N’a-t’il pas compté le temps ; trop terrifié d’en constater l’étendue ? N’a-t’il pas confronté son regard horrifié pour en constater les dégâts ? Seuls quelques jours s’étaient écoulés et pourtant une éternité derrière lui paraissait même suffisante. Quand il distinguait ses traits abîmés couler contre ses phalanges, il ne percevait pas toutes ses teintes violacées. Voulait-il simplement se rassurer qu’il n’avait rien fait de mal ? Qu’il avait été juste, qu’il avait été droit et qu’entre ses doigts il avait eu le droit d’infliger des sentences lourdes si c’était pour le protéger plus que le reste.
Quand il avait senti la couleuvre glisser sous son derme hâlé pour l’emprisonner de nouveau, il s’était à cet instant peut être réellement senti en sécurité.

Pourtant depuis ce jour il n’a de cesse de se remémorer ses mains qui viennent censurer ses gémissements - ses doigts qui s’appuient sur ses lèvres et abîment l’arête de son née pour le soustraire plus qu’il ne l’est déjà. Pour admirer son silence latent et son souffle coupé ; il se souvient de sa perte de conscience et pourtant aussitôt a-t’il senti les fourmillements contre ses doigts qu’il s’est écarté et aussitôt a fui ses torts.
Il se souvient de tout si clairement ensuite, cette porte qu’il verrouille. Ce sang qui peste fort contre ses tempes et ce qu’il laisse voler sur sa route. Laisse tomber les verres qui sur la table trônent, vides ou pleins peu importe ; il y a cette chaise qui s’emporte à ses mouvements et ce monde qui autour de lui semble si rétréci qu’il grince à chaque fois qu’il perd racine contre les objets aloes - elle gonfle sa colère elle consume et fulmine.

Rage constante peut-être perpétuelle dans laquelle il s’anime jusqu’à finir par n’être que du néant. Il a lui même les paumes blessés de morceaux de verre qu’il a peiné à retirer. Il sait autrefois - parfois c’était lui qui le soignait.
Il n’était pas là pour le faire, croupissait dans des ténèbres qu’il lui avait forcé de rencontrer de nouveau. Et alors qu’il enroulait quelques bandages sur ses propres mains quelques paroles bienveillantes lui revinrent à l’esprit.

S’il l’avait perçu pendant ces quelques jours, il pouvait au moins satisfaire sa volonté. Peut-être l’heure était-elle venue, qui sait ?
Et alors que ses pas taraudants contre le sol s’avancent, c’est une lutte perpétuelle pour ne pas s’écorcher au mur - et il patiente un court instant à la naissance de cette piece aussi étroite que cruelle. Le temps semble infini avant qu’il ne se décide à ouvrir la porte, après  l’avoir déverrouillé. Douce lumière pourtant aveuglante qui laisse se dessiner son visage ; alors que sa silhouette suit dans la lumière.
Ashe ici, l’observe un instant silencieusement. Il a ses mains qui brûlent comme si son toucher ardent ne s’était jamais tu.

Et grondements quand il constate encore qu’il n’a rien mangé. C’était évident, il le savait. Raison pour laquelle il n’a rien ramené ; raison pour laquelle il s’est simplement lourdement posé à ses côtés. C’était en face, mais il était si lointain qu’il donnait l’impression de s’être enfoncé dans le mur plus profondément encore.
Sachant pertinemment qu’il ne viendrait pas à lui naturellement, l’écho simple de son nom a résonné.

— Parsifal. Je suis là. Si évident et pourtant si grondant, comme un glas sombre résonnant. Ashe ne s’excusera pas, il n’a rien fait de mal pas vrai ? Alors il ne le voulait pas.
Qui avait-il de mal à vouloir stranguler ceux qu’on aime ?

Abîmé dans sa contemplation bien laide, il tire son corps contre lui alors que lourdement ses ossements presque se déchirent au contact du sol froid. Les étreintes ont toujours été si froide, pourtant en accueillant contre lui son corps pourtant gelé - Ashe avait l’impression d’être réchauffé rien qu’une effluve de temps.
Ses mains découpent pour prendre en coupe l’une de ses joues blessées. Et le regard s’efforce de ne pas se déposer sur les traces contre sa gorge déployée. Comme si elle cherchait à faire disparaître la douleur ; Ashe savait qu’elle était permanente.

Cette même permanence que les liens ont renforcé sur ses poignets et son torse, des liens qui se sont multipliés avec la colère.
Des coups qui ont doublé ; ce serait un exploit si Parsifal ne se brisait pas plus à son simple contact. C’est une douceur indélicate, de ses doigts assassins qu’il piétine la peau, cherche à éveiller cet esprit aussi mort qu’à la dérive.
D’un regard hésitant, redirigé sur cette ridicule trousse de secours. C’était comme camoufler ses propres torts ; ça ne faisait pas sens.
— Je suis content de te retrouver. Enfin ; car les sentiers de sa colère ne le lâchent jamais vraiment.
Car il s’est perdu à la chaîne quitte à se blesser lui-même, alors il ne distingue plus ses blessures - elles leur sont communes désormais. Bien que certaines soient des marques de colère, d’autre d’un amour peint dans les ténèbres véhémentes d’un temple ardent.

Content de le retrouver mais pour combien de temps, quand il s’écorche sous ses doigts, chaque fois qu’il resserre son emprise sur son frêle corps déjà mort ? Ashe en ignore les maux, en ignore les blessures de son visage meurtri par ses coups dont il ne dépeint qu’un immense vide. Au creux de ses paumes pourtant, il a lui-même les marques de sa colère qui glissent ; des entailles bercées par une rage qu’il ne comble même plus, pas même en le frappant jusqu’à ce que sa peau se teinte de voiles bleutés.
Entre ses bras, entre ses doigts, il sait pourtant toute cette froideur qui le fige tel un corps mort - mais ce n’est que ce sol trop froid dans lequel il ne se rend que pour un peu plus le blesser. Et il ne remarque pas l’inébranlable silence un long moment, il ne remarque que ce visage qui se dessine sous ses doigts comme s’il l’avait trop longtemps oublié, délaissé. En y retraçant les contours, il sent brûler sous la courbe de ses doigts,
Ce sang qui pulse, cette rage qui démange - elle était si véhémente que la scène se rejoue presque instantanément. Alors il a lui-même creusé l’écart, dans son silence. Entre douceur et cruauté, délicatesse et immondice ; il a le regard qui se dépose lentement sur son visage abîmé. Il aimerait savoir comment le chérir mais ne lui dit-on pas de se seoir des bijoux les plus cruels ? Quitte à le frapper jusqu’au sang parce qu’il ne sait plus correctement l’aimer - le mot lui-même ne lui a-t’il jamais semblé si insensé ?
Il s’est montré si patient et pourtant, quand des mélodies latentes s’échappent de ses lèvres, ce n’est que pour le contrarier encore plus.

