Sombre,
Il est assorti au regard de son hôte, habillé de ce costume plus foncé qu’à l’accoutumé, coiffé plus strictement que dans ses habitudes. Il est distingué, Hephaistos, droit sur sa chaise, les manières à leur grand jour et l’élégance dans chacun de ses gestes.
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“Et c’est toujours un plaisir de voir que tu ne changes pas. Toujours aussi tranchée, à ce que je vois. Pour ça, je dois reconnaître que ta famille m'inspire toujours autant de respect.”Son éducation comme son charisme s’affirment dans ce sourire flatté, à la table des Lestrange, dans ce repas qui lui tire des rires mais aussi des paroles infondées; d’autres aussi, plus véritables et vraies. Il brille de son nom aux côtés d'un plus grand encore; car il sait que c’est ici qu’est sa place, ici qu’il a été élevé, ici qu’il se retrouve.
Vraiment.
Près des sang-purs, entre leurs rangs. Puisqu’il en était un, puisqu'il était de ceux là; et aux côtés de Mnemosyne, aux côtés d'une Lestrange, peut-être se retrouve-t-il un peu plus encore, peut-être se sent-il lui plus qu’habituellement; plus que jamais; trouve une place légitime aux paroles des arrogants. Par Cernunos; que ces discussions lui avaient manquées – ou bien était-ce
sa présence, il n’aurait su l’affirmer.
Même si tout était différent; même si cette table était bien vide;
fissurée par le passé,. Et peut-être aussi le présent.
Il hésite un instant, Hephaistos. Assis sur cette chaise après ce diner, en tête à tête avec son amie, il se permet d’abandonner son dos sur le dossier, de fixer le plafond un instant; de prendre son temps. Parce qu’il n’était pas sûr de pouvoir exprimer toutes les pensées qui le hantaient, depuis si longtemps; toujours, à chaque instant. Des pensées dont il avait honte, qu’on ne pouvait exprimer n’importe comment.
Surtout pas à n’importe qui.Mais Mnemosyne était de ceux qui comprenaient, de ceux qui pourraient lui répondre – Mnemosyne ne pouvait le juger sur ce sujet, alors même qu’il avait peur d’en parler à Cassandre; alors même qu’il n’osait se l’avouer totalement; même à lui-même.
Tout comme jamais il ne la jugerait, car elle était de ceux qu’il respectait, et qu’il considérait véritablement.Et ne se connaissaient-ils pas assez; peut-être même plus que ce qu’ils ne le savaient. Et ne se comprenaient-ils pas assez; sûrement plus que ce qu’ils ne s’en rendaient compte.
Il était si rare, pour Hephaistos, de se laisser aller; de s’ouvrir, un tant soi peu, d’oser se confier. Les secrets étaient sa force; la discrétion, sa renommée.
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“Ils le sont plus que je ne le voudrais.” Efficaces, indéniablement convaincants, les défendeurs de cette propagande, de cette idéologie bancale.
N’y croyait-il pas, lui aussi, à un monde où cracmols, hybrides et sorciers pourraient vivre et collaborer ? N’avait-il pas envie d’y croire, à un monde où tous pourraient être heureux; et compris. Et pourtant,
pourtant.
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“J’en ai rencontré quelques uns, depuis. Un cracmol, notamment. Je te mentirais si je te disais qu’il ne m’a pas touché.”Il pourrait mentionner son libraire, qui s’était un peu livré, qui l’avait conseillé, et soutenu, à sa façon. Il pense à ce garçon qui ne lui a pas avouer ne pas avoir de magie, mais Hephaistos en avait été convaincu dès leurs premiers échanges; il n’y avait presque aucun doute là-dessus. Il pourrait mentionner Tove; cette semi-vélane croisée au détour d’une ruelle. Il les appréciait, réellement,
vraiment.-
“C’est grisant parfois, tu sais.” Déclare Hephaistos, déclare le sang-pur. Car c’est ce qu’il était, aujourd’hui; de ceux qui sont parfaitement ajustés à leur environnement, à la coiffure impeccable, plus qu’habituellement; de ceux qui portent un costume avec une droiture remarquable; et qui le portent si bien.
“De ne pas savoir sur quel pied danser. De juste observer sans jamais ne pouvoir s’impliquer.”Pour les bonnes manières, pour l’image de leur réputation, celle des Greengrass; celle de la neutralité, Hephaistos n’avait jamais su se positionner; on lui avait toujours dit de ne jamais le faire totalement; de garder des distances; de ne pas agir, de ne pas se faire remarquer.
Représentant d’une famille qui ne s’impliquait pas, qui observait seulement; de loin; enfant du savoir, figure de paix; Hephaistos restait en retrait; n’avait pas agit, ne s’était pas interposé face à cette journaliste, à l'événement des non-magiques. À l’annonce du retour de The Crow; il était resté inutile; comme toujours.
Greengrass, une famille sans histoires, disait-on. Ils avaient toujours su rester discrets; ne s’étaient jamais trop impliqués. Gardaient jalousement leurs secrets; leurs idées.
