Tu embrasses la salle du regard. Tout est absolument parfait. Les premiers invités sont arrivés et leurs premières impressions étaient sans appel : ce gala allait être une réussite. La grande salle de l'Alexandra Palace rayonnait. Des tables avaient été placées de part et d'autre de la salle sur lesquelles ont avait disposé plats et boissons. Des tables rondes et finement décorées avaient été placées pour accueillir les invités et de la place avait été dégagé pour improviser une piste de danse. Devant la scène, étaient disposées plusieurs rangées de chaises, où les invités iront s'asseoir pour l’événement de la soirée : à savoir les enchères. Tu observes ton œuvre. Tu es fier. Pas détendu et satisfait pour autant. Tu jettes un œil nerveux vers la porte. Leslie n'est toujours pas là.

Depuis sa visite au manoir, la semaine précédente, votre relation s'était faite plus distante. Il te parlait toujours, répondait à tes sms quand tu en envoyais, mais plus rien n'était pareil. Tu le sentais loin, froid malgré son caractère et sa conversation agréable. Et cela te coûtait. Tu avais bien essayé de lui parler, de crever l'abcès, mais l'arrivée imminente du gala t'avait bouffé le temps de libre que tu avais et Leslie n'avait rien fait pour favorisé un temps privilégié à deux. Tu es frustré. Tu es tendu. Tu as passé ta semaine à te demander s'il n'était pas avec Thursday et tu n'en a ragé que plus. Tu l'appréciais, il était censé t'apprécier aussi, or, l'homme que tu avais eu devant toi cette semaine n'était rien de plus qu'un agréable collègue. Dieu que ça t'insupporte. Soudain, tu captes ses cheveux blancs. Tu réajustes ta cravate, tires sur les manches de ton superbe costard noir et tu traverses la salle pour le rejoindre.

— Leslie !

Tu lui prends le poignet sans un bonsoir, sans un mot. Au fond de toi, tu n'es pas seulement tendu, tu es furieux. Tu détestes cette situation. Sous le regard interrogatif de tes collègues tu lances derrière ton épaule, sans t'arrêter.

— J'ai besoin de vous, venez avec moi.

Tu le traînes presque jusque dans un coin un peu plus isolé de la salle. À l'étage il y a des chambres et des vieilles pièces. Tu hésites à déjà monter pour avoir la discussion sérieuse que tu désespères d'avoir depuis ce fameux dimanche. Tu te tournes vers lui, sec, le regard sévère.

— Vous me fuyez.

Balancé brusquement et ce n'était pas une interrogation.

— Je n'aime pas la façon dont les choses se passent.

Il te semble loin, désormais relégué au passé, cette alchimie que vous aviez ensemble. Et ça te fait sacrément chier.

— Est-ce à cause de Ciara ? Vous m'en voulez ? Ou bien est-ce à cause de Thursday ?

Il ne s'en cache même pas. Tu écarquilles les yeux, tu t'attendais à devoir te battre pour lui arracher la vérité, à devoir composer avec les traditionnelles mauvaises foies et fiertés mal placées. Mais non. Oui. Tout simplement. Tu te retrouves déstabilisé face à sa franchise. Tu tires machinalement sur la manche de ton costard, l'air digne.

— Hm.

Il a ce regard intense qui te perturbe. Tu ne sais pas sur quel pied danser. Il a passé la semaine à t'offrir des sourires sans chaleurs, des politesses avec le regard morne et là, là, ses yeux brûle d'un feu qui te perd, plus qu'il ne te brûle. Tu serres la mâchoire, la sensation qu'il se joue de toi te déplaît fortement. Tu fronces les sourcils lorsqu'il te confit ne pas être fâché. Il semble hésiter, tu l'encourages du regard, bien que ton regard n'a, pour l'heure, rien d'encourageant. Puis, enfin, il pose une question. T'es tellement hors de toi, épuisé de cette semaine infernale entre le manque de sommeil, le stress et l'incertitude que les mots sortent tout seul, tranchant, sans détours.

