Le tintement pressé des roues qui glissent sur le sol, courent le long des rues. Esquivent les passants, se faufilent sans prêter attention ni à l'heure ni au temps qui passe. Les secondes qui s'écoulent à la mesure du vent -légères, tranquille. Tu es en retard, Alcyone. Une minute, deux, trois. À la septième le bâtiment qui se dresse et dans lequel tu entres machinalement, roule jusque l'ascenseur pour te hisser jusqu'au sommet. À la neuvième les portes qui s'ouvrent.

Quatre coups portés contre le bois de l'entrée. Un sourire à la petite elfe qui vient t'ouvrir pour t'accompagner jusque l'hôte -un souffle pour décompresser. Quelques secondes de répit, à peine, avant qu'il ne se dresse si grand devant toi. À la dixième minute c'est le son de sa voix qui retentit en reproches sans que tu n'ais le temps de t'annoncer ni de saluer. Qu'importe.

— Désolée.

Sans autre explications -il ne s'y intéressait jamais de toute façon, pas qu'il le doive. Le corps qui s'abaisse un instant pour caresser Feliz, tu te relèves rapidement pour ne pas gêner l'avancée d'Isaac et le suivre.

— Je resterai plus tard si vous voulez, j'ai un peu de temps ce soir.

Avant ton prochain emploi.
Aujourd'hui encore tu passerais ton temps à courir partout, c'est à se demander quand est-ce que tu prenais le temps de dormir. Jamais, pas vrai ? Respirer oui, mais dormir jamais.

Dans la cuisine tu poses les deux sachets que tu tenais sur le plan de travail, y récupère le journal qu'il y laisse d'une main pour le regarder, septique alors qu'il demande les nouvelles.

— À dix-neuf heures ?

Une œillade pour l'elfe qui t'incite à le faire, tu hausses les épaules avant de te mettre à feuilleter brièvement les pages de papier.

— Le mariage de Clovis Lestrange et Darya Black aura lieu le 13 Mars, c'est en première page avec une photo d'eux. Hm... Ah. Un article suppose qu'"il s'agit d'une ruse pour détourner l'attention du peuple concernant le désastre de la Journée des Droits des Non-Magiques" de Janvier et "la gestion de crise lamentable et inefficace du Ministère." Il réclame une réelle transparence et des changements radicaux.

Il ne verra pas ta moue ennuyée au moins.

— Pour le reste vous loupez pas grand chose.

Tu laisses échapper un léger soupir en posant le journal sur le plan de travail avant de te tourner vers lui.

— Vous voulez un café ?

Quelque chose qu'il ne sait pas.
C'est difficile à dire.

— J'ignore ce que vous ne savez pas.

Glissé tranquillement alors que tu poses le journal sur le plan de travail. Tu ignores tout autant ce qu'il sait -est-ce que les banalités du monde magique et de la presse people l'intéressent vraiment ?

Le bruit de la porcelaine qui éclate à la seconde où ton regard se pose sur lui. Tu fronces les sourcils, à la fois hébétée et contrariée de constater qu'il n'en est absolument pas désolé. Il l'a vraiment fait exprès ? S'en va sans parole autre qu'une demande, encore, alors que l'elfe de maison accourt rapidement pour nettoyer. Tu l'arrêtes d'une main et lui adresses un petit sourire pour la rassurer.

— Laissez, je vais m'en occuper.

Un soupir encore, qui se veut plus bruyant et agacé que son habituelle discrétion. D'un coup de baguette répare le verre brisé et nettoie les traces sur le sol et les meubles.

— Si tenir une tasse s'avère si difficile pour vous je peux vous trouver un biberon.

Les mots las qui s'échappent sans que tu ne prêtes aucune attention à sa réaction, désormais concentrée sur la préparation du café. Qu’est-ce qui t’a mis à ce point en retard ?

Tu t'arrêtes, poses la cafetière sur le plan de travail.
Silence.

— Il y avait du monde sur les routes.

Rien qui ne change de d'ordinaire à cette heure, à vrai dire. Mais ce sont des choses que tu as pris l'habitude d'anticiper et tu as bien conscience qu'il le sait. Mais tu n'as pas envie de parler des réelles raisons de ton retard avec lui. Tu viens terminer rapidement la cafetière avant d'allumer le gaz pour la poser dessus.

— Il va falloir patienter encore un peu pour le café. Qu'est-ce que je peux faire pour vous en attendant ?

— Tu as donc oublié où je travaillais ?
— Comment l'oublier ?

L'ironie perchée au bout des lippes alors que les doigts s'occupent d'accéder aux demandes. Le café. Sans broncher -sans rien ajouter. Elle finit par s'évaporer doucement alors, bercée par les affres du silence qui se glisse entre vous. Pourtant il ne suffit que de quelques morceaux de verres pour la faire revenir. D'une remarque, d'une réponse. La tienne se fait soupir, œillade vers lui. Discrète et agacée. Presque amusée.

— Tout dépend combien vous payez pour ça.