— C’est une plaisanterie ? Qu’il gronde. Qu’il sonne le glas au dessus de lui et s’arme presque de la faux ; la grande faucheuse se serait-elle déjà posée sous son cou ? Et Ashe finalement la rage persiste, si bien qu’il songe qu’elle ne s’en est jamais vraiment allée - alors qu’il semblait si calme pourtant, qu’il avait dévasté une entièreté de choses pour ne pas le frapper de ses poings. Voilà qu’il y avait toujours plus important et alors qu’il l’écoute, ses doigts se resserrent sur ce corps qu’il tient entre ses doigts plus fermement que jamais. Ce chat de merde, c’est tout ce qui t’importe ? Plus que lui-même, plus que sa propre santé et que tout le reste ; car de se faire toujours passer après les autres il n’en revient que plus balafré que jamais.
C’était peut-être ce qu’il détestait le plus chez lui car c’était une carte si faible qu’il dessinait entre ses doigts quand il se prononçait à ce sujet.

Et aussi bien qu’Ashe détestait cet animal ridicule, il s’était bien vite résolu. Déposait au creux de la gamelle vide ce qu’il supposait être sa nourriture et le lui laissait ; parce qu’il était épuisé d’entendre les miaulements si ce n’est les piaillements près de la porte, ils étaient déjà assez agaçant en temps normal.
C’est qu’il se sent presque obligé de lui mentir pour qu’il réagisse enfin, que ferait-il, s’il l’avait laissé mourir de faim ? Le pensait-il aussi sans coeur que cela ? (S’il savait à quel point il avait raison)
Pourtant entre ses doigts ce frêle corps qu’il voulait libérer ne faisait que lui donner un peu plus envie de l’assiéger.
Pourtant il savait qu’entre ses bras, il ne devait avoir d’autres envies que celles de le protéger d’un façon plus saine que toutes les pensées qu’on lui avait greffé en mémoire.
Mais tout le brûlait si ardemment - que chacun de ses mouvements n’avait d’autres buts que de réitérer le précédent. Qu’est-ce que tu ferais de toute façon, s’il était mort de faim. - Strictement rien évidemment, si ce n’est pleurer car il le lui avait dit ce jour-là, qu’il ne l’accueillerait pas entre ses bras s’il venait à en pleurer.
Pourtant s’il est entre ses bras aujourd’hui, ce n’est pas pour essuyer les pleurs de son esprit meurtri par la mort d’un chat,
Mais pour soigner les larmes d’un esprit meurtri par la fatigue - par ces coups nés d’une colère qu’il ne peut exprimer.
Et il oublie un instant Ashe la requête de celle qui ne pense qu’à bien, il oublie les blessures qu’il a laissé car a-t’on songé à balayer les siennes ?
Entre ses doigts lorsqu’il effleurait son visage, ce n’est désormais qu’une boule empoisonné qu’il détient et alors son propre venin dont il prend les traits, frustré par l’absence d’attention, d’un amour qui ne lui est peut-être même plus destiné.

Il y a le silence qui lentement ronge et un instant comme des ronces tout autour de sa gorge, Ashe se demande si son poison lui-même n’est-il pas ses propres mains serrées d’une part et d’autre de lui. Ashe se demande s’il ne ferait pas mieux de l’abandonner de nouveau sur ce sol froid pour y laisser des sillons verglacés, Ashe se demande s’il a bien fait d’ouvrir cette porte sachant pertinemment les dégâts qu’il avait causé, Ashe se demande mais ne reçoit jamais de réponses. Un silence qui se perd dans la brume, qui se trouble dans ses propres songes et il s’y noie à chaque fois qu’il perçoit l’écho de la vipère au creux de son oreille lui susurrer des immondices.
Et quand il accepte finalement son triste sort et laisse glisser son regard aux courbes de ce corps qu’il désirait tant il fut un temps, c’est pour constater parfois là où l’échine s’étend qu’elle est givrée, recouverte d’un voile violacé qui ne laisse que des traces mélancoliques dans son esprit.

Et Ashe avant de s’en vouloir, lui en veut avant tout, de ce chat boiteux qu’il mentionne avant de s’occuper de lui-même. N’est-ce-pas ce qu’il fait toujours ? Pourtant quand il s’exprime, c’est qu’il fait taire Ashe, ce qui lui déplaît. Il y a bien longtemps que plus rien ne lui plaît.
Pourtant quand son regard se porte plus loin dans la brume, Ashe le distingue à peine, tant il semble mort avant même d’être né. Et il a l’impression que plus il y plonge, plus il s’y noie - il n’y a ni sirènes aux mélodies salvatrices ni chaînes pour enserrer à leur tour ses membres. Il n’y a qu’une mélodie taraudante qui chante dans son regard, de celles que les morts s’abandonnent à chanter quand l’affliction est trop grande pour être contenue.
Il n’y a plus d’éclat dans sa voix, il n’y a plus de lueur dans son regard ni même d’étreinte chaleureuse ;
Depuis bien longtemps ont-elles été oubliées, ou les a-t’on simplement tué ?

Parce qu’il n’a aucun plaisir à le voir ainsi, mourant presque sous son poids - et parce qu’il ne l’a jamais voulu. Presqu’autant qu’il ne l’a jamais contrôlé, son indélicate colère quand elle le fait chuter au sol et quand elle le roue de coups plus durs les uns que les autres.
Alors si ça lui aurait fait mal ; il ne réagit pas non plus instantanément à sa réponse. Le fond de son être se prête à une pensée qu’il sait commune,
N’as-tu pas perpétuellement mal, Parsifal ?
Car il sait Ashe quand l’animosité s’envole, qu’il n’arrive plus à correctement le regarder, le distinguer plus clairement sous les faisceaux de lune - qu’il se prend peut-être de honte quand il doit admirer ces traits qu’il assassine de ses coups. Il ne devrait pas avoir à les admirer de la sorte, il ne devrait pas parcourir si insensiblement les arabesques de son visage qu’il malmène toujours.
On a écorché son coeur comme on a écorché chacune des courbes du visage de Parsifal et deux êtres écorchés ne peuvent se persuader qu’il est aisé d’exister.

