Tu te demandes un peu ce que tu fous là. C'est une journée un peu étrange - l'impression que le temps est irréel. Pourtant au fond de ton estomac, la boule d'angoisse et de stress qui a établi un siège te prouve que le moment présent existe bel et bien. La même question tourne en boucle dans ta tête depuis le dernier message que tu as reçu.

Pourquoi moi ?

Toi qui n'as rien d'intéressant.
Pas de grand talent, pas de grand bon point, pas de grand moyen. Toi qui ne te démarques en rien. Pourtant, petit à petit, les gens semblaient venir en ta direction et entrevoir les crevasses de ta passion avec un certain intérêt. Une curiosité.
Ca t'effrayait.
Tu étais terrifié.

Une des raisons pour lesquelles tu n'en parlais que si peu, c'est que tu avais la trouille. La photographie, c'est si particulier à tes yeux. Si spécial. Sacré, presque. C'est la chose qui, peu importe les mauvais jours, trouvera toujours le moyen d'illuminer ton regard et de faire battre ta poitrine vivement, qui te rendra toujours vivant. Qui saura prendre ta concentration, happer tes pensées, qui saura te faire vibrer. Quelque chose que tu as hérité de ton père. Une passion et une commémoration qui lui est dédiée. Dans le peu de choses que tu peux tenir entre tes mains qui n'ont rien, les clichés sont là. Tu t'y voues corps et âme et en même temps tu te laisses porter. Persuadé que, de toute façon, ça ne te mènera nul part. Après tout, tu l'as lu dans le regard des grands quand tu étais plus jeune - il te faudrait du talent. Tu n'en avais pas. C'était le constat flagrant.

Alors tu avais peur.

Peur qu'on vienne piétiner ce que tu aimes de critiques et de défauts - tu savais ton art imparfait, mais qu'on vienne le rabaisser était autre chose. C'était une partie de ton âme trop sensible pour que tu puisses autoriser quiconque à la piétiner.

C'est pour ça que les réseaux sociaux, c'était risqué. Un pari que tu t'étais lancé durant tes années de lycée. Que tu continuais de tenir. Et ce n'était pas comme si tu étais populaire, mais ça te plaisait. De pouvoir partager ce que tu étais capable de figer dans le temps.
Sans magie.
Sans baguette.
Sans amulette.
Ton propre talent.
Un magicien autrement.

Mais devant la porte, tu hésites.
Tu ne comprenais pas ce que l'on avait pu voir en toi. Toi, tu ne voyais rien. Pas même des défauts - trop insipide. Mais tu es venu. Toi aussi tu es curieux. L'appréhension ne bat pas les questionnements de ton esprit timide.

L'homme devant toi te détaille et tu observes son regard, coincé derrière ses lunettes. Les tiens scintillent toujours de leur or si particulier, alors que tu restes un brin muet. Les adultes sont toujours impressionnants et tu ne sais jamais sur quel pied danser.

Heu, oui. Sol Moriarty. Bonjour.

Tu entres dans le bureau, profitant de la chaleur qui y est présente alors que tu défaits ton écharpe. L'ambiance des locaux comme de leur occupant n'est pas particulièrement chaleureuse, mais ce n'est pas comme si ça t'ébranlait vraiment. Au contraire, même, c'est un sourire - un peu timide, mais solaire - qui vient prendre place sur tes lèvres.

Merci de me recevoir.

Même si, vraiment, qu'est-ce que tu fais là ?
D'ailleurs tu ne sais pas trop où te mettre. Tes mains jouent avec ton écharpe alors que tes pieds gigotent vaguement, ton regard observant la décoration, aussi épurée soit-elle. Ton sourire ne quitte pas tes lèvres. Tu es à peine venu avec une pochette dans ton sac - un portfolio. Des fois que ça soit utile. Bien que ton compte sur les réseaux sociaux fasse office de portfolio, en soi... Tu savais pas vraiment quoi apporter et venir les mains vides ne sonnait pas juste. C'est un peu nerveux que tu finis par avouer;

Honnêtement, c'est la première fois que je me retrouve dans ce genre de situation, j'ai aucune idée de la procédure...