— Vous.

Tu le regardes, excédé.

— Ce n'est pas Leslie que j'ai en face de moi, c'est une pâle copie. Des jours à subir votre politesse, vos sourires sans saveur, à croire que nous sommes étrangers !

Tu souffles, grimace. Tu t'énerve trop, beaucoup trop vite, beaucoup trop intensément pour quelque chose qui, tu le sais, ne devrait pas t'affecter autant. Tu passes une main fatiguée sur ton visage avant de souffler de nouveau.

— Je veux une vraie conversation avec vous. Il y a visiblement eu une cassure dimanche et je veux en parler.

Tu glisses un regard vers lui, pause une main sur ta hanche, autour de vous la fête bat son plein.

— Pourquoi ce changement soudain de comportement ?

Vous n'êtes plus des adolescents, vous pouvez parler bon sang.

Tu le vois s’empourprer et s'offusquer. C'est bête, mais ça te soulage. T'as la pudeur et le respect de ne pas étirer un sourire, mais tes yeux parlent pour toi. Au moins, n'est-il pas totalement insensible, indifférent. Tu n'as pas la politesse de détourner le regard, tu insistes même. Ton cœur s'accélère un peu plus, c'est un jeu de pouvoir silencieux qui s'installe et tu es très mauvais perdant.

Tu restes suspendu à ses lèvres, tu as besoin de réponse, de comprendre. L'incertitude te rend fou et il n'y a que lui pour t'éclairer. Tu déglutis discrètement quand tu le vois chercher ses mots. Tu te doutes que l'exercice soit difficile. Tu fronces les sourcils, piqué dans ta fierté. Tu dois à tout prix progresser en langue des signes. Précipitamment tu signes.

Essayez.

Avec le minimum de mot, tu te chargeras de traduire. Tu as le bonheur d'être plutôt vif d'esprit, à défaut d'être un génie. Et ses mots ne font pas grands sens. Sa première phrase te laisse dans le flou, avant que la deuxième ne vienne compléter. Tu baisses les yeux sur tes chaussures, visiblement en pleine réflexion, un pli soucieux sur le front.

— Je vois.

Pas Thursday. Ciara. Le plan de ton père. Sa volonté qui vient toujours saper toutes tes tentatives d'exister par toi-même. Tu as l'air sincèrement vexé et blessé. Tu n'as rien contre Ciara, elle n'est qu'une innocente victime de ses parents, mais à cet instant, tu la déteste. Tu relèves la tête et tu toises Leslie avec une sécheresse et une sévérité brûlante.

— Vous êtes un homme brillant, Leslie. Mais permettez moi de vous dire que vous êtes bouché.

Tu fais un pas vers lui, tendu, énervé. Tu as l'impression de t'époumoner à lui cracher ta vérité.

— Je ne sais pas en quelle langue je dois vous le dire pour que ça rentre. Je ne veux pas d'une relation sérieuse avec Ciara McDouglas. En fait, je ne veux pas de relation du tout avec Ciara McDouglas.

Son compliment à le mérite de te faire rosir un peu, mais tu ne lui accordes pas la satisfaction de te laisser atteindre trop en profondeur. Tu fronces les sourcils, tu as réduit le maigre espace entre vous pour le toiser plus intensément, instaurer ce temps suspendu que seule sa présence à le pouvoir de faire naître. Il n'y a qu'avec lui que tu arrives à te concentrer au point d'en faire disparaître le vacarme alentour.

— Je suis vexé. J'apprécie sincèrement le temps en votre compagnie et je m'en retrouve privé au nom d'un lubie paternelle dont je ne suis pas responsable.

Tu ne lâches pas son regard.

— Vous me manquez, Leslie.

Et t'es furieux de penser que, peut-être, toi, tu ne lui manques pas. Tu baisses les yeux sur sa tenue. Lâche, d'un ton se voulant détaché, mais qui n'en est que brutal.