Et il oublie le chat aussitôt mentionné qu’oublié quand c’est vers lui qu’il porte son attention. Est-elle façonnée pour se faire pardonner ou est-elle honnête ? Il ne sait pas Ashe, ne cherche pas à savoir car il n’aurait qu’à plonger à l’intérieur pour le savoir. S’il le faisait, il l’écorcherait encore plus, s’il le faisait, il se perdrait encore plus et sans doute comprendrait-il qu’il n’avait nulle raison de le détenir ici tant de temps.
Mais elle lui a dit qu’il le fallait,
Quand elle a franchi la porte - elle a dit que c’était bien.
Qu’il fallait stranguler ceux qu’on aime pour les préserver ; et Ashe s’était demandé si Hua elle aussi avait les marques dessinées autour du cou.
— Ce sont des blessures mineures. Qu’il ne cache pas, autant qu’il ne les montre pas. C’est qu’il a brisé les verres de ses mains jusqu’à pourfendre sa chair, jusqu’à ce que le cruor teinte sa peau et qu’il ne reste que du rouge dans ses songes.
Il sent Parsifal absent presqu’autant qu’il sent là,
Tout près de lui, la peine qui s’écoule et fait pulser son sang. Il ne voulait pas - il ne l’a jamais voulu. Mais plus il se le répète et plus toutes les excuses semblent malmenées.
Car il sent dans sa voix que rien n’a de sens. Que rien n’a de vérité et que c’est sans doute le silence qui lui ferait payer plus cher.
Alors sourd à ses propres remarques, il reporte son attention sur celui qui reste allongé sous son visage ; perdu dans des pensées brumeuses. C’est qu’il le sent comme s’il n’était pas là,
Comme s’il n’avait jamais été là, peut-être.

— Quatre jours. Qu’il répond sans grondements. Ce n’est ni de délicatesse ni de peine qu’il répond - il ne sait presque pas pourquoi il persiste ici, si c’est pour constater toujours les dégâts par la suite ? Puis il se souvient de sa requête, si c’était la seule bonne attention qu’il pouvait lui porter à présent. Parce qu’il sent comme l’on jette des grosses roches dans un océan calme - les mots déposés presqu’au hasard pour meubler une conversation déjà morte.
Dans ses mains assassines qu’il laisse glisser le long de son corps - il laisse glisser ses paumes sur ses courbes jusqu’à atteindre les cordages pour les défaire. Maladroit dans ses mouvements, peut-être blesse-t’il plus dans ses mouvements que le reste. Et quand la corde glisse entre ses doigts, c’est pour tomber plus loin dans l’obscurité de la pièce.
Comme une bonne partie de son propre amour que la rage et l’angoisse ont consumé - il saisit ses poignets rougis presque brûlés force d’avoir été tiraillés. Admire l’intensité des dégâts ;
De ses dégâts.
— Et tu n’as rien mangé. Pour le constater avant de s’en énerver, il n’a pourtant rien amené cette fois-ci. Il n’aura pas même la force d’avaler ; peut-être l’a-t’il empêché désormais de tenter d’avaler.
Peut-être s’est-il senti mourir ce soir là.

(Et c’est de ta faute)
Qu’il ressent son toucher ardent contre sa gorge,
(Et c’est de ta faute)
Qu’il sent les ronces autour de sa propre peau,
Qu’elles rongent et
(Et c’est de ta faute)
Alors il resserre sans le vouloir pourtant ses doigts autour de ses poignets,
Lui qui ne voulait que les soigner.

Il ne se complaît dans rien, seul le silence semble apaiser indélicatement ses mots alors que Ashe ne sait plus soustraire son regard - il l’appuie çà et là sur les marques de sa colère et il n’en recevra jamais rien, de toute façon.
Il n’y a que de la peine qui enveloppe son corps sans doute trop lourd, si bien que même la surprise paraît complexe à capturer sur son visage noyé dans l’ombre. Ashe s’empêche de l’encadrer de ses empreintes meurtrières ; il pourrait le blesser, n’est-ce-pas ? Mais ne l’est-il pas déjà bien assez ?
Alors quand il répète simplement ses mots, Ashe ne réalise pas instantanément. Quatre jours ou quatre éternités pour lui étaient similaires, si bien qu’on ne se douterait sans doute pas qu’il a pu lui manquer. Comment aurait-il pu, il l’avait enfermé, il l’avait attaché ; il l’avait réduit à néant. C’était comme s’il se plaignait lui-même de ce qu’il lui avait infligé et il ne s’accordait plus ce droit.
— C’était quatre jours oui. Et il ne lui en veut pas de chercher confirmation car dans le noir on ne perçoit que de la brume et le temps s’efface. Pendant sa colère, le temps s’était suspendu lui aussi.
Cela faisait si longtemps en réalité, qu’il pendant raide dans le vide, comme déjà mort.

Et à son toucher Parsifal a la réaction imminente ; sous la courbe de ses doigts Ashe sent sa peau se consumer comme si à son contact elle brûlait. Comme si son corps lui-même rejetait chacun de ses élans, pour ne pas le blesser de nouveau. Quand il le serre c’est pour entrevoir sa peau plus violacée et brûlée qu’autre chose. Quand il resserre ses phalanges autour de son poignet c’est pour se rappeler de cet instant qui a figé ses pensées.
Autour de son cou enroulés, les doigts tremblants sous la colère grondante.
As-tu oublié Parsifal ? Non - comment aurais-tu pu.
Car quand il serre ses poignets c’est pour constater à quel point ils sont petits. Et même s’ils ont toujours paru plus minimes que l’entièreté de son être, il y trouvait raisons aujourd’hui. Mais tu es si faible.. Il faut que tu manges tu m’entends ? qu’il appuie ses mots d’un ton de nouveau dur et strict mais il sait qu’ils seront très probablement vains. Que rien ne servira s’il finit par tout recracher.
Il n’entend que longtemps après l’écho de son nom et il résonne toujours de façon si désespérée.
Toujours de façon si blessée, contaminée, brutalisée.
Ashe s’était habitué à ce que son nom ne soit plus que l’écho de l’immondice et de la laideur et pourtant, aussitôt qu’il se rend compte de la douleur qu’il inflige il relâche vivement sa poigne, laissant sans doute les douloureuses chuter au sol.
Les regarde un instant, sans non plus assimiler ses propres gestes, sans même les comprendre. Il ne devrait pas, peiner autant à de nouveau enserrer son corps, n’était-ce pas pour cela qu’ils étaient réunis ?