Tu ajoutes, rapidement;

Désolé, surtout si mes manières laissent à désirer...

Parce que derrière tes apparences de petit délinquent, avec tes cicatrices et les quelques pansements sur tes doigts, tu es un bon garçon bien élevé.
A défaut de le porter sur toi, on dirait.

T'es un peu surpris, peut-être, de la douceur dans son geste quand il vient prendre ce qui t'encombre.

Oh ! Merci.

Tu t'occupes de te défaire de tes couches superflues que tu lui tends avec un éclat de reconnaissance dans les yeux. Il fait bon dans le bureau alors que tu frottes tes mains qui se réchauffent. Et, obéissant, tu vas t'asseoir en observant du coin de l'oeil le rituel qui semble prendre place dans les gestes qu'il effectue. C'est fou comme quelqu'un peut avoir presque l'air élégant en faisant tout et n'importe quoi. Tu es nerveux, malgré tout. Tu te rends compte que, déjà, ta jambe tapote le sol d'un rythme vif et régulier et tu tentes de la contrôler.

Il parait que c'est chiant.
Et pas très pro, non plus.

Et c'est anodin mais ça te prend toute la concentration et l'énergie du monde pour ne pas la laisser s'agiter. A la place, tes doigts jouent avec les manches de ton sweatshirt. Pas comme si tu étais habillé très classe. Pas comme si tu avais de quoi t'habiller classe pour commencer, à dire vrai. Pourtant l'ombre du sourire qui pointe le bout de son nez sur le visage de ton interlocuteur te fait redresser la tête.

Malgré toi, un petit rire sort de tes lèvres.
Tu tentes de le contenir, mais tu as le rire facile et toute trace d'humour a tendance à te faire partir. Puis tu te redresses à la main tendue vers toi.

Bien sûr !

Tu sors ton portfolio de ton sac avant de le lui donner, laissant le sac retrouver sa place entre tes jambes. Le léger silence qui suit te rend d'autant plus nerveux alors que tu regardes à droite et à gauche et sans même que tu ne t'en rendes compte, ta jambe a repris son mouvement répétitif. Tu n'as pas du tout l'air de calculer la chose. C'est juste instinctif. Que ça soit les nerfs ou le trop plein d'énergie, il faut que tu bouges un minimum en toutes circonstances.

Les mots qui sortent te surprennent.
Les questions te désarçonnent. Tu le regardes - complètement pris de court. D'ailleurs, instinctivement, ça passe tes lèvres;

Pardon ?

Du talent ?
Du talent.
Allons bon.
C'est sans trop comprendre que tu réponds, pourtant tes joues trahissent le léger embarras qui te prend aux compliments. Pas habitué à la chose et appréciatif de ce genre de paroles dont le monde a été avare à ton égard.

Herm, merci. Et non, j'ai jamais pris de cours. J'ai toujours eu un intérêt pour la chose mais... Je crois que j'ai commencé quand j'avais treize ans ? J'ai récupéré un vieil appareil et j'avais un aîné qui était intéressé dans la chose. C'est parti de là, puis de fil en aiguille j'ai essayé d'en apprendre le plus possible.

Tes connaissances avaient été forgées au travers des essais et des erreurs plutôt que de la théorie méticuleuse. Tu apprenais encore chaque jour, d'ailleurs. C'est pas comme si tu avais pu suivre une formation, alors bon. Ca te fait un peu sourire, aussi, qu'il passe autant de temps à regarder les clichés qui sont exposés à sa vue.
Après tout, ce sont tes préférés.

Et puis une autre question, qui te laisse un peu dérouté. T'y réfléchis avec sérieux, toujours sincère dans les démarches que tu entreprends.

Un café, si ça ne vous gêne pas. Sans lait ni sucre.

Amer.
T'aimes bien l'amer.
Après une courte réflexion, tu finis par répondre.

Je pense que je suis capable de m'entendre avec la majorité des gens ?

Un coup d'oeil aux pansements sur tes mains.
Peut-être pas l'argument le plus convaincant.

