Tu tapotes doucement sur l'accoudoir de ton fauteuil, jettes un coup d’œil à ta montre. 16h45. Bientôt, l'heure. Tu te lèves, impassible, remet en place ta cravate, remet en place tes manches. Tu te regardes dans le miroir. Le bureau est impeccable. Tu es impeccable. La seule chose qui dénote avec ton costume et tout le reste, ce sont les nervures à ta main, la dernière trace de ta main jetée aux flammes. Tu soupires, passe une dernière fois en revue ta tenue avant de quitter la pièce. Tu descends les marches pour gagner le rez-de-chaussée, croises ta mère dans le hall.

— Tu es très élégant, mon fils.
— Je suis toujours très élégant.

Elle rit, ses lèvres rouges (elle ne porte plus que ça depuis que père n'est plus là), son sourire de vipère. Ce n'est peut-être que toi, mais depuis les attentats tu as l'impression qu'elle renaît.

— Tu reçois le petit Black dans la véranda ?

Tu relèves la tête, hausse un sourcil.

— Comment savez-vous... Tu te ravises. La question est idiote. Quand elle veut, elle sait. Tu tends un peu. En effet. Il ne devrait plus tarder, d'ailleurs.

Elle laisse traîner oisivement sa robe, hausse les épaules gracieusement. Elle revit, oui. À croire qu'il fallait que ton père disparaisse pour qu'elle brille. Mais tu redoutes le genre d'adversaire qu'elle pourrait être.

— Bien, j’espère que tes négociations prendront la tournure que tu souhaites. Elle touche ses lèvres du bout des doigts, tu te tends, tu sais qu'elle va cracher l'acide. Quoi que je ne m'inquiète pas, tu te donnes corps et âme pour obtenir ce que tu veux. Comme ton père.

La nausée te prend. La façon dont elle insiste sur le mot corps ne t'échappe pas. Merde. Elle sait. Évidemment qu'elle sait. Tu restes digne et droit, pourtant tu trembles au fond de toi. Tu aurais dû être plus discret. La peur terrible qu'elle en sache plus que ce qu'elle veut en dire, que ce que tu as fait croire. Mais tu restes droit, t'interdis la panique. Tu balayes de la main sa réplique, tes yeux bleus sévères.

— Je ne suis pas Phileas Fawley.

Comme-ci c'était la seule partie de sa phrase qui t'ébranlait. Elle ne dit rien, se contente de te sourire avant de tourner des talons et de quitter la pièce. Tu soupires et gagnes la véranda. À peine le temps de t'asseoir que Grenat vient t'annoncer qu'Izar est arrivé. Tu soupires, donnes l'autorisation pour qu'on te le ramène. Tu te lèves à son approche, lui tend la main, chaleureusement.

— Je suis ravi de te revoir, Izar. Je t'en prie, assis-toi.

Sur la petite table en face de vous sont disposés thé et douceur. Deux de tes elfes de maisons s'affairent autour de la table pour vous servir. Tu croises tes jambes avant de laisser ton dos reposer sur le dossier. Sans détour, tu demandes.

— Je suppose qu'il ne sert à rien de tourner autour de pot. Je voulais te remercier, j'ai vu que tu as parlé à Ginny pendant le gala.

Tu souris, conciliant. Si, elle l'a été pour quiconque ne cherchait pas. Or, toi, tu cherches. Tu creuses. T'observes le reste du monde comme un échiquier, tente de prévoir à l'avance la façon dont les pièces vont bouger. Tout le monde ne le fait pas. Beaucoup n'ont pas à le faire. Pour toi, c'est une nécessité. Tu as promis de vous rendre tout ce que ton père vous avez volés.

Tes doigts tapotent doucement la porcelaine de ta tasse. Il minimise ses actions. Dans le fond, tu ne peux pas lui donner totalement tort, tout ce qu'il a fait c'est échanger quelques mots. Cependant, tu sais combien cela peut leur coûter. Tu souris, impeccable, tendre. Toutes tes mimiques au service d'une apparence chaleureuse, car tu es son ami, n'est-ce pas ?

— J'insiste. Je sais combien ce genre de petits gestes peut te coûter.

