better

again

Accablant, écrasant - l'écho des pas, des murmures et des voix à la fin des cours assaillit son esprit déjà surchargé. Elle a dans ses mains ses notes, propres et méticuleuses et pourtant son esprit ne semble rien avoir enregistré. C'est comme si, au milieu du silence de la classe, alors que sa main écrivait, son esprit s'était envolé. Séparé de son enveloppe mortelle, il est parti - loin.

Loin du stress, loin de ses mains qui tremblent à l'idée de la nuit qui approche. Penser à son lit ne lui apporte plus le même réconfort que dans son enfance - elle y revoit le plancher, pense entendre ses pas dans les couloirs, tressaille à l'idée de le voir entrer. Il est encore plus loin, pourtant, isolé dans une cellule, écarté du quotidien en attendant son jugement. Pourtant il est toujours si près, semble la suivre dans son ombre partout où elle va. Au milieu des rires, des couloirs familiers qu'elle a tant aimé - où elle a couru, où elle a rêvé, où elle s'est sentie à la maison, elle ne sait désormais plus se sentir en sécurité.

Pourtant sur ses lèvres, un sourire.
Elle ment, passe ses journées à rassurer ceux qui l'entourent et qu'elle s'efforce à éloigner - jour après jour, elle creuse les tranchées. Elle ne peut pas montrer à qui que ce soit qu'elle n'est plus celle qu'ils ont si longtemps côtoyée. La peur lui tord le ventre, fige ses pieds à l'idée - personne ne saurait aimer celle qui est rescapée. Elle le sait - voit comment ses parents et ses frères cherchent toujours le fantôme qu'on leur a arraché. Elle est différente, à jamais souillée.

Quand elle s'aventure dans les couloirs, les foules se sont calmées. Elle est dans les dernières, apprécie le silence de ses pas discrets. Son regard se concentre sur ses pieds (elle n'a plus la foi de regarder vers l'avant, le futur n'a plus aucun attrait à ses yeux) alors elle traîne un peu le pas, n'a pas envie de rentrer. Elle hésite l'espace d'une seconde à se perdre dans la bibliothèque. Le bruit des pages qui se tournent a toujours su l'apaiser, mais depuis son retour le silence de la pièce laisse place à son esprit d'être trop bruyant, à ses pensées incontrôlées de l'envahir. Elle ne sait plus où trouver la paix et la quiétude qu'elle a un jour prises pour acquises.

Pour ne pas l'aider, le soleil qui descend dans le ciel ne couvre désormais le sol que d'un gris délavé. Elle en perd parfois ses repères, n'arrive plus à les distinguer. Le soleil l'aveugle et la nuit l'étouffe - ses journées sont interminables et elle n'a nul part où se cacher. Elle pense, pourtant, innocemment, avoir le répit de sa solitude pour quelques heures - finis les cours (et la mascarade) mais elle aperçoit d'autres souliers, légèrement plus loin. Ils semblent l'attendre, immobiles, alors son regard se redresse et le voilà - ah. Elle ne peut cacher une légère surprise (et son coeur se serre) elle semble entendre au loin, l'orage prêt à gronder. Et pourtant sa seule pensée, qui vient piétiner l'intérieur de sa poitrine est à quel point il lui manque de voir les nuances sombres de son regard qu'elle a toujours su apprécier, aujourd'hui d'un gris foncé.

▬ Lancelot ? Tu n'es pas encore retourné à ton dortoir ? Les cours sont finis depuis un moment pourtant.

Elle feinte l'innocence, se doute d'être la raison de sa présence.
Regrette déjà la douceur avec laquelle il prononçait son nom, à laquelle elle a abandonné tout droit. Elle reste loin de lui - à raison.

Elle ne voudrait pas le salir de ses démons.  