— Vous êtes magnifique ce soir.

Vous vous affrontez du regard. Toi frustré, lui vexer. Mais vos colères ont un arrière-goût sucré que tu apprécies un peu trop pour que ce ne soit pas suspect. Ta vérité, brute de pomme, le désarçonne. Le doigt qu'il pointait sur ton torse se transforme en mains imposée sur ta chemise. Tu crois bien que c'est votre premier contact physique depuis une semaine.

Tu as les lèvres qui brûlent, le ventre nouer. Rien n'est précisément réglé, rien n'est vraiment arrangé. Mais à la regarder, tu as l'impression de le voir moins distant, moins enclin à se comporter avec cette froideur polie qui t'as autant bouleversé. Tu trembles face à ton prénom, souffles du nez face à ton fond nom. Bien joué. Tu ne lui tiens pas rigueur de son sarcasme, sans doute, est-il mérité.

Manquez aussi.

Ton regard se fait moins sévère, plus tendre. Tu cueilles la main qui s'échoue proche de ta ceinture. Tu lui imposes une caresse discrète, presque imperceptible pour quiconque n'est pas proche de vous.

— Alors cessez de me fuir.

Tu fronces légèrement les sourcils. Vous n'êtes plus dans un placard, ni même enfermé dans l'intimité d'une chambre. Tu penses aux coins tranquilles de l'étage. La salle n'est pas encore bondée et tout semble se passer pour le mieux. En-dehors des enchères, c'est peut-être le moment idéal pour t'isoler et poursuivre votre discussion à l’abri des regards indiscrets.

— Montez avec moi.

Tu désignes l'étage. Tu as besoin de rattraper le temps perdu, de parler un peu. Mais surtout, tu as la furieuse envie de le sentir contre toi. Face à son regard de braise, le pli sarcastique de ses lèvres, face à tout ce qui faisait le sel de votre relation, tu es au supplice de ne pas pouvoir le serrer contre toi, ne serait-ce que quelques secondes. Tu tires sur sa main pour l'entraîner gentiment avec toi. Tu le fixes de cette intensité qui ne souffre d'aucun refus, d'une hésitation. C'est à ce moment-là qu'un rire sonore, rauque, retentit dans la salle. Et tu te figes, pâle. Tu tournes la tête avec une rigidité inhabituelle, tu presses discrètement la main de Leslie.

Il est là, impérial, royal, impressionnant dans un costume qui lui va outrageusement bien, car Baron Stuart ne laisse rien au hasard. Il évolue dans la foule avec cette aisance que tu admires et jalouse. Tu as la gorge nouée, la mine sévère. Tu sais très bien pourquoi il s'est donné la peine de venir. Il est venu te la voler, ta gloire, ta lumière, ta réussite. Il est venu tout prendre, parce que tu es son fils. Parce que tu lui dois tout. Tu fermes les yeux, souffles par le nez.

— Jamais tranquille.

Il hurle ton prénom (ton VRAI prénom) dans toute la salle et tu sens ton corps se tendre, se faire aussi figé et dur qu'un bloc de pierre. Tu surprends, non sans une certaine panique, les regards des gens avec qui tu travailles tous les jours, mais surtout la "cour" qui emboîte le pas de ton père. Tu sens la main de Leslie glissée hors de la tienne. Tu n'as pas le temps de t'en agacer, en fait, tu lui as même reconnaissant. S'il y avait surpris vos doigts entrelacés...

Tu dois te reprendre. Le "mon fils" qu'il prononce avec autant de fierté te force à revêtir le costume qui te sied le mieux. Celui de cet aîné parfait, dévoué, le fils qu'ils doivent jalouser de ne pas avoir. C'est pour ça qu'il te montre, pour ça qu'il glisse une main à ton épaule. Il veut te voir les éblouir pour pouvoir se vanter d'être celui qui t'a forgé. Tu glisses discrètement ton poing dans ton dos dans une posture droite et étudié. Tu hoches sobrement et poliment la tête aux convives et laisse sur tes lèvres se dessiner un sourire discret, un brin supérieur.