Étaient-ils réunis, si leurs consciences étaient à ce point éloignées l’une de l’autre ?
— Je dois soigner tes poignets. Et alors les affreuses serpentent le sol jusqu’à retrouver leurs homonymes blessées. En réalité, Ashe n’a jamais été doué pour soigner ; ses bandages sont encore mal faits et il n’a pas même correctement soigné ses poignets. Il ne s’est pas même appliqué à utiliser Episkey sur lui-même ; voulait-il que ses propres blessures se soignent ? Il n’en savait rien et il n’en avait pas besoin.
Car s’il n’arrivait pas à soigner ses propres blessures, comment pouvait-il soigner les siennes ?
— Il faut faire attention. Et ça sonne si faux comme modelé dans sa gorge pour se bercer d’illusions. La vérité, c’est que c’est Hua elle-même qui lui a rappelé. N’oublie pas de le soigner qu’elle a dit - n’oublie pas que tu dois le protéger.
Mais si elle savait à quel point parfois il ne sait plus vraiment ce qu’est protéger réellement quelqu’un.
Est-ce l’enfermer ? Le stranguler comme elle le dit si bien et pourtant - il en revient toujours au même point.
À un point culminant où l’angoisse et la colère rongent chacune de ses actions.

Alors il dessine du bout des doigts les traces. Qu’il a laissé car il se souvient avoir si fermement tiré. Ne serait-il pas honteux de s’entrevoir ? Si seulement il savait ce qui était réellement bon pour lui-même, si seulement il s’autorisait à simplement s’écouter avant de l’écouter elle.
Il avait l’impression de toujours les entrevoir si mal en point. Elles ne l’effleuraient jamais plus ; elles étaient froides quand il les saisissait.
Mais lui aussi pourtant, il avait si froid. Il ne saisissait plus la chaleur de son épiderme contre le sien.
Et il s’est lentement anesthésié de toutes pensées, rien qu’à cette songe qui le hantait. Tu as encore mal ? Bien sûr qu’il avait mal, c’était une question idiote. À y réfléchir, ça ne sonnait pas même comme une question, mais plus comme un constat. C’est parce que tu as tiré sur tes liens. Arrête de te blesser bêtement.

Et il nie lentement il ni crûment parce qu’il sait parfaitement qu’il est le créateur des blessures,
Le créateur des mensonges et du déni. Le créateur du printemps d’un amour en ruine.

Le silence paraît si lourd qu’il pèse longtemps comme un fardeau et sur son dos l’écrase. Il le pressent comme il l’a toujours pressenti, un point infâme qui noie de nouveau toutes ses pensées hécatombes. Le silence des mots n’inclut jamais le silence de l’âme et quand il le comprend il est déjà trop tard ; lui même déjà piège son esprit trop lourd dans des affres trop grands.
L’écho de ses mots n’a plus de couleurs, les pigmentations (si elles ont déjà existé) sont définitivement mortes et il le sait si crûment Ashe, qu’il est en partie responsable. Pourtant au fond de son être, il ne peut pas même être désolé. C’est qu’il l’a fait pour lui, c’était nécessaire, c’était inévitable.
Et il n’entend qu’une partie de ces mots jetés à la mer sans importance - encore utilisés pour meubler une conversation morte depuis longtemps. À ses yeux, c’est comme si cela faisait une éternité qu’ils n’avaient pas simplement échangé. Mais la simplicité n’a plus de courbes, même elle est devenue floue.

Il ne remarque pas même son indélicatesse. Il ne l’a jamais été de toute façon, il n’avait jamais rien fait pour changer ça ; son corps semblait lui-même avoir été dessiné par un partisan du chaos. De toutes pièces modelés par quelqu’un qui était finalement son exact synonyme, mais c’était trop immonde pour qu’il s’en rende lui-même compte.
— Ça empire toujours. Qu’il répond à ses mots - car il connaît les plaies qui s’ouvrent à la chaîne. Faute de les avoir souvent crée, il les a souvent ressenti. Mais tout cela semble s’être anesthésié un soir, quand la lune si claire lui a crié de mourir. Je veux dire, d’appuyer ses blessures. Particulièrement pour toi - mais il n’a pas poursuivi.
Il avait déposé assez de laideur sur ce corps pour aujourd’hui, il l’avait assez confondu dans les abysses, il l’avait assez contemplé pour ne finir que plus écoeuré par sa propre importance.
Pourtant les mots sont si vides qu’ils résonnent sans même un écho. Automatiques peut-être, qu’il a pensé qu’il serait sage de les utiliser. Parce qu’il n’a plus la volonté de chercher, parce qu’il s’est perdu en songeant, parce qu’il n’y avait plus d’espace pour une conscience bien sage dans un monde en ruines.

Et dans le silence, Ashe ne fait qu’un peu plus se noyer à chaque fois.
À chaque claquements sourds du temps, il pressent encore chacune des pulsions de son sang au creux de sa main ; quand il l’a serré si fort contre sa gorge. Quand il ne sait plus au nom de quelle colère il combattait, tout semblait tellement dénué de sens.
Peut-être était-ce lui, que l’on aurait dû stranguler ?
Mais Kumiho aisément répondait qu’il s’agissait de ceux que l’on aime - et aimer finalement, Ashe ne sait pas. Peut-être comme un grand enfant on lui avait enseigné ses principes comme d’autres. Des mots qui signifient d’autres mots mais les émotions ont toujours été une immense planche creusée dans le vide.

Et dans le silence, Parsifal brusquement sort de l’eau sa tête un instant.
Quitte à en extraire tous les maux un instant. Ashe à la conscience de nouveau éveillée ; c’est qu’il se demande maintenant ce qu’il peut bien vouloir lui demander. Si ce ne sont pas les jours, si ce n’est pas la date ni l’heure qu’il demande, qu’est-ce-que cela peut bien être ?
Un bref signe de tête qui lui fait signe de parler.
Pourtant il sent son hésitation et plus elle occupe toutes ses songes plus elle broie l’étreinte de calme qui s’était alors dessinée. Mais le calme et la sérénité sont de bien trop grands mots pour une âme aussi parasitée que la sienne.
Quand ses mots résonnent à la suite, il s’arrête brusquement sur le chemin sinueux.