Si je ressens pas de réelle hostilité physique ou qu'on s'en prend pas à quelqu'un que j'apprécie... J'ai tendance à laisser passer les remarques. J'aime pas le conflit plus que ça.

Un rire vient ponctuer ta réponse.

On me dit souvent que je suis un peu simplet, en vrai. Ou trop gentil. Je pense juste que j'aime apprécier les gens pour qui ils sont. Tout le monde a ses qualités, une fois qu'on arrive à passer les défauts.

Toujours aussi solaire.
A vouloir trouver le bon chez tout le monde.
Après tout, personne n'est foncièrement mauvais. Et à partir de là, ça veut dire que tout le monde peut-être aimé et apprécié.
Toi, tu en es persuadé.

Vous avez du talent.
Il a beau le répéter, la surprise se lit sur ton visage comme à la première énonciation. Comme s'il parlait une autre langue. Comme si c'était des mots que tu n'avais absolument jamais entendu. C'était le cas, au fond. Et c'était un peu déroutant, comme si maintenant qu'on te donnait ce que tu avais toujours voulu, tu ne savais pas trop quoi en faire. Comme si tu réceptionnais la chose, maladroitement mais précieusement. Tes joues s'empourprent un peu plus alors que tes yeux brillent d'une pureté étonnante.
Touchés.

Vingt-deux ans, et t'as jamais eu personne pour te guider. Jamais personne pour te tirer vers le haut. Jamais qui que ça soit pour réellement te regarder. Et maintenant, y'avait une paire d'yeux braquée sur toi et t'avais l'impression de redevenir un gamin, un peu. Le premier réflexe que ton coeur et ton corps te font ressentir sont les mêmes qu'à l'époque, d'ailleurs - la fuite. La fugue. Mais tu es plus grand, et tu gardes ton cul ancré dans cette chaise. Tu as peur, toujours. Mais t'es plus le petit garçon qui passait par les fenêtres de l'orphelinat pour échapper aux autres. Tu es là pour saisir ta chance, alors tu comptes rester.

Merci.

Tu as du mal à le croire, toujours.
Mais tu te forces à avaler le compliment et à ne pas écouter ton cerveau qui doute. Après tout, c'est son métier, non ? Il sait sûrement mieux que toi de quoi il parle. Ta réponse semble suffisante et tu as du mal à comprendre l'ampleur de la proposition. Ca te paraît tellement irréel. Faut dire que y'a deux heures t'étais en train de livrer des pizzas. Alors te dire que tu vas prendre des célébrités en photo... C'est un monde de différence.

Je comprends, oui. Mieux vaut avoir les nerfs solides.

Tu te demandes si c'est ton cas.
Tu n'es pas vraiment du genre à t'imposer - sauf quand tu veux quelque chose, réellement. Ou quand tu travailles. Tu te souviens des travaux en groupe à Poudlard... Tu n'étais pas un tyran, mais tu voulais les choses faites et bien. Efficacité, optimisation et propreté. Ca aussi, tu ne le portais pas sur toi - ton passé d'élève brillant et modèle. On dirait plutôt que tu t'es barré à l'ASPIC, en toute honnêteté. Et encore.

Et c'est marrant, parce que tu t'attendais à hésiter à sa dernière question. Toi qui es toujours plein de doutes et d'appréhension. Toi qui te dis depuis des mois que tu dois trouver un deuxième travail et jeter ta passion aux oubliettes - que ton caprice d'enfant a assez duré. Mais c'est ta passion qui prend le pas sur tes angoisses alors que ça dévale de tes lèvres.

Je veux en faire mon métier, oui.

Et tu aurais pu dire si c'est une possibilité mais au fond tu braverais monts et mers pour rendre la chose concrète. Ton regard qui jusque là vacillait est posé, ancré dans trop d'années à être le seul à diriger ton navire. S'il y avait une chose qui ne te faisait pas défaut, c'était d'avoir la niaque d'avancer. Tu veux ce que tu veux. Aut inveniam viam aut faciam - je trouverai le chemin, ou je m'en ferai un. Et il le fallait bien, vu que personne n'avait été là pour creuser ta route.
Tu t'étais fait seul maître de ton destin.

