Tiphaine était tellement détachée de sa famille que parfois, elle oublait qu'ils travaillaient au même endroit. Le ministère était si grand, après tout. Son frère Auror, sa soeur Langue-de-plomb, ils ne discutaient respectivement jamais de leur métier. Son frère parce qu'il ne sortait que des ignominies dès qu'il la voyait, Ellana parce qu'elle était physiquement incapable de le faire, et elle parce qu'elle avait honte de son métier.

Inutile de dire que les dîners de famille se passaient non seulement rarement, mais en plus, dans un silence lourd et pesant.

Tiphaine n'avait jamais été proche de sa soeur. Dans ses lointains souvenirs, Ellana était surtout en train de lire des livres ou à essayer de concurrencer Léon. A Poudlard, elles ne se sont jamais croisées, puisqu'elles n'étaient pas dans la même maison ni la même année. Elle entendait parler d'elle, de ses talents de duelliste, mais les deux étaient tellement différentes qu'on ne les associait jamais réellement, malgré un nom de famille partagé.

Peut-être était-ce pour ça que, quand elle demandé à la voir à son bureau, cela avait étonné quelque peu. Pourtant, Tiphaine se pointa comme prévu, et prit place en face de sa soeur.

— J'espère que tu n'as pas eu besoin d'arranger ton agenda à cause de moi...

Ses yeux descendent vers le mug. Cet infâme mug où il y a le visage de Léon et le sien. Elle prend soin de tourner la tasse de sorte à ce que l'image ne lui brûle plus la rétine. Quelle étrangeté ça avait été, quand Ellana avait commencé à prendre des nouvelles d'elle.

— Ahem. Comment vas-tu ? Qu'est-ce que... tu deviens ?

La politesse voulait qu'elle commence par des banalités.

Tiphaine se demandait comment Léon réagirait s'il était au courant de l'existence de cette tasse. Sans doute qu'il l'aurait prise et balancer au choix contre le mur ou vers la fenêtre. Elle se demandait si Ellana lui parlait toujours. Elle le saurait bien assez vite.

— Ravie de savoir que tu vas bien. Je ne suis pas contre un thé. Dans une tasse normale, s'il te plaît.

Elle n'aime pas le thé en sachet, mais elle ferait au moins semblant. Elle s'éclaircit la gorge.

— Tu devrais passer au manoir. Je suis sûre que nos parents voudraient avoir de tes nouvelles.

En tout cas, autant qu'une famille comme la leur puisse espérer. Mais si même Léon pouvait venir dans les environs, Ellana pouvait en fait de même.

— As-tu vu Léon récemment ? Il est passé nous rendre visite.

Ca n'avait été agréable que pour leur mère.

Tiphaine eut l'air surprise, mais accepta volontiers. Même si ses standards ne seraient peut-être pas atteints, au moins elle se souviendra qu'elle pourrait revenir ici si jamais elle venait à manquer de thé. Elle hocha la tête.

— Volontiers. Merci.

Le temps que sa boisson soit prête, Tiphaine tente de rassembler son courage, en se demandant quelle serait la meilleure façon d'aborder le sujet qui fâche. Elle tripote nerveusement un pan de sa manche, avant de se lancer.

— Tu connais nos parents. Ils ne voient que ce qu'ils veulent. Quand tu n'étais plus à la maison, ils ne cessaient de dire qu'au moins tu étais douée en sortilèges de défenses contre les forces du mal.

C'était sans doute une éducation très particulière, que de faire jouer la compétition entre les enfants en étant parents. Ca ne l'étonnait pas qu'ils avaient de si mauvais rapports aujourd'hui. Léon était une autre ligue.

— Hm... Exact. Je ne m'attendais pas à moins de sa part. Il souhaite que je me marie, mais je ne compte pas le faire de si tôt.

Une fois la tasse présentée devant elle, Tiphaine la porte à ses lèvres avant de regarder sa soeur dans les yeux.

— Ellana. Tu n'as jamais pensé à passer l'épreuve des trois merveilles ?

C'était un plan un peu extrême, mais le seul qu'elle ait trouvé pour rabattre le caquet de son cher frère. Même lui ne pourrait pas la forcer si quelqu'un d'autre prenait le titre de patriarche ou matriarche avant lui.

— Bien entendu. Nous savons toutes les deux que ça n'est pas forcément la matière dans laquelle ils auraient préféré que tu ais un talent de toute manière...

Tiphaine ne l'admettrait pas à voix haute, mais elle avait toujours admiré la façon dont Ellana avait réussi à se détacher des obligations familiales. Elle, se sentait trop coupable à devoir essayer de compenser le fait qu'elle n'ait pas eu de fées. Une décénnie entière n'avait toujours pas réussi à suffire pour satisfaire ne serait-ce qu'un seul de ses parents, sur aucun aspect.

En parlant du loup, la fée de sa soeur se manifesta enfin. Tiphaine baissa les yeux par réflexe, elle en était venue à haïr ces créatures, elle les tenait toujours responsables de tous ses échecs aujourd'hui. Elle repose sa tasse un instant en hochant la tête.

