De toute l’Angleterre, les garden parties - ou wood parties comme ils aiment les appeler -  de la famille Greengrass sont les plus reconnues ; riches en verdure (évidemment), en musique d’ambiance, en divertissements magiques et en nourriture succulente. Pour les plus aguerris, cependant, il est aussi de notoriété que n’est pas invité n’importe qui à ces petites sauteries. Prestige ou discussion privée, il y a toujours une raison à la présence de chaque individu qui pénètre les limites du domaine des Greengrass.

La musique retentit, magiquement diffusée aux quatre coins de la zone de réception qui se situe à l’extérieur, non loin de la célèbre verrière du château qui abrite la bibliothèque de la famille. Un beau buffet dans les tons blanc, bleu et or a été dressé, ainsi que plusieurs tables dont le fer forgé est décoré de délicates plantes et fleurs grimpantes. Régulièrement, les plateaux d’argent sont réapprovisionnés par les elfes de maison qui se trouvent en cuisine, tandis que quelques-uns passent entre les invités pour proposer divers rafraîchissements - alcoolisés ou non.

De ces rassemblements, Cassandre est une habituée. Vêtue d’une lourde robe verte aux détails brodés d’or qui rehaussent son regard très peu maquillé, ses longs cheveux tenus par sa baguette en un chignon semi-formel, elle fait poliment la conversation à leurs invités. Ils ne sont pas nombreux, quelques membres éloignés de la famille, des hauts-placés de certaines entreprises dont les Greengrass sont actionnaires ; une occasion commune de perpétuer les relations.

Elle est en pleine anecdote à propos du Brésil à un membre de sa famille lorsqu’elle aperçoit au loin deux silhouettes qui s’approchent, une grande et une bien plus petite qu’elle reconnaît comme un elfe. Léger froncement de sourcils, persuadée que tous les invités sont arrivés, elle pose une main sur le bras de son interlocuteur.

- Veux-tu bien m’excuser ?  

Rapidement aux côtés de son père, elle cligne des yeux en voyant se préciser ton visage.

- Jasper Fawley ?  

Murmure à l’intention de son père.

- Que fait-il ici ?  

Les Fawley ne font plus partie de votre monde, c’est ce qu’on lui rabâche depuis des semaines. Pour autant, Cassandre n’est pas de ceux à avoir publiquement descendu ta famille. Son père, si.

- Je l’ai invité. Fais-nous honneur.

Elle ne prend même plus garde à la demande, tellement habituée que c’est comme si elle ne l’entendait plus. Tu t’avances, Jasper, accompagné de Woody l’un de leurs elfes de maison venu te chercher à l’entrée du domaine, et Caldwell Greengrass vient à ta rencontre. Un peu paternaliste, une de ses mains se pose sur ton épaule.

- Jasper Fawley, quel plaisir de te voir ici. Formule de politesse. J’espère que la route fut bonne ? Je t’en prie, viens, mets-toi à l’aise.

Il t’ouvre le bras en direction de la réception et, juste derrière lui, de Cassandre.

- Je pense que tu te souviens de ma fille, Cassandre ?

Elle lève les yeux au ciel aux mots de son père, te sourit en s’avançant de quelques pas.

- Bien sûr qu’il se souvient, Père, nous nous côtoyons depuis l’enfance.

Elle rit doucement.

- Comment vas-tu, Jasper ?

Pourquoi es-tu là ?

@A. Jasper Fawley | Décembre 2031

Plusieurs regards se sont tournés vers toi, certains surpris, d’autres plus énigmatiques. Au beau milieu des quelques messes basses, Cassandre a la désagréable sensation d’être le dindon de la farce. Elle déteste ça, quand son père lui cache visiblement des choses. Pourquoi ne pas l’avoir prévenue de ton arrivée ? Mais surtout, pourquoi vouloir officiellement montrer au monde que les Greengrass acceptent un supposé rebut dans leur domaine ? Non, ça ne lui ressemble pas. Pourtant elle sourit, parce que quelque part, elle est véritablement ravie de te revoir.

Caldwell t’observe quant à lui, jauge de la force de ta poignée de main, de ta façon de te vêtir. Tu tiens aux apparences, Jasper, il l’a parfaitement bien deviné. Mais à quoi cherches-tu à t’accrocher ? L’illusion que ta place est toujours parmi eux ? Il pourrait en rire, son sourire est aussi calculé que le tien.

Tu parles d’honneur, il balaie tes mots d’un geste de la main.

- Voyons, voyons, je t’en prie.  