— Si je t’aime ? Corps figé dans le marbre, teintes astrales de sa voix qui flambe. Il n’est pas énervé, il n’est pas contrarié. Davantage surpris - qu’il témoigne de son incompréhension par une bouche qui n’est pas consciente de toute l’importance de ses mots.
Pourtant il retarde, l’arrivée de sa réponse, il retarde la bombe à retardement. La réponse est simple pourtant, il la connaît par coeur. Fut un temps, il ne faisait que la répéter à longueur de journée, fut un temps aussi ; il souriait davantage en le percevant, en l’aimant peut-être plus sincèrement, plus réellement, plus sereinement.
C’était dans ce déni qu’il s’était plongé. Celui qui disait que rien n’avait jamais changé.
— Évidemment. Plus que tout. Car il ne répète pas aimer - car à chaque fois ce sont des mélodies cruelles qui sonnent si mal quand il les prononce. Quand il dit aimer, c’est une cacophonie mortelle et Nahash lui rit au nez ; Aimer ? Mais tu en es incapable !
Pourtant, il n’a jamais vraiment su de quoi il s’agissait. Il n’a jamais vraiment compris de quoi il s’agissait ; mais il était persuadé qu’il s’agissait de ça quand il s’est enfin senti chez lui, avec lui.
Quand Parsifal déposait une empreinte chaleureuse de chez lui - Ashe savait que c’était ça.
Mais maintenant ? Il savait très bien que tout s’était effacé.

— Tout au monde. Qu’il insiste pour se confirmer lui-même dans cette idée. Pourtant, ces mots débordent de sincérité ; mais il t’aime tant Parsifal qu’il n’y a plus de juste milieux. Qu’il n’y a ni justes mots ni justes âmes.
Qu’il n’y a que son esprit qui se noie et divague car ils veulent lui apprendre comment aimer, qu’il ne finit que par comprendre comment un peu plus se détester. C’est pour ça que je fais tout ça, tu comprends ? Tu comprends ?
Il se le répète, encore et encore.
Il n’a jamais voulu tout ça ; tout ce qu’il voulait c’était l’aimer.
Il n’a peut-être jamais compris comment faire - il n’a peut-être fait qu’essuyer des échecs.

Pourtant il se le répète comme on répète des choses dont on essaie de se confirmer l’idée.
Il l’aime. Il l’aime. Il l’aime. Il l’aime,
Quatre fois répété comme quatre jours enfermés.
Est-ce que l’amour doit être si destructeur ? Est-ce qu’il doit être si cruel et amer, si pourpre et véhément ?
Et s’il doit être ainsi d’une façon ou d’une autre, pourquoi est-ce que ça avait été toi, Parsifal ?

Il se demande Ashe, si les faits et les gestes ne sont-ils pas déjà assez parlant pour qu’il en vienne à lui poser la question. La réalité en est tout autre, elle murmure à l’esprit ce qu’il ne veut entendre car en réalité, ce n’est pas comme ça qu’on traite quelqu’un que l’on aime, n’est-ce-pas ?
Au fond de lui la réponse est si claire, si dessinée et immuable dans le temps. Une peinture céleste qu’il a couvert d’intentions stellaires depuis qu’il l’a entre ses doigts. Mais il se trompe, peut-être s’est-il toujours trompé, ou peut-être que tout a changé. Brutalement lui a-t’on coupé les ailes, leurs ailes. Et bientôt dans son champ de vision autrefois si clair il n’y avait plus que des vestiges d’un amour mort.
Mais il ne pouvait se résoudre à penser cela. Tout était encore bien trop signifiant, bien trop ardent.
Comment aurait-il pu ne pas l’aimer ?
Il se souvient de la première fois où il a cueilli un de ses baisers.

C’était un sentiment simple ; pourquoi lui faisait-il lui poser autant de question ? S’il était persuadé qu’ils fleurissaient encore, pourquoi alors commençait-il à en douter ? S’il l’avait enfermé, s’il l’avait emprisonné, s’il lui avait arraché les ailes, c’était pour qu’il ne parte pas - parce qu’il le savait, qu’il s’envolerait tôt ou tard.
Ashe n’avait pas de lumière à offrir. Il n’avait qu’une silhouette désarticulée qui avançait dans l’obscurité et s’heurtait même au vide.
Pourtant de nouveau il l’écoute, alors que son regard captive le sien et il a l’impression que ça fait des années qu’il ne l’a pas rencontrer, comme s’il avait disparu ; comme cette lueur morte.
Et sa question de nouveau le fait s’écailler lui et ses songes. Démultiplié dans son propre esprit où il se cause du tort, parce qu’il ne sait pas au début, pas plus que lorsqu’il parcourt son visage l’air contrarié.
Doutait-il de ce qu’il était à ses yeux ?
Pourquoi ; c’était si évident pourtant.

— Pourquoi est-ce que tu.. Qu’il s’autorise à demander entre deux songes tourmentées, mais la question meurt bien vite. Pour ne pas dire aussitôt ; pourquoi est-ce que tu rends tout si compliqué, Parsifal ?
Parce que c’est en réalité lui. Lui et tant d’autres, lui et ceux qui l’efforcent à agir ainsi, ceux qui n’ont pas plus de grand coeur que lui, ceux qui s’éprennent de le voir lentement sombrer comme un mal sans appui.
Pourtant s’il en est là, c’est avant tout sa faute ; avant tout la sienne. Parce qu’il s’est tué et qu’il l’a tué ensuite.
Alors il ne comprend pas pourquoi, il ne comprends plus comment. Tout était censé être simple et facile, mais c’est un mur plus grand qui jaillit devant lui. Et il déteste quand on lui fait barrage, autant qu’il déteste toutes ces questions, autant qu’il déteste ceux qui lui parasitent l’esprit.
Et il déteste devoir s’ouvrir, il ne l’a jamais fait, il ne se souvient pas l’avoir déjà fait,
C’est comme si des ronces fleurissaient le long de son échine. Il se sentait étouffer entre ses propres émotions alors que rien n’était si compliqué.

