— Lune.

Tu sais qu'elle ne t'entend pas, pourtant tu l'appelles comme si elle allait se retourner pour te répondre. Lune. Lune qui marche tranquillement dans les rues vidées de monde à cette heure si tardive de la soirée. Lune qui fait des heures supp en oubliant de faire attention au loup qui guette tout près. Tu la regardes de loin avancer comme si de rien était -t'as la mâchoire crispée et les poings serrés au fond de tes poches. Lune.

Tu comprends pas.
Pourquoi.

Des gouttes soudain qui tombent du ciel pour s'éclater contre ta peau alors que tu te mets en marche pour la suivre sans la perdre de vue. Au virage suivant te stoppe à l'entrée de l'allée que tu sais peu fréquentée à cette heure. Vous êtes assez loins du ministère et t'en as marre d'attendre alors tu chopes un cailloux de taille moyenne par terre pour le lancer sur une poubelle devant elle. Avec un peu de chance le ricochet lui crèvera un oeil qui sait. Ou pas.

Tu n'attends pas qu'elle se retourne pour la rejoindre sans te presser. T'as le pas lourd pourtant, celui des énervés. Parce que tu comprends pas. Et quand enfin tu arrives à sa hauteur, que tu la domines de ton mètre quatre-vint un, ce n'est pas une salutation que tu lui adresses à la lueur du lampadaire qui vous surplombe. Tu veux qu'elle te voit puisqu'elle ne peut t'entendre.

— Alors comme ça on défend les vipères maintenant ? Je croyais que tu détestais les serpents.

Tu te souviens de ses doigts qui glissaient tout contre toi lorsqu'elle l'avait énoncé il y a des années de ça maintenant. De la caresse languissante de son index le long de ton bras. Tu l'avais rejetée. Puis tu avais finalement cédé bien plus tard encore. Lune. Hypnotisante Lune. Désagréable Lune. Si belle Lune.

— T'as peur de rien hein.

Elle devrait pourtant.
C'est ce que lui disent tes yeux.

Sa surprise est l'effet que tu attendais. Mais tu sais que Lune n'a jamais été du genre à se démonter. Parce qu'elle n'entend pas elle parle. Avec sa bouche bien sûr mais surtout avec les yeux. Alors tu la regardes de la même manière elle te regarde, sans ciller. Un pas en arrière, ses bras qu'elle pose calmement sur les tiens comme pour prévenir la colère qui menace de s'abattre sur elle. Si seulement elle savait à quel point tu débordes de rage, sûrement qu'elle comprendrait le rire amer qui t'échappe à ses mots.

— Et t'es quel genre alors, le genre qui chauffe jusqu'à se faire trousser dans sa piaule c'est ça ?

Tes doigts pour venir saisir ses poignets brusquement au cas ou l'idée de te mettre une gifle lui traverserait l'esprit. C'est pas quelque chose que tu serais en état de supporter, quand bien même tu sais que tu dépasses les bornes. Parce que t'as aimé la trousser dans son pieu en vérité, mais t'es pas là pour assumer que son air de midinette courroucée te fait toujours de l'effet même après des années.

Tu la forces à reculer jusqu'au mur à l'opposé de la benne où avait frappé le cailloux. La lumière y est moins forte mais elle peut toujours voir tes lèvres bouger alors ça te va. Tu la plaques brusquement, sans pour autant y mettre toute ta force. T'as besoin de savoir si elle a choisi de faire ça délibérément.

— Ou sont passées tes si belles valeurs, hein, Lune ?

Tu écartes de force ses bras pour venir les plaquer autour de sa tête et ainsi te pencher un peu plus sur elle. Comme si tu étais sur le point de la dévorer.

— Pour que t'en sois réduite à défendre cet enfoiré de Priest !

Le dédain dans tes yeux tandis que tu t'exclames. Tu comprends pas pourquoi elle fait ça. Pas que tu te sois attendu à quelque chose en particulier de sa part, mais ça.
C'est trop.

— Tu sais rien.

Rien des larmes, rien du sang, rien des cris qui te hantent encore aujourd'hui. Elle ne connaît rien à tes peines ou tes douleurs, parce qu'elle n'était pas là. Ni quand les Priest ont décidés de tous vous tuer, ni quand Atlas a prit plaisir à te découper les doigts phalange par phalange avant de te faire boire sa potion magique. Et ça t'énerve cette façon dont elle te menace. Tellement que tu la cognes plus fort contre le mur en hurlant plus fort -comme si elle pouvait t'entendre.

— TU SAIS RIEN DE MOI LUNE ! Comment tu pourrais ? T'es coincée dans ton petit monde d'élitiste à défendre des putains d'enflures pour voir à quel point partout ailleurs c'est la merde.

Des gens bien perdent la vie simplement parce que des dérangés les traquent pour ce qu'ils sont. Et si t'es pas un enfant de coeur, jamais tu ne t'es abaissé à chasser un innocent. Faut croire que t'as encore un peu de coeur finalement.

— Il t'a dit quoi pour sa défense, hein ?

T'as un rire nerveux.

— Parce que quoi qu'il ait pu te baratiner il l'a fait. Il a tué Jane Priest, et pas qu'elle d'ailleurs. Tu comptes vraiment laisser ce malade s'en tirer comme ça ?

Il ne suffit que d'un cri pour taire les tiens. Et tu la regardes alors, Lune si fébrile entre tes doigts. De surprise, de colère tu la regardes se défendre comme elle le peut d'une attaque qu'elle ne mérite sûrement pas. Ou peut-être bien que si ? Tu ne sais pas, la vérité c'est que tu t'en fiche -la vérité c'est qu'elle est contre toi et qu'elle l'a été toutes ces années ! Lune est une mélodie dissonante qui fait battre ton coeur toujours plus fort à chaque instant. Jamais d'amour pourtant. Jamais d'amour non.

