Combien de temps que tu n'étais pas venu, Jasper ? Trois ? Quatre mois ? Pas grand-chose, pourtant cela te semble être une éternité. Tu te souviens de la dernière fois où tu avais mis les pieds au manoir. Tu avais fini par céder, par accepter.

Je suis navré d'avoir autant tardé à honorer mes engagements. Mais je vais parler à Evonice, nous fixerons la date de notre mariage prochainement. Avais-tu dit. C'était il y a si peu de temps. Une éternité maintenant. Tu t'avances et viens te faire accueillir par Midas et Crawley. Tu avais entendu dire que Clovis avait congédié certains de ses elfes... Mais tu vois qu'il ne s'est pas débarrassé du plus doux d'entre eux... Ni tu plus sec. Un sourire patient et tendre sur tes lèvres quand tu adresses un regard à Crawley.

— Je suis, moi aussi, ravie de te revoir, Crawley. Je vois que tu n'as rien perdu de ta fougue. Il est bon de voir que certaines choses ne changent pas.

Tu passes en revue l'entrée devant toi. Tu pourrais, en effet, demander après Evonice. Mais tu n'as pas volontairement déboutonné le haut de ta chemise pour elle. Non. Tu es venu voir... Un vieil, très vieil ami.

— En vérité, j'aurais souhaité m'entretenir avec Clovis. Est-il là ?

Bien sûr qu'il est là. Il se terre comme un rat depuis le bal. Pas de réponse à tes messages. Pas de passage au club. Rien. Il poursuit sa petite vie en te laissant (encore) dans la tourmente. Malheureusement pour lui, tu avais dépassé le stade de la patience depuis qu'il avait imposé la marque de ses doigts sur ton cou. Tu ne pouvais plus te permette de le laisser t'affecter comme il a pu le faire. Le gala avait servi de leçon, les déboires de Vanitas également. Quelle ironie, que ce soit un petit joueur de quidditch qui t'ai donné une leçon de puissance et de fierté. S'il ne veut pas te donner tes réponses, Clovis, alors tu iras les lui arracher.

On te regarde, confus. Le Maître ne veut pas être dérangé. Tu souris, patient. Le maître se dérangera, n'est-ce pas ? Crawley à l'air de cet avis. Oh. Ainsi donc tout le monde n'est pas un fervent supporter du maître de maison. Tu te laisses conduire, tu connais ces couloirs et ces pièces par cœur. On t'emmène devant le bureau de Magnus. Bureau qu'a investi Clovis, comme-ci il fallait qu'il se fasse ton écho jusque dans sa décoration. Tu rentres, tu ne quittes pas son regard. Il lève les yeux vers ta nuque. Il regarde. Se sent-il coupable ? Se sent-il trop lâche pour contempler sa propre violence ? Tu ne résistes pas à une pique, l'occasion est trop belle.

— Elles te manquent ? Peut-être souhaites-tu en graver de nouvelles ?

Tu t'approches. Pas de politesse pour vous, on n'en est plus là depuis longtemps. Tu te plantes devant son bureau, imposes tes mains sur le bois.

— Un jour je t'expliquerai. Avant que ça ne soit trop tard.

Tu le cites en détachant chacun de ses mots.

— Je me demandais si tu avais une idée de quand ce jour arriverait. Mais comme tu étais visiblement trop occupé pour décrocher ton pineapple je suis venu te le demander directement.

Ça et quelques autres broutilles du nom de Valerian, mais on n'y reviendra plus tard.

Il lève ses putains d'yeux bleus vers toi. Tu en as vu passer des choses, dans ce regard, c'est à devenir totalement fou. Il passe du désir à la haine, de la tristesse à la folie. Tu te demandes si de vous deux ce n'est pas lui, le plus dérangé, si ce n'est pas lui, le plus déconstruit. Tu fronces les sourcils souffle un ricanement dédaigneux.

— Avoue qu'ils sont particulièrement compliqués à interpréter, tes signaux.