— Allons, père. C'est un travail d'équipe.

Aucunement, tu as tout fait. La bande d'imbéciles que tu as traînées étaient de véritables boulets. Le seul qui t'a un tant soit peu apporter quelque chose, c'est Leslie. Tu tournes très légèrement la tête pour capter son regard derrière ton épaule. Dans ton dos, tu joues nerveusement avec tes doigts. Tu es forcé de te recentrer sur la petite foule devant vous. Ton père se met en avant, parle avec fierté du crédit qu'il a de t'avoir engendré. Tu plaques un sourire délicieux sur tes lèvres, mais dans ton dos tu enfonces tes ongles dans tes paumes. Ils n'ont aucune idée. Il n'a aucune idée. Tu ravales l'acide de tes souvenirs d'enfance et d'adolescence, tu ravales la frustration des conséquences que son éducation a sur ta vie d'adulte. Pour ces gens tu n'es pas le Docteur Monroe Stuart. Tu es Monday, le fils aîné de Baron Stuart.

— Je suis ravi de vous voir profiter des festivités. Mon équipe et moi-même avons personnellement veillé à vous offrir un gala des plus exquis.

Tu entends la voix de Ciara. Tu lèves la tête pour la repérer qui traverse la salle avec un manque de retenue qui lui vaut de se faire corriger par sa mère. Elle est suffisamment juste dans son attitude pour que le tout passe pour quelque chose de rafraîchissant et touchant, sans être vulgaire ou agaçant. Tu ignores si c'était spontané ou calculé, dans tous les cas, tu ne peux reconnaître le génie de la manœuvre. Ta paume te fait mal, mais tu te forces à desserrer le poing pour venir saluer ce que ton père espère être votre future belle-famille.

— Lord McDouglas, Lady McDouglas, Ciara.

Tu offres une poignée de main franche au premier, des baises mains protocolaire à la mère et à la fille. Ciara te sourit, délicieuse dans une robe en satin vert qui m'est à l'honneur ses yeux et ses courbes. Tu soupçonnes que le choix a été mûrement réfléchi pour te plaire. Tu pousses le vice en te disant que ton père aurait été capable d'aiguiller le choix. Tu prends une certaine distance, sans te dépêtrer de ton sourire.

— Je vous en prie, laissez-moi vous installer à une table, je vais veiller à ce qu'on vous apporte de quoi manger.

L'attention à l'air d'être apprécié par le lord et la lady. Tu jettes un regard à ton père, l'air de lui dire "satisfait ?". Tu espères pouvoir te débarrasser des McDouglas quelques dizaines de minutes pour te concentrer sur Leslie. C'était sans compter sur Ciara qui, persuadé de voir en Leslie un ami proche, te prend par le bras pour t'amener à lui. Tu fronces les sourcils, tu te demandes si elle a bu pour se montrer aussi téméraire. Tu ne peux pas la repousser maintenant, devant ton père, ses parents. Merde.

— Leslie, n'est-ce pas ? Désolé, nous vous avons interrompu ?

Tu vas te liquéfier sur place. Comment lui dire que sans elle et ton père, tu serais probablement occupé à l'embrasser dans la pièce isolée la plus proche ? Ciara rayonne, fait la conversation pour vous trois. Elle doit avoir bu, c'est pas possible. Ton père te l'avait vendu comme docile, timide, douce. Là, tu as la sensation de voir Sunday dans ses moments de sociabilité les plus fatigant.

— Ciara, te sens-tu bien ?

Elle lève des yeux de biche vers toi. C'est quoi son problème ?

— Moi ? Oui, bien sûr ! Je suis juste tellement excitée d'être ici. Ton père nous parle de cette soirée depuis des semaines ! Je suis heureuse pour toi, si fière !

