Petite journée exquise aux affaires délicieuses, m’a laissé comme un arrière goût de sucré et de bonnes nouvelles à venir. Le karma aujourd’hui n’existe pas, je sens les étoiles alignées pour me gâter jusqu’au matin prochain, et comptez sur moi pour en profiter jusqu’à ce que Morphée me somme de le rejoindre.

Une main sur Salem et mes yeux pour lui dire je t’aime, je sirote sur le bar de la cuisine une tisane mêlant pomme et cannelle, attendant que finissent de cuire au four mon dernier repas. Quand soudain sonne l’interphone.

J’y réponds, véritablement dubitative… Et reconnais la voix de mon adorable petit frère. En attendant qu’il rejoigne l’appartement je quitte l’entrée une seconde pour mettre à chauffer de l’eau, puis ouvre la porte, le visage radieux.

Pas le temps d’ouvrir la bouche qu’il s’esclaffe comme un bien heureux, me coupant l’herbe sous le pied. Cet enthousiasme pure, sunday lui allait comme un gant.

Une étreinte à la fois courte et intense me permet de le tirer à l'intérieur alors que je referme doucement la porte derrière lui.

« Sunday mon ange si tu n’existais pas notre monde serait inondé de pluie. Enlève tes chaussures va. »

Je l’abandonne à mon ordre en retournant à la cuisine ; il connait assez bien les lieux pour ne pas avoir besoin que je lui tienne la main. Quand il me rejoint, j’entame le questionnaire habituel :

« Comment vas-tu ? Raconte-moi ta mésaventure. »

Soudain, un sourire complice, un regard tendre. Si son cœur l’a guidé ici sans prévenir c’est bien qu’un tourment le tracasse, n’est-ce pas ? Sinon pourquoi venir voir sa grande sœur.

« Si tu craches le morceau tout de suite je ne dirai rien à papa. »

Mais me fera-t-il confiance ? Oh Sunday. Les étoiles sont de mon côté, je le sais.

Qu’il est doux, lumineux, léger comme une feuille se mourant à l’automne. Oscillant entre l’orange et le jaune, ces couleurs chaudes qui egaye les matinées brumeuses.

Quand il évoque sa recherche d’emploi mes yeux le retrouvent une seconde, incapable de restreindre ce sourire en coin qui traduit ma fierté. J’éteins alors le four, enfilant deux maniques pour y sortir ma superbe quiche maison sur fond de conversation qui se veut rassurante. Alors papa s’en est accommodé, vraiment, hm ? Je retire mes gants, appuyant mes paumes sur le comptoir.

« Quiche lorraine faîte par mes petites mains, servi avec salade. Tu manges avec moi bien sûr ? »

Je m'attelle sur ces mots à sortir deux assiettes, commençant à installer la table sur le comptoir. Je récupère des couverts et deux verres, que je donne à mon frère pour me libérer, tandis que je m’attèle à nous sélectionner un délicieux vin sous le meuble.

« Je doute un peu que papa soit totalement d’accord avec l’idée que tu te cherches un travail à 19 ans sans véritable diplôme en poche mais, comme tu me l’as dit vite, je n’irai pas retourner le couteau dans la plaie. Ceci dit je suis de son avis, tu sais. »

Je me redresse pour le redécouvrir, l’air complice. Tes maux ne sont pas les miens mon jeune frère alors pourquoi en souffrirai-je ? Je peux simplement épauler tes misères, arrondir les bords abrupts de tes tracas que tu gardes secret.

On n’abandonne pas ses études sur un coup de tête. Je sais que des pensées le travaillent.

J’abandonne son regard soleil pour récupérer la salade en sachet du frigo, disposant ensuite l’huile et l’assaisonnement sur la table. En passant derrière Sunday je dépose un baiser tendre dans ses cheveux bouclés, une caresse le long de ses épaules. Un chuchotement « Je vais très bien. » pour clore le sujet qui me concerne et je m’installe enfin face à lui, prête à ne plus le lâcher des yeux.

« Tu cherches dans quel domaine ? Tu sais ce qui te plairais ? Tu as besoin d'aide pour ton CV ? Tu as une superbe énergie, je t’imagine bien dans le social, ou la vente. » Je nous sert deux verres. « Mince ! Tu aurais peut-être préféré une bière ? »

Dans cette bulle d’amour où j’espère secrètement enfermer chaque enfant que nous sommes, sang de Stuart… Sunday j’aimerai te garder captif jusqu’à ce qu’enfin la raison te revienne. Seulement un sourire de tendresse me garde silencieuse, pour combler le doute, la peur. Comment apprendrait-il sans échouer ? Dieu que c’est dur, de voir l’oiseau tomber du nid.