Tu le toises, cherches, un peu malgré toi, un peu contre toi, la moindre trace des événements du gala. Tu veux voir la lueur coupable dans ses yeux, tu veux voir la contraction de sa bouche quand il se souvient. Tu veux voir... Tu ne sais pas ce que tu veux voir. Il t'a laissé à même le sol et dans le brouillard. Il s'en souvient. Forcément. Clovis est égoïste, mais pas inconscient. Après tout, avant de s'étrangler on s'est embrassés. Tu plisses les yeux, incisifs.

— Tu détestes les détours, Clovis.

Tu la vois, cette fichue main enchaînée. La même que la première fois au club. La même qu'au gala. Elle est toujours là. Ce n'est pas qu'un accessoire. Tu te souviens, désagréable, quand une de tes mains vient s'échouer contre ta gorge, retracer sur le bout des doigts les marques qu'il avait laissées quelques jours plus tôt. Tu te souviens que c'est cette main qui a serré le plus fort. Que c'est de cette main dont tu as eu peur au départ. Tu fronces les sourcils, pas tant sous la menace que sous les idées farfelues qui viennent polluer ton esprit.

— Non.

Ferme. Qui ne souffre d'aucune discussion. Le genre de non que tu lui offrais très rarement, autrefois, quand sa bêtise allait trop loin, quand ses émotions se heurtaient aux tiennes et que tu te faisais sévère et de glace pour contenir l'incendie qu'il pouvait être parfois. Depuis Poudlard, tu n'avais plus eu pour lui ce genre de non-là. Trop faible. Trop meurtri par le temps qui passe. Trop effrayé de compter les jours où les battements excités de ton cœur quand tu le voyais ne se calmaient pas. Tu contournes le bureau pour te planter près de lui, tes yeux ne quittent pas sa main. Tu souffles, colère froide.

— J'ai été patient, je t'ai pleuré, j'ai culpabilisé, je me suis volontairement couché pour tes beaux yeux, mais j'en ai assez. Tu veux jouer au plus buté, Clovis Lestrange ? Attends de voir comme je le suis devenu.

Sans prévenir, tu saisis le poignet de sa main enchaînée, tu la soulèves sans délicatesse à hauteur de tes yeux. Tu l'observes, le malaise te reprend. Le même qu'aux toilettes, le même qu'au gala. Tu glisses, ta voix rauque par des années de cigarette et de tourments.

— Sympa, ton nouvel accessoire.

Oui. Tu oses. Tu oses. Tu oseras autant de fois qu'il le faudra. Pour rééquilibrer la balance entre vous, pour le punir, pour avoir les réponses que tu mérites, pour ne plus qu'il soit une excuse à ton agonie. Tu oses, provocant quand tu le regardes, quand tu t'approches. L'air de dire, regarde, Clovis, regarde ! Tu ne te laisseras plus faire, tu ne laisseras pas l'éclat insupportable de son regard, la traîtrise de tes sentiments, la folie qui te prend quand tu es aussi près de lui, quand tu ne fais ne serait-ce que penser à lui, tu ne laissera plus aucun de ses facteurs t'empêcher de prendre ce que tu veux prendre. Parce que c'est comme ça que ça marche, n'est-ce pas ? Parce que c'est ce qu'il a toujours fait. Parce que ce dont tu as le plus souffert. Le laisser prendre, te taire. Et bien qu'il t’entende, Clovis, qu'il devienne fou de tes cris.

Tu as son poignet entre tes doigts. Tu le sens essayer de tirer, se ravise instantanément. Tu fronces les sourcils. S'il te plaît, qu'il dit.

— Tiens, tu sais donc ce qu'est la politesse.

Lâche, j'ai dit !
Tu souris.

— Là, je te retrouve.

Mais tu ne cèdes pas, tu maintiens ta poigne lève un peu plus le bras. Ton sourire se meurt, l'expression est plus sérieuse. Tu as dit non.

— Un héritage, hein ? Je ne m'en souviens pas.