Ah. Ceci devait expliquer cela. Tu croises le regard de ton père et fronces les sourcils. Il en a encore fait tout un foin. Manquerait plus qu'il se soit amusé à inviter vos cousins éloignés et autres branche lointaine de votre famille. C'est un gala, pas ton couronnement, ni ton mariage bon sang ! Ciara se retourne vers Leslie, agite la main vers lui.

— Venez vous installer avec nous, je ne veux pas vous arracher à votre ami ! Puis je suis curieuse, nous sommes amis d'enfance, mais je suis sûre que vous le connaissez mieux que moi, il est si secret !

Tu lèves les yeux au ciel. Force un sourire pincé. Il y a une table de libre proche de vous tu te racles la gorge et la désignes d'un geste du menton.

— Pourquoi ne pas t'y asseoir ? Je te ramène une assiette.

Quelque chose de lourd, pour éponger l'alcool, la caféine ou la drogue qu'elle a pris à avant de venir. Tu ne vois vraiment pas d'autres explications à son comportement.

La situation, à défaut de ne pas être encore totalement catastrophique, n'en reste pas moins tendu. Tu as une sainte horreur qu'on te coupe au milieu de quelque chose. Tu te sens piégé. Entourer de la bonne société sorcière, de ton père, de la belle-famille que tu dois impressionner, tu n'es libre ni de tes mots, ni de tes gestes. Devoir encore porter ce lourd manteau de perfection te pèse. Si tu as la force de prendre sur toi et de te convaincre d'aimer ça en temps normal, ce soir, c'est trop. Tu laisses à Ciara le soin de gagner la table. Tu aurais voulu garder Leslie prêt de toi, mais sans doute que ça n'aurait pas été discret. Tu t'approches des tables garnies de nourriture en tout en jour pour servir une assiette à Ciara. L'envie d'appeler Tuesday te démange, est-ce qu'il dort déjà ? Est-ce qu'il est occupé avec quelqu'un ? Lui saurait très certainement te dire quoi faire, t’insuffler la force de faire ce qui doit être fait... Ou le courage de tout envoyer foutre en l'air. Non. Tu ne peux pas. Tu n'as pas le droit. Tu pioches des petits-fours, des crudités, toutes ces petites choses que Ciara est censée aimer. Ton père t'a bien fait étudier tes leçons, tu connais les goûts des McDouglas avec autant de précision que tes cours d'anatomie. Tu reviens vers la table, un peu absent avant de percuter que ni Ciara, ni Leslie ne sont à sa table.

— Que- Pardonnez-moi, mais où sont... ?

Le père de Ciara fronce légèrement les sourcils, comme-ci il craignait que tu te vexes.

— Ma fille ? Elle danse, avec votre ami.

Tu écarquilles de grands yeux.

— Je vous demande pardon ?

Tu lèves la tête, embrasses la piste du regard jusqu'à ce que tu repères leurs chevelures si particulières. Tu te sens dégoûté. Le père McDouglas semble prendre ton expression fermée comme un écho de sa propre frustration.

— Elle ne réfléchit pas ! Il était pourtant évident que la première danse devait vous revenir, nom de nom !

Alors qu'il valse (grand dieu il sait valser ?), Ciara se retrouve dos à toi, mais tu peux le voir, lui, son regard, ses yeux. T'es furieux. Tu poses l'assiette serre le poing. Ce n'est pas de le voir danser avec Ciara qui te rend jaloux et vexé. Non. Tu sais précisément pourquoi il fait ça. De Leslie, tu as compris plusieurs choses. Et l'une d'elle, c'est que vous étiez autant disposé l'un que l'autre à devenir des teignes. Il te punit pour te chercher. Il applique le plan que tu aurais, toi, à sa place, appliqué. Il se trouve aussi, que vous êtes aussi mauvais joueur l'un que l'autre.