Au jeu de celui qui fait le mieux le semblant, c’est peine à dire qui est le meilleur. Car s’il parvient à te répondre chaleureusement, il n’en déteste pas moins la familiarité avec laquelle tu t’adresses à lui. Automatiquement, son bras s’ouvre pour te présenter Cassandre qui te laisse sa main avec un regard complice.

- Une éternité. Je déplore que nous devenions des étrangers, Jasper.

Comme elles peuvent sonner creuses, ces conversations guindées entre sorciers de haut rang. Pourtant, au-delà des banalités suintantes de politesses ne se trouve que la vérité. Elle t’apprécie, tu sais ? Du moins, autant qu’elle te connaît. Et n’y a-t-il pas une certaine forme de soutien à annoncer être prête à renouer des liens ?

A ton compliment sur la fête, le patriarche se redresse encore plus si c’est possible. Sourire fier, il sait que les Greengrass ont tout à envier : leurs terres, leur magie, leur rang, tout. Et quand tu demandes à demi-mots la raison de ta présence, il se permet un léger rire que Cassandre observe du coin de l’œil. Elle connaît son père, et si ce hibou n’était jamais arrivé chez toi, il en aurait sûrement envoyé dix autres pour s’assurer de ta présence. Avec un sourire léger pour l’elfe de maison, elle prend une coupe de champagne sur le même plateau que toi.

- Vois-tu, Jasper, cela fait des semaines désormais que ta famille est conspuée. Par lui le premier. J’aimerais grandement écouter ta version des faits.

Doux rictus. D’un geste du bras, il t’enjoint à rejoindre une table libre, basse, autour de laquelle se trouvent quatre fauteuils confortables. Ce qu’il t’offre, Jasper, c’est une possibilité que tu ne peux pas refuser. Tenter de crédibiliser ta famille, marteler ta différence avec ton père. Ce qu’il souhaite, c’est te voir patauger à tenter de sortir ton épingle du jeu et lui prouver que tu as encore tout à faire parmi eux. Aimable dans son sourire quand il s’assoit, il regarde sa fille.

- Assieds-toi avec nous, Cassandre. Tu es tout à tes droits d’écouter également.

Car si elle est loin d’être celle qui héritera du pouvoir dans cette famille, Cassandre est la seule des enfants Greengrass vivant encore au château, et donc l’une des meilleures conseillères de son père. Elle vous observe, l’un puis l’autre. De ces jeux de pouvoir, elle est loin d’être étrangère. Et si elle te porte ce que l’on pourrait considérer comme de l’affection, Jasper, elle a pour son père un profond respect.

- Bien sûr, laissez-moi simplement ramener de quoi nous sustenter. Il n’y a pas d’éloquentes paroles avec un estomac vide.

Sous le regard fier et couvant de son père, elle s’éloigne jusqu’au buffet pour prendre une assiette qu’elle remplit de divers mets. Petits fours délicats, tartinades, caviar. C’est toujours avec un franc sourire qu’elle revient à vous, dépose l’assiette sur la table avant de s’asseoir.

@A. Jasper Fawley | Décembre 2031

Les jeux ont commencé, les fauves sont déjà dans l’arène. Vous vous observez, tous les deux, de cette façon qu’ont les rois de jauger leurs adversaires. Fiers, certains d’avoir dans vos manches les cartes pour faire ployer. Elle vous regarde Cassandre, ne laisse échapper de ses lèvres que le sourire de ceux qui ont encore espoir que la bataille ne se déclenchera pas. Pourtant quand tu parles, Jasper, il est évident que tu souhaites dire à tous combien tu es aux faits de ce qu’a fait son père.

Critiquer. Salir. Repousser. Caldwell Greengrass n’est pas le seul à vous avoir discrédité, vous les Fawley, mais il est bien clair qu’il y a contribué. Tes mots sont doux et tout à la fois durs, le visage du patriarche se referme perceptiblement.

- J’ai bien peur que tu ne possèdes aucune autorité à me condamner pour la liberté prise d’exprimer mes opinions.

Il te sourit, laisse à sa fille le soin de s’emparer d’une théière pour vous servir. Et tandis que la fumée s’élève en douces volutes, elle a son regard franc planté sur toi. C’est toujours ainsi qu’elle fait ; les yeux sont le miroir de l’âme, elle en est persuadée. Peux-tu y lire qu’elle ne te condamne pas ? Qu’elle n’attend pour forger son réel avis que tes mots pour expliquer. Elle, futur des Greengrass, l’une de celleux que tu seras forcément amené à côtoyer si tu veux rester dans vos cercles.
N’est-ce pas elle plutôt que son père que tu devrais persuader ?