Sourire à tes lèvres.
Parce qu'au final tout n'a toujours été question que d'argent, pas vrai ?
Tu n'es pas si différente d'eux, tu sais.
La seule chose qui vous sépare c'est que toi tu n'offres pas ton corps.
((comme si ça n'était jamais arrivé))

Un soupir.
Un silence.
À sa question le souffle qui se coupe -l'hésitation.
Tu ne veux pas parler de ton retard, comme si rien était arrivé. Il n'y a aucune tâche Alcyone, pas vrai ? Aucune trace. Aucune preuve. Seulement des mots et ces pensées qui te font flancher. Tu n'aimes pas en parler. Ne veux plus y penser. Pour l'instant du moins, alors que tu questionnes la suite.

Comme s'il ne s'était rien passé.
Il ne cherche pas plus loin.
Tant mieux.

Tu soupires.

Le repas, qu'il dit.

— D'accord.

Viens fouiller dans les sachets pour en sortir les denrées qu'il t'avait demandé la dernière fois et les disposer sur le plan de travail. Puis tu t'en vas fouiller dans les placards à la recherche des ustensiles dont tu as besoin. Une planche, un couteau, un saladier. À leur place, comme d'habitude. Et c'est presque comme si rien ne bougeait jamais.

— Qu'est-ce que vous mangez quand je ne suis pas là ?

La curiosité au bout de tes lèvres légèrement plissées tandis que tu ouvres le robinet de l'évier pour passer les légumes sous l'eau.

Il n'ira pas payer pour ça, dit-il, et tu as un sourire emprunt d'ironie. S'il savait, sûrement ne te mettrait-il plus jamais dans le même panier que lui. La dignité, après tout, n'était qu'une question de point de vue, pas d'actes, et il t'en fallait beaucoup plus pour souiller la tienne.
Mais peu importe.

Une grimace à tes lèvres lorsque vient sa réponse. Tes doigts qui habilement viennent fermer le robinet avant que tu ne ramènes courgettes et tomates sur le plan de travail tout près de lui.

— Vous ne vivrez pas longtemps sans rien manger d'autre que tu café, monsieur.

Jamais Isaac, bien que des fois son nom brûle tes lèvres à la lueur de tes remarques les plus sarcastiques.

— Votre elfe ne cuisine pas pour vous ?

La lame tranquille qui vient couper la première courgette en rondelles fines, tu te retiens d'avouer que tu imagines bien Vipley tenter encore et encore mais se voir refoulée à chaque fois. Servir un maître tel que lui doit être un désastre.

— Vous devriez apprendre, d'ailleurs.

Tu cesses ta découpe pour pousser la planche vers lui, comme une provocation.

— Je peux vous aider si vous voulez. Pour m'excuser de mon retard.

Tu n'avais rien répondu, plus concentrée sur tes légumes que sur la curiosité qu'entraînaient ses aveux. Tu t'étais demandé malgré tout quel intérêt tu avais à faire tout ça s'il souhaitait pas vivre tant que ça mais poser la question aurait été indélicat. Et si tu es douée de pensée, tu n'es pas de ceux qui les dispensent à tout va. De temps en temps seulement, sans que ça n'entre jamais dans la sphère personnelle.

Pourtant il a le ton qui s'aggrave Isaac, te prend court les mots sciant avant de quitter la cuisine. Demande le café comme si tu ne servais plus qu'à ça puis s'en va. À tes lèvres une grimace un peu embêtée  tandis que tu délaisses ta planche pour terminer sa boisson dans un soupir las et la lui emmener.

Tu hésites quelques secondes avant d'entrer dans le salon, hésites ensuite entre la poser et repartir ou simplement attendre un signe, n'importe lequel qui t'indique qu'il en veuille ou non finalement.

— Je suis désolée, je n'avais pas l'intention de vous vexer ou de vous manquer de respect.

Tu n'es après tout personne pour posséder de telles ambitions. Ceci dit, tu n'avais jamais eu celle de t'écraser non plus.

— C'était maladroit.

Sans savoir réellement pourquoi c'était là.
Juste là, comme ça.

— Sachez que je n'ai jamais douté que vous sachiez cuisiner.

Tu n'étais à vrai dire jamais posé la question.

— Seulement vous pourrez prendre la mouche autant que vous le souhaitez, vos aptitudes d'avant ne sont plus celles dont vous avez besoin à l'heure actuelle.
Pour prendre soin de vous, que tu te retiens d'ajouter.

— Pas vrai ?

C'est ce que tu voulais dire par lui apprendre.

Ce n'était pas une bonne idée. Parce qu'elles étaient rares les fois où elle ouvrait la bouche au mauvais moment Alcyone, et aujourd'hui était l'une d'entre elles. Mauvais moment, mauvais mots ou mauvaise personne simplement. Elle aurait mieux fait de se taire mais elle ne souhaite que continuer.

Ça hurle dans son ventre quand tes maux grondent, Isaac.

Tressaute légèrement à l'accio de la lame et du sombre de tes menaces.