Tu t'engages sur la piste de danse avec assurance. Tu rejoins le couple maudit et t'impose dans leur valse, comme-ci tout était prévu. L'avantages de votre milieu, c'est qu'on a tellement de temps à y perdre qu'on a pu inventer des centaines de variantes pour danser à plusieurs. Tu fais délicatement tourner Ciara, une main dans le dos, pour vous disposer en cercle. Ciara connaît toutes les variantes possibles, elle s'adapte avec efficacité. Tu glisses un sourire vers Leslie.

— Tout va bien, Leslie, vous semblez un peu perdu ?

Ciara hausse un sourcil alors qu'elle glisse avec grâce pour prendre la place de Leslie.

— Vous vous vouvoyez ?
— Un jeu entre nous.

Tu prends la main de Leslie pour le faire délicatement tourner et échanger de place avec lui. Tu le toises, un ton beaucoup plus suave de la voix.

— Il adore ça.

Tu le défi du regard, tu t'attends à tout moment qu'il tente de te ridiculiser en te marchant sur le pied. Ciara, visiblement amusée, souffle du nez.

— Vous êtes marrants tous les deux.

Tu souris, poursuis avec grâce ta danse.

— Oh, je le suis pour peu qu'on ne se joue pas trop de moi. C'est que je suis mauvais, joueur, tu sais bien.

Ciara s’esclaffe.

— C'est bien vrai, tes défaites ont toujours été des drames !

Tu lui offres un sourire poli, profites de la danse pour de nouveau la faire tourner elle, puis faire tourner Leslie. Tu en profites pour glisser le plus naturellement possible.

— Tu nous excuseras, Ciara, nous devrons nous absenter quelques minutes après cette danse. Nous avons des choses à vérifier.

Elle hoche la tête dans un "oui, bien sûr". Tu glisses un regard vers Leslie. S'il te cherche, il va avoir le plaisir de te trouver.

Tu prends un malin plaisir à le remettre à sa place. Pour qui se prend-il à te narguer au nez et à la barbe de ton père, des gens que tu dois convaincre ? Lui-même qui flirt avec ton frère et t'as gratifié pour seule réponse d'un "c'est ma vie privée". Son insolence t'énerve, te met hors de tes gongs. Tu es jaloux à en crever et le fait qu'il puisse le voir met à mal ta fierté. Alors tu lui donnes une leçon. Ciara et toi évolués avec l’aisance et la grâce des gens bien nés. Vous êtes l'excellence. Tu te sais beau. Tu te sais puissant, impressionnant. Tu en imposes volontairement, pour le simple plaisir de voir ce regard perdu et son corps se tendre sous la tension de votre jeu d'ego. Mais voilà, Leslie te porte un dernier coup sous la forme d'une phrase complète. Tu écarquilles légèrement le regard, mais c'est la provocation de trop. Gâcher ses mots, sa précieuse voix, pour quoi ? Pour qui ? L'enfoiré. Tu le juges avec sévérité. À combien est-il de mot ? Tu as sûrement manqué une bonne partie de leur échange peut-être lui en reste-t-il dix ? Moins ? Merde. Merde. Merde.

La danse finit, tu imposes un baise la main délicate sur les doigts de Ciara avant de l'inviter à rejoindre ses parents. Tu lui décroches ton sourire le plus charmant puis tu te tournes, la mine fermée, pressée, Leslie est déjà parti et tu lui emboîtes le pas. Tu n'as pas le souvenir d'avoir déjà traversé cette salle aussi rapidement. Leslie passe la porte de la réserve et tu le suis, ta démarche énervée et puissante, tu claques la porte derrière toi, jette un coup de baguette pour la verrouiller et sans la moindre délicatesse, tu pousses Leslie contre le mur le plus proche pour te plaquer à lui et l'embrasser.

C'est un baiser en totale opposition avec ceux qui vous avez pu échanger samedi dernier. Là, tu ne cherches plus à le découvrir. Là, tu le dévores. Toute ta frustration au service de sa bouche. Tu pourrais l'étouffer. Tu plaques une main contre sa hanche, l'autre claque contre le mur, à côté de sa tête. Tu romps pour reprendre ton souffle.