Ses doigts se referment autour de sa tasse, s’imprègnent de la chaleur qui réchauffe en ces journées d’hiver. Quant à Caldwell, ton sang-froid lui tire un souffle du nez.

- On ne peut nier que tu aies hérité la franchise de ton père.

Rien qu’à ta façon de parler et de te présenter. Son rictus s’élargit, attend ta réaction à ce comparatif savamment permis. Il prend le temps de boire une gorgée de son thé, de sourire à sa fille avant que son attention ne revienne à toi.

- Peut-être est-ce une indiscrétion, j’ose néanmoins. Evidemment. Comment as-tu eu connaissance des attentats, Jasper ? Et comment as-tu perçu ton père à la suite de cela ?

Ce rat, que susurrent ses pensées à propos d’un ennemi depuis tant d’années.

- N’as-tu jamais regretté de tourner si vite le dos à ton sang, ta famille ?
- Père.

Ses sourcils froncés, remettent silencieusement à l’ordre les questions mal placées d’un homme rongé par la rancune. L’envie de te voir tomber. Elle le sent, Cassandre, ce piège bien déguisé qu’a installé son père autour de toi. Elle sait qu’il est là, mais en déterminer les contours elle ne pourrait pas.

- Peut-être y a-t-il des tensions chez les Fawley dont personne n’était au courant.

Car si les Greengrass sont connus pour être particulièrement soudés, ce n’est pas le cas de toutes les autres familles de sang-pur. Elle te regarde, hausse les sourcils en t’invitant à parler. Si tu veux faire bonne impression, Jasper, c’est maintenant.

Choisis tes mots avec prudence.

@A. Jasper Fawley | Décembre 2031

Tu l’agaces, Jasper, est-ce que tu le sais ? Car tu es déchu, tu es censé ramper, chercher à tout prix sa bonté et sa charité. Pourtant tu te présentes chez lui, fier, souriant, apprêté. Oui, tu l’agaces, et ce même quand tu partages distinctement l’avis de Caldwell Greengrass. Ton père n’était pas franc, c’était un scélérat. Un menteur, un voleur, un habile maître des mots. Et il le sait, Caldwell, que quelque part… Tu es beaucoup plus similaire à ton père que tu ne souhaites le prétendre.

Méprisable.
Détestable.
Il souffle du nez, partagé entre l’envie de t’appuyer et sa réticence à te voir ainsi traiter ta famille. Ton sang. Bref regard en direction de Cassandre quand elle le reprend, ersatz d’un sourire. Elle ne sait rien, personne ne sait au sein de sa femme et ses enfants. Juste lui.

- Je ne me ferais pas l’offense de te contredire.

Tu décris les questions de son père comme légitimes, et même si elle n’est pas tout à fait d’accord, Cassandre t’observe, sourit. Quand as-tu appris, Jasper ? Quand as-tu quitté la peau du jeune homme insouciant pour devenir patriarche ? Elle te regarde et tu sais, quelque part, elle ne peut pas s’empêcher de t’envier. Discrètement, rapidement, ses yeux se posent sur la chevalière au doigt de son père. Celle qu'elle ne pourra jamais porter.

Commence alors ton récit. Celui d’un fils qui n’a rien vu venir, d’une victime de supercherie. Mais n’est-il pas aisé de moduler la vérité lorsque les témoins sont derrière les barreaux, à la merci des détraqueurs et de leur baiser ? Les Greengrass t’écoutent, leurs tasses entre les mains. Autour de vous, quelques oreilles discrètes se sont tendues, les conversations se tiennent à voix plus ténue.

Quand tu parles d’avoir éradiqué Phileas de ta famille, le sourcil de Caldwell se dresse.

- Loin m’est envie de trouver des excuses à ton père… mais as-tu au moins tenté d’enquêter ? Sourire en coin. Ou as-tu trouvé bien commode de laisser les aurors faire et d’acquiescer leur jugement ?

Voyant que Cassandre s’apprête à le reprendre, lève donc la main avant que ne soit prononcé le moindre mot de réprimande.

- Je retire ma question, veux-tu bien m’excuser.

Car ta réponse ne l’intéresse pas, simplement te faire douter. Après tout, lui-même s’est allègrement contenté du verdict pour vous dénigrer. Mais et si, finalement, tu avais condamné injustement ton père ? Et s’il n’était pas celui dont les autorités t’ont persuadé ? Perfide vipère, il sourit en prenant une gorgée de son thé, couve sa fille d’un regard. Il ne peut pas s’en empêcher.

- Je me disais simplement que si j’avais été victime, imaginons, d’un complot… J’aurais aimé que mes enfants me laissent une chance avant de me faire disparaître de notre lignée. C’est tout.