Sous-entendu que c'est anormal, parce que tu sais tout. Parce qu'il n'avait aucun secret pour toi. Que le moindre petit détail le concernant t'étais évident. Tu n'aimes pas ça. Tu n'aimes pas cette sensation de distance. Ce fossé qui se creuse. Qu'il creuse. Il n'a pas le droit. Il ne l'a jamais eu. Pas quand il vient t'embrasser ensuite. Pas quand il vient t'étrangler ensuite. Soudainement, tu passes ta main libre sous son aisselle et tu le lèves. Tu appuies de tout ton corps pour l'acculer contre son bureau. Tant pis pour son tri. Tant pis pour le bazar que ça engendre.

— Cesse de me mentir.

Tu serres sa main un peu plus fort, viens poser l'autre contre le bois du bureau. S'il veut s'extraire, il devra te pousser, te toucher, il n'aura pas le choix.

— Tu me dois des réponses, Clovis. Tu vas me les donner, de grès ou de force.

J'en ai assez de me taire.

Un rire meurt sur tes lèvres. Ce qu'il te prend ? Il ose poser la question ? Amer. Pourtant tu le savais. Il ne t'a jamais vu, jamais regardé comme toi tu le regardais. Tu as attendu, secrètement espéré, ouvertement terrifié, qu'il tourne ses yeux vers toi. Qu'il te regarde. Qu'il ne voit que toi. Tu n'as jamais voulu lui en faire porter la responsabilité, tu n'as jamais voulu l'accuser de rien. Mais se sont accumulés rancœur, détresse, frustration. Tant et si bien que, dans votre amitié, tu te demandes si tu n'étais pas le seul à être investi. Et l'amour... L'amour n'en parlons pas. Assez, Jasper, d'être un chien (son chien). Assez, d'être le tapis sur lequel il essuie ses pieds. Assez, d'être cet enfant en manque prêt à tendre l'autre joue pour peu qu'il le touche.

— Tu n'as jamais rien remarqué, n'est-ce pas ?

Tu sers. Te presse, sur le coup pas tant dans l'idée de l'exciter que de lui transmettre un peu de ta colère. Pourtant, sa proximité à quelque chose de troublant que tu tentes de balayer d'un revers de la main.

— Tu m'as pris pour acquis, pour ton gentil toutou si content de te suivre en agitant la queue.

Tu viens de ta main libre agripper son visage, le forcer à te regarder en face car tu veux que chacun de tes mots se grave en lui. Tes yeux furieux dans les siens. Ton visage à trop peu de centimètres du sien.

— Mais je ne suis pas ton toutou, Clovis.

Tu relâches sa mâchoire, viens agripper son col à la place pour le tirer vers toi, le coincer totalement. Tu veux qu'il se sente comme tu t'es senti tout ce temps. Tu veux qu'il comprenne, qu'il a perdu le privilège d'être ton roi quand il t'a trahi, quand il a levé la main sur toi. Tu te souviens encore des excuses que tu pensais lui trouver. Une partie de toi veut encore s'esquiver. Se montrer compréhensif, tendre, dans l'espoir qu'il le soit en retour. Mais tu ne peux pas. Tu ne peux le laisser abuser de toi comme ça. Que ce soit conscient ou pas. Qu'il soit capable de l'entendre ou non. Tu ne lécheras ses bottes que quand il aura léché les tiennes.

— Tu me dois TOUT. Acculé ou non, tu me dois tout !

Crache à quelques centimètres de ses lèvres, tu sens les chaînes sous tes doigts. Tu as l'envie furieuse de les arracher, de les jeter dans le feu. Si tu lui arraches ce qu'il s'efforce à protéger peut-être arrêtera-t-il de se comporter comme un enfant gâté.

— Tu me dois le respect, tu me dois la vérité, tu me dois les putains d'explications que tu m'as promises et tu vas me les donner. PARCE QUE JE SUIS celui qui t'a toujours suivi. JE SUIS celui qui ne t'a jamais tourné le dos même dans tes pires moments. JE SUIS celui qui t'a toujours défendu qu'importe les conséquences. JE SUIS celui qui t'a aimé envers et contre tous. JE SUIS celui qui t'a tout donné sans aucune concession mais j'en ai assez.

Tu souffles furieux, ton front presque contre le sien.