Contrairement aux Lestranges; contrairement à Mnemosyne, si affirmée. Les traditions, les habitudes, les coutumes; était-il seulement prêt à tirer un trait dessus, quand il voyait à quel point elles rendaient son amie forte, fière et puissante ? Eux étaient les philosophes, les sages et les gardiens du savoir; les Lestranges étaient d’une toute autre tranche, étaient la puissance et l’autorité; d’un caractère bien plus affirmé.
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“C’est comme si le monde se retournait, que nous devenions ceux qui devraient avoir honte d’exister - comme s’il ne pouvait pas y avoir de balance, et que je suis condamné à regarder notre autorité s’effondrer en souriant au premier imbécile qui se pense héro à défendre les non-magiques ou les hybrides.”Et ses pensées se tournent un peu vers Nathaniel, vers son frère ainé, qui compte bouleverser les traditions de leur famille quand il en viendrait à hériter;
parce que ce n’était pas lui, l’héritier; il n’était que l’ombre, Hephaistos. Et il comprenait; et il suivrait, parce que sa famille resterait inébranlable. Même s’il l’avait prévenu, ce frère aîné; que ça n’irait pas dans le sens qu’il aimerait; il voulait croire en lui, Hephaistos. Il le
voulait, croire en cette vision qu'il avait.
Il pense à Cassandre, sa sœur, diplomate, optimiste et si belle dans ses combats idéalistes. Et il repense aux mots de cette journaliste, il repense au retour de The Crow, il repense à cet évènement derrière lui, et pourtant.
Vous êtes tous les mêmes, à penser détenir l’immunité politique. À vous penser supérieurs. Des mots d’une journaliste qui résonnaient encore en lui; car ils étaient si fondés, si
vrais.
Il pense à tous ces points de vues qui lui semblent légitimes et pourtant. Pourquoi ne pouvait-il pas juste se décider, choisir, avoir un avis fondé - un seul, solide et vrai ?
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“Nous sommes les plus anciennes familles de sorciers et on nous demande de nous soumettre et de les laisser s’imposer et nous contrôler. Quid de nos secrets ? De notre magie ? Est-ce que tout est destiné à disparaître pour des semi-gobelins et une minorité de cracmols ? Est-ce que le sacrifice de nos coutumes rendrait vraiment le monde plus équitable ? Plus juste ?”Est-ce que la mort de son père avait changé quoi que ce soit;
vraiment. Le monde se reconstruisait sur un meurtre; mais il se retient de le mentionner, ne voulant pas la heurter.
Une seconde, il laisse ses doutes au grand jour, il fait tomber le masque de ce jeune homme souriant et élevé à la perfection pour se livrer, pour demander de l’aide à cette sang-pur si affirmée, si convaincue. Adossé sur ce dossier, il l’observe, Hephaistos, cette jeune fille devenue femme, admire sa prestance sans imaginer pouvoir avoir la même; c’est qu’il ne se regardait jamais dans un miroir, ni ne s’imaginait d’une quelconque façon, en vérité. Il voyait les autres, tendait à les admirer comme il l’admirait aujourd’hui, leur trouver à chacun cette beauté unique, fondée. Hephaistos existait pour les autres, en oubliait d’exister pour lui; et pourtant. Parfois, lui aussi avait envie de crier; de se sentir compris, de se sentir exister.
Pouvait-on avoir un sentiment de supériorité et d’infériorité en même temps ? Hephaistos était cet oxymore ironique; ce contraste inexpliqué.
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“Comment fais-tu pour ne jamais douter, Mnemosyne.” Quel est ce secret, qui te rend si forte ? Parce que lui ne pouvait s’empêcher de penser; de réfléchir; de douter. Le meurtre de sa famille; un massacre; était-ce vraiment ce qu'il fallait ?
Parce que lui avait l’impression de couler; véritablement.
D’étouffer.
Et parce qu’il la trouvait si brillante, dans cette force et ce caractère; il se demande un instant, comment il peut se rendre vulnérable devant quelqu’un de si puissant; comment il peut se confier à si virulente, si affirmée,
sans avoir peur un seul instant de se faire piétiner.
Et il se demande aussi, quels sont les doutes qui l’habite, cette sang-pur qui se montre si grande, si impénétrable; se retient de lui demander ses faiblesses; ses doutes. Les Lestrange avaient des carapaces trop dures pour être brisées d’une simple question.
Mais il se souvient que même les plus forts, peuvent aussi s’effondrer,
parfois. Ne l’oublie pas; même devant autant de dignité; de fierté; même devant autant de prestance.
Et au final, Hephaistos ne saura jamais, s’ils sont des méchants, s’ils sont des gentils; où se situe la limite, lesquels sont blancs, lesquels sont noirs, quel est le bon parti.
Car tous les points de vue pouvaient se défendre, car tous avaient raison de se protéger; d’attaquer. Car il n’y avait toujours que des nuances de gris, de gris et de gris foncé.
Mais tout restait sombre,
toujours.