C’est tout. Son regard à nouveau planté sur toi, la tête légèrement penchée. Tout autour de vous, les conversations reprennent, Cassandre pousse un léger soupir. Si elle ne sait pas exactement ce que manigance son père, elle n’en apprécie pas pour autant le ton que prend cette conversation. Trop d’hypocrisie, un trait chez les sang-purs qu’elle se complaît à ne pas suivre.

- Il n’y a pas toujours une seule bonne façon d’agir. Elle vous regarde, l’un, puis l’autre. Qui peut se vanter de faire systématiquement les bons choix ? Qui peut se vanter d’avoir toujours raison ? Tout le monde cherche à faire de son mieux, Jasper comme les autres, Père.

Elle dépose sa tasse, plante son regard sur toi. Il semble si sérieux, l’espace d’un instant, mais rapidement ses traits se détendent. Doux.

- N’est-ce pas ?

Qu’aurait-elle fait, à ta place ? Elle ne le sait pas. Probablement aurait-elle enquêté, probablement aurait-elle voulu trouver une excuse à son père par tous les moyens. Mais Cassandre n’est pas toi, Jasper, et vos vies sont totalement différentes. Elle est suffisamment intelligente pour le prendre en considération, ne pas juger ce dont elle n’a pas idée.

- Bien sûr, bien sûr.

Il sourit, Caldwell, se redresse dans son fauteuil pour ne rien perdre de sa superbe.

- Et en tant que patriarche, Jasper. Que vois-tu pour le futur de ta famille ?

Le regard clair et perçant. Il sait exactement où il souhaite aller, et il ne perd pas de mémoire ce qu’il a lu de ton interview avec la Gazette du sorcier.

@A. Jasper Fawley | Décembre 2031

Il y a du bon sens dans tes paroles, Jasper, mais à quel point es-tu persuadé par tes propres mots ? Crois-tu vraiment que, s’il y a eu un complot, ton père se trouve serein dans une cellule en se rassurant que tu aies fait le bon choix pour votre famille ? Non. Il hurle certainement au désespoir. Il pleure ton manque d’amour, ton aveuglement face à la colère. Peut-on pardonner dans une situation pareille ? Peut-on dire « tant pis, c’était pour le grand bien » quand on parle d’années gâchées à pourrir à la merci des détraqueurs ? Non, Caldwell en est persuadé. Tout ce que tu fais, c’est te trouver des excuses, des mots pour essayer de mieux dormir la nuit.

- Des questions sans réponses, je vois.

Léger rire qu’il se retient à gorge déployée, bien plus impactant en se contentant de souffler du nez. Tu le dis à voix haute, sans aucune forme de honte ou de pitié : cette affaire, tu ne veux plus en entendre parler. Vraie ou pas, ne compte plus à tes yeux que la réputation de ta famille. Mais vaut-elle le coup, si ne lui survit qu’une partie de ce qu’elle est ? La question reste en suspens, il sourit en te voyant regarder Cassandre. Pour elle la question ne se pose simplement pas. En veut-on à l’animal qui chasse de sa meute celui qui met les autres en danger ? Non. Elle t’observe, baisse les yeux sur la bague que tu fais tourner. Celle qui te légitime comme le chef de famille.

Je souhaite un futur apaisé.
Un sourire à ses lèvres qui cherchent la chaleur de son thé. Comment t’en vouloir d’une réponse si pleine de banalité ? Tu as vécu l’enfer, ces derniers mois, pas la peine de t’être proche pour le deviner.

- Je te le souhaite également. Le bonheur.

Son regard qui croise celui de son père, apaise ses paroles acerbes d’un mouvement de sourcils. Et tandis qu’elle l’observe, cet homme qui l’a élevée, elle se demande ce qu’il ferait s’il savait. S’il savait que sa fille, qu’il a l’air de trouver si parfaite, avait péché comme il l’aurait proscrit. S’il savait qu’elle avait aimé une femme. S’il savait qu’elle aimerait porter sa chevalière, qu’elle voudrait réécrire le passé, être proche de son frère, l’empêcher, lui, de le maltraiter comme il l’a fait. Car elle n’est pas dupe, Cassandre. D’autant que son père est aimant, elle sait qu’il a été pour Nathaniel comme le Phileas des Fawley.

- Tu veux prendre soin de ceux que tu aimes, j’imagine que c’est une qualité à t’octroyer.  