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Elle sait, oui.
Elle a lu les mots, dévoré les phrases. Chaque ligne de texte que ses amis lui ont envoyé - leur inquiétude, leur incompréhension, leur affection, qui la remplissaient de culpabilité. Parce qu'elle ne pouvait rien expliquer, ne pouvait répondre - a déjà eu du mal à arracher les lettres à ses parents pour pouvoir les ouvrir, eux qui ne voulaient pas prendre le risque qu'une lettre ne puisse briser un peu plus son coeur défaillant. Elle était pourtant heureuse de savoir que des gens attendaient son retour (à défaut d'une maison où elle ne pouvait plus passer ses jours).

Elle sait, parce qu'elle le lit dans ses yeux.
Si elle ne peut plus en voir la teinte, elle y lit pourtant tout ce qui s'y mélange. Elle ne lui en voudrait pas d'être en colère, de vouloir lui hurler dessus de tout son être. Mais il ne sait que faire - elle sert le papier entre ses doigts, retient son souffle. Son coeur s'agite à le voir se mouvoir dans le couloir, la peur de la confrontation qui s'essoufle quand il semble prendre la fuite.

▬ Je vois.

Une réponse courte, désinvolte. Détachée de ses occupations qui ne la regardent plus. Elle s'apaise à savoir qu'il ne vient pas chercher des explications.

Et pourtant sa voix sonne bas,
Lui effleure l'oreille comme un papillon.

Six mots - tous petits, tous innocents, qui remontent en elle des images. Un frisson descend sa nuque, une sueur froide désagréable qu'elle s'affaire à ignorer. Elle veut juste laisser l'automne emporter les souvenirs de l'été. Alors elle se tourne vers lui, sourit (mais ça n'a rien de ses sourires chérubins qu'on aimait tant) quand ses yeux se plissaient légèrement, les étoiles du ciel dans leur couleur sombre, éblouissants. C'est un mouvement presque mécanique, qu'elle se force à huiler pour sortir naturellement.

▬ Oui, évidemment. J'étais juste très occupée.

Mensonges, toujours des mensonges.
Ils s'allongent dans une liste sans fin qu'elle traîne à ses pieds, qui la fatiguent et ne cessent de la faire culpabiliser. Elle voudrait hurler, se jeter à ses pieds et pleurer toutes les larmes de son coeur. Elle aimerait pouvoir s'accrocher à lui, chercher dans ses bras du réconfort - mais le contact la révulse, réveille la douleur des bleus qui n'ont plus lieu d'être. Alors elle laissera la douceur de son étreinte devenir une chimère dont elle ose parfois rêver, sans jamais le lui avouer. Creusera la distance entre eux comme si ça ne cessait pas de la tuer.
(Elle rêve d'un sourire, d'un murmure)
Qu'il lui dise que rien ne va maintenant, mais qu'elle a encore un futur.

Mais elle se contentera de sourire,
Se contentera de se laisser mourir,
Loin des yeux, loin du coeur.

▬ Et toi ? Comment tu te portes ?

Elle relance la balle, la jette loin d'elle. Elle cherche à le faire parler pour l'oublier, recentre la conversation pour pouvoir s'échapper.
Ne cesse de fuir, même en étant coincée.

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Occupée - c'est vague, comme réponse. Au final, elle se demande si elle a vraiment menti. Occupée ? Elle l'était - à voir sa famille se décomposer. A entendre les cris et les suppliques de ses frères et de ses parents. A fuir leurs regards dans lesquels régnait la peur - elle n'a jamais su dire s'il s'agissait de la peur de la perdre, ou du fait que celle qu'ils aimaient ne pourrait jamais leur revenir. Elle était occupée, aussi, à voir son reflet se déformer dans le miroir. A trembler, la nuit, dans le noir. A tenter de parler à ces docteurs qui voulaient l'aider, à ce psychologue qui voulait l'entendre, l'aider à mettre des mots sur ce qui l'avait tant blessée (mais elle n'y arrivait pas) n'y arrive toujours pas. Sinon, elle lui dirait à lui. Elle viendrait s'excuser, irait tout lui avouer. Elle lâcherait peut-être dans un ramassis peu cohérent que son monde sera à jamais différent. Qu'elle est coincée dans un film rétro, une mauvaise tragédie qu'elle aimerait abréger. Qu'elle voudrait pourtant le garder à ses côtés, égoïste.
Qu'elle voudrait qu'il l'accepte comme avant.
Mais elle a peur et les mots ne sortent pas.
Elle est faible et elle ne saurait comment dire
Que tout est de sa faute.