Pourtant, malgré la solidité de tes envies, les fondations sont frêles et le doute revient se frayer une place dans tes yeux alors que tu finis à ton tour par questionner.

Vous êtes sûr ? Pas que je doute de votre avis ou de votre travail - loin de moi la pensée. Mais ça me paraît tellement... Improbable.

Cette fois, c'est un brin de fatigue dans tes yeux.
A tout porter tout seul, la charge était devenue lourde. Et ce n'est pas parce que tu étais jeune que tu avais le luxe de l'insouciance et de l'innocence, malgré la pureté de tes sentiments. Non, tu avais les pieds qui se traînaient et l'échine courbée, à défaut d'avoir le dos droit et le regard vif. Tu étais toujours prêt à te battre contre ce que la vie te lançait, mais tu avais déjà trop vu pour ne pas être éreinté et abîmé. La jeunesse n'était au fond qu'une étiquette qui ne disait pas grand chose.

Et puis... Est-ce que je peux vous faire confiance, aussi ?

Car toi non plus, tu ne le connais pas.
C'est ça aussi, la solitude - ça forge la méfiance. Ton regard n'est ni hostile ni prêt à juger, pourtant; sincère. Comme toujours. La question posée au premier degré. Tu attends une réponse et ta confiance en dépendra. Au milieu du noir, tu voulais savoir si la première étoile que tu apercevais était la grande ourse ou une illusion pour t'égarer. Il y avait trop en jeu pour te tromper.

Zadig.
La surprise vient éclairer ton regard - à raison. Si c'était un nom qui t'était à peine familier jusqu'à il y a peu, il avait désormais une nouvelle sonorité à tes oreilles. Celle d'une fête bruyante, de beaucoup d'alcool, d'un peu moins de pizza et d'une danse avec un roi très capricieux qui refusait de te laisser partir de son royaume aux murailles d'ivresse. Alors, oui, tu voyais très bien qui c'était. Tu te doutais, cependant, que ce n'était peut-être pas la meilleure des idées que de communiquer cette information à ce que tu devinais maintenant être son manager. A la place, tu souris.

Comment ne pas voir qui c'est.

Pas vraiment un mensonge, pas vrai ?
Il était populaire, après tout. Et tu le caches, mais tu jubiles à l'intérieur - quand tu l'as rencontré, ton cerveau avait tout de suite sonné l'alerte. D'un point de vue esthétique, c'était un vrai coup de cœur. Et du côté caractère... Pour sûr, il était prononcé. Mais ce n'est pas quelque chose qui te rebutait. Au contraire. Travailler avec lui, hein ? S'il était un quart de comment il se comportait ivre au boulot, tu peux comprendre pourquoi Startford voulait des épaules solides. Soudainement, ça te faisait beaucoup moins peur. Peut-être à tort. Peut-être à raison. Tu verras bien. En tous cas, tu as hâte. Ca promet d'être divertissant, pour sûr.

Puis vient la question de confiance.
Et sa réponse t'apaise un peu - parce que c'est vrai. Et tu détestes les gens qui, dès le départ, essayent de te vendre la leur. A force que l'on tente de te forcer la main, surtout venant de figures d'autorité - toi qui ne les portes déjà pas dans ton coeur pour commencer - tu as du mal à l'accorder à qui de droit. Et qu'il te dise que ce n'est pas une chose qui se forme en un jour, ça te rassure. Tu peux prendre ton temps. On ne cherchera pas à t'acheter pour ça.
Un bon point, à tes yeux.
Tu es gentil, pas aveugle.
Les gens confondent souvent les deux.

Tu t'autorises à enfin commencer ton café, maintenant que tu peux baisser un peu la garde qui s'était automatiquement relevée. Amer à souhait. Ca finit de détendre tes épaules, alors qu'un bref soupir de contentement passe tes lèvres. Puis, tu réalises, haussant un sourcil.