Il semble sceptique, peut-être, quand en réalité tout est calculé. La vengeance est un plat qui se mange froid, Caldwell ne l’a jamais oublié. Et s’ils sont aujourd’hui déchus – à juste titre, certainement – les Fawley restent une famille avec de l’attrait ; autant personnel que pécunier. Oui, les choses semblent aller dans le bon sens.

- Ne reste qu’à trouver pour passer ton nom qu’une sang-pur qui veuille bien accepter de t’épouser. A moins que tu ne cherches en dehors de ton rang, ce qui est, j’imagine… Il grimace un peu. Très bien aussi.  

Un rire, coupé court lorsque sa fille se lève sur ses deux pieds, lisse sa robe d’un geste distrait des deux mains.

- Je pense qu’il en est assez de cette conversation déprimante, non ? Jasper est ici, Père, et tentons de ne pas l’acculer par une si belle journée.

Un sourire, tandis qu’elle dépose sur le plateau vide d’un elfe de maison les tasses de thé terminé. Puis elle se tourne vers toi, avenante.

- Il ne me semble pas que tu sois déjà venu ici, Jasper. Que dirais-tu de faire un tour de la propriété ?

Pour souffler.
Parler.
Crier.
Partir.

Comme tu le souhaites.

@A. Jasper Fawley | Décembre 2031

Surpris, Caldwell, il observe sa fille se lever, couper court à la nouvelle conversation tout juste commencée. Mais ce n’est pas un problème, au fond, car au moment où tu saisis l’opportunité de passer un temps avec elle, il a comme le sentiment d’avoir gagné. Gonflé d’orgueil quand il vous regarde, hoche la tête comme s’il tenait entre ses mains votre droit à quitter cette table.

Et quand elle te voit sauter sur l’occasion, Cassandre se sent presque mal, Jasper. A quel point te sentais-tu acculé pour que soudainement tu donnes tant l’impression de respirer ? Elle glisse son bras au creux du tien, sourit à son père qui se contente de murmurer :

- Nous la poursuivrons, oui.

Puis vous vous éloignez.

Le pas est mesuré, comme le veut la bienséance, et les regards vous suivent, les chuchotis aussi. Le domaine est immense, vous parvenez rapidement à un charmant bosquet de fleurs résistantes à l’hiver. A tes mots, son rire, clair et cristallin, ne peut que s’échapper. Les yeux brillants de malice qu’elle se force à porter sur les fleurs plutôt que sur toi.

- J’ai des années d’expérience derrière moi. Tout est dans le ton de la voix.

Elle s’accroupit, au diable le bas de sa robe qu’elle salit, et tend les doigts pour approcher une fleur de ses narines. Quand tu parles, ses yeux se glissent doucement vers toi. Le mariage, voilà un détail à côté duquel elle ne peut pas passer, elle le sait. Un détail qui a déjà valu des tensions par le passé, un détail qui l’a exilée en Amérique du Sud quand sa mère a cru la voir bafouer un avenir tout tracé. Elle prend le temps d’y réfléchir, Cassandre, son sourire devenu énigmatique au moment de se redresser.

- Je n’ai, selon toi, pas l’étoffe d’un chevalier ?

Elle se désigne dans sa robe au corset serré, ses cheveux retenus en chignon, avant d’émettre un doux rire. Ses yeux se perdent un instant aux bosquets de fleurs qui mènent jusqu’à la forêt, sa forêt, puis elle glisse à nouveau son bras au tien pour vous éloigner encore.

- Je n’ai pas le mariage en horreur, je sais que j’ai le devoir d’y passer.

Quelle fatalité.

- Ce que je ne supporte pas, c’est…

Elle marque une pause, prend le temps de t’observer en pinçant légèrement les lèvres. Vous ne vous connaissez pas plus que ça, finalement, pas vrai ? Non. Ses traits se détendent, vous vous approchez d’un bosquet similaire au précédent.

- Ces fleurs viennent du Brésil. Elle te désigne un arbuste de pétales colorés aux arabesques foncées. Je les ai ramenées de mon séjour à Castelobruxo. Cela fait cinq ans que nous travaillons à les rendre aptes à survivre au climat de l’Angleterre, aux contraintes, aux obligations… C’est plutôt réussi, n’est-ce pas ?

Des fleurs venues d’ailleurs, renforcées pour survivre à l’adversité. Elle y voit un joli comparatif, une belle histoire, comme celle de sang-purs qui ne se sentent pas à leur place et qui pourtant grandissent de façon à survivre dans un monde qui ne leur est pas adapté.

Elle se tourne à toi, fait mine à force de grands gestes de continuer à te parler des fleurs, des arbres, de la beauté de son domaine.

