Tu réajustes le col de ta chemise, jettes un œil nerveux au calendrier accroché sur le mur. La plupart des cases sont barrées de rouge, une croix que tu affectionnes tout particulièrement, le petit rituel salvateur de la fin de la journée. Une journée en plus (en moins). Ton regard dérive, cependant, sur une case cerclée de rouge sur laquelle il y a marqué "H.M" les initiales d'humiliation mensuelle. Elle n'est pas encore barrée, celle-là. Elle le sera bientôt. Après le dîner. Après avoir vu Elyas.
C'est une tradition chez les Delacroix. Enfin, une tradition. Une obligation stupide imposée par ton père et sa lubie de faire (devant les caméras) de votre famille un clan aimant et uni. Un dîner, chaque mois, entre frères. Pour toi l'un des moments les plus longs et gênants de ton emploi du temps. T'avais bien compté sur Elyas pour prétexter une gastro soudaine pour t'esquiver mais non. Tu t'observes dans la glace, renonces à la cravate. C'est que t'as déjà l'impression de te passer une corde au cou, Basile.
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Tu arrives devant le restaurant quelques minutes avant l'heure fatidique. Le même que d'habitude, assez chic pour ne pas faire pingre, assez raisonnable dans ses prix pour rester humble. Tu pousses la porte, on t'accueille avec le même sourire habituel, on t'accompagne à ta table (toujours la même, c'est que c'est un rituel très bien rodé) Elyas est déjà là.
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Elyas, j'espère que tu n'as pas trop attendu ?J'espère que tu t'es fait chier comme un rat mort au moins une demie-heure.Tu t'assois, on te tend une carte que tu prends dans un sourire chaleureux avant de passer ton regard sur le menu que tu connais déjà par cœur.
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Hm... Je vais me laisser tenter par les gnocchis du chef et le pavé de bœuf. Tu veux prendre une bouteille ?Tu te demandes, encore combien de seconde avant que la première pique ne fuse ?