— Aujourd'hui il est temps que tu donnes, Clovis.

Tu appuies sur la chaîne, comme pour ancrer plus fortement la menace.

Arrête, Jasper, arrête. Non. Non, tu n’arrêteras pas. Tu pousses plus fort. Ça gronde. Ça dévore. Des années à courber l'échine. Des années à tout retenir. Et pourquoi ? Pour plus de peine, plus de rage, plus d’échec. Pour encore et toujours finir à ses pieds, te laisser consumer. S'en est assez. ASSEZ. Assez de son sourire arrogant, assez de son assurance de petit roi, assez de cette grandeur quand le plus grand de vous deux, ça a toujours été toi. Arrête. Arrête. Tu continues. Tu ne veux pas mettre fin à ce qu'il se passe. Chaque supplication une victoire, un paiement, pour tous ses jours d'absences, pour chaque moment où il t'a laissé dans le noir, pour chaque goutte d'alcool que son visage t'a fait boire. Oh, tu regrettes, comme tu regrettes qu'il ne soit pas en capacité de te lire comme Vanitas. Qu'il puisse voir. Qu'il puisse entendre, comment le grand héros, le grand protagoniste, t'as entièrement détruit. Qu'il tombe de son piédestal. Qu'il assume ses crimes, sa lâcheté.

Tu colles ton bassin au sien pour le bloquer davantage, pour le provoquer aussi. Tu peux la sentir, la trace que tout ça ne le laisse pas indifférent. Tu pourrais être faible, tu pourrais céder aussi. Pourquoi pas prendre ses lèvres, pourquoi pas appuyer davantage ? Tu hésites mais ce qu'il te crie finit par chasser les rêves lubriques pour des pensées bien plus assassines. Tu le regardes interdit. Le regard qui s'agrandit. Est-ce que tu as bien entendu ? Et même s'il cède, Clovis, que son corps se fait plus lâche, c'est la même phrase qui dans ta tête passe et repasse.

Et tu deviens fou.

— Pardon ? PARDON ?

Furieux. Tu le tires par le col, viens l'extraire du bureau pour le plaquer, brutal, contre la bibliothèque la plus proche. Tes mains qui frappent de chaque côté de son crâne le meuble alors que certains livres tombent. Il ose. IL OSE.

— C'EST MOI LE SALE PUTAIN D’ÉGOÏSTE ? Tu t'es fait passé pour mort, Clovis ! POUR MORT ! TU M'AS DÉTRUIT ! TU M'AS HUMILIÉ ! TU AS ESSAYÉ DE ME TUER !

Tu hurles, ton corps trop proche du sien, tes yeux assassins. Tu le détestes. Tu le détestes tellement en cet instant. Tes mains qui frappent une dernière fois les bibliothèques avant de souffler à quelques centimètres de ses lèvres.

— Tu veux me voir me prendre en main ? Tu veux me voir arrêter de faire le petit chien ? Regarde.

Tu colles son genou entre ses jambes, tu l'intimides, chope sa main pour tirer sur la chaîne, chercher à t'en emparer. Qu'il cède. Qu'il cède bordel. Qu'il s'excuse. Qu'il te demande pardon à genoux. Qu'il te montre qu'il avait de l'importance ce nous.

— Maintenant. Donne-les-moi maintenant ou je t'arrache ton petit héritage familial.

Tu secoues la tête, fou sous la douleur, fou de sa présence, fou de son absence. Tu as besoin. Tu as besoin de savoir. Tu as besoin de réponses, ne le voit-il pas ? Qu'est-ce qui justifie à ce point ton agonie ? Qu'est-ce qui justifie la violence quand tu rêves d'autres choses ? Qu'il te le dise ! Qu'il parle ! Tu n'en peux plus, rien n'a changé, c'est toujours la même chose. Il connaît toutes les cartes du jeu mais ne t'en montre aucune. Tu veux qu'il te dise. Tu veux qu'il t'explique. Crache, encore, le désespoir perce lentement sous la colère.

