Dès le départ, t'avais été septique sur cette histoire d'application. Tu t'étais réfugiée derrière les excuses dont tout le monde use. Des excuses qui impliquent des phrases toutes faites comme "tout le monde le fait" ou "ça ne veut rien dire". Si tu devais être honnête envers toi-même, Do, y avait un certain malaise, une certaine ambivalence derrière cette décision. T'avais oublié ton ex, c'est certain. T'avais fait une croix, un deuil sur le mythe de l'adolescente petite et myope qui roucoule dans les bras du beau garçon de l'école ou de celui de la fille trop mignonne qui se fait séduire par la fille trop sexy. Pourtant, il y avait comme une espèce de nostalgie depuis quelque temps. La petite pensée qui glisse, murmure dans le silence que "ce ne serait pas si mal de rencontrer quelqu'un". Bien évidemment, tu n'avais rien dit à personne. Pas à Gus, de peur de le voir se moquer, pas à ton père, de peur de le voir espérer. T'étais pas bien sûre de ce que tu cherchais toi-même. Des rencontres ? Le grand amour ? Quelqu'un pour juste s'amuser, découvrir ce truc incroyable dont le parle qui s'appelle la sexualité. Quelque part, t'as un peu honte. Tu n'avais pas su quoi répondre quand l'application t'as demandé ce que tu préférais entre homme et femme. Alors t'as mis les deux, sans trop savoir ce que ça pouvait signifier. T'as pas su quoi répondre non plus quand on t'as demandé une description. T'avais regardé, un peu gênée, l'ébauche d'un "19 yo - batteuse - de quidditch j'aime les gros gourdins - cherche à faire péter le bouchon pour la première fois" avant de tout effacer et de te contenter d'un "Pourquoi attendre le coup de foudre quand on peut donner des coups de battes ?". T'avais scrollé, un peu incertaine. Tien, mignon ce mec, mais trop âge. Tien superbe cette meuf, mais beaucoup trop impressionnante pour toi. Tien, marrant y a Neal.... Putain y a Neal.

Alors, en effet, t'avais pas rencontré qui que ce soit, ce soir-là. Mais t'avais ri et c'était déjà bien.

Alors quand il arrive aujourd'hui, t'as encore la même envie de rire. Tu secoues ton téléphone avec malice.

— Zut, je pensais que les joueurs pro étaient trop populaires pour matcher avec des randoms. Je pensais être discrète, me serais-je donc trompé ?

Tu le laisses s'asseoir en face de toi. Sincèrement, ça aurait pu être gênant. Quelque part, t'aimerais que ce soit gênant. C'est un peu étrange de te voir capable de rire comme tu ris avec les bons potes. Ton sourire s’accentue prends la tasse du bout des doigts. Tu fais tourner l'objet délicatement, partagée entre le merci sincère ou la pique. Bien évidemment, tu optes pour la pique.

— Une rousse canon... Tu sais, si tu voulais acheter mon silence quant au fait que tu dragouilles tu pouvais tout simplement me jurer obéissance et reconnaissance éternelle, hein ? Je suis pas très exigeante.

Tu poses la tasse, ferme les yeux.

— Mais je vais accepter ton offrande, merci.

Ce qui te fait penser que tu ne lui a pas posé la question hier.

— Mais dis moi, je me posais la question mais... C'est pas un peu risqué ? D'être sur ce genre d'appli je veux dire. Je suis encore nouvelle ici alors j'ai pas votre popularité non plus mais toi ? T’arrive encore à faire un pas dehors sans avoir une notification pour un match ?

Tu roules des yeux, peut-être pour ne pas avouer, pour ne pas montrer, que ce genre de petit nom et de compliment ne te laisse pas indifférente. Tu n'as pas trop l'habitude. Les grands airs, la répartie, les haussements d'épaules, c'est une armure portée au quotidien pour ne pas craquer, pour ne pas faillir. Tu t'es construit une image de grande pour enterrer la gamine. Tu t'es construite dans l'opposition et la négation de cette soit disante héroïne que tu es devenue, que tu ne peux pas saquer, parce que cette fille de Poudlard qui s'est dressé contre The Crow tu ne veux plus la voir, elle te dégoûte, elle t'horripile. Mais tu te confrontes à la limite de ton évolution. Ce genre d'attention, tu ne sais pas encore très bien comment les gérer.