Et quelque part, tu es sincère. Le risque est grand et toujours reconnaissant envers ceux qui prennent des risques. Pas comme Clovis, dont tu attends encore l'appel. Tu refrènes ta frustration, laisses ton sourire se noyer dans une gorgée de thé avant de prendre une expression plus amusée. Tu viens nonchalamment poser ton coude sur l'accoudoir et faire reposer ta tête sur ton poing. Tu le dévisages, tes soupçons étaient donc fondés.

— ... C'est ce que tu espères ?

Tu souffles de nez, rire discret. C'est partagé entre le calcul et la spontanéité. Tu l'amènes exactement là où tu veux l'amener. Pourtant, ça te rassure de savoir qu'il reste des alliés à Iphigenie, la possibilité pour elle d'avoir une porte de sortie tu en viens à lamentablement échouer. Tu laisses passer quelques secondes. Tu soignes ton effet.

— Tu l'aimes toujours, n'est-ce pas ?

Izar était un ami, autrefois. Jouer à ce jeu avec lui te coûte plus que tu ne veux te l'avouer. Mais comme toujours, tu consoles ta propre culpabilité en appelant au moindre mal. Si tout fonctionne comme tu l'espères, tu lui donneras l'épouse qu'il a toujours voulu avoir et la garantie d'un avenir sûr pour ta sœur. Un avenir auprès d'un homme qui n'est pas un simulacre de Magnus ou de Phileas.

Il répond à ta question par une question. Ton sourire s'accentue. Ça confirme tout ce que tu voulais savoir (ça endort tes scrupules.). Tu ne prends pas le temps de lui répondre, ce jeu n'est pas nécessaire et tu penses qu'il le sait. Qu'il vienne te demander directement ce que tu attends ne fait que te donner raison. Tu croises les jambes, viens te tenir droit. Calmement, tu annonces.

— Je souhaiterais réengager vos fiançailles.

Tu l'observes quelques secondes avant d'enfoncer de nouveau le clou.

— Je voudrais que tu épouses ma sœur, Izar.

Tu reprends ta tasse et bois une gorgée. Tu jauges en silence l'expression de son visage. Tu sais la négociation serrée. Izar est un tendre, il ne voudra pas d'Iphigénie s'il, elle n'a pas envie de lui. Pas quand Cannopus Black à certainement d'autres cartes dans sa manche, pas quand votre famille est désormais tout en bas (hors) de leur liste.

— Je ne vais pas te mentir, elle n'est pas encore au courant. Cependant, elle s'en doute, elle sait que son mariage est sur la table.

Autant jouer franc jeu. Tu poses ta tasse, viens braquer ton regard dans le sien.

— Notre situation est difficile et je ne peux pas garantir qu'elle s’améliorera avec le temps. Ce mariage a un intérêt double pour nous, d'une part, il légitimera notre famille et, d'autre part, il offrira à Iphigénie une occasion de regagner tout ce que notre père lui a pris.

Plus sérieux, quand tu confis.

— Or, elle reste ma sœur et je ne veux pas offrir sa main à n'importe qui. Je veux la garantie qu'elle évoluera auprès de quelqu'un qui saura la traiter avec tout le respect et les égards qu'elle mérite. Et tu es probablement le seul sang-pur que je ne soupçonne pas d'être, un connard finit.

Tu penses à Clovis. Tu penses à ton père. Tu penses à toi. Si beaux et grands, si enviables en apparence. Si laid dans les faits.

— Si tu me permets l'expression.

Tu lui adresses un sourire.

Tu le toises, attends. Il aurait tous les droits de refuser, pourtant tu vois au fond de ses yeux qu'il hésite. Ça ne dure peut-être qu'une seconde, mais elle te suffit. Il  h é s i t e. C'est tout ce que tu avais besoin de savoir.

— Je le suis, en effet.

Tu viens croiser tes jambes, t'adosser plus droit sur ton siège. Tu te positionnes comme un négociant, expert dans sa matière. Tu fermes les yeux, hoches la tête quand il parle. Ces mots sont justes, mais d'une naïveté face à laquelle tu ne peux t'émouvoir. On en est plus là depuis bien longtemps.Pourtant il y croit encore, au bonheur ? Tu repenses aux marques de Darya, cette après-midi au bord de plage où les illusions avaient volé en éclats. Avait-il subi ça, lui aussi ? Ou si la douceur de ses mots étaient-elles la preuve qu'il avait été le seul épargné ?