— ASSEZ ! Assez de tes excuses, Clovis ! Assez de ton mystère ! Je veux savoir pourquoi. Le seul moyen pourquoi ? POURQUOI ? Réponds-moi !

Et il se brise Clovis. Il geint, Clovis. Le roi tombe, redevient petit garçon. Une partie de toi crie victoire. L'autre cri putain. La partie la plus faible, celle qui a été fidèle à son poste pendant plus de quinze ans à envie de le tenir, de le prendre, de lui arracher par la douceur les mots que tu veux entendre maintenant qu'il pleure. Mais tu ne veux pas. Tu ne peux pas. Trop habitué que tu es à te laisser amadouer pour qu'il puisse mieux te poignarder par la suite. Tu ne peux pas. Tu ne peux plus. Donner ton cœur, ton amour, ton affection, sans garantie. Tu prends sur toi. Le désir qui perce sous le tissu de ton pantalon fait gronder des choses que tu voulais voir enfouies et mortes depuis plus d'une décennie. Merde. Tremblante ta respiration. L'idée salace que tu pourrais lui faire des avances, que tu pourrais le plaquer face à cette foutue bibliothèque et le prendre. Non. Non. Hors de question. Tu secoues la tête. La rage déforme tout. Elle te fait devenir le monstre que tu dois être, mais dont tu ne veux pas.

— Réponds-moi.

Alors à la place, tu tires sur la chaîne. Besoin de te raccrocher à un peu de cruauté pour ne pas céder. Et il hurle. Tombe à tes genoux. Tu te laisses surprendre, abasourdi. Ses ongles contre ta peau et tu grimaces. Le cœur à cent à l'heure. Espèce de jalousie malsaine de le voir pleurer pour un héritage perdu que pour toi, pour vous. Ce n'était pas primordial pour lui, votre vous ? Tu grimaces, l'émotion de la gorge. Ta poitrine se soulève, tu souffles. Tu veux des réponses. Mais il pleure. Il pleure.

— Clo-.

Et il te pousse. L'enflure. Tu écarquilles les yeux, tombe en arrière. Merde. Merde. MERDE. Ton dos heurte le sol dans un gémissement plaintif. Tu le vois sortir sa baguette. Tu le regardes, t'as son odeur partout sur toi. Tu vas perdre, encore. Il va gagner, encore. Tu vas souffrir, encore. Il va partir, encore.

— Non. NON !

La formule est lancée, tu t'agites, tente vainement d'échapper aux entraves qui viennent serrer tes poignets, se joindre à ton cou. La sensation d'un poids sur ta nuque te fait hurler de terreur. Tu t'agites, tente de bouger, on dirait un diable. Torturé. Les larmes montent. Pas le cou. Non. Pas étouffer. Pas encore. Et tu le vois s'adosser au bureau. Tu bats des pieds furieusement dans l'air, pris de panique. Est-ce qu'il va t’étouffer de nouveau ? Est-ce que tu vas mourir, enfin ?

— Libère-moi ! Clovis Libère-moi ! M'étouffe pas !

Tu pleures. Sourd à sa douceur. Sourd à tout le reste. Il te dit qu'il ne te veut pas de mal. Mais tu as mal. Tu as mal putain. Tout chez lui fait mal.

— LIBÈRE-MOI ! ARRÊTE DE ME FAIRE MAL LIBÈRE-MOI.

Tu viens pleurer, supplies, rage, détresse, peur. TU AS PEUR. Cherche son regard alors que tu t'agites, la sensation de cette corde à ton cou te fait mourir.

