Note : Marian n’a pas encore fait son coming-out à cette époque, il n’a aucune idée de ce qu’est « être trans », ce qui explique ses interlocuteurs qui utilisent le féminin pour lui parler. Cependant je le genre au masculin tout au long de la narration étant donné qu’il n’a pas « changé de genre » le jour de son coming-out.



Il se rattrape de justesse contre le mur et jette un coup d’œil à celui qui a failli le faire tomber en le bousculant. Il a l’habitude de raser les murs et il n’est de toute façon pas bien grand, donc ils ne l’ont vraiment pas remarqué.
Le couloir est désert, la fin des cours a sonné depuis bien dix minutes et il parlait avec son professeur de Métamorphose du devoir qu'il aurait à lui rendre pour le cours suivant. Après son double cours éprouvant, il a juste envie d’aller poser ses affaires, de relire rapidement son cours de sortilèges pour le lendemain et puis aller manger, voir un peu les Poufsouffles et monter se coucher en silence. En somme, il veut finir sa journée dans la paix, rien de plus.

Son vis-à-vis est plus âgé que lui, plus grand aussi et les couloirs de Gryffondor ornent son uniforme, comme celui de tout le groupe qui l’accompagne.
Ils lui posent cette terrible question, pourtant toute innocente :
— Oh désolé, je ne t’avais pas vu ! Est-ce que ça va ?
Mais lui évidemment, il ne répond pas. Il n’a pas envie de subir le tas gluant qui va sortir de sa bouche au lieu d’une réponse claire. Devant le silence, il répète sa question, et lui ignore toujours. Il accélère le pas mais ils le rattrapent.
— T’es sourde ?
Il a la bêtise de secouer la tête à la question, un peu par automatisme. Il regrette aussitôt, parce que les questions vaines pleuvent.
— Si t’es pas sourde, pourquoi tu parles pas ? T’es muette alors ?

Il se crispe tout à coup. C’est la question redoutée, celle-là. Celle qui augure le début des ennuis. Après suivront les murmures, ceux qui lui répèteront qu’il n’est qu’un idiot, qu’il fait un gros caprice et qu’il devrait se ressaisir et faire plus d’efforts. Certains jours, il n’est pas loin du tout de les croire, toutes ces voix incessantes, ces bruits de couloirs qui le poursuivent jusque dans sa salle commune.
Et puis, lorsqu’il n’y tient plus, lorsqu’il s’apprête à leur donner raison, il essaye de parler. Parfois juste pour demander le sel à son voisin de table au diner. Là il se souvient que ça n’est plus vraiment un caprice. Peut-être au début, mais maintenant il est juste fatigué.

Évidemment, il n’a pas le droit à la tranquillité. Bien sûr, si c’était une question de cours, quelque chose du genre, il expliciterait avec plaisir le point obscur pour un camarade, à grands renforts de schémas explicatifs – apparemment les siens sont clairs. Là ce sont juste une bande de Gryffondor qui l’ont bousculé. Oh il ne remet pas en cause leur bonne foi, il sait qu’ils n’ont pas fait exprès. En revanche, toutes ces questions qu’ils lui posent, ils le font exprès. Ils auraient pu s’arrêter à sa non-réponse, mais il faut qu’ils titillent bien sûr !
Il ignore toujours, poursuit son chemin. Mais ils ne se lassent pas, ils continuent avec leurs questions stupides et le rattrapent, se placent face à lui. Pourtant la réponse est sous leurs yeux : s’il parlait, il leur aurait déjà répondu.
— Pourquoi tu parles pas ? T’es trop bête pour ça c’est ça ?

Et puis il voit un éclat de compréhension dans un regard. Un se baisse et chuchote bien trop fort à l’oreille de son camarade :
— C’est la Serdaigle stupide de deuxième année ! Pire qu’une Cracmole, incapable de lancer un seul sort !
Son compère ricane et puis ça se mue en un éclat de rire général. Il ne comprend même pas ce qu’il y a de drôle en fait. Il ne parle pas, et alors ? Ce n’a jamais été un trait comique, ou alors il a raté un épisode.

Finalement ils s’impatientent, le chahutent un peu plus. Il a envie de s’en aller mais ils sont face à lui et à moins de se baisser pour passer sous le bras de l’un d’entre eux qui s’appuie sur le mur, il n’a pas de solution. Ça serait courber l’échine et il n’a pas envie de le faire. Il n’a pas non plus envie de subir ça, alors peut-être que c’est la meilleure solution. Mettre de côté sa fierté, fuir comme un lâche. Ce sont eux les Gryffondors courageux, pas lui !

