Vingt-quatre heures. Vingt-quatre HEURES à le maudire d'exister. Si ce salopard croit pouvoir t'échapper. Tu fulmines, alimentes ta haine derrière les vitres de cette cage de verre. Tu ne ressens plus rien si ce n'est une colère insatiable. Ils croyaient à tord que vous étiez l'un pour l'autre, tu espérais par déni qu'il serait le seul à pouvoir te comprendre - mais aimer Elijah Strauss est la bêtise la plus imprudente que tu as pu commettre. Il ne t'attire que des ennuis et des problèmes, est incontrôlable et destructeur. Tu ne laisseras pas annihiler tout ce que tu as construit.

(...)

Quand la cage s'ouvre. Tu plies sur tes cuisses pour sortir. Tu as des cernes plus creusées que le semi-vampire, le teint pâle et le regard terne. Tu traverses la maison et découvres amèrement que la jeune louve est toujours là, recluse et confuse dans sa chambre. Cette putain aurait pu venir te libérer mais non, elle est trop farouche pour oser mettre le nez dehors.

Tu vas le tuer.
Tu vas le retrouver ! Et tu vas le tuer.

(...)

S'il croyait pouvoir t'échapper, il se trompait lourdement. C'est que tu avais prévu ce genre de cas quelques mois auparavant. C'est pour ça que tu avais installé une puce traçable dans son pineapple. Tu le savais assez serein pour ne pas s'en séparer ; pouvoir joindre ses petits esclaves à tout moment.

L'adresse n'est pas précise et Elijah se déplace. Sur place sur tu ne comprends pas. Tu ne l'aperçois dans aucune des rues où il est censé se trouver. Tu erres des heures, enrages ! Jusqu'à que tu comprennes (enfin) qu'il se terre sous le sol lui-même.

Tu transplanes et trottines, dans les bas-fonds tu t'improvises roi. Tu le délogeras de sa planque à coup de fusil s'il le faut ce rat.

— « Mon plan était parfait... »

Tu l'imites grossièrement, un sourire cruel aux lèvres. Tu tentes de masquer la fatigue qui hante encore tes traits.

— « Quoique ton plan puisse être, dis-toi que le mien le surpassera toujours. C'est compris ? »

Le visage se déforme sous la colère, tu hurles.

— « C'EST COMPRIS ? »

Tu ravales ta nervosité dans un rire sardonique. Tu le hais, tu vas le tuer. Mais que restera t-il de ta vie ensuite ? Tu crains de ce que tu adviendra quand son cadavre flottera dans les égouts de la Tamise.

— « Tiens ta parole, chien. »

Tu sors une laisse de sous ton manteau, la même qu'il t'avait mise de force dans ce bordel.

— « Maintenant tu m'appartiens et tu vas m'obéir, comme un gentil toutou obéissant. Au pied. »

Tu n'es pas fait pour les égouts, qu'il dit. Tu t'étrangles d'un rire sardonique. Pour qui te prend-il ? A-t-il oublié que tu as grandi dans les forêts inhospitalières de Grande Bretagne ? Que les Priest n'étaient pas riches ni privilégiés, et que leur maigre fortune a toujours été employée dans l'armement et votre éducation ? Tu fronces les sourcils et le toises avec tous le mépris dont tu sais faire preuve. Il le mérite. Il mérite de ramper pour oser prétendre t'aimer.

— « J'ai toujours eu l'habitude de marcher dans la boue et la crasse. De quoi tu me parles, chien ? »

Il hurle à son tour puis décides de te rejoindre. Il se passe la laisse de lui même et tu guettes ses réactions, quelque peu surpris de le voir obtempérer aussi facilement.

— « Voilà qui est inattendu. »

Tu tapotes sa tête affectueusement.
Évidemment il est mauvais perdant... alors pour apaiser ses tourments, tu lui révèles ton vieux tour de passe passe.

— « J'ai tout simplement mis un traceur dans ton pineapple Elijah. »

Tu tires brusquement sur la laisse pour lui faire plier la tête.

— « Mais même ça, tu as été assez bête pour ne pas l'anticiper. »

Tu sais désormais que ce coup ne marchera pas une prochaine fois. Mais il n'y aura pas de prochaine fois. Car Elijah va se soumettre pour de bon ou mourir.

— « Je te suis. »

Mais qu'il n'essaie pas de te la mettre à l'envers. Parce que tu as tout prévu dans ce cas là aussi. Tu détruiras chaque espoir de sa part d'essayer de s'en sortir. Il n'aura plus jamais l'ascendant sur toi. Plus personne ne te dominera.