— Clovis.... Clovis... Me laisse pas mourir... Clovis…

Tu n'écoutes rien. C'est viscéral. C'est là. Le poids sur ta nuque c'est le poids de ses doigts. C'est cette sensation de manque d'air. C'est cette certitude qu'on va crever. C'est les poumons qui se déchire et te revoilà là, ramené il y a peine une semaine, ses mains sur ta gorge, ses larmes sur tes joues, des cries d'horreurs, des choses si belles, pourtant, qui ont été dites. Tu pensais que ce n'était rien. Tu pensais en être sorti. Tu pensais que c'était un autre coup, mais tu avais oublié que ce coup venait de Clovis. Tu t'agites, te cambres, la peur est réelle, elle n'est ni feinte, ni jouée. C'est la terreur dans tes yeux, celle de te souvenir, celle de voir son visage, celle de voir que c'est son visage qui à ta vie entre ses mains. Tu hurles encore, supplies, jusqu'à le sentir se jeter sur toi, s’affairer à tes mains. Fou, tu bascules la tête en arrière, tu ne sais pas si tu cherches à te fracasser le crâne pour perdre connaissance ou pour ne pas avoir, encore, la lueur dans son regard quand il serrait ta gorge entre ses mains.

Et enfin, tu sens qu'on te libère, tu sens la corde quitter ta gorge, tu sens ses mains contre les tiennes. Tu te jettes sur lui, pas pour le tuer, pas pour lui faire mal, pour l'étreindre, pulsion terrible, terrifiée, de la sentir contre toi, de sentir sa chaleur, son odeur, sans que ce ne soit pour se faire du mal ou pour se hurler dessus. Tu respires contre lui, ça siffle dans tes poumons, ça bourdonne à l'arrière de ton crâne. C'est trop. C'est trop. C'est trop.

— Pars-pas...

À peine plus fort qu'un souffle. Encore tremblant.

— Ne pars plus...

Tes bras qui pendent, tes doigts contres les siens. Sur ta peau, tu sens le contact froid de la chaîne et lentement, tout doucement, s’immisce en toi une irrésistible envie de la prendre. Depuis quand était-elle si belle ? Depuis quand était-elle si agréable à toucher ? Tu aimerais bien... Juste pour voir... Juste pour sentir... L'avoir à ton poignet.

Ta poitrine se soulève moins fort, tu te détaches un peu de lui, chercher ton front contre le sien, cherche son souffle en écho au tien. Tu appuies un peu ta main contre la sienne, c'est si agréable ce contact du métal contre toi. Silence, approche doucement ta bouche de la sienne. Ça aussi. C'est irrésistible.

Au loin, une pensée gronde. Une voix lointaine, le souvenir d'une autre, vie d'un autre temps.
Quand tu veux quelque chose, prends-le.

Tes doigts contre la chaîne. Ta bouche contre la sienne, doucement. Sensuellement.
Et cette pensée, depuis quand était-elle là ? Se renforce à chaque seconde.
Quand tu veux quelque chose, Jasper, prends-le.

Tu trembles, pas vraiment de peur, cette fois-ci. Tu trembles, son corps contre le tien, tu aimes cette façon dont il t’étreint, avec laquelle il te garde tout contre lui. Tu as chaud, Jasper, en dedans. L'impression qu'on fait fondre de l'intérieur des murs de glace. Des murs bâtis à coup de haine, d'incertitude et de tristesse. C'est là que tu veux être. C'est comme ça que tu vous préfères. Et tu aimes, l'idée qu'il réponde. C'est chaud oui. Quand tu poses tes lèvres contre les siennes.

Quand tu veux quelque chose, Jasper, prends-le.

Tu veux. Tu prends. Tu veux ça, ce baiser, cette montée de désir en toi. Tu veux sentir l'envie qui gonfle. Tu veux sa bouche. Tu veux sa langue qui vient jouer avec la tienne. Tu veux son corps qu'il presse contre le tien. Tu veux ce souffle fébrile. Tu veux la lueur dans ses yeux qui demandent "encore". Tu respires, fébrile, les lèvres gonflées par l'envie de le sentir. Son visage qui se niche au creux de ta nuque, sa bouche contre ta peau. Tu tends le cou, soupir d'aise. La main qui n'est pas en contact avec la chaîne vient glisser jusqu'à la racine de ses cheveux, se perdre, gourmande, dans l'épaisseur de ses mèches blondes.

— Ah...

Tu appuies ton bassin contre le sien, le réclames, pressant. Tu veux l'embrasser, encore. Tu veux le déshabiller, redécouvrir ce que ça fait de sentir sa peau nue contre la tienne. Découvrir tout ce que tu t'es empêché de découvrir il y a onze ans.