Vous voulez dire... Que vous seriez mon agent ?

Tu n'es pas sûr du terme, toi qui n'y connais rien, mais ça fait tout drôle de penser à la chose. C'était comme si tu... avais une carrière.

Une minute.
Tu allais avoir une carrière ?

Chaque minute qui passe semble être une nouvelle épiphanie alors que ton cerveau a encore du mal à assembler les pièces de la situation dans laquelle tu mets les pieds. Une carrière. Dans la photo. Toi. Eventuellement, ne plus livrer de pizzas. Et vivre de ça.

Non, tu as beau essayer tu n'y arrives pas.
Te projeter dans tout ça.
T'en as envie, hein, bien évidemment.

Mais ça fait tellement longtemps que tu as abandonné tout espoir... Mensonge, d'ailleurs. Tu n'en as jamais eu pour commencer. Tu t'es toujours dit que tu finirais mort et enterré sans personne pour connaître ta passion et ton univers. Alors, une carrière ! Un but à terme ! Tu as l'air un peu déboussolé à l'idée.

Pour être franc, j'en sais rien du tout. Heu, mon but je veux dire.

Tu baisses les yeux sur ta tasse une seconde.

J'veux dire - quand je vais sortir d'ici tout à l'heure, je vais rentrer chez moi et ce soir j'irai livrer des pizzas. J'ai jamais vraiment pensé que ça serait quelque chose qui pourrait arriver du coup... J'ai pas trop pris la peine d'y penser.

Un sourire un peu embarrassé, mêlé à un rire timide. Tu n'as pas honte de ta situation. Pas du tout. Mais c'est vrai que c'était un univers complètement différent et loin de ce genre de choses. Tu admets même;

Et jusqu'à aujourd'hui, surtout ces derniers mois, je m'étais dit qu'il était temps que j'arrête de m'entêter pour rien et que je trouve un deuxième job en laissant tomber la photo pour de bon, alors qu'on me dise que je peux potentiellement en faire quelque chose...

C'était beaucoup à digérer d'un coup.
Une bonne chose, mais beaucoup à digérer. Ca remettait en question toutes les fondations de la vie que tu avais réussi à établir jusqu'ici. A nouveau, tes yeux descendent sur ta tasse pendant que tu sembles réfléchir et peser la chose. Clairement, tu naviguais seul. Et sans repères. A y réfléchir, c'était d'ailleurs assez étonnant que tu aies aussi bien tourné. Malgré tes fréquentations peu recommandables, tu étais le portrait type du jeune en difficulté qui pourrait finir par faire des conneries. Et t'étais clairement sur ce chemin, quand t'étais plus jeune. Mais tu avais eu la chance de rencontrer les bonnes personnes et ça t'avait sauvé. Peut-être que le karma te souriait un peu, enfin. Qu'après tout ce que t'as bouffé, tu pouvais enfin profiter un peu. Au moins un peu. Et puis, si ça n'aboutissait pas... Tu verras. Tu verras le jour où tu t'y retrouveras. C'est plus simple de penser comme ça. Tu remontes les yeux sur l'adulte en face de toi.

C'est d'accord. Je veux bien tenter le coup. Après tout, au fond, j'ai rien à y perdre.

Si ça rate, tu sauras qu'il faut enfin arrêter de persister. Sinon, bah t'auras la chance que t'as toujours attendue. Et tu te fais de l'expérience au passage. C'est tout bénef' pour toi. L'accord passé, tu sembles bien plus léger alors qu'un grand sourire vient étirer tes lèvres et plisser tes yeux qui brillent de manière enfantine.

Hâte de travailler avec vous, monsieur Stratford.

Et t'es tellement doux, en disant ça.
Comme tes photos, tu rayonnes avec sensibilité.
C'est p't'être pour ça que t'es aussi doué, qui sait.