Les semaines passent et la routine s'installe. Elle s'ancre profondément dans vos âmes damnées, tatoue l'intérieur du crâne à l'encre empoisonnée. Tu te surprends à aimer ce quotidien - où tout est sage et tout est calculé. Tu recommences à, parfois, lui lancer des regards vaguement amoureux.
Mais le bonheur est pernicieux, car il n'est pas éternel. Ce n'est pas dans la nature d'Elijah Strauss d'être obéissant et conciliant. Il est comme un démon qu'on ne peut enchainer, à moins de briser. Et ce sous-être refuse ! Il REFUSE de te laisser gagner.

Que fait un chien quand il est maltraité ?
Il mord, il cherche à s'enfuir. Il complote contre son maitre pour reprendre le dessus.
Cela fait déjà plusieurs nuits que tu ne dors plus - à fixer le plafond quand le dhampire est collé contre toi. Sa peau froide ne te provoque plus aucun frissons. Il te dégoûte, l'amour que tu croyais lui porter n'existe plus ; ça t'écoeure. Comment as-tu pu ?

(...)

Ce soir-là ressemble à tous les autres. Tu prends ta douche, t'habilles. C'est Elijah qui fait à manger (une habitude prise qui est loin de te ravir) - l'odeur de la nourriture chatouille tes narines. Tu rejoins la salon pour le dévisager.

— « Je sais. J'ai fait exprès. »

En pyjama bleu clair, tu tires sur les manches de ta chemise quadrillée puis t'installes à table.

— « Ça a l'air bon. »

Et sans rien dire, tu commences à manger. Tu n'as aucune discussion Atlas, l'on entend que le bruit de vos mastications. Tu le surveilles du coin de l'oeil, étires un sourire faussement innocent, hautement adorable, et colles ta joue à ton épaule pour demander.

— « Pourquoi est-ce que tu surveilles ta montre Elijah ? »

Tu bats des cils puis, lâches ta fourchette. Ton regard s'écarquille, ton coeur se fige. Un filet de bave lentement s'échappe au coin de tes lèvres. Tu tombes net de ta chaise, la poitrine compressée.

— « Qu'est-ce que tu m'as... fait... ? »

Tu sais.

Le corps allongé sur le sol, tu cherches à tourner la tête pour le regarder d'en bas. Tu mimes à la perfection cette expression horrifiée - celle qu'ils arborent tous avec démesure lorsque s'approche l'heure de leur mort. Ses doigts à ta joue sont une infamie mais c'est parfait, tu ne pouvais rêver plus doux comme dernier contact. Tu n'as aucun regret sur tout ce que tu as fait. Tu fermes les yeux, marmonnes entre tes dents l'horripilante vérité.

— « Tu m'as empoisonné. »

Il a osé rompre tout vos serments.

— « Tu m'as trahi. »

Mais il n'est pas le seul à compter dans sa tête. S'il est sûrement asservi par les minutes ; tu en es encore aux secondes.
Ah, Elijah parle beaucoup.
Il se croit bon mais il a tort.
Il se pense vainqueur mais il a tort.
Tout ce que tu vois, toi, c'est un monstre qui, jadis, était fort.

— « Alors je ne regrette rien. »

De ce que tu as fait et de ce que tu t'apprêtes à faire.

— « Je te dois des excuses, Elijah, pour cette mise en scène grossière. »

Tu te redresses, toujours assis par terre. Du revers de la manche, tu essuies le filet de salive qui colle à ton menton. Tu répètes machinalement ce qui sonnait à l'instant dans sa bouche comme un exploit.

— « Le poison va prendre tes membres un par un par pour les paralyser, et en quelques minutes tu vas mourir. »

Tu sors de ta poche la fiole vide de l'antidote.

— « J'ai remplacé l'antidote que tu as pris par une solution stérile. Ça ne t'a pas protégé. En revanche, moi, j'étais intouchable. »

Tu le toises de haut, lui doit commencer à se sentir engourdi.

— « Je vais m'ennuyer sans toi aussi. Peut-être même que je vais dépérir un temps. Si je survis à ton absence, je pourrais marcher sur le monde qu'on aurait du construire tout les deux. »

Tu vas dans la cuisine pour récupérer un couteau de boucher.

— « Mais je ne suis pas comme toi Elijah. Je ne suis pas bon mais je ne suis pas non plus cruel. »

Tu l'es, assurément.

— « Tu vas atrocement souffrir. Ton poison, je l'ai amélioré. Je savais ce que tu préparais, j'ai fais en sorte de l'améliorer. Qu'il puisse brûler ta gorge à chaque souffle et te donner l'impression que tes membres sont plongés dans l'acide. »

Tu grimpes au dessus de lui, bloques ses poignets avec tes pieds et soulèves sa tête. Tu places la lame contre sa gorge.

— « Supplies-moi d'en finir et je t'accorderai la délivrance, mon amour. »

Prêt à lui trancher.
Prêt à tout déchirer ; même le peu de raison qu'il te reste.