— Tu m'as déjà vu avec mes putains de cheveux roses ? J'étais une vraie rebelle, à l'époque.

Sourire jaune, tout en tapotant la tasse du bout des ongles. Le vocabulaire aussi, a changé. Dans un sens, t'es plutôt contente d'avoir entendu dix-neuf ans, une arrestation et l'effondrement de ta famille pour te mettre à Witcher. Avant, ça aurait été terrible.

T'es plutôt impressionnée, de la façon dont il en parle. Pour lui rien n'a l'air impressionnant ou intimidant. Il est capable d'engager la conversation et de la tenir, juste pour passer le temps qu'il dit. Il n'a pas l'air de se mettre la pression, ni même d'attendre quoi que ce soit. Est-ce que tu attends quelque, toi ? Oui. Non. Un peu le derrière entre deux chaises. La vérité c'est que tu ne sais pas ce que tu veux.

— Et t'es jamais tombé sur une meuf ou un mec, je ne sais pas si les mecs aussi ça t'intéresse, un peu relou ? Tu sais ce genre de personne qui, sous prétexte que tu lui as envoyé un message, part du principe que tu lui dois un date et de la conversation. J'avoue que c'est ce qui m'angoisse le plus. Je n'ai pas envie de me sentir obligé de rendre des comptes à JeremyILoveLondon45.

T'enroules une mèche de cheveux autour de ton doigt et lui accorde une moue théâtrale. L'idée de devenir populaire à ce point t'amuse autant qu'elle t'effraie. Quelque part t'as encore du mal à te dire que, oui, peut-être, tu vas être ce que le commun des mortels appel un personnage public. Tu as encore du mal parce que rien dans ton mode de vie ne s'accorde avec ce que tu imagines être "la vie d'une personne public". Tu squattes, quand tu dors chez Nur tu partages ton lit avec ton petit frère, quand tu dors chez Gus tu te bats pour garder le canapé et ne pas prendre le lit de Beck. T'en ai encore à pester sur le prix des vêtements les moins chers, tu ne fais pas spécialement attention, tu connais par cœur les vieux génériques des dessins-animés moldu que regarde Tommy. Tu n'es pas... Tu n'es pas comme tous ces gens sur Witchtagram. T'en a eu l'envie à une époque pas si lointaine. C'est plus vraiment le cas maintenant. Tu soupires, considères ce que Neal te dit. Bien sûr, tu fais attention mais là encore, t'es pas bien sûre de ce que tu veux et de ce que tu cherches avec cette histoire d'application.

— J'ai pas matché avec grand monde encore, mais je sais pas. Pour être tout à fait honnête, je ne sais pas trop pourquoi je me suis inscrite. Si tu me dis "est-ce que tu recherches le grand amour ?" je te dirai "quoi ? mdr, j'ai pas cinq ans beurk". Si tu me dis "tu veux juste un plan cul ?" je te dirai "Hein ? Quoi ? Mais comment tu tue le romantisme !".

Tu hausses les épaules. Y aurait de quoi en faire un même.

— Le seul truc dont je suis vraiment sûre c'est qu'il est hors de question que mon père l'apprenne, sinon il va encore faire des plans sur la comète et je ne veux pas qu'il soit déçu.

T'es sincèrement surprise face à sa réaction. Tu dois l'avouer, tu as rarement été vigilante sur la sensibilité des uns et des autres en matière d’attirance. Pour la bonne et simple raison que toi tu t'en fou, que tu n'as jamais compris pourquoi ce point-là spécifiquement était aussi important pour beaucoup de gens. Après tout, qu'est-ce que ça change à la tienne, de vie, si un tel aime les hommes, les femmes ou n'a pas d'avis sur la question ? Du coup, tu te retrouves un peu confuse. C'est peut-être un peu naïf, ceci dit. C'est d'une telle évidence pour toi que chacun fait ce qu'il veut et que ce n'est pas tes oignons que t'en oublies que ce qui est sans importance pour toi peut être primordial pour quelqu'un d'autre.

— Je.. Heu.. Bah tu matchs ce que tu veux, c'est pas tellement mes affaires. J'aime bien les gossip mais ce que tu dragues ? Je m'en fiche royalement.

Et tu rends compte que c'était peut-être un peu brusque.

— Enfin, ce que je veux dire, c'est que les gens peuvent être attirés par ce qui veulent. Moi je m'en fiche et je pense que tout le monde devrait s'en ficher.