La respiration coupée, la surprise en un cri à peine audible quand le cadre explose -les doigts viennent serrer un peu plus fort la tasse entre ses mains alors qu'elle reste droite comme un piquet. Elle mentirait si elle te disait qu'elle n'avait pas peur, là tout de suite, mais elle mentirait aussi si elle te disait, vu ta réaction, qu'elle est désolée.

— N-non je ne crois pas.

La voix qui saute un peu, bégaye légèrement des émotions à fleur de peau. Ce n'est pas son problème que tu ais peur ou non du noir, tu sais. C'est comme tout ça, mais parce qu'elle a trop parlé elle a décidé d'assumer et de se demander. Pourquoi ça lui avait échappé.

((parce que tu lui fais penser -tu lui rappelles, Isaac))
Papa.

— Mais vous craignez que ça change, vous craignez les regards qu'on vous porte et votre réaction en est le parfait exemple.

Une inspiration.
Elle avait déjà eu cette discussion après que son père ait été blessé et déclaré inapte.

— Je suis pas là pour vous juger vous savez. Je m'en fiche moi que vous sachiez ou non cuisiner, casser des tableaux, vous défendre ou que sais-je encore. C'est pas mon problème et j'ai conscience d'avoir été trop loin.

La tasse qu'elle vient finalement déposer sur la petite table juste à côté de toi avant de se reculer.

— Je me suis laissée emporter... Parce que je crois que je vous aime bien. Je voulais vous aider c'est tout. Dites simplement non au lieu de me rabaisser la prochaine fois d'accord ?

Les mots à peine plus acerbes sur la fin, c'est qu'elle est contrariée, agacée. Après tout tu n'avais pas aidé mais elle ne t'en tenait pas rigueur, pas plus qu'à elle. Ce sont des choses qui arrivent.

— Je vais continuer le repas.

Avant de s'éclipser rapidement dans la cuisine.

Je ne crains rien.
Sonnerait presque vrai tant tu le dis avec conviction pourtant elle sait que tu mens. Parce que ne rien craindre reviendrait à ne rien ressentir du tout, et même toi Isaac, tu n'es pas un robot. Elle ne rétorque pas néanmoins, préfère s'en aller une fois la tasse posée. Inutile de vouloir faire plus, ce n'est pas son rôle ici.

Son rôle c'est de te préparer à manger.
Pas de soigner tes plaies, quand bien même elle s'est laissé emporter.

Pourtant, tu sais, lorsque la porcelaine s'est à nouveau brisée contre le sol, elle s'est retournée -figée. Ton murmure comme un hurlement qui la fait s'approcher finalement, encore. Le pas souple et presque trop doux pour se poser devant toi, assise sur le parquet avant de simplement lever les yeux vers toi.

— Regardez-moi.

Facile à dire, comme s'il le pouvait.

— Regardez-moi s'il vous plaît.

Ne détourne pas, ne te détourne pas de la seule demande qu'elle te fait.

— Ce n'est pas parce que vous êtes aveugle que vous ne pouvez plus voir et vous le savez. Alors regardez-moi.

Regarde, Isaac.

Elle avait soufflé doucement avant de se relever encore, pas contre toi, contre personne en particulier si ce n'est sûrement la situation dans laquelle vous vous retrouviez parce qu'elle n'avait pas su se taire. Puis sans réponse elle s'en était allée -que dire de toute façon ? Tu n'écoutes pas. Tu refuses et elle n'est personne pour t'en vouloir, seulement quelqu'un pour t'obéir alors, comme tu le lui as si bien demandé, elle est retournée en cuisine préparer ton plat. En silence, calmement.

Il n'y avait rien de plus à faire de toute façon, qu'un peu de cuisine, un peu de rangement et un bon café chaud. Elle espère néanmoins que ces minutes seul t'aideront à t'apaiser au moins un peu.

C'est vrai qu'elle t'aime bien, tu sais ?
Même si t'es drôlement con quand tu t'y mets.

— Monsieur ?

Tranquille alors qu'elle vient se tenir dans l'encadrement du salon un plateau à la main.

— C'est prêt. Vous voulez manger à table ?

Après je m'en irai.

Tu peux le poser là.

Aussitôt le pas qui s'exécute. Silencieuse toujours, c'est qu'il n'y a plus rien à dire finalement. Il n'y a qu'à espérer que rien n'ait vraiment changé. Que tu pardonnes cette incartade, que tu veuilles d'elle encore la semaine prochaine. Elle fera plus attention tu sais, à ne plus trop se laisser aller.

De la baie à sa silhouette ton attention qu'elle accapare doucement. Tu lui donne un nouveau rendez-vous et la voilà soulagée. L'esquisse à ses lèvres un peu gênée mais bien présente.

— Comptez sur moi.

Elle ne sera plus en retard, jamais.
Alors tout redeviendra comme avant et tout ira mieux pas vrai ?

— Passez une bonne soirée monsieur.

À vendredi prochain.
Avant de refermer la porte derrière elle.