Elle a le regard minutieux qui se dispose à s’admirer un peu plus à chaque fois, les doigts - lentement passés dans sa chevelure pour l’arranger. Un blond inaltérable, qui mêle ses songes et les démêle sans arrêt. Une similitude qui les relie - comme il y en a tant. Comme il y en a qui auraient pu s’effacer, mais qui ont persisté. Et Dieu seul sait à quel point Mnemosyne est reconnaissante envers le temps de s’affaisser quand il est question d’eux. Que rien n’ai réellement changé ; mais que tout ne soit définitivement plus aussi similaire, comme les choses voguent et prennent des routes altérées.
Mnemosyne se souvenait de ces temps de doutes. Se souvenait de cette persuasion viscérale qu’elle s’offrait quand il n’était plus là, qu’on le songeait simplement disparu ou pire encore - mort. Ce regard constant qu’elle se jetait alors qu’elle se parait ; des teintes mornes des robes qu’elle s’était habituée à porter à cet instant.

C’est de cette même façon qu’elle enfile ce collier - avec cette même force dans le regard. Il était là désormais et elle l’avait étreint, il était là désormais tout proche et pourtant, c’était comme s’il était définitivement loin. Mnemosyne maudissait presque alors ce fossé qui se creusait ; elle en redoutait l’ampleur comme elle redoutait tout ce qui serait altérable, peut-être refusait-elle simplement de se faire à l’idée.
Mais depuis longtemps alors n’étaient-ils plus des enfants. Cette atmosphère qui habillait les lieux en était la preuve ; elle était bouleversante fut un instant, trop cruelle animée autour des non-dits. Autour de son cou, le froid de l’éclat de la parure l’éveillait plus clairement. Elle entendit l’éveil à sa porte, un sourire redressant ses lèvres légèrement maquillées. Il était plaisant de l’entendre à nouveau, comme un surnom que seul le coeur puisse entendre.
Et dans le reflet du miroir - elle se voit elle, le perçoit lui, l’accueil du regard chaleureux. Il serait toujours le bienvenue auprès d’elle, quoi qu’il puisse lui arriver, à lui comme à elle. Mnemosyne était persuadée qu’il en était déjà conscient - mais elle était elle-même consciente que tant de choses manquaient à leur temps.

Des choses laissées de côté ; des mots (maux) suspendus un temps. Comme des lettres jetées dans un tiroir et délaissées à d’autres jours, d’autres instants. Mais maintenant est différent, n’est-ce-pas ?
Ils ne seront jamais laissés pour seuls dans un océan de tourments. Il a dressé un énième sourire avec son compliment ; Mnemosyne à la courbe pimpante. Quand elle le contemple se rend compte d’à quel point tout ce temps file - c’est comme ressentir le sablier s’égrainer sous ses yeux. Elle lui parlerait bien de cet élan qui la prend, mais ça lui serait déloyal. À quoi bon exprimer sa propre nostalgie quand elle scintille déjà dans son regard ?

— Clovis. Les sonorités délicates de sa voix, comme un retour de compliments qu’elle ne sait pas choisir. Quels mots seraient assez justes ; il avait toujours été si grand pour elle. Un frère qu’elle aimait simplement regarder avec de grands yeux sans s’en cacher.
Mais les mots tombent avant qu’elle ne puisse s’étendre. Des mots qui lui font plaisir à entendre, comme si elle avait ressenti ce besoin viscéral de les entendre. Peut-être de comprendre, autant qu’il en ressente lui-même le besoin. Peut-être craint-elle à ce même titre, d’en entendre les sonorités et d’en percevoir les couleurs.

Elle sera là - c’est certain, Et bien, j’ai presque failli d’attendre. En réponse qu’elle déclare fidèle à elle-même ; elle l’a attendu, patiente. Cet instant où il lui exprimerait ce qui le tourmente et ce qui l’éveille. Qu’ils puissent avancer ensemble dans ce qu’il construit déjà maintenant.
Ricanement pas moins honnête pour autant. Elle ne lui en voudra jamais, de trouver le temps - l’énergie et les mots. Elle aura toujours le temps nécessaire pour lui, peu importe ce que quiconque pourra en dire.