T'as peut-être fait une bourde. Tu es trop habitué à hausser les épaules avec Gus, trop habituée à décortiquer tes propres problèmes pour les relativiser. C'était peut-être trop cavalier. Tu baisses les yeux dans un geste d'excuse. Mais tu dois l'avouer, tu es soulagée, Dorothy, quand Neal recommence à parler.

Et il te fait rire, il te touche aussi. Tu relèves la tête, tends les mains devant toi comme pour appeler au calme.

— Oui, bon. Déjà que les réseaux et la presse se mêlent un peu trop de nos vies à mon goût, si on pouvait éviter d'aller tabasser en plus des gens le samedi soir...

Et c'est très juste, ce qu'il dit, Neal. Tu lui trouves un côté sage, poète. Ça t’attendrit, la façon dont il tourne les choses. Tu ri de nouveau. Pose ta tête dans le creux de ta main.

— Il en dit que c'est un gros ringard so 2030.

Mais tu revois, le regard de ton père, l'espoir toujours quand tu lui parles d'avenir, la pression un peu paradoxale qu'il te met à vouloir ton bonheur. Non. Son bonheur. Ton regard se voile un peu.

— C'est juste qu'il est assez nostalgique de l'époque où j'avais un copain. Il ne pense pas méchamment, il veut juste que je sois heureuse. Mais le truc, c'est que je crois qu'il percute pas qu'à autant en attendre ça devient presque oppressant d'être heureuse pour moi. Et surtout, je ne sais pas vraiment si le bonheur que je pourrais trouver ira le contenter. On a jamais vraiment parlé de..(Tu écartes les bras, comme pour désigner un grand espace) de tout ça

Tu ne te pensais pas capable de parler autant. Pas de ça, pas aussi simplement. C'est qu'il doit avoir quelque chose de spécial, Neal, outre sa gentillesse, son humour et tout ce qui va avec. Quelque part ça fait du bien, loin de Poudlard, loin du corbeau, loin de la révolution, d'avoir des gens aussi simples et aussi positifs. Tu te laisses prendre les mains, souris un peu timide. Toujours l'impression que si ce n'est pas avec Gus ce sera forcément gênant de mettre ce genre de confession sur le tapis. Vous êtes solidaires, vous êtes collègues, seulement êtes vous amis ? T'as envie de dire oui, parce que tu le vois un peu comme ça, Neal. Mais vrai que tu as jamais pensé à lui poser la question.

Et ce qu'il dit est juste, même si tu as un doute. Tu as bien vu, son regard qui brille quand tu es avec Argus. Tu te demandes, est-ce que c'est parce qu'il se sent responsable de l'échec qu'a été votre famille qu'il attend avec tant d'envie que tu en fondes une autre ? Mais t'es bien sûre, Dorothy, que ce soit ce que tu veux. C'est peut-être naïf, peut-être un peu trop vieux jeux. Mais t'aimerai déjà reconstruire la tienne pour commencer. Toi. Tommy et lui. Leur racheter, leur offrir, la vie que tu leur as prise.

— Hm, le coup des regrets je connais, ouais.

Balancé avec un petit sourire triste. Personne n'est mort mais parfois tout te dit que c'est tout comme. T'as très peu d'espoir de revoir ta mère et ta grand-mère. Ce n'est qu'une fois le procès terminé que tu t'es rendu compte de tout ce que tu aurais voulu leur exprimer. Tu soupires, lèves les yeux, parce que c'est plus simple de trouver le courage dans le plafond que dans le regard des autres. Tu reviens vers lui, tente, maladroitement.

— C'est marrant, en arrivant dans l'équipe j'avais pensé que c'était plus Teddy le grand sage du groupe. Tu sais, les cheveux noirs, taciturnes.

Tu te permets un rire. Et t'as toujours rien fait pour retirer tes mains des siennes, Dorothy.

— Merci, Neal.

Il aurait pu fuir le sérieux, te faire comprendre que ça le gênait mais il a assumé, guidé. Savoir que quelqu'un comme lui est là, ça rassure, ça fait du bien.

— Ils ont de la chance les âmes à la dérive qui tombe sur toi la nuit.