Alors elle sent, entend, la colère qui s'étouffe dans les sonorités de sa voix. Ses épaules se raidissent (instinctivement) quand il s'approche, elle recule. Elle l'aurait laissé l'approcher, avant. Maintenant elle se recroqueville, se faisant encore plus petite alors que son dos finit par se coller contre l'un des murs du couloir. Et dans son regard, une légère lueur de peur se fait voir.

Elle ne peut plus voir les couleurs mais elle le perçoit rouge - il a raison. Elle regrette - manque la manière dont ses lèvres soufflaient son surnom. Persephone. Ca sonne distant, lointain. Mesquin. C'est ce qu'elle a cherché, elle a réussi. Elle l'a repoussé, l'a chassé de sa proximité, elle ne peut que s'en mordre les doigts sans avoir le droit de le regretter. Elle l'a abandonné (elle a abandonné tout le monde) les déçoit sans cesse. Elle fait ça si bien. Il n'est pas le premier à éclater, à gronder comme l'orage alors qu'elle tente d'éviter les éclairs qu'elle a pourtant semés. Ses gestes brusquent lui arrachent un tressaillement, les pupilles qui trahissent l'anxiété naissant dans le creux de son être. Et ça lui fend le coeur (parce qu'elle le connaît, sait que jamais il ne viendrait la percuter de son courroux) mais son corps l'ignore, tendu, prêt à recevoir les coups. Sa voix à elle est discrète, un tremblement dans le couloir où personne n'assiste au drame de leur petit monde qui s'écroule. Leurs planètes s'entrechoquent, leur univers vient à s'embraser pour mieux s'éteindre (et pourtant) personne ne sera là pour le voir.  

▬ T'as le droit d'être en colère.

Et pourtant elle ne s'excuse pas.
Elle n'est pas sûr que ça servirait, puisqu'elle ne compte pas rester à ses côtés.

▬ Je sais que ça a dû te blesser. Je voulais répondre, j'ai lu toutes tes lettres. Ca m'a fait plaisir, tu sais.

Elle les a même mises en sécurité, dans une petite boîte en bois verni cachée sous son lit, pour être sûre que personne ne vienne les lui arracher.

▬ Et puis je voulais revenir plus tôt.

Mais on m'en a empêché.
Elle baisse les yeux sur ses pieds, cherche les mots qui pourraient l'apaiser - sait bien qu'elle n'a pas le droit de les utiliser. Sait très bien qu'elle lui mentirait.

▬ Je te demande pas de m'excuser.

Parce qu'elle ne compte pas changer, sous-entend bien qu'elle s'apprête à le quitter. Qu'elle ne verra pas l'hiver cette année à ses côtés. Pourtant, cruelle dans sa douceur elle s'autorise à soupirer tout bas, dans une confession (un secret, un regret, une damnation) qu'eux seuls n'entendront. L'ombre d'un sourire en pleine désolation.

▬ Tu me manques.

Et il lui manquera toujours.
Parce qu'ils ne pourront jamais faire demi-tour.

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C'est un cycle qui se répète. Doucement, elle commence à prendre l'habitude. L'irritation qui s'accumule et éclate, les cris, parfois les pleurs, suivis de la déception, pour se finir sur l'abandon. C'est une boucle amère qui la désensibilise à chaque répétition.  