Qu’est-ce que tu es ?
Tu es ; Tout ce qu’il me reste. Tout ce que j’ai déchiré, tout ce que j’ai assiégé.
Tu es ; Tout ce que j’ai toujours voulu protéger. Tout ce que j’ai arraché en pensant mieux le conserver.

Mais Ashe ne sait pas dire désolé.
Ashe ne sait que pleurer sa colère déchirée et sa vision brûlée par les doutes. Ashe ne sait que trop mal aimer, trop maladroitement étreindre et douloureusement effleurer.
— La lumière.. Mais elle s’est éteinte. Mais il l’a éteinte. Mais elle a fini en cendres.
Et sur le chemin sinueux maintenant, aucun d’eux deux n’est capable de retrouver la route.

— Pourquoi est-ce que tu me demandes ça ? Le regard qui jongle entre son homonyme et ses blessures. Des blessures dont il est l’auteur, des blessures qu’il n’a jamais voulu façonner mais on lui a tendu l’arme ; on lui a tendu et on lui a dit - vas-y, fais-le. Il ne voulait pas, il n’a jamais voulu. Est-ce que j’ai fais quelque chose de mal ? Mais la question serait plutôt,
Y-a-t’il déjà quelque chose que j’ai fais de bien,
Tout au long de mon existence ?

Une écume délicate au bord de ses bras, au creux de ses paumes, un sang ardent qu’il a forcé à jaillir de ses propres mains - un vide constant qu’il ne comble plus. Un néant frappant qu’il se veut avoir maitrisé, contrôlé, mais duquel il ne reste rien.
C’est qu’il a gardé son regard dans le sien, regardé puis aimé un instant d’une pigmentation dégradée, trop douloureuse peut-être pour s’affirmer réelle. Il y a perçu la douleur et la mélancolie peut-être, que lui-même du fond de son être exprimait.
Mais il n’y aura jamais de retour en arrière, il s’est piégé dans tout cela lui-même, il s’est meurtri, il s’est fané et désormais dans ce regard qui s’est aussitôt baissé, il ne peut que se noyer et y contempler son reflet trop laid.
Il a senti du bout de ses doigts déjà fanés, qu’il cherchait à correctement penser mais que jamais rien ne venait,
Il a senti en s’éprenant d’un regard qu’il a chaque fois oubliait, qu’il n’y avait plus d’espoir ; ni pour eux ni pour lui. Il le savait mais il s’accrochait si durement aux espoirs infimes.

Et à ce trouble qu’ils partagent il n’entend pas plus les mots marmonnés ; pas plus qu’il ne cherche à les deviner. Car Ashe sait davantage plus que tout, que la réponse ne sera jamais celle qu’il attend.
Que comprenait-il finalement ?
Il n’était qu’une bête enragée et bornée qui ne suivait que son propre instinct, que ses propres poings - qui se façonnait de bêtes idéologies tant il n’était qu’un bête gouffre vide.
Pourtant dans ces mots qu’il jette à la mer, résonne une insuffisance mortelle. Et Ashe se pétrifie presque de ne pas savoir, peut-être même s’angoisse-t’il d’y comprendre autre chose. Tant elles l’ont déjà autrefois dévoré, il ne reste rien. Il ne reste que des songes emmêlés et un esprit trop sinistre pour lui-même se comprendre.
Lui qui venait simplement le libérer au départ, se trouve bien moins libérer de ses propres tourments que le reste ; et il s’est emprisonné dans des idées toujours plus nocives. Quand Parsifal et parti, quand il a adopté ce chat, quand il a - peut-être fait tout ce qu’il a fait.
Et maintenant ?

— Non ! C’est presque trop vif pour être une simple interférence, trop fort et brusque pour une atmosphère si froide et sans vie et pourtant, il s’est pris à s’empêcher lui-même de penser de telles choses. Je dois savoir Parsifal. Tu dois me le dire. Il sent à la paume de ses mains gronder l’angoisse, cette fois bien plus que la colère ; mais toutes deux n’ont toujours été que trop similaires et complémentaires.
Il ne veut pas avoir à tant s’approcher pour attraper son encolure de ses doigts et l’approcher si maladroitement de lui-même. La vue embuée par ses propres doutes alors que les maux toujours l’infectent.
Il était pourtant persuadé de l’avoir protégé, encore ici ; toujours auprès de lui.
Il avait même empêché Kumiho d’entrer, c’est qu’elle ne devait pas même l’effleurer ni le regarder.
Il avait même empêché la lumière du soleil de l’effleurer, comme une douleur trop sinistre pour lui.

Dis-lui Parsifal, dis lui ; qu’a-t’il fait de mal ?
— Je le saurais de toute façon. Tu sais, je le saurais. C’est moins destructeur et pourtant toujours aussi chaotique quand il s’exprime, comme s’il laissait les mots s’embrumer sur la rive où il les déposait.
Mais s’il pénètre un esprit meurtri, il sait qu’il n’en sortira que trop abîmé lui-même.
Et sur la rive, les vagues portent ton nom - Parsifal.

Il cherche longtemps les mots, toutes les syllabes écorchées prendre forme sur ses lèvres - mais il n’a de cesse d’avoir l’impression qu’une éternité s’étend ; que le temps trop longuement s’écoule et il sent contre lui, les grondements incessants. Ils courent dans son esprit, comme des branchages, des ronces qui écorchent son coeur dont les battements s’accélèrent, qu’a-t’il fait de mal ? C’est pourtant évident, quand il n’a que le besoin de pénétrer son esprit pour comprendre. C’est pourtant évident quand à mesure qu’il le bat, à mesure qu’il le frappe plus brusquement encore il le supplie toujours plus larmoyant.
Pourtant toute cette folie n’a que créé une vague plus déferlante d’incompréhension en lui et il répète Parsifal - je, trop de fois ; je encore jusqu’à ce que je ne sois plus suffisant. Contre son encolure, ses doigts s’imprègnent d’une écume angoissée et il finit par abandonner son étreinte sur cette dernière, trop insuffisante pour lui. Laisse un instant retomber la partie supérieure de son corps sur le sien, affalé à même le sol.
Cela bien avant que la sentence ne tombe, cruelle et latente. Comme s’il avait dérobé sur ses lèvres les mots, comme si le temps longuement les matérialisait en maux. À la seconde suivante, il ne sait quoi répondre Ashe - il n’aime pas, évidemment.
Qui aimerait être battu, qui aimerait être attaché puis enfermé dans le noir complet pendant des jours ?
Un instant alors qu’il se penche un peu plus vers lui pour s’expliquer ; il le sent pendre comme s’il lui offrait. Son coeur en suspens, son coeur dérouté, balayé, consumé qui palpite si fort, si violemment dans sa poitrine.