— Ce que je veux dire, c’est que tu le sens Clovis - et je le sens aussi. Cette nécessité de parler et de s’épauler - de renouer des liens jamais pleinement défaits finalement, pour mieux avancer dans ce futur qui s’éveille. Tout ce qui est ici est voué à changer. Et ce, qu’il s’agisse d’un bien ou d’un mal. C’est davantage un constat qu’une fatalité. Elle le constatait devenir cet homme qu’elle avait toujours su qu’il allait devenir.
Le regard bienveillant - fraternel de ceux qui ont la confiance implantée dans le regard. Mnemosyne jamais n’aura le doute en ce qui le concerne, jamais ne remettra en question toutes ces décisions - c’est ainsi qu’ils ont toujours existé, comme ça qu’ils existeront encore demain.

Et elle n’a jamais cessé d’attendre. Il est vrai - elle n’a jamais ni-même douté de lui, elle savait déjà border son esprit de croyances que d’autres n’avaient pas. Cette songe fervente lorsqu’elle s’obstinait à croire à son retour, on lui avait dit tant de fois, de cesser de se raccrocher à des espoirs futiles, mais quand il était réapparu comme par magie, c’était les regards cyclopéens que l’on lui offrait. Elle avait toujours cru en lui, peut-être s’était-elle raccrochée à une obstination stupide. Mnemosyne toujours l’écoute, sourire honnête fleurissant au coin des lèvres ; peu importe combien de temps encore faut-il attendre pour qu’elle ne soit plus loin derrière lui, elle le fera c’est certain.

Parce que même sa main dans la sienne pourrait paraître insuffisant. Aujourd’hui plus que jamais, ce n’est pas d’excuses dont elle a besoin. C’est de se détacher de ces maux (ils ont été fardeaux longtemps) qui ont hanté les tics tacs incessants de l’horloge. Ce temps qu’elle a compté en espérant qu’il vienne finalement se raccrocher à elle - se livrer peut-être, se libérer d’une certaine façon.
Alors, comment a-t’elle compris ? Peut-être qu’elle avait sincèrement espéré. Peut-être qu’elle s’y était raccroché. Comme si c’était la seule chose qu’il lui restait à cet instant. Mais il y avait désespérément autre chose, qui s’était raccroché à son coeur meurtri ; le regard lentement déposé sur lui, qu’elle ne peut s’empêcher ces teintes plus moroses de s’imprégner de ses couleurs.

— Je m’y étais accroché. Désespérément. Qu’elle laisse quelques fragments de rire meubler ses mots suspendus. Je refusais d’y croire tant qu’on ne me donnait pas de raisons d’y croire. Un corps est un corps, une âme est une âme. Tant qu’il ne se tenait pas le derme froid devant elle, tout ça n’était que foutaises. Tout le reste fut si brumeux et déplaisant. La campagne de leur père - parmi cette disparition (mort présumée) soudaine ; elle se souvient que les premières effluves d’une colère noire avaient brûlé en elle, à cette époque. Pour fleurir définitivement aujourd’hui.

— Et tout ce que notre père trouvait à faire… Sourcils froncés quand ses muscles se tendent subitement. C’est qu’elle avait été tellement écoeurée, le sais-tu Clovis ? Que tous ses sentiments acerbes et détestables qui avaient fleuri étaient nés plus en profondeur ce jour-là. Qu’elle aurait préféré le voir périr à ta place - qu’on le présume mort peut-être, elle s’était toujours refusée à l’idée que tu puisses disparaître.
Comme pour remettre ses propres idées en place, son autre main rejoint délicatement le sommet de son crâne ; passe ses phalanges adroitement dans quelques unes de ses mèches d’or. Un geste sororal qu’elle n’a jamais oublié ; elle le sait épuisé. Comme elle l’était fut un temps. Tout était si épuisant et elle n’avait que ce désir de se tenir plus haut encore, sans jamais se suffire, ni suffire à ses propres espoirs.

— Je m’étais forgée en pensant que les personnes fortes n’attendent rien. Qu’elles étaient elles-même forgées par ce genre de tragédie. Elle pensait quand elle était une enfant naïve, que de tels évènements - qu’ils concernent sa famille ou d’autres - la forgeraient. Je déteste avoir tort. Parce que si seulement elle savait à quel point elle s’était trompée.
C’était déroutant, et elle s’était presque détestée elle-même.