Exigeant et manquant de tact - oh, que c'est dur de retenir un rire. Tu sais. Tu n'as jamais travaillé avec lui, mais tu sais. Pourtant, du peu que tu en as vu, toi aussi tu es convaincu que Zadig est une bonne personne au fond. Tu n'as pas encore tous les éléments pour te faire une opinion réellement affirmée, mais tu veux croire qu'elle ira dans ce sens. Il a l'air aussi égaré que toi - bien que tu ne sois pas une référence. Tu ne penses pas forcément être quelqu'un de bien. Mais tu sais aussi que les personnes égarées ne sont pas toutes mauvaises.
On est tous un peu paumés, quelque part.

Je vous crois.

Stratford serait donc, entre guillemets, ton agent. Wow. Un léger sourire timide se forme sur tes lèvres alors que tes mains s'agitent devant toi, comme pour chasser tout potentiel de contrariété.

C'est déjà plus que suffisant, vraiment. J'en attendais pas tant. Je prendrai ce que vous voulez bien me dédier.

Et pour le reste, tu te débrouilleras.
Tu t'es toujours débrouillé. Tu es indépendant - peut-être un peu trop, même. Un peu trop fonctionnel en tant qu'adulte pour ce qu'on attendrait de ton âge. Mais sûrement qu'au moins ça lui facilitera la tâche. Ou alors il sera bien trop stressé parce que tu te reposeras trop peu sur lui. Qui sait.

Ton coeur s'enfle à ses propos - au prospect d'une vie où, même sans célébrité internationale, tu pourrais partager tes photos et en vivre. Pas en survivre - en vivre. Te présenter sans honte aux autres pour dire oui, je suis photographe. Sans te cacher derrière un pseudonyme et une photo de profil anonyme. Juste en étant toi.

J'y penserai.

De toute façon, tu ne sauterais jamais la chose sans prévenir ton employeur actuel. Il a été formidable avec toi. Livreur de pizza n'est pas le travail le plus agréable à tes yeux, mais tu étais chanceux de travailler dans une boîte sympa avec des collègues qui t'aiment bien et un patron chaleureux et à l'écoute de tes besoins. Hors de question de leur faire faux-bond soudainement. Non, tu feras les choses bien.

Puis encore une fois la chose se concrétise un peu plus alors que des feuilles se présentent à toi. Un contrat. Putain, ça fait vraiment tout drôle hein. Ta jambe continue de s'agiter alors que tu joins tes mains sur tes genoux.

Et puis il te perd un peu.

Tu le regardes, attentif à tout ce qu'il peut dire sans même avoir le temps de réellement répondre à la question qui lui est posée. Pardon. qu'il dit. Et tu clignes des yeux avant de souffler un rire qui finit par sortir de tes lèvres pour de bon.

C'est pas grave - vraiment. Mais oui, c'était un peu vite.

Déjà que t'as pas l'habitude.
Tu tentes de retracer la conversation comme tu peux, comptant les points évoqués sur tes doigts comme un enfant pour être sûr que tout soit clair.

Alors heu, close de silence, payé à la séance, quatre sessions par mois pour witchagram... J'ai pas de passeport, non, il faudra que j'en fasse faire un.

T'étais quasiment jamais sorti de Londres, alors du pays !

La première séance est un essai, on peut rompre le contrat si ça va pas ou si ça me convient plus, plus de popularité égal salaire plus élevé...

Tu fronces les sourcils.

J'ai oublié quelque chose ?

T'es pas tout à fait sûr. En tous cas, tu baisses tes doigts avec un sourire.

Ca me semble correct sinon. Ca me va.

Tu réfléchis une seconde à s'il y a quelque chose que toi tu devrais dire pendant quelques secondes.

Ah !

Tes yeux s'illuminent alors que tu redresses ton visage vers ton agent. Brr. Ca fait vraiment bizarre de penser ça, hein.

Bon ça concerne pas vraiment le contrat, mais je préfère dire ça clairement avant qu'on engage quoi que ce soit mais heu, je peux pas faire de magie. J'suis cracmol.

Clairement, tu n'en avais pas honte.
Tu le disais avec la plus grande honnêteté. Tu penches vaguement la tête sur le côté.

Moi j'm'en fiche, mais si jamais vous voulez que je me balade avec des amulettes particulières par exemple faudrait me le dire. Et puis si ça vous dérange...