Elle aimerait apprendre de ses erreurs mais ne fait que s'enfoncer dedans, y sauter à pieds joints pour continuer de chuter. Elle s'éloigne en silence, prend son envol loin de tous. Elle a pensé, déjà, à vraiment sauter. C'était pas forcément l'envie d'en finir qui la berçait, peut-être juste l'envie de taire la douleur, de trouver un moyen que ça s'arrête. C'est tellement brouillon dans son esprit - comme le reste, qu'elle n'arriverait jamais à l'expliquer.

Alors elle encaisse le sarcasme, encaisse la fatigue de ton regard (elle aussi elle a le corps lourd) elle le traine sur les sols un peu plus tous les jours. Elle se demande parfois si elle n'est pas qu'un cadavre qui trompe le monde, elle a l'impression d'avoir perdu son âme. Qu'une partie d'elle s'est à jamais perdue à l'autre bout de l'Angleterre, et aucune magie ne pourra rien y faire.

Son soupire la gifle comme une droite - elle est fatigante, elle sait. Tout aussi fatiguée. Il en a sûrement marre des excuses, de l'entendre se cacher derrières des frivolités mondaines, comme si ça expliquait son comportement. Plus personne ne supporte ses fioritures, elle est la première à ne plus pouvoir les voir en peinture.

Le vent siffle, la sonorité familière de la percussion d'un poing contre le mur. Son cri la fait trembler sur ses pieds. Sûrement que ça l'a soulagé, un peu. Elle cogne des choses, aussi. Ereinte ses phalanges sous l'usure. Elle ne sait plus si c'est à cause du vide qu'elle cherche à remplir, ou si c'est pour déverser tout ce qu'elle a en elle.

Mais en cet instant, ce n'est plus rien de tout ça qui l'habite - les palpitations de son coeur la font trembler, elle sent ses pieds se dérober, ses jambes qui glissent légèrement alors qu'elle continue de s'affaisser. Ses oreilles sifflent, ses lèvres tremblent, ses yeux piquent et sa gorge se noue. Elle retient les larmes qui menacent de dévaler sur ses joues, retient les suppliques qu'elle n'a que trop souvent sanglotées.

Il parle - elle voit le mouvement de ses lippes, peut presque sentir le souffle sur son front (mais elle ne le voit plus) en cet instant elle se retrouve juste en face de ses démons. Il est grand, la survole de sa hauteur (elle a presque l'impression de sentir le sang dans son odeur) alors qu'elle tente de s'ancrer dans le sol, dans son nom, dans le confort que fut un jour le vert de sa cravate et la douceur de ses yeux marrons. Elle relève les siens - il la confronte mais elle ne le voit pas. Tourmentée par une voix qui la hante, par des murmures qu'elle tente d'oublier, ses poignets la brûlent comme si la corde les entourait.

▬ Pardon. Je suis désolée.

Pas à lui, pas à elle - à l'ombre qui la surplombe, qui amenuise la lumière et les gris, qui la fait trembler comme une feuille (elle était si étincelante, avant) aujourd'hui elle n'est qu'une enfant.

Elle déglutit, avec peine. A l'impression qu'elle va rendre son repas de midi. Sa respiration est plus fastidieuse - mais elle se retient. Elle ne veut pas se briser sous le regard de quelqu'un - le silence de sa chambre et de ses draps est fait pour ça. Elle aimerait lui faire confiance, aimerait pouvoir, à nouveau, comme avant, poser sa tête contre son bras en souriant, peut-être venir chercher sa main en riant. Mais tout son être tente d'être aspiré par le mur dans son dos pour échapper à sa présence, à son contact - elle ne veut pas le salir, ne veut pas le teinter de ses cauchemars, de ses souillures, de son passé.

▬ J'aimerais pouvoir t'expliquer. Vraiment. Je... Je peux pas.

Oh, elle aimerait tant.
Mais la plaie est béante et l'obstacle trop grand.
(J'aimerais que tout soit comme avant.)