Ils insistent en face et lui se mure dans son silence. Il ne peut rien faire d’autre, juste attendre. Ils s’agacent encore et lui lancent des insultes. Débile, crétin, Cracmol, dégénéré…
Pour lui Cracmol n’est même pas une insulte, mais ils lui lancent comme une lame effilée, comme s’ils voulaient lui faire du mal avec.

Il lâche un gros soupir agacé et eux qui n’attendaient que ça renchérissent encore plus. Il est fatigué. Il veut juste rentrer dans son dortoir ! Pourquoi ne peuvent-ils pas le laisser ?

Il courbe la tête, il attend que ça passe lorsqu’il entend une exclamation sonore au bout du couloir.

Ça a l’air grave drôle !
Une de plus alors ? La fille qui vient d’arriver est vraisemblablement amie avec eux. Elle porte les mêmes couleurs Gryffondors qu’eux. Lorsqu’il l’a vu du coin de l’œil s’approcher, il espérait une aide – là il ne sait plus trop quoi penser. Il a encore envie d’y croire bien sûr, mais elle arrive, si amicale avec eux, qu’il ne devrait pas trop y compter.
La description qu’ils font de lui remue la boule de colère sourde au fond de son estomac. C’est plutôt une rage impuissante qu’autre chose d’ailleurs – il ne peut rien faire si ce n’est attendre en silence. Parce que s’il parle, il aura assurément l’air encore plus ridicule. Autant limiter la casse tant que c’est possible.
La question qu’elle lui pose est vraiment stupide. Parce qu’il n’est pas un cracmol, tout simplement.
Il la regarde le plus droit dans les yeux qu’il peut. Il est déjà petit pour son année et eux sont bien plus âgés que lui – peut-être trois ans de plus ? Regarder droit dans les yeux est donc clairement impossible. Ça ne l’empêche pas d’essayer. Ses jambes tremblent un peu, mais il ignore le problème. Son poing se serre, un peu malgré lui. La rage qu’il contient veut sortir visiblement. C’est souvent le cas, mais là il est fatigué ; c’est la fin de sa journée, il ne demande qu’à rentrer dans son dortoir en paix.
… ridicules ? Elle les trouve ridicules ?
Son espoir n’était pas si vain alors ? Ils sont amis, c’est évident. C’est sans doute pour ça qu’elle les a approché en souriant. Est-ce qu’elle va vraiment prendre sa défense ?
Un peu perdu, son poing se desserre un peu. Et puis elle continue son discours, assurément des reproches, et là il se desserre complètement. Plus de doute possible. Elle prend vraiment sa défense. Les deux garçons deviennent alors tout piteux alors et il voit l’influence qu’elle a sur eux.
- T’as raison Génie.
Ils s’excusent vaguement et s’éloignent. Marian trifouille dans son sac et trouve un bout de papier et un stylo. Il les ignore  – il ne voudrait pas entrer dans les mauvaises grâces de sa sauveuse pour une bêtise pareille – et finit par dénicher le pochon de tissu qui contient toutes ses craies. Il prend aussi son ardoise, plaquée dans le fond de son sac, et griffonne un remerciement. La craie crisse sur la surface noire, il écrit aussi vite qu'il peut, de peur qu'elle se lasse d'attendre et s'en aille sans qu'il ai pu communiquer.
Merci. Et en effet, j’entends très bien !
Il marque une courte pause et puis la regarde à nouveau. Son ardoise brandie il se sent idiot – comme souvent. Mais il serait véritablement idiot s’il essayait de dire ça à voix haute.
Je m’appelle [Marian]. Et toi ? Je doute que ton prénom soit simplement « Génie » !
Aucune idée de pourquoi il écrit ça. Mais il est sincèrement curieux. Et puis il essaye de la faire sourire avec sa dernière phrase. Prouver qu’il est normal, qu’il a un prénom, qu’il est intelligent.
Il attend sa réponse, un peu anxieux. Son sac à moitié défait l’empêchera de partir en courant, mais ça ne devrait pas arriver, si ? Elle les as recadrés, elle ne se moquera pas de son handicap. Elle a l’air de valoir mieux que ça.