Sage conseil, que tu notes dans un coin de ta tête. Tu ne te sens pas la légitimité de creuser plus en profondeur, de chercher à découvrir ce qu'il y a sous les croûtes de ses blessures. C'est peut-être plus le rôle de Teddy que le tien. Et tu te sais suffisamment jalouse pour te mettre à la place du type qui a une place que tout désigne comme spéciale. Mais tu notes, tu gardes soigneusement gravé en toi qu'il a ses fragilités, Neal. Qu'il écrit, Neal. Qu'il a des centaines de mots qu'il grave à défaut de pouvoir les dires. Et tu as l'audace de te dire, Dorothy, que même si ce n'est pas de beaucoup, il a pu en exprimer certains aujourd'hui.

— Est-ce que ça marche aussi pour les absents ?

Tous, même ceux qui sont encore là, mais qu'on ne peut plus voir. Tu poses la question un peu innocemment, même si tu penses que tu connais déjà la réponse.

— J'essaierai. Écrire, ça peut être un bon premier petit pas.

Tu réponds à son rire. C'est peut-être idiot mais tu te sens le devoir de faire s'étirer le sourire à nouveau. Tu as mis sur la table des choses lourdes dont il n'avait peut-être pas envie d'entendre parler. Tu n'es pas Teddy. Tu n'es pas ce que tu penses que Teddy est. Mais tu peux au moins être une bonne copine, une bonne camarade. C'est déjà pas mal, en vrai. Alors tu prends une mine dégoûtée pour faire écho, à la sienne. Tire la langue, comme écœurée. L'enfer ouais, et le pire c'est qu'il ne serait même pas rémunéré pour écouter. Il y a pourtant des gens dont c'est le métier.

Tu notes cependant, le léger changement sur ses traits. Tu fais l'aveugle, ce n'est pas bien compliqué avec ta myopie. Tu n'es pas bien sûre, Do, que ce soit ton rôle de pénétrer dans son jardin secret. Alors tu hausses les épaules, théâtrales. Dans le fond, t'es même fière de toi d'être raisonnable. De ne pas, comme autrefois, chercher à tout prix à tout savoir, comme-ci tu étais une espèce d'héroïne destiner à sauver tout le monde, alors que tu n'étais pas foutue de te sauver toi-même.

— Moi, en tout cas, je suis contente que tu me spamm des photos de ton chat. J'ai moins de scrupules à te spammer avec mes selfies.

Tu oses lui sourire. T'espères, oui, que tu seras au moins une bonne copine.

— Je vais peut-être finir par rendre mon BFF vert de jalousie à force. Un vrai goal, je te promets.

Grimace qui déforme tes traits. Pourquoi tout le monde s'acharne à te demander s'il y a "quelque chose" entre toi et Gus ? C'est un sketch, tant et si bien que tu as arrêté de compter passer la première cinquantaine. C'est qu'à force t'en viens à avoir le doute. À croire que c'est pas la norme, que c'est trop étrange pour rentrer dans les cases. Pourtant, il a jamais été question de foutre une case à quoi que ce soit. Tu penses sincèrement qu'aucun de vous n'en aurait spécialement le besoin ou l'envie. Mais les autres, les autres ah ! C'est la mode les petites cases en ce moment, faut choisir un camp, mettre un mot et une définition sur tout et pour tout. Tu soupires te laisses t'enfoncer sur ton siège.

— Gus c'est Gus. Il est vieux dans sa tête, bois beaucoup trop de café et est incapable de bouger ses fesses sur autre chose que du Britney Spears mais c'est la personne la plus fiable, compréhensive et droite que je connaisse. C'est ma maison, mon toit sur ma tête et même si c'est parfois un peu bancal je l'échangerai pour rien au monde. Je ne sais pas si c'est "compliqué" ou "étrange" -j'ai l'impression que tout le monde trouve ça étrange- je me suis jamais posé la question. Gus c'est Gus, c'est tout. C'est pas la même chose pour toi et Teddy ?

C'est qu'avec leur délire t'en viens parfois à être gênée. Tu n'as pas spécialement l'envie qu'on vous juge, qu'on vous pointe du doigt sous prétexte que t'habites déjà à moitié chez lui, que vous vous êtes lancé dans une espèce de plan foireux d'éducation à deux de Tommy ou que vous avez déjà pris le menu familial au resto du coin pour avoir la réduction et le jouet avangers pour Tommy (encore). Quelque part, t'en a déjà assez des regard appuyé de ton père quand tu dis que tu vas aller dormir à la coloc (encore), ou des sourires de Nur qui ont l'air d'avoir une quinzaine de significations différentes (et un peu effrayantes). Ceci dit, ce n'est pas de la faute de Neal. Tu fais la moue, laisses ton front se poser contre la table, t'as l'air d'une ado un lundi matin.