— Vous m'énervez.

Tu lâches ça, rauque.

— Neuf mots, Leslie, neuf mots !

Tu as le souffle court entre la danse, la marche et le baiser passionné dont tu l'as gratifié.

— Tout ça pour me jouer votre petit numéro mesquin.

Tu fronces les sourcils, souffle.

— Alors que c'est vous le premier qui vous êtes enfuie.

Tu appuies sur sa hanche, de nouveau cette proximité entre vous, vos lèvres qui s'appellent. Tu ne résistes pas. Tu l'embrasses une seconde fois avant d'appuyer ton front au sien.

— Ça vous a amusé, hm ? De me voir sortir de mes gongs ?

Tu glisses ta main à sa hanche pour la caresser langoureusement.


— Jaloux.

Ton regard brille d'une lueur dont il est le seul à pouvoir témoigner.

— Vous avez bien vu qui ils sont. Je me mets en danger pour vous.

Là, à quelques mètres, ton père, une fille trop tendre pour son propre bien, son parrain, vos collègues, toute la bonne société sorcière anglaise. Vous jouez avec le feu, mais c'est tout ce que tu as trouvé pour le retenir.

Encore fois, c'est la folie qui l'emporte. Samedi dernier était déjà périlleux, mais aujourd'hui est suicidaire. L’événement public le plus important de l'année et te voilà à le passer à embrasser sauvagement un homme au milieu de pièces de collection immensément chères. Le tout, à quelques mètres de quatre personnes qui désespèrent de te voir t’agenouiller pour t'engager dans le sain et respectable chemin du mariage. Assez.

Il glisse ses lèvres à ton coup et tu deviens fou. Tu souffles tremblant d'excitation. Ta main, jusque-là en appuie contre le mur, vient se nicher dans ses cheveux dans des caresses gourmandes et pressées. Tu caresses sa hanche, non tu agrippes dans un grognement bruyant, alors que tu plaques ton bassin au sien et ondules cherchant le frottement indécent qui réveille des rêves et des fantasmes que la morale ne te permet pas décrire. Tu le sens, tu jubiles autant que tu détestes la preuve de son désir. Malgré tout ce qu'il peut dire, il te veut. Peut-être qu'il avait tout prévu. Le fourbe.

— Économisez vos mots.

Tu soupires, le voir chanter ton prénom de plonge dans une excitation profonde. Mais tu crains de le voir cracher du sang de nouveau. Finalement, tu n'y tien plus. Tu le repousses, le saisis par le poignet l'entraîne plus loin, vers une caisse qui contient des vases uniques. Tu le saisis par les hanches pour l'y asseoir avant de repartir à l'assaut de ses lèvres tel un chien affamé. Tu es assoiffé et il n'y a que lui pour t'abreuver. Ta bouche coule à sa mâchoire, mordille son oreille, descend ravager son cou. Entre deux baisers, tu murmures les restes de consciences qui luttent vaillamment.

— On ne peut pas.... Pas ici...

À quelques mètres du monde que tu es censé éblouir. Pourtant, tes doigts s'agitent sur la boucle de sa ceinture. Tu ne peux pas faire ça. Tu désespères de faire ça. Tu meurs d'envie de faire ça.

— Leslie... Leslie...

Tu rêves de caresses interdites, de corps qui se tordent, de coup de hanche. Tu tentes de le supplier de te donner bonne conscience tout en sachant qu'il n'en fera rien. Aussi damné que toi. Cette semaine, à le chercher te rend audacieux, imbécile. Tu ouvres son pantalon pour le tirer vers le bas. Tu reviens brièvement à sa bouche avec passion. La gourmandise avec laquelle tu dévores ses lèvres et sans appel. Tu glisses ta bouche le long de son cou et descends, le souffle court. Tu ne peux pas. Pas ici. Pas maintenant. Et pourtant, tu le fais. T'en oublies presque au tressaillement de son corps la vente aux enchères qui approche.