— Mais Parsifal.. Qu’il suspend un instant. C’est amer et grondant, mais pas de colère ; mais Parsifal sais-tu, qu’il ne veut pas non plus ? Qu’il n’aime pas non plus - qu’il sent son coeur tressaillir quand il s’emporte et que ses mains supplient d’être brutalisées, de brutaliser à leur tour ?
Qu’il sent son sang trop ardemment pulser contre son échine, qu’il a si mal lui aussi parfois ; mais alors pourquoi ?
Elle lui a murmuré comme Nahash tentait Adam, et il n’a que bêtement écouté.
Qu’est-ce-qu’il espérait finalement ? Il n’arrangerait jamais rien avec ses poings, pas plus qu’il n’arrangerait quoi que ce soit en hurlant de toutes ses forces, en lacérant et étreignant son corps pour qu’il ne parte pas.
Qu’est-ce-qu’il devait faire alors ? Le laisser lentement s’en aller ; parce qu’il le ferait n’est-ce-pas ?
Elle lui avait montré le chemin, elle lui avait dis quoi faire, elle lui avait ordonné quoi faire. Pour son bien avant le sien, pour leur bien avant le sien. Il se souvenait qu’elle avait rigolé quand elle lui murmurait qu’il fallait le battre pour qu’il soit moins faible et tu sais Parsifal, la première fois déjà il s’était battu pour toi.
Toujours pour toi avant lui-même et voilà où est-ce que ça l’a mené,
Mais ce n’est pas de ta faute (jamais) ; il n’est qu’une brute à l’animosité trop grondante pour être pleinement contrôlée - sa place n’est pas ici avec toi.

Il étouffe de ses propres interrogations ; était-ce donc ça ? N’aimait-il vraiment pas ? Mais il ne pouvait pas arrêter, c’était impossible. C’était comme cette fois où elle avait murmuré Frappe la ou c’est moi qui le ferait alors Ashe avait frappé.
Autour de lui dans ce placard trop étroit il se sent étouffer, le regard qui se perd sur les côtés, se rassure qu’elle n’est pas là. Qu’elle ne viendra pas ici pour s’assurer que Parsifal est bien un peu plus brisé que la fois précédente.
Mais il n’y a que des béantes s’abysses qui s’élèvent. Et ce n’est ni la première fois, ni la dernière fois qu’il ressent cette peur extrême que Parsifal ressent chaque jour de plus dans son monde en ruine.
Il ne sait pas, peut-être ne sait plus quelle route est la bonne - peut-être laquelle est la moins pire car désormais il sait, que derrière chacune d’entre elles il n’y a finalement qu’un néant qui l’attend. Toi.. C’est pour toi que je.. Sans même le regarder, trop occupé à disposer un regard effaré aux extrémités d’une pièce d’un gouffre sans vide dans lequel il se sent s’enfoncer.

Et ses mots alors résonnent comme un ignoble souvenir, dont il a peiné un instant puis trouvé finalement la place.
Je n’aime pas quand il te frappe. Il était là petit enfant, grand enfant peut-être mais si naïf et faible quand il lui a dit. Il voulait partir, déjà maintenant. Papa a pas le droit de te frapper.
Et lui ?
Il avait ce droit ?
Il ne l’avait jamais fait pour elle ; ils n’étaient pas pareils. Pas similaires, pas même un peu.
Pourtant il l’a strangulé comme on strangule ceux qu’on aime, comme l’a dit la sorcière.

Il ne veut pas recommencer. Il ne peut pas recommencer - parce qu’il n’est pas comme eux n’est-ce-pas ? Mais maintenant que c’est trop tard, il partira s’il le laisse s’en aller n’est-ce-pas ? Il n’a pas le choix, elle le strangulera elle-même la prochaine fois s’il ne le fait pas.  C’est moi qui doit le faire.. C’est si vif et paniqué. Mais il ne veut pas, s’écarte brutalement, corps et dos froid qui se cogne lui-même contre les murs qui les enferment.  C’est à moi de le faire… Car si c’est elle qui vient jusqu’à toi Parsifal - elle te retirera à lui. Elle lui retirera ce qui compte le plus.
Et il n’existe pas de ténèbres pour deux.  La lumière je dois - je dois te protéger. Qu’il éteint en dernier cierge à sa raison. Qu’il ne distingue plus dans une lumière déjà morte, qu’il simplement constate dans des ténèbres noyées.
Parce que simplement l’arracher de ses propres bras est dur,
Il ne peut l’imaginer qu’on le fasse à sa place.

Ce qu’il doit protéger ? Parsifal ; de qui ? Du monde peut-être, de lui-même et des autres avant même qu’il ne s’en rende compte. Les battements effrénés de son coeur sont une mélodie intempestive et pourtant, il réussit tout de même à captiver, ne serait-ce qu’un instant son attention. Mais dans le noir, il ne se dessine que des cauchemars, mais dans le noir - c’est comme toujours si froid. Il n’y a rien, personne d’autre que des songes malléables qui le hantent plus encore. Et quand chacun de ses souffles est un peu plus consumé par sa propre panique incontrôlée, il cherche ce regard qui se dessine, ces courbes qu’il a damné depuis quelques temps maintenant.
Ce n’était pas la solution - ça n’avait jamais été la solution, mais y en avait-il d’autres ?
Il s’était perdu lui-même dans l’estimation des possibilités, dans la palette de situation qu’il avait offert ce jour-là, le premier où il a posé ses mains sur lui mais jamais pour n’être que bienveillant.
De la courbe de ses doigts consumés, il repasse sur son propre visage, se noie dans toutes ces pensées funestes dans lesquelles il ne trouve pas la lumière, il ne la trouve plus ; morte à jamais ? Évidemment, il l’a tué ! Est-ce pour cette raison que tout est si froid et sombre ?
Il l’a tué, il s’est tué,
Que lui reste-t’il désormais si ce n’est une animosité terrifié qu’il ne sait contrôler ?
Parce qu’elle reviendra toujours le hanter, elle reviendra toujours lui dire quoi faire, pourquoi le faire et comment le faire.
Et il l’écoutera toujours. Parce que les animaux ont besoin de règles, de cage, ils ont besoin qu’on les empêche de sortir les griffes et de déchirer tout ce qui bouge. Tout ceux qui bougent.