« Je te crois. » Qui saurait mieux ce qu’il te faut, mon frère ?

Quand je m’exerce tous les jours à être cette enfant parfaite sur qui glissent les erreurs, perfection d’apparence mais le cœur souffre d’être à la traîne. Jolie carrière oui j’ai tant entendu papa me dire qu’il en était fier ; comment oser répondre que je n’en voulais pas. Des études plus complexes, s’il en existe, je les aurai faites aussi - devenir médecin, chirurgienne, avocate, juge. Endosser tous les rôles les plus prestigieux, pour que jamais ne ternisse cet éclat mort dans ses yeux.

Comment t’en vouloir, Sunday, d’aspirer à ton propre bonheur, quand hypocrite j’ai laissé le mien être modelé par un autre ?

Je découpe la quiche en quatre parts seulement, nous servant tous deux avant de boire à mon tour, attentive à chaque sonorité qui s’échappe de son cœur. Un petit rire alors me trahis, meurtris de mes propres remords le voilà qui n’y voit rien et continue de creuser dans ma tombe. Il ose vraiment sous mon toit devant mon repas me demander un travail ?

Si tu n’existais pas Sunday, comment t’inventer.

« Tu crois que ça fonctionne au piston dans le droit ? » Je nous donne à chacun une portion de salade. « A moins que je ne t’engage pour écrire mes dossiers, sinon comme homme d’entretien… » Je fais non de la tête, m’abreuve d’une gorgée avant de commencer le diner. « Je demanderai à Ephraïm si on peut te trouver quelque chose selon ton profil, mais ne compte pas sur moi pour te faire entrer avec un passe-droit. Tente Sainte Mangouste. Si ça ne te plait pas tu peux toujours partir, mais c’est une excellente ligne sur un CV. » L’une de mes mains glisse sur la table pour rejoindre la sienne, que j’emprisonne contre ma paume.

« Tu veux être heureux mon ange, et je le comprends. Mais il y a quelques sacrifices à faire pour y arriver. Je serai toujours là pour t’épauler, quitte à faire bouclier contre papa… Mais prouve moi que tu te démènes. Le bonheur n’appartient pas aux paresseux. »

Des lettres ne suffisent pas, il faut se présenter, s’imposer. Il faut laisser ton corps vaguer dans les enseignes, dominer l’espace. Ton visage doit être vu, ton énergie ressentie. Quelques mots couchés sur un papier c’est la fatigue, l’absence.

« Pour commencer tu vas te présenter au lieu d’envoyer des courriers. Tu sais très bien que les apparences sont primordiales… Regarde nous… »

Des loups déguisés en moutons. Le sang sur nos doigts. Les crimes comme tapisserie pour couvrir les bâtisses moisies de notre manoir…

« Qu’est ce que tu fais demain ? J’ai mon après midi de libre. On fait la tournée des boutiques pour déposer tes candidatures, et on trouve un cadeau pour papa. Ça te tente ? » Laisse moi te protéger, quand on te criera dessus je crierai plus fort pour dire que tu as essayé.

Ca se voit, toute la bienveillance du monde, comme un cocon d’amour qui apaise les craintes qui chassent les effrois. Ça se voit dans tes yeux Sunday, tu avais peur. C’est ce sentiment propre au carnage qui rassure père, qui le félicite de gagner notre obéissance par le tourment. Ça fonctionne sur toi, personne ne l’ignore ; mais moi je me suis toujours battu, dans une lutte silencieuse et derrière bien des sourires de tendresse… Mais jamais je n’ai abandonné ma tendresse quand il s’agissait de te dresser. La délation pour te faire comprendre que jamais je ne serai plus méchante qu’un simple caftage, et l’amour en pluie d'étoiles pour que tu te rassures toujours que je panse les plaies que j’ai pu ouvrir.

Alors pas de Sainte Mangouste. Tu trouveras ton chemin dans la douleur ou dans l’effort, mais tu le trouveras ; c’est à toi de choisir tes armes. J'adoucirai les bords, je parlerai à papa, je gronderai Monday. Je serai la grande sœur dont tu as besoin.

