ne vient pas tout de suite alors tu en profites pour l'observer. Jasper et son profil aussi fatigué que le tien, Jasper et son regard éteint, ses cernes immenses et ses traits tirés.

Non, qu'il dit.
Menteur, que tu penses.
Et toi ?

— Moi ?

Encore beaucoup trop.

— Non je n'ai rien.

Rien qui ne vous détruise pas plus que vous ne l'êtes si tu en parles du moins. Et le moment est mal choisit pour ça.

Tu décales un peu la tête quand il souffle sa fumée, en profite pour te lever en même temps et le regarder. T'aimerais pouvoir lui dire à quel point t'étouffe mais ce serait égoïste, à quel point il te donne l'impression d'être seule responsable de tous ses maux alors que vous avez crées la plupart des vôtres à deux. Mais tu ne peux pas.

À la place alors tu lui offres un sourire radieux. Pas très grand mais le plus sincère et le plus tendre que tu ais en stock avant de te pencher pour le serrer dans tes bras. T'essaie, encore.

— Tu es mon frère et je suis ta sœur, Jasper. N'oublie jamais ça.

Ni ces mots, ni les sous-entendus qui en découlent.
Ne me rejette pas.
Je serai là.
Je t'aime.

Entre autres.

Puis, sans rien ajouter d'autre, tu te redresses avant de quitter la pièce. Si le pas semble plus léger qu'à ton arrivée, ton coeur lui est toujours aussi lourd. Est-ce que ça va vraiment aller ? Ce n'est pas une question à poser avant de foncer dans un mur, tu sais.