- Parfois, les plus belles fleurs sont celles qui parviennent à pousser loin de leurs racines. Elle sourit. Pourquoi as-tu accepté l’invitation de mon père, Jasper ? J’ai un doute sur ton plaisir à converser avec lui, tu devais te douter que les choses n'iraient pas dans ton sens.

Et elle ne t’en condamne pas.
Elle comprend.

@A. Jasper Fawley | Décembre 2031

Ta façon de lui répondre et de mettre en scène votre discussion la fait doucement rire. C’est toujours ainsi qu’elle t’a remarqué, d’un bout à l’autre des soirées. Jasper, homme qui se tient droit aux côtés de son père mais qui, dès son dos tourné, sait se faire remarquer de son charisme et sa théâtralité. Il n’en faut pas moins, dans votre monde. Elle te fait un simple signe de la main – tu es pardonné – et vous pouvez reprendre votre route au travers des bosquets.

A ton étonnant comparatif sur le mariage, son sourcil se dresse, sa main libre masque à peine ses lèvres hilares. Pas besoin de te questionner plus en aval pour connaître ton avis sur la question, pourtant, Cassandre sait que pour t’aligner tu te devras toi aussi « d’y passer ». C’est ainsi que les choses fonctionnent.

- Reste à trouver le dentiste le moins désagréable à voir possible.

Que diraient ses parents, à l’entendre parler ainsi ?

Alors elle glisse sur le sujet des fleurs, te fait savoir à demi-mots comme elle ne renie pas ta position, comme elle la comprend, aussi. Curieuse de savoir pourquoi accepter une telle invitation, elle écoute ta réponse avec attention, ses yeux plantés sur toi. On ne peut nier que tu y as réfléchi, ça la fait sourire.

- Un adversaire, des vainqueurs, des vaincus… C’est à se demander si l’on parle encore de notre société ou d’une guerre civile.

Un détail qu’elle a toujours eu du mal à comprendre. Ces rivalités pour être au sommet, alors qu’il serait si simple d’y partager la place. Chacun ses domaines, chacun ses dossiers.

Ses yeux verts te suivent quand tu vas pour apprécier les fleurs, sa tête délicatement penchée de côté. Elle aime te voir les admirer, fière de ce jardin, fière de tout ce qui vous entoure. Alors quand ta question tombe, ses lippes s’étirent ; malicieuse. Pourtant, quelque part… oui, comme une note d’amertume si lointaine qu’elle en est presque imperceptible.

- Certaines fleurs sont particulièrement difficile à adapter. Doux rire. J’adore ma famille, et plus que tout, j’adore Sherwood.

Ses bras s’écartent, comme pour te désigner l’ensemble du domaine et de la forêt.

- J’ai grandi ici, il n’y a nulle part où je me sente plus à l’aise. A vrai dire…

Elle pince les lèvres, hésite sincèrement à continuer. Mais la franchise l’emporte.

- Si j’avais la possibilité de rester, de perpétuer nos traditions ici, dans notre forêt… je le ferais. Sans hésiter.

Ses épaules doucement haussées, son regard qui se fait lointain en direction des arbres. Plus loin, au cœur d’une clairière, se trouve le Major Oak. Symbole de la sagesse impregnée des années aux branches qui ne fanent jamais.

- J’espère trouver un mari compréhensif.

Compréhensif, oui, ou à défaut, un mari auquel elle puisse s'attacher. Qu'elle puisse tenter d'aimer, en espérant que son cœur ne soit pas pris avant. D’un léger geste de la main, elle t’invite à poursuivre votre détour en direction de cette même forêt qu’elle chérit.

- Que vois-tu, de l’avenir de ta famille ? Elle sait très bien que son père a posé une question similaire. Qu’en vois-tu vraiment, je veux dire.

Pas la peine d’arrondir les angles pour faire genre, bien qu’elle ne sache pas si tu oseras être franc. Suffisamment éloignés de la petite sauterie, elle monte une main pour retirer sa baguette qui tenait ses cheveux en chignon.

- Ne vas-tu pas partir au front pour récupérer tes titres de noblesses là où ils ont été jetés ? J’en serais étonnée.

@A. Jasper Fawley | Décembre 2031

La société, votre société, est sans pitié, c’est vrai. Mais n’êtes-vous pas les acteurs de demain ? N’êtes-vous pas ceux qui, justement, ont le devoir de changer ce que les ancêtres ont fait, d’adapter votre monde à vous, vos pensées. Elle aime ses traditions, Cassandre, mais elle n’est pas stupide au point de penser que rien ne peut évoluer.