— Tous.. Tout le monde.. Suspendus à un rythme frénétique dans sa mémoire. Qu’il libère les mots sans réfléchir car tout le monde n’est pas tout le monde - Kumiho serpent de la tentation qu’il écoute sans vaciller. Qui lui dit de frapper - ou bien je le ferais moi-même et si elle le fait elle-même alors elle le tuera peut-être.
Il faut un responsable, il le faut lui. Il préfère être détesté à tout jamais que de le voir partir, c’est impensable.
Et parmi quelques spasmes paniqués qui auraient bien pu être des coups mal retenus il cherche ce corps qu’il a rejeté brusquement. Elle va t’arracher à moi, ils vont t’arracher. C’est ce qu’ils veulent.. Mais il n’y a pas d’excuses en réalité. Que l’on braque tous le regard sur lui pour le malmener ensuite peu importe ; rien n’a jamais plus importé que sa propre sécurité et pourtant,
Si seulement il savait comme il aurait pu les sauver. S’il savait écouter et s’il avait sécher ses larmes quand il le fallait.

Pourtant Parsifal il ne lui reste rien - rien d’autres que des cendres rien d’autre que des ténèbres esseulées. Peut-être est-ce qu’ils sont maintenant, peut-être est-ce ce qu’il a réussi à préserver de lui-même, Ashe ; la tombe déjà creusée d’une bête grondante de peines et de colères. Et cette fois quand il cherche son corps ce n’est pas pour le battre, c’est pour s’assurer qu’il est là. Dans les ténèbres jusqu’aux abysses des enfers s’il le faut.

— Je ne les laisserai pas faire. Froid, consumé aussitôt échappé de ses lèvres. Qu’il attrape son corps aussitôt qu’il sent sa peau libérée sous ses doigts, qu’il le rapproche presque plus rapidement encore qu’il ne l’a délaissé la fois dernière. S’il le laisse, il finira seul. S’il le laisse pourtant - Parsifal tout ira bien ensuite.
Il ne peut pas, il ne veut pas. Attrape son corps dans des ténèbres qu’il s’est efforcé de créer. Reste ici. Reste avec moi.
De toute façon, il ne te laissera pas partir.

Il ne cherche pas à ce qu’on le comprenne Ashe, depuis bien longtemps déjà - obstiné à s’emprisonner dans des cycles perpétuels de ténèbres abyssales. Il ne cherche plus à ce qu’on le comprenne, car c’est inutile ; il a essayé pourtant, mais n’a jamais récolté rien d’autres que des regards effarés, des regards incompris. Il y a longtemps déjà il avait tendu la main et on lui avait arraché, il y a longtemps déjà qu’on lui avait arraché son coeur chaud encore battant pour n’en faire que de la poussière.
Alors quand il parle, c’est pour lui-même, pour couvrir ses propres terreurs grimpantes. Il sait Parsifal près de lui et son étreinte froide se resserre, à la manière dont il aurait serré n’importe quoi sous ses doigts si on le lui avait permis, mais il n’y avait que lui.
C’était suffisant, car il avait déjà le corps figé et rongé par ses propres doutes, ses propres sermons.
Parasité l’esprit si bien qu’il entend ses questions sans les considérer, comme si une partie de lui déjà s’était endormie, trop enivrée par les doutes extérieurs.

C’est qu’il se répète pour lui-même, pour se persuader lui-même. C’est qu’il espère peut-être qu’un jour on entendra sa prière ? Car la seule chose qu’il désire, c’est que tous deux soient en paix sans personne à leurs côtés. Car personne c’est le vide, un néant sans fin. Un vide où ne persistent pas les parasites désireux de blesser, notifier les comportements pour les rendre plus agressifs encore.
Alors le calme est un bien grand mot pour quelqu’un comme lui. Tu seras en sécurité ici. Sait-il pourtant que plus qu’il ne le pense ; la douleur séjourne ici et qui sait peut-être que si Kumiho elle-même l’effleurait, elle ne lui ferait pas aussi mal.
Peut-être qu’il s’était noyé,
Peut-être que non dans quel cas ils lui bondiraient tous dessus pour l’arracher à lui comme il l’a si bien dit.

Et il n’a pas même perçu son hochement de tête car dans ses bras un corps est un corps et il pressent davantage une présence lourde qu’un être aimé avec tendresse - peut-être avait-il toujours besoin d’étreindre pour se confirmer que ses phalanges ne pouvaient pas uniquement déchirer. Mais il se trompait trop intensément encore, si bien qu’il n’avait pas même considérer qu’il pouvait faire erreur.
Pour lui, les coups n’avaient pas été vains, qu’ils aient été sur lui ou ailleurs - mais s’ils l’effleuraient lui, ils le briseraient sûrement.
Oui. Bien plus qu’ailleurs. Répété comme une bête folie insensée et pourtant dans son esprit, rien n’avait plus de sens que de préserver celui qu’il chérissait. Dehors, il tomberait entre leurs bras.
Et dans leurs bras, il n’y avait que des ronces.
Il le savait Ashe, son derme en portait encore les marques vives et brûlées des passages ardents de Kumiho - là où il a oublié ceux des bras parfois amants.
Il répète pour lui-même ; il ne faut pas. Il ne doit pas. Il doit rester. Jusqu’à ce que j’arrange tout. Jusqu’à ce que je les tue. Il devait les empêcher de s’en prendre à lui. Alors il devrait probablement lui-même se tuer, pas vrai ? Il refusait tant d’admettre qu’il avait failli qu’il ne percevait plus la surface. Oui, je dois le faire.
Si débordant d’une volonté qui devait lui être inconnue, car quand un peu de bon sens lui prend - il sait si bien qu’il ne faut pas qu’il sache, Parsifal ; qu’il sache tout le côté plus sombre encore du miroir dans lequel tout semble si bien se refléter.

Mais son propre reflet est chaque fois un peu plus laid que le précédent. Alors il desserre, parcours le corps de ses mains - ce n’est pas n’importe quel corps, ce ne sont pas des ténèbres sous plusieurs formes. Et quand il dessine de ses mains son visage, c’est pour s’assurer qu’il est là, bien là - avec lui peut-être. Quitte à oublier que c’était lui qui avait été absent à toutes ses questions. Sois patient. Car notre descente aux enfers sera longue.