— C'est que... Je pense que si quelqu'un aurait de meilleures chances de réussir que lui, si jamais il se présentait, ce serait toi.

Elle soupire et se cale dans le dossier de sa chaise, les bras croisés.

— Je comprends que ça ne t'intéresses pas. Tu n'as pas montré d'intérêt envers la famille depuis longtemps, et sans doute que c'est parce que tu en as eu marre d'essayer de faire plaisir à chacun pour être ta propre personne... Mais ne crois-tu pas que en prenant tête de la famille, tu pourrais justement changer ces mentalités ?

Elle pouvait admettre que c'était un souhait égoïste, que ça lui servirait à elle plus qu'à Ellana si jamais elle ressortait vainqueur des fameuses épreuves.

— Je ne te force à rien... Si vraiment tu n'es pas intéressée, je comprendrais. Sache que moi, je compte participer tout de même, ne serait-ce que pour une fois pour toute faire taire Léon. J'admets que j'aurai préféré augmenter mes chances si jamais tu participais également.

Elle secoue la tête. C'était un sentiment étrange, que d'implorer sa grande soeur alors qu'elles n'étaient pas proches l'une de l'autre. Surtout pour parler de l'épreuve des Trois Merveilles, qui avaient déjà laissées des séquelles à plusieurs avant elles.

— Tu me diras que, si c'est la liberté que je cherche, je pourrai juste m'en aller comme tu l'as fait. Mais ça ne ferait que régler une partie du problème. Notre famille reste ancrée dans des traditions qui n'ont plus lieu d'être. Des traditions qui servent les intérêts de personnes comme Léon.

Et elle trouvait qu'il y avait déjà suffisamment de vermines dans ce bas monde pour ne pas avoir affaire à des mini-Léons dans le futur, s'il accomplissait le devoir familial et faisait pondre à sa future femme des héritiers tous plus abjects les uns que les autres.

Tiphaine n'attendait pas, de toute manière, que sa soeur accepte sans sourciller. Il était révolu, le temps où elle voulait faire compétition avec Léon. Alors c'était fini, il avait gagner ? Personne ne comptait s'ériger contre lui s'il prenait la tête de la famille ? Elle ressentait l'étau autour de sa gorge se resserrer un peu plus, elle étouffe. Elle étouffe de tant d'injustice et d'impuissance.

Elle ne peut pas ignorer les mots d'Ellana. Ils sont justes. Même si dans le meilleur des cas, elle remportait cette épreuve, elle ne pourrait pas échapper à sa famille. Ils ne l'accepteront toujours pas parce qu'elle n'a jamais eu cette putain de fée à ses onze ans. Parce qu'elle n'est toujours pas mariée. Parce qu'elle ne brille pas dans une carrière prestigieuse.

Peut-être était-il enfin temps qu'elle ne cesse de se plier aux standards que sa famille voulait imposer. Si Léon remplissait déjà ce moule, grand bien lui fasse.

— C'est étrange, tu sais. Qu'il ait fallut autant de temps pour que tu me donnes de bons conseils.

La personne devant elle est quasiment une inconnue, elle l'a presque vouvoyé par réflexe. Même Léon était plus familier, ne serait-ce que parce qu'il daignait lui adresser la parole, même si ça n'était que pour des atrocités.

— J'entends ce que tu dis, Ellana. Ca ne veut pas dire que je l'accepte... Il se prend déjà pour le chef de la famille ici, en Angleterre. Il n'y a rien qui satisfaira sa soif de pouvoir. Je ne resterai pas pour être son bouffon ni son souffre douleur.

Peut-être était-il temps de partir en France, maintenant que Léon n'y était plus. Qu'est-ce que ça pourrait bien la faire rester, après tout ?
Une famille qui ne l'aime pas.
Un métier qui ne la passionne pas.

Y réfléchir, c'était déjà un bon début, même si Tiphaine comprenait tout de même à demi-mot que sa soeur ne comptait pas sortir de sa zone de confort. Elle ne pouvait pas lui en vouloir, elle n'était pas dans la même position qu'elle. Sans doute que Léon lui laissait plus de liberté parce qu'elle ne laissait pas "à désirer" comme elle.

— Oui. Fut un temps où les tyrans étaient décapités en France.

Comme cela règlerait ses soucis. Mais non, sa famille se vautrait dans la prestance et le charisme de Léon, car il représentait à lui seul ce que chaque famille de sang pure voulait. La personnification de la perfection, si ce n'est qu'il lui manquait une femme trophée à son bras.

— Je trouverai moi-même le moyen de partir. J'ai bien compris que je ne serais pas manquée dans cette famille, Ellana. Si ce n'est pas en fuyant, ce sera en l'affrontant moi-même.

Elle ne se bernait pas, actuellement elle ne ferait pas le poids.
Elle allait devoir trouver d'autres solutions, s'émanciper progressivement de cette famille, où elle n'était que parasite lorsqu'elle n'était pas invisible.