Sa main glisse, s’empare de ton bras que tu lui tends. Elles sont belles, tes paroles. Douces. Mais elles sont naïves, aussi, car elles reflètent finalement toute la méconnaissance que tu as de son genre de vie. Celle d’une femme, au beau milieu de votre guerre de hiérarchie.

- Laisse-moi répondre à ta question par une autre, Jasper.

Et c’est sans aucune animosité qu’elle continue :

- Tu es le chef de ta famille, la relève est assurée. Comptes-tu laisser ta sœur s’en aller jouir de sa liberté si elle le souhaite ? Vas-tu la laisser épouser un homme, sang pur, sang-mêlé ou même cracmol, sans rien avoir à y ajouter ?

Non, car ton nom qu’elle ne portera plus, elle l’aura pourtant sur les épaules toute sa vie. Elle sourit, tendre. Il est si simple d’oublier que les femmes ne sont pas seulement belles, heureuses d’épouser un homme et de vivre confortablement. Non, Jasper, parfois les femmes aussi aimeraient hausser la voix, montrer qu’elles peuvent prendre le pas, diriger, assumer. Oh comme elle aimerait que son père le voit, à quel point elle pourrait assurer. Elle n’est pas dupe, elle se sait respectée, écoutée et appréciée. Mais ce n’est jamais assez.

Vos pas vous poussent plus loin, et Cassandre te pose la question qui lui brûle encore les lèvres. Celle dont la réponse ne l’a pas satisfaite, elle sait que tu n’as pas tout dit. Pourquoi l’aurais-tu fait ?

En vérité, je ne sais pas vraiment.
Ses yeux se plissent et se concentrent sur toi. Elle t’écoute alors lui parler à coeur ouvert - c’est ce qu’elle en pense. Tu évites son regard, mais elle entend dans ta voix les intonations d’une vérité que tu te plais à dissimuler. Se reconnaître chez soi, dans la propre vie que l’on mène, ce sont des choses auxquelles elle a pensé, c’est la raison même qui la pousse à douter concernant le mariage. Elle te comprend, Jasper, si tu savais.

Tes mots s’achèvent, elle attend que ton souffle s’apaise.

- J’ai pu apercevoir la cruauté de notre monde, oui. A la manière dont vous avez été traités.

Elle pousse un soupir, s’autorise un œil en direction de la réception, de son père que les convives se plaisent à écouter. Et elle l’aime, son père, vraiment. Pour autant, elle a conscience de ses travers en société. De son formalisme. De sa dureté.

- J’en suis désolée.

Et elle te regarde, Cassandre. Soutient la droiture et la prestance de ton visage, sourit à l’idée de ce qui s’y cache. L’homme, pas la façade.

- Je comprends la difficulté de ta situation. Tu es face à un choix difficile ; t’accrocher à cette vie et tes racines, ou raser le jardin en espérant faire pousser quelque chose en quoi tu puisses te retrouver.

Ses yeux dérivent en direction des arbres, du cœur de cette forêt dans laquelle elle aime tellement se défouler.

- Comment penses-tu que la décision te viendra ?

Ca ne sera jamais le moment.

- Plus tu attendras, et plus le monde se refermera en laissant les Fawley suffoquer à l’extérieur.

@A. Jasper Fawley | Décembre 2031

Tes paroles qui lui arrachent un sourire.

- Et pourtant si tu le souhaitais, tu l’as dit toi-même, tu pourrais aisément vivre libre sans te soucier de notre société au sang pur. Tu crées ta propre prison, Jasper.

Elle baisse les yeux sur le collier qui orne sa poitrine, celui taillé en forme de loup depuis le jour où elle s’est changée pour la première fois.

- C’est ce que nous faisons tous.

Tu réponds concernant le cas de ta sœur, et Cassandre t’observe. Elle cherche en toi des réponses dont elle ne connaît pas les questions, imagine ses frères dans ta situation. Les Greengrass déchus, un choix à faire. Mais elle a beau y mettre du sien, elle ne s’y voit pas. Nathaniel comme Luke n’auraient jamais accepté de la sacrifier pour leur prestige, en revanche, elle l’aurait certainement choisi d’elle-même. Pour sa famille. Pas pour son confort personnel, mais simplement pour eux et ce qu’ils représentent.

Un doux sourire orne ses lèvres quand elle reprend.

- Alors, s’il s’agit du seul choix d’Iphigénie, j’imagine que c’est très bien ainsi.

Mais quelque part, ce n’est pas le cas. Pas vrai, Jasper ?