— Toi qu'est sage, beau, intelligent et parfait n'as-tu pas un guide pratique des relations à me partager ?

Mais ça parle de bouffe. Et là, tu relèves la tête, plus intéressée.

— Où une invitation à manger ça va aussi. Je mange de tout, hormis les crustacés, pas tant que c'est mauvais, juste que j'ai jamais été fichue de comprendre comment ça se mangeait une pince de crabe. T'as parlé de sucre, t'es déjà allé au salon de thé près du bijoutier ? Ils font des gâteaux individuels. Des gros gâteaux individuels.

Tu lèves les yeux, l'air de réfléchir très sérieusement à cette histoire de photo. C'est pas tant que t'as vraiment l'envie et l'objectif de faire péter des plombs à Gus. Non, ce serait méchant de ta part et tu n'as pas envie de le mettre mal. C'est difficile à définir, expliquer. T'attends rien, t'as envie de te dire. Mais des fois tu attends quelques choses. C'est particulier. C'est peu la même chose pour lui, tu imagines.

— C'est juste que c'est le genre de personne qui a l'air à des kilomètres de tout. Et c'est pas vraiment mon cas, même si j'essaye. Alors des fois, j'aimerais bien voir ce que ça donne quand il réduit la distance. C'est pas vraiment pour attirer son attention. Fin je ne crois pas.

À l'entendre, il est tout autant à la ramasse que toi. Pourtant, il dégage quelque chose de rassurant. Ce fameux recul dont, toi, tu manques. L'évocation de son ex (du surnom douce. Whoua, c'est agréable d'entendre ce genre chose) t'accroche un sourire. Toi aussi, ça s'est mal fini. Ou plutôt, disons que tu as tout fait pour que ça finisse mal. Enfin, il vend du rêve ouais (la façon dont il écarte tes cheveux, la proximité qu'il instaure), mais tu sais que ça cache toujours quelque chose, le rêve. Dans le fond, tu penses qu'il n'est pas si différent de la majorité des gens. Personne n'aime le social. Personne de sain du moins. Voir du monde c'est mobiliser des ressources qu'on n'a pas toujours, c'est se poser des centaines de questions, c'est beaucoup d'emmerde, c'est la peur de voir le moment où tout foire parce que la vie fait que passer un certain âge, on réalise que les fins bien ça n'existent pas.

— Ça n'a rien de très exceptionnel pour moi, tu sais ? Je pense que même les gens sociables n'aiment pas tant les autres que ça. Bien sûr, il y a des gens qu'on aime, avec lesquels on a besoin de passer du temps. Mais je pense qu'il faut être totalement taré pour vivre H24 avec les autres et pour ne pas avoir d'insécurités ou de peur vis-à-vis des liens qu'on créer.

Tout le monde à ses limites, son besoin d'intimité. Tu penses que la seule chose qui diffère d'un individu à l'autre c'est le degré de tolérance. Neal en a un faible. D'accord. Toi, t'en a un probablement un peu plus élevé. Mais ça ne veut pas dire que tu aimes les gens. Que tu aimes l'humain. Non. L'humain est plein de défaut et tu ne le porte pas nécessairement en grande estime. Mais dans la vase il y a des perles, des rencontres qui font nuancer la haine et qui permettent de se dire que "ok, c'est pas si pourrit". De toutes les façons, la vie est trop courte pour qu'on puisse se permettre de se concentrer sur tout le monde. Alors autant se concentrer sur quelques individus et faire de son mieux. C'est ce que tu appelles un bon début.

Tu te lèves à ton tour, passe ton sac sur ton épaule.

— Ouais, des gros gâteaux individuels. L'endroit fait un peu salon de thé richouille mais c'est assez sympa. Par contre ça grouille de couple là-bas. Enfin, ça grouille de premier rendez-vous plus ou moins réussit.

La dernière fois que t'y étais, ça devait être avec Gus et vous en aviez compté douze. DOUZE duos de gens un peu trop stressés et maladroits qui se regardaient et lançait des rires gênés à tout-va. Au moins, tu sais que même si Neal que tu traînes, tu ne lanceras pas de rire gêné.