— Je lui en parlerai. Rassure-toi, elle aura le dernier mot quoi qu'il advienne. Cependant... Tu marques une pause, ouvres tes yeux. Nous ne sommes plus en position de rêver d'amour depuis bien longtemps.

Tu attends quelques secondes, reprends.

— Je lui ai laissé le choix. Partir et être libre ou rester et continuer de vivre en tant que membre de cette famille. Elle a fait le second choix. Je ne suis pas naïf, Izar. Je ne lui offre pas le bonheur, je lui fais juste quitter une prison pour une autre. Mais ta prison vaut mieux que celle dans laquelle elle se noie actuellement.

Tu détends tes jambes, soupir.

— Voyons les choses autrement, veux-tu ? Pourquoi ne pas commencer par la fréquenter de nouveau ? Venir la voir, lui offrir ta compagnie ? Votre mariage pourrait être une option parmi tant d'autres.

Tu lui adresses un sourire.

— Essayer de vous reconnecter, en tant qu'amis pour commencer. Le reste dépendra d'elle, mais je souhaiterais que tu reprennes une place dans sa vie, Izar. Nous avons tous les deux cruellement besoin d'amis.

Et tu espères qu'elle n'ira pas tout gâcher. Même si tu anticipes déjà qu'elle se défilera, refusera, préféra sa liberté puisqu'elle a la naïveté d'encore croire que sa vie lui appartient. Sauf que rien ne nous appartiens vraiment, pas quand on est un sang-pur, encore moins quand on est un Fawley. Tu anticipes déjà la façon dont ta mère, rapace, profitera de son hésitation pour négocier sa main avec quelqu'un que tu ne connaîtras pas. Quelqu'un qui pourrait être bon comme mauvais. Quelqu'un dont tu ne pourras pas garantir ni l'amour, ni le respect. Si vous n'étiez pas à ce point acculé le temps et les choix seraient un luxe que vous pourriez, vous accordez. Tu fronces les sourcils, fixe ta tasse un moment.

— Bien, c'est tout ce que je te demande pour le moment. Pour ce qui est du reste, tu peux compter sur moi pour appuyer cette union s'il doit se faire, j'ai peut-être quelques arguments qui pourraient faire pencher la balance en votre faveur.

Qu'il mentionne ton propre bonheur en revanche ne te fais même pas sourire. Cela fait longtemps que tu ne le considères plus comme une potentielle option.

— Rien ne se réalisera pour moi. Mais je suis en paix avec ça.

Odieux mensonge qui ne convaincra personne, surtout pas lui.

— Si nos pères sont des hommes aussi aigris et sombres ce n'est pas pour rien. Je te souhaite de ne jamais reprendre les rênes de ta famille, Izar. Fait un mariage heureux et épanoui toi du mieux que tu le peux.

C'est tout ce que tu lui souhaites.

— Ah, que n'aurais-je pas donné pour avoir un grand frère ou un cousin assez fou pour reprendre les rênes.

Tu esquisses un sourire, plus par politesse que par réelle envie de partager un moment de complicité. La vérité, c'est que tu as arrêté depuis longtemps d'imaginer ta vie, ce qu'elle aurait été, ce qu'elle aurait dû être. C'est tellement douloureux de contempler les années et de compter les mauvais choix, les coups du sort. Tellement douloureux de faire le point, de comprendre que même ce qu'on aurait souhaité de plus simple restait inaccessible et irréalisable. C'était au final plus simple d'être cruel envers soit. Plus confortable de se noyer dans le pessimisme, comme-ci accepter l'idée que le monde était sombre le rendait plus supportable. Enfin, tu es encore là. Quelque part, c'est que ta méthode n'est peut-être pas aussi mauvaise que ça. Un sourire narquois pour ce Jasper que tu vois chaque matin dans le miroir.

— Tes paroles sont pleines de sagesse, Izar.

Le truc, c'est que tu a une sainte horreur des imprévus.

— Bien, je pense que nous avons fait le tour des points que je souhaitai aborder avec toi. Maintenant que nous avons fini de parler affaires, que dirais-tu d'une petite ballade ? J'ai une grande envie d'aller me dégourdir les jambes.

Comme-ci tu ne courais pas assez.