On pourrait commencer par cette chaîne.

Oui on pourrait. Le regard brûlant, tu cherches sa bouche de nouveau. Transpire d'envie pour lui. Du bout des doigts, tu viens pincer les chaînons gris. Ah. C'est vraiment trop agréable de la sentir. Tu veux la sentir. Lui. Elle. Lui lui lui lui

elle elle elle elle

Tu la tires doucement, toujours affairé à l'embrasser, à te presser contre lui, à vouloir le sentir plus fort.

Elle t'irait bien, tu penses. Tu serais beau avec. Tu penses. Tu aimeras bien, oui, la lui ôter.

Quand tu veux quelque chose, Jasper, prends-le.

Sous emprise, envie irrépressible. Tu agrippes la chaîne, tires fort pour la lui arracher des mains. La tenir contre ta paume est d'un ravissement sans nom. C'est agréable au toucher. Ça fait tellement de bien. Où était-il, ce sublime bijou, tout ce temps ? Il pourrait te la prêter, pas vrai ? Ce n'est pas comme-ci il en avait besoin. Tu le repousses, plus violemment que ce que tu ne voudrais. Une partie de toi s'attarde, un peu hagarde. Non... Clovis est là. Devant toi. Tu veux le sentir... Encore. Et il ne t’as rien dit. C'est pour ça que tu es venu, pourtant. Pour des réponses. Mais l'envie s'immisce plus profondément en toi. Tu veux la ramener chez toi. Rien qu'un peu. Rien que pour voir comment elle te va. Devant le grand miroir à pied de ta chambre. Tu es sûr que le reflet que tu verras sera saillant.

— Elle est... Vraiment magnifique...

Tu la regardes, subjuguée. On dirait un amateur devant une œuvre prisée.

— Prête la moi. Je veux l'essayer.

Tu l'observes, la lèves à hauteur de tes yeux. Tu es fasciné. Tellement fasciné. Un peu jaloux, aussi, que Clovis puisse posséder quelque chose d'aussi joli. Et ça t'énerve, quand il souffle que tu dois lui rendre. C'est bon. C'est l'histoire de quelques minutes. De quelques heures. Personne ne va en mourir, non ? Tu claques la langue contre ton palet, agacé.

— Détends-toi... Je veux juste la voir d'un peu plus près...

Mais il se lève tente de te la prendre et tu recules, le regard brillant de colère. Tu la lèves au-dessus de ta tête pour la mètre hors de portée et d'un geste rapide et expert tu sors ta baguette et la pointes sur lui.

— INCARCEREM !

Ça t'énerve. Ça t'énerve tellement. Il veut tout, Clovis. Tout. Et il ne prête même pas. Jamais. Ça t'énerve, s'il savait comme ça t'énerve, cette gourmandise malvenue. Alors que toi, tu lui donnes tout. Il pourrait te la prêter, ne serait-ce qu'un peu. Après tout, n'était pas spécial à ses yeux ? N'étais-tu pas son meilleur ami ? N'étais pas entrain de l'embrasser avec passion quelques secondes plus tôt ? T'observe la corde se lier autour de lui, l'immobiliser. Tu tapes du pied. Agacé.

— C'est toujours la même chose, tu veux tout garder pour toi, tu ne partages jamais rien avec moi. Ton affection, tes secrets, tes possessions...

Tu serres la chaîne la passe autour de ta main. De ta main qui tient la baguette, tu viens toucher les bijoux à tes oreilles.

— Père détestait les bijoux. Il disait que c'était le propre des femmes et des gens qui aiment se voir... Tu passes tes doigts sur la chaîne, souris, soulagé. Je lui ressemble beaucoup moins à présent.

Tu repasses ton regard sur Clovis. Un bref instant à le voir. Ton visage qui se ferme, impassible avant de dire.

— Je vais la garder un peu, ça t'apprendra la patience et la générosité.

Tu tournes des talons, claques la porte derrière toi. Tu as hâte. Si hâte, de te voir avec elle dans le miroir.