— Qu’est-ce qu’il vous reste, quand tout le monde est parti ? Questionnement dont elle n’attend pas de réponse. Elle la connaît déjà ; elle avait été plus qu’amère à prendre en considération, à cette époque. Que vous-même. Mais jamais elle ne lui en avait voulu de l’avoir laissé seule ; elle ne l’était jamais totalement. Il y avait toujours eu une autre présence à ses côtés, mais quel futur pour elle et sa soeur ?
À cette époque, il semblait que tout ait été flou et sinueux.

Mais cette époque était révolue et il était revenu. Changé certes, peut-être distant d’une certaine façon. Mnemosyne n’était plus détourée quand elle percevait les personnes changées par les évènements, ne l’avait pas été elle-même ? Elle se gausserait bien des regards ignominieux qu’on lui donnerait si elle les méritait, elle se gausserait même des dires les plus infâmes. Elle n’avait jamais regretté de croire et elle ne regrettera jamais. La source de précédentes inquiétudes était désormais à ses côtés, peu importe que le futur en soit changé.
Il n’y avait que comme cela que tout était amené à évoluer. Mais pour certaines choses, c’était bien plus compliqué.
Alors quand Clovis réitère et s’enquiert d’un rire plus nerveux qu’autre chose - elle ne peut qu’approuver en sommes. C’était sans doute trop déplacé - peut-être de la malice de ses vipères sans honneur ni respect. Mais pouvait-elle réellement lui en vouloir pour cela ? N’était-elle pas à son tour, prête à user des pires immondices pour arriver à ses fins ?
Répondre à cette interrogation serait lui donner raison, et Mnemosyne préférait laisser cette songe mourir aussitôt qu’elle était née. Elle était persuadée n’avoir à user de rien pour s’élever, c’était ainsi - et lui était comme cela.

— J’imagine qu’on peut dire ça. Et il n’y avait rien de plus vrai ; cela ne l’avait empêchée pourtant d’être si remontée, ce jour-là. Elle ne pouvait pas même s’en excuser. Peut-être qu’elle non plus, n’arrivait pas à pleinement l’apprécier - leur père. La réalité était dure à avaler. Ça n’enlève pas toute la haine que je lui ai portée. Et dont elle ne s’est pas même cachée ; peut-être qu’elle pourrait les regretter dorénavant, son propre reflet lui semblait ainsi bien laid.
Alors peu importe, au final. Mnemosyne elle, l’appréciait réellement et le supporterait toujours. C’était l’essentiel, elle en était persuadée.
Soupir suspendu aux lèvres, il s’efface rapidement à la mention de leur mère, puis d’Evonice. C’était plutôt flatteur et l’espace d’un instant il y flottait un sourire. Sa question s’éclaircit à cette suite et elle tique un instant. Peut-être était-ce inévitable, après tout ? Elle n’a pas hésité avant de laisser passer un petit ricanement nerveux de la barrière de ses lèvres.

— C’est ainsi que les choses doivent se dérouler, n’est-ce-pas ? Elle n’attend encore une fois pas de réponse. Je plaisante. Clovis, je t’ai toujours fait confiance, tu sais. Elle laisse une de ses mains glisser autour de quelques unes de ses mèches dorées, cherchant ses mots ; ils viennent bien plus vite que prévu. Ce n’est pas aujourd’hui que ça changera. En contrepartie, il faut bien que d’autres choses changent. Comme ce manoir, de toute évidence.
Où elle a ri étant enfant, moins en étant adulte - mais où ils ont tous grandi. Accepter que les choses changent ainsi, c’était peut-être accepter d’emporter les bribes de souvenirs malheureux qui l’hantaient depuis les évènements derniers.
Ce qu’elle voulait dire par là, c’était peut-être que du changement fleurirait une renaissance, sans doute.
Mais Clovis, qu’en pensait-il réellement ? Quand ses orbes cherchèrent les siennes, s’était de toute évidence pour lui poser la question.