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Elle sait que c'est une déception - elle, comme le manque de raison. Elle sait, sent sous ses pieds la fissure - la plaie béante qu'elle a ouverte. Elle l'a façonnée patiemment, au fil d'absences et de silences, comme un vicieux poison. Elle est bonne à ça - si bonne qu'elle en fera son métier, sa maison. Elle n'est qu'au commencement des coeurs qu'elle brisera, des portes qui se claquent, des adieux qui s'empilent. De la solitude qui deviendra son seul compagnon.

La colère est passée - non, elle persistera au fil des saisons, une insatisfaction latente, une blessure qui portera toujours son nom - laisse place au froid glacial de la résignation. Sa silhouette se redresse - pas elle, elle reste en morceaux, le coeur prêt à sortir de sa gorge, l'envie de crier et de sortir de son propre corps. Elle crève de le vouloir à ses côtés, de vouloir s'accrocher à son uniforme pour le supplier de rester, de lui faire oublier tout ce qu'il y a de si mauvais (de lui ramener les jours qu'elle n'oubliera jamais, qu'elle continuera d'aimer quand elle ne sera pour lui plus qu'un amer souvenir) mais la peur saisit son corps à l'idée même de le toucher, de se brûler à sa chaleur, à sa pureté qu'elle ne veut détruire.

Mais Persephone détruit tout sur son passage.
Ses sourires qu'elle a tant aimés ne sont plus qu'un mirage.

Sa question perce sa poitrine, transperce son myocarde, écrase sa conscience (s'il savait) à quel point il était loin d'être rien - à quel point il faisait parti de son tout. Comme elle a chéri tous les moments en sa présence, comme elle s'est languie de son absence, comme les étés, bien que dans le confort de sa famille, n'ont jamais été dépourvus de son souhait de le ramener avec elle dans un monde qu'elle aurait pu lui faire découvrir. Elle a déjà rêvé, innocemment, de l'emmener voir les côtes où elle a grandit, de tremper avec lui ses pieds dans le bord de mer, la sensation du sable sous la peau, voir le vent caresser sur sa peau ses mèches brunes qu'elle a pu parfois caresser. De parcourir les routes qui ont bercé son enfance, de lui faire goûter la cuisine de son père, de partager les meilleures confiseries qu'elle se plaît toujours à acheter, de partager une tasse de thé dans le jardin où elle a grandit (et où elle ne mettra plus jamais les pieds).

Comme elle a osé se bercer de l'illusion qu'en plus d'un maintenant, il aurait pu lui accorder un demain. Loin de l'académie, loin des études - un quotidien où son nom se glisserait encore de ses lèvres, où elle aurait pu entendre ses aspirations, le voir s'épanouir dans un monde en pleine floraison. L'apothéose de sa carrière, de ses ambitions - l'envie d'être à ses côtés jusqu'à la prochaine saison.

Mais elle n'aura rien.
Elle ne sera qu'une marche dans la dégringolade de sa perdition.

▬ J'aurai beau dire le contraire, ça ne changera plus grand chose.

Ses épaules s'affaissent - la peur s'éloigne un peu, la fatigue la submergeant à sa place. Elle aussi, jette ses derniers espoirs (sans colère, sans bruit) elle les coule dans un monde tout gris. Elle aimerait lui demander pardon - lui dire que ses couleurs lui manquent, qu'il était lui aussi, quelque part, sa maison.

Persephone se fait raison.
Elle n'a plus le droit de le retenir sur le palier de la porte de leur relation.

▬ C'est égoïste, je sais. T'as toutes les raisons de m'en vouloir. Elle n'en a aucune à lui fournir. Mais toutes ces années, c'était pas un mensonge. J'ai toujours chéri notre relation.