« C’est parfait. »

Son sourire pour me plaire, le mien pour qu’il se félicite de faire le bon choix. Alors demain j’annulerai ce que j’avais prévu, je dirai non à un homme, je laisserai la pluie se faufiler dans le bois mort de ma petite maison à retaper. Je laisserai ma vie un peu de côté, qu’elle crève un jour qu’importe ; je serai l’enfant parfaite qui jamais n’a laissé derrière elle sa famille en détresse.

Je serai l’amour le plus parfait.

« Mange mon ange, la quiche va refroidir. »

Et je m’arme de ma fourchette pour initier l’acte, mon regard concentré sur le sien. Après une bouchée je reprends ;

« Tu as une idée de ce que tu voudrais lui offrir ? »

Plus candide comme sujet pourtant aux allures aussi importante. C’est une autre mission que de l’aider à trouver le cadeau parfait.

« Ne te préoccupe pas du budget. »

On écrira ton nom sur la carte, on saura que ça vient de toi. Mon argent pour t’aider à décrocher un sourire du paternel, ce n’est qu’un détail. Tant qu’il te sourit à toi. Tant que notre repas se passe bien. Tant que nous sommes unis.

Bienheureux est le frère qui s’est émancipé de ses pressions. Dur est notre nom, gourmandes sont nos peines ; mais quand l’on est prêt à subir le courroux plus que le devoir, peut-être en sort-on moins abimé.

j’aurai aimé, quelques fois, vivre pleinement sans supplier l’acceptation au détriment de mes propres désirs. j’aurai aimé être folle comme toi, Sunday.

Mais elle est agréable, malgré tout, cette position. On y est haut, avec des privilèges, et l’on peut en jouer, se détourner des obligations parce qu’on ne doute jamais de ma droiture… Et fille parfaite que je suis, je peux aussi vous aider, à ma façon.

« Je ne te donnerai pas d’idée aha. »

Quand bien même il faut le mériter, ce statut de perfection ; alors je dois être aussi dure que douce, aussi attentive qu’égoïste, aussi bien ta sœur que ton ennemie.

« Quoi que tu offres, de toute façon, il sera déçu. Ne te prends pas trop la tête. C'est un père trop exigeant pour un jeune homme qui se découvre encore... Le temps apaisera les critiques. »

Aucun présent, d’aucun prix, ne saurait laver les erreurs de ta fougue jeunesse, Sunday. Peut être l'avenir, au détriment du reste, parviendra cependant à arrondir les bords.

« Tu as une idée de ce que tu vas mettre ? Je suis intransigeante tu sais. Les apparences sont importantes... »

A mes propres dépens.

Qu’il est vaillant, le jeune frère dont les peurs ne nourrissent pas les cauchemars. Il reconnaît le manque de temps, n’admet pas consciemment qu’en réalité, il est incapable de le gérer comme convenu. Il évoque son envie de bien faire, mais s’y refuse pour des raisons que tous ignorent.

C’est si beau ; de s’empêcher. Ca n’arrive qu’aux plus téméraires dans leur idioties. Mais être benêt ce n’est pas mauvais : moi je rêverai d’incarner sa légèreté. Sunday, lui, a compris que les blessures se pansent, que les maux finissent par disparaître, et que la vie lui appartient.

Sunday se cherche encore mais il sait qu’il se cherche lui.
Je l’envie.

Et je m’en veux. Ça me tue de glorifier son égoïsme, de le définir par des termes si mauvais quand il incarne tout le bon. Son inconscience sur laquelle je peste silencieusement…

Je suis désolée mon frère d’être jalouse. Ça me rend mauvaise. Mais comprends : moi je déteste être consciente.

« Offre-lui un livre, qui théorise. Un auteur peu connu, une archive, même. Mise sur ce dont il n’a jamais entendu parler. »

Les assiettes se vident doucement, mon verre plus vite que le sien.

« Je m’occuperai de ta tenue, si tu le veux bien… » Une dernière gorgée, et je remplis mon verre. « On fera simple mais lumineux. Tu veux bien ? »

Une main tendue sur la table pour trouver la sienne, la serrer dans ma paume. Unis, le soleil et la lune. Dieu que j’aimerai avoir ton énergie mon jeune frère.

« Et pour le travail, je t’écrirai une lettre de recommandation. Ça aura peut-être peu d’impact, après tout je suis ta sœur… Mais ça restera un courrier tamponné par le ministère. Ça peut avoir de l’impact. Je te demanderai simplement de respecter mon aide, Sunday. Tu ne désertes pas sitôt que ça te déplait. Donne toi à fond, peu importe où tu tombes. Il vaut mieux se relever avec des plaies que de ne jamais se relever du tout. D’accord ? »