Elle les avait aimé, Mnemosyne. Elle avait aimé tout ce que les Lestrange représentait, au départ. Comme elle avait aimé être la petite dernière - tout le monde aimerait l’être, non ? Être aimée et choyée, couvertes d’attentions ; mais désormais qu’elle n’était plus cette enfant, alors d’autres sentiments avaient dévasté les précédents.
Comme une rose dont les épines ont couvert la tige, elle était devenue tout aussi détestable qu’il l’avait été. Elle se l’était juré quand il les avait quitté ; elle ne serait pas comme lui, elle serait pire.
Parce qu’il avait suffi de peu pour qu’elle lui voue une haine déplorable ; comment pouvait-elle détester son propre père ? Elle-même n’arrivait pas (plus) couvrir ce questionnement qui ne cessait. Ces agissements envers Clovis lui semblaient suffisant, elle l’avait toujours tant aimé, tant regardé avec ces grands yeux plein d’un amour grandiose, un amour fraternel dont elle ne s’était jamais cachée. Il avait été son modèle, puis elle s’était forgée. Au fond, il avait toujours gardé cette valeur précieuse dans son cœur.
Pourtant il se déforme Clovis, quand son expression radicale change. Quand sa voix lentement se déchire quand les syllabes dansent dans l’air devenu cruellement lourd.

Car depuis son départ, ils n’ont jamais vraiment échangé. Rien de plus que des banalités, le voir si rageusement s’exprimer devient plus surprenant, et son visage retrouve sa peine d'antan un instant. Elle ne comprend pas vraiment Mnemosyne, mais elle ressent ; cette colère grondante qui finit par imploser quand il s’effondre.
Et elle l’écoute, le laisse s’exprimer - paraît-il que c’est plus bénéfique que de tout garder indéfiniment. Et Clovis a bien trop gardé jusqu'à maintenant.

— Clovis. Qu’elle énonce, fermement, distinctement du reste. La voix claire ; Tu n’es plus un enfant. Nous ne sommes plus des enfants. C’est bien moins acide qu’il n’y paraît - elle n’a jamais été douée pour rassurer, encore moins pour se montrer compréhensive, mais pour lui elle le peut, persuadée. C’est tes doutes qui te font échouer, mais qu’est-ce que tu crains Clovis ? Qu’est-ce qui t’effraies à ce point ? Je n’ai pas été la plus brillante non plus, avant d’entrer au Magenmagot. Et il y persiste pourtant tant d’incapables qui s’affirment dans leur médiocrité. Il n’est peut-être pas assez parfait à ses yeux mais ce monde grouille d’incapables.
Aux yeux de Mnemosyne, il était un modèle ; elle l’avait adulé, si fièrement. Mais elle aussi, avait douté de son retour. Elle avait douté et il était revenu.

— Les choses ont changé. Et les choses vont changer. Tu aimerais que rien n’ai jamais changé, n’est-ce pas ? Qu’elle observe cette main qui lui tend, cette chaîne qu’elle a remarqué depuis longtemps maintenant, sans se douter qu’elle était peut-être la raison de toutes ses hésitations, tous ses doutes. Tu n’es pas seul, Clovis. Et tu n’es pas un héros, une fois que tu l’auras compris tu verras, ça t’enlèveras déjà un poids. Elle sourit, plus tendrement cette fois, en contraste avec cette figure déchirée par tant d’émotions qu’elle ne peut pas même déchiffrer tant elles sont mêlées, tétanisées par le désespoir. Le monde ne va pas s’écrouler si tu n’es pas parfait. Et moi, je n’attends pas de toi à ce que tu sois parfait. Car même si elle avait toujours apprécié que tout marche au pas, que tout soit millimétré, elle n’était pas irréaliste non plus, elle avait les pieds sur terre - surtout quand il s’agissait de lui.

Et ses doigts effleurent les chaînes. À l’image qu’elles donnaient ; Mnemosyne songea qu’il semblait bien trop enchaîné à cette idée, à tout ce qu’on attendait de lui. Mais il n’était pas prisonnier, loin de là.
Alors à sa demande, et doucement cette fois elle parcourt les chaînes - pour calmer un orage il faut sans doute s’habituer aux mélodies de la pluie et alors il s’efface délicatement. Comme elle efface cette présence qui lui semble néfaste.
Mais elle gronde tellement à l’intérieur Mnemosyne, gronde de ne pas savoir. Ce que cet objet représente, pour qu’il agisse ainsi.

De quoi s’agit-il, Clovis ? Car ses chaînes, elle s’est efforcée de les observer depuis son retour. Ses orbes glissaient à chaque fois, comme une présence néfaste. Non pas comme lorsqu’elle lorgnait le brillant des bijoux ; plutôt comme elle contemplerait une nuisance.