Elle ose, une dernière fois, relever ses yeux dans les siens. Ils ont toujours été la porte à son âme, un ciel dégagé sur le palais de ses sentiments - couvert aujourd'hui de regrets et de lamentations, de non-dits et de résignation. Elle les lui offre, une dernière fois, une entrevue sur sa détresse et son abandon. Un maigre sourire, dernier effort dans sa silencieuse rébellion.

▬ Tu vas me manquer.

Comme il lui a manqué tout l'été,
Quand elle ne savait même plus si l'automne viendrait.
Comme il lui a manqué dans sa chambre d'hôpital décolorée,
Quand elle rêvait de s'échapper, de retourner à ses côtés.
Comme il lui manquera, toutes ces années,
Quand elle ne sera plus qu'une amertume de jeunesse,
Un souvenir déformé.

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Si seulement elle lui avait tout dit.
Si seulement elle s'était expliquée.
Si seulement elle ne l'avait pas rejeté.
Si seulement elle n'avait pas fuit.
Si seulement elle n'avait pas tout détruit.
Si, si, si, si, si - tellement de conditions, tellement d'altérations dont elle rêvera souvent, qu'elle emportera silencieusement dans le creux de ses mains abîmées par le temps et le désinfectant. Tellement de regrets qui viendront peser sur ses épaules. Tellement de mondes qu'elle voudrait refaire pour qu'il ait sa place dans son histoire, cette mauvaise comédie tragique dont elle ne veut plus faire partie. Elle voudrait bien y jouer un rôle un peu plus longtemps - si c'était pour lui.

Mais il ne veut plus de son amour (elle n'y répond pas) ne lui avouera pas que ça importe peu, qu'elle ne pourra s'en empêcher. Qu'il va s'entassser dans sa poitrine creuse, anesthésiée par la déprime et les chutes dont elle n'a jamais su se relever - il y restera toujours, dans un coin qu'elle tentera d'oublier. Elle y arrivera presque tous les jours - mais parfois, comme un fantôme, elle croira le voir au coin d'une rue (et tout l'amour qu'elle aura gardé en elle remontera en crue.) Parce que la séparation est dure, mais leurs jours paisibles en sa compagnie, elle ne les perdra jamais de vue.

Son égoïsme amène la colère - elle sait, s'y attendait. Elle n'a aucun droit de lui dire qu'elle pensera à lui, qu'elle le chérira même loin d'ici. Elle n'a aucun droit de dire que ses pensées souffleront encore son visage, sa beauté, son nom. Mais elle l'a fait, sans regret, c'était sa dernière volonté sur la mort de leur conversation. Ses yeux sont une tempête qu'elle admire, au milieu des regrets elle trouve toujours une seconde pour admirer son visage avec adoration - est-ce ses couleurs lui en diraient plus sur ses émotions ? Elle regrette de ne pas lui avoir dit à quel point elle aimait la couleur de sa peau, la douceur de son rire, les mèches de ses cheveux, le plissement de ses yeux, les éclats de sa voix, et même ce poing qui a manqué de peu d'éclater comme une comète, de venir peindre sa peau de violettes. Il dit qu'elle n'a jamais aimé - mais Persephone aime sans limite, à déraison. Elle l'a trouvé beau dans sa douceur, l'a aimé dans sa folie, l'adorait dans sa rage (peu importe ce qu'il faisait) elle le trouvait aussi précieux qu'un mirage.

Un mirage qui s'efface, à l'angle du couloir, qu'elle ne reverra plus (ou ne fera mine de pas voir) pour ne pas infecter la plaie. Ses jambes l'abandonnent, pour de bon, alors qu'elle s'effondre sur le sol, que ses épaules se secouent, par à-coups, en silence. Sur ses joues des perles chaudes qu'elle ne sait plus contrôler, qu'elle tente d'effacer, de dénigrer de ses mains (effacer tout ce qu'elle ne peut de toute façon rattraper). Dans ses sanglots, pour une fois, au lieu de plaider pour un pardon, elle y murmura son nom.

Profitera de le prononcer pour la dernière fois,
Avant le réel abandon.