Tu ne finis pas ta phrase, mais ton visage semble parler pour toi - bah c'est votre problème. Ca fait longtemps que c'est plus le tient.

Ce n'est pas la réaction que tu attendais.
Tu as l'habitude d'avouer aux gens que tu es un cracmol, ça finit inévitablement par tomber dans la conversation au bout d'un moment. La magie est une chose tellement inhérente au monde sorcier, qu'une fois qu'on en est démuni c'est comme si on ne savait pas respirer. Qu'on ne devrait pas être capable d'exister. Et c'est souvent ce que tu lis dans le regard des gens à qui tu en parles - la surprise qui se dessine dans leurs yeux, comme si le simple fait d'être encore en vie à ton âge soit miraculeux.
Ca l'était.

Mais pas pour les raisons auxquelles ils pensaient.
Et pour sûr, jamais tu n'avais eu quelqu'un te disant qu'au besoin l'on te protégerait. Tu t'attendais à ce que l'on te tape sur les doigts, au mieux, te jugeant pour ne pas t'équiper d'amulettes comme le bon sens le devrait. Au pire au dégoût et à la vanité. Ce qui n'était pas aussi rare qu'on pouvait le penser. Tu te souviens de cette fois où un client avait appris ta nature et depuis il refusait que tu sois celui qui le livre. C'est bête, pourtant. C'est pas comme si tu allais le transformer en cracmol en touchant son carton de bouffe - le principe, c'est que le gêne magique n'est pas là. C'est pas un virus qui va se propager. Mais si la connerie humaine avait du sens, le monde ne serait pas ce qu'il est.

Alors tu as l'air un peu surpris.
Un peu pris de court.

Oh. Heu. Merci, c'est... Sympa.

Tu supposes.
Pour le coup t'es pas trop sûr.
Mais bon, tu préfères ça à ce qu'il déchire le contrat on va pas se mentir. Un né-moldu. Ah, ça explique un peu la chose. Pas que le monde soit aussi parfaitement acceptant à leur égard. Avant que les cracmols ne soient une chose aussi médiatisée, c'était eux les martyrs de la société. Chaque décennie son fléau. Tu esquisses un sourire sans jugement. Tu ne connais pas si bien que ça le monde moldu, tu y es depuis peu - mais toi aussi tu l'aimes. C'est différent, mais c'est génial.

Moi aussi.

Sincère, comme toujours.
Tu attrapes le contrat que tu feuillètes vaguement des yeux et des doigts, bien que tu réserveras la lecture à ton canapé avec tes lunettes sur le nez parce que rien que de tenter de lire tu plisses légèrement les yeux pour te concentrer. Tu finis par le mettre soigneusement à l'intérieur de ton portfolio que tu ranges dans ton sac pour ne pas le retrouver froissé et indéchiffrable une fois chez toi.

Non, je pense que je vous ai posé toutes les questions que j'avais en tête. Et puis, si j'en ai qui arrivent en lisant le contrat je sais comment vous contacter de toute façon.

Pas la peine de le déranger plus que ça.
Tu n'es pas un génie mais tu penses deviner qu'il est le genre d'homme avec un emploi du temps de ministre et tu ne voudrais pas le retarder ou alourdir sa charge de travail. Tu te lèves donc, allant chercher tes vêtements. Tu lui offres une poignée de main, malgré tout. Un minimum de politesse.

Merci pour tout, monsieur Stratford. Et à bientôt. Bonne soirée à vous !

Et tu passes le seuil du bureau.
Aussi facilement que ça ! Dans la rue, tu jettes un coup d'oeil au bureau. Tu as un peu l'impression de sortir d'un fever dream tant la chose te paraît irréelle. Et quand, doucement, elle coule dans ta tête, tu ne peux retenir le sourire qui vient illuminer ton visage et c'est avec un saut dans tes pas que tu te diriges chez toi, histoire de te préparer au travail qui t'attend pour la nuit.

On dirait que le vent finit par tourner !
Et tu veux croire que c'est le début, seulement.