— Je peux pas faire ça putain !

Aller voir le ministère.
Tout expliquer.
Tout avouer.
Tout revivre.

Le voir vivre.
S'en sortir.

Impossible.

C'est la raison qui te fait t'emporter ce soir et pourtant les mots de Lune t'écorchent plus que tu ne voudrais l'admettre. Ils tailladent ton corps, ta peau, ton coeur -t'égorgent et tu suffoques Hermès. Tu bloques. Tes doigts autour de ses poignets et la rage... Envolée la rage. Oubliée la rage quand elle pleure Lune.

Elle te supplie.
Elle n'a jamais supplié.

Lâche-moi par pitié. Tu me fais peur Hermès. Tu n'en es pourtant pas désolé mais c'est étrange cette poitrine qui se serre alors que tu la fixes sans réagir. L'or de ses cheveux, le bleu de ses yeux, le sillon si fin des larmes sur ses joues. Il n'y a pas d'amour mais tout est particulier avec Lune, tu sais. Lune c'est un sourire sur tes lèvres à chaque rencontre et la garantie si énervante d'un peu d'amusement. Une petite bulle d'air agaçante, rien d'autre que cette fille que tu te plais à provoquer à la moindre occasion.

Alors tu la fixes en silence, sans la lâcher pourtant l'emprise se desserre pour ne plus la faire souffrir autant. Avant de finalement échapper des murmures étouffés.

— Tu mérites pas que je te défonce. T'es pas comme ce fils de pute, toi t'as rien à te reprocher.

Ou presque rien, mais c'est un détail que tu t'abstiens de mentionner tandis que tu baisses les yeux.

— T'as beau me casser les couilles la plupart du temps t'as pas buté ma famille entière Lune.

La pensée ravive un peu la colère que tu contiens pour ne plus la blesser. Et dans tes iris l'or vérité soudain qui s'illumine en relevant sur elle ton regard dévasté. Tu n'as rien d'humain et tout de vengeance pourtant face à elle tu t'écorches.

— Menteuse.

C'est que du mal elle en fait déjà assez mais elle refuse de l'entendre, alors la vérité est soufflée d'ironie, inaudible et invisible aux yeux si clairs de cette nouvelle Lune que tu perçois. Elle ment parce qu'elle est celle qui en faisant ce travail qu'est le sien met ta vie toute entière en péril et pourtant tu es si faible face à sa tendresse. La tête lourde contre son épaule, tu y soupires ton désespoir avant de venir l'enlacer contre toi. Ça n'a rien de doux, rien de beau ni de tendre. Non c'est lent de peur et de rancoeur, si fort quand tu la serres. C'est ta haine entière, ta colère que tu lui offres en silence et tu pries qu'elle comprenne que si elle ne renonce pas, toi non plus. Jamais.

Tu t'enivres de son odeur pour apaiser tes ardeurs alors que ses doigts doucement viennent caresser tes joues. Ça t'arrache un sourire mauvais, de ceux qui annoncent souvent les mauvais coups. Il ne dure pas longtemps pourtant, et à ses mots tu veux simplement lui dire de laisser tomber. Alors tes yeux parlent sûrement pour toi tandis qu'ils se font plus durs et froids. Tu ne veux plus parler de ça avec elle et tu refuses l'aide de ce ministère incompétent. Ils sont peu nombreux ceux en qui tu peux avoir confiance et si Lune n'en fait pas partie tu sais que ces inconnus non plus. Ça vaut pas la peine.

Même si c'est très sexy ce côté enragé.
Ouai tu sais, ça a son petit effet.

— Sexy, vraiment.

Tu la toises plus amusé soudain quand tes mains viennent la plaquer au mur brusquement mais sans violence. Tu coinces ses bras au-dessus de sa tête pour mieux la surplomber et tu fais le malin parce qu'elle est petite Lune, c'est vrai.

— Puisqu'on en est à prendre la flotte dehors invite-moi chez toi j'ai la dalle.

Ignore complètement le fait qu'elle ait dit pouvoir se défendre, parce que tu crèves d'envie de la voir essayer. Et peut-être qu'avec ça tout redeviendra comme avant ? Tu feras semblant et elle oubliera. Le plan parfait.

Les pupilles qui s'illuminent un court instant, non pas d'or animal mais bien du plaisir le plus humain qui soit quand elle pose sa question. Lune provocante devant laquelle tu te lèches les babines en étirant un sourire mutin pour seule réponse. Ça te plaît, qu'elle propose elle-même ce genre de plan. La suite t'arrache pourtant une petite moue contrariée.

— Encore ce ministère de merde, t'es amoureuse ou quoi ?

Si t'étais une raclure tu l'aurais embrassée, là maintenant. Mais c'est pas comme ça que ça se passe entre vous, et tu vous valez tous les deux mieux que ça. La sentir se débattre entre tes doigts te fait desserrer ta prise sans pour autant la lâcher. La vérité c'est que t'as peur qu'elle parte et t'as pas envie d'être seul ce soir. Pas après tout ça.

— Bla bla bla. La grande Lune parle et son chien s'exécute, dans tes rêve my queen.

Ça t'arrache un rire sincèrement amusé. La vérité c'est que t'as quand même envie de lui arracher la tête pour marcher sur ta fierté comme ça. Alors si le sourire ne s'éteint pas le regard se fait plus dur pourtant.

— Défends-toi par toi-même si tu le peux vraiment.

T'as toujours la dalle, mais t'attends la pluie avec cette lueur dangereuse dans les yeux. C'est sa faute pas la tienne.