Tu clames que vous n’êtes pas à plaindre et que c’est l’égo qui te raccroche à votre caste. Mais finalement, n’est-ce pas le propre de tout sang pur ? N’est-ce pas le propre de tout ceux qui sont au sommet ? Sans ego, personne n’y reste. Il en faut, pour souhaiter continuer de vivre au-dessus des autres. Et même avec les plus belles intentions du monde, Cassandre le sait. Elle est pleine d’égo pour son monde, sa magie, sa famille.

- Tu t’y accroches car c’est ce que tu as toujours connu. C’est normal d’avoir peur de ce qui dépasse notre connaissance du monde.

Ton regard qui glisse vers elle quand elle s’excuse. Elle est parfaitement consciente que son père fait partie de ta liste, elle espère simplement que tu ne seras pas suffisamment stupide pour t’attaquer un jour à lui. Car alors, vous ne pourrez que devenir ennemis. Mais cela, tu le sais.

La brise se lève et glisse au travers de ses cheveux pour les soulever. Vos pas continuent de vous éloigner, jusqu’à ce que tu t’arrêtes. Elle se tourne vers toi et t’observe de haut en bas. Si droit, Jasper, si plein d’une volonté de bien faire. Tu la touches.

- Je n’en doute pas, je soulève simplement la difficulté de ta situation. Comment faire les choses correctement lorsqu’on est tant pris par le temps ? Je compatis à ton dilemme.

Elle s’agenouille dans l’herbe fraiche, ferme brièvement les yeux pour s’emplir des senteurs de la forêt qui est si proche. Les convenances ont toujours eu une limite floue à ses yeux. Quand elle les rouvre, elle lève le menton pour te sourire.

- Tu parles de procréation et de bons choix. Qu’est-ce qu’un bon choix ? A être finalement forcé de te marier pour conserver cette vie à laquelle tu tiens tant, quels sont les critères ?

Amusée.

- Est-ce que tu as une liste à cocher ? Doit-elle savoir cuisiner ? Chanter ?

@A. Jasper Fawley | Décembre 2031

Frustrant, oui, de ne pas être celui qu’on aimerait. Frustrant de ne pas rendre l’image qu’on souhaiterait tant incarner. Frustrant de se sentir immobilisé, tétanisé par une peur que l’on pensait pouvoir (savoir) contrôler. Mais comme le monde est frustrant, Jasper, pour tous. Cassandre le sait, vous avez chacun vos raisons de vous sentir acculés.

Le menton levé vers toi, elle te suit dans un sourire quand tu t’assoies à ses côtés. Amusée par ta façon de défier les convenances, par les quelques regards, là-bas, qui ne peuvent s’empêcher de vous juger. Elle s’en défait, ne les relève même pas, et se contente de t’écouter parler. D’autant diraient que tes critères semblent clichés, pourtant dans votre monde, ils sont d’une fraicheur inopinée.

- Tu ne veux donc pas une femme.

Pas comme l’entend votre société.

Elle t’observe, ton visage, tes mains occupées dans l’herbe comme le seraient celles d’un enfant qui manque de confiance en lui-même.

- Tu veux une partenaire. Une personne qui puisse avoir un rôle dans tes décisions, vos décisions, et quelqu’un qui sache vivre en ton absence. Qui sache vivre pour elle-même. Est-ce que j’ai bon ?

Un léger rire, elle glisse une mèche de cheveux derrière son oreille. Ta question la pousse à réfléchir, mais pas très longtemps. Cassandre sait très exactement ce qu’elle veut, elle n’a jamais été de ceux qui hésitent. Un instant, son visage s’éclaire de la même théâtralité que le tien.

- Evidemment, il doit également savoir jouer au croquet et escrimer, c’est une condition sine qua non.

Elle maintient les airs quelques secondes, pas plus, avant d’éclater d’un rire cristallin. Comme une enfant à tes côtés, bêtement elle-même, avant de reprendre son souffle et continuer. Tout autour de vous, c’est comme si l’hiver avait laissé place à une bulle de printemps.

- J’aimerais qu’il aime la nature, ou qu’il soit ouvert à la découvrir, je ne me vois pas enfermée dans un lugubre manoir. J’aimerais qu’il soit… capable de sourire des plus simples bonheurs, et de pleurer ses pertes sur mon épaule. Quelles qu’elles soient.

Elle baisse les yeux un instant.

- Cela sonne puéril, peut-être. Doux rire, avant de revenir à toi. J’ose à penser qu’une personne entière, qui ne rejette pas les plus naturels instincts de son âme, saura me laisser vivre comme je l’entends. Je ne me renierai pas, peu importe le nom que j’endosserai, et j’aimerais qu’il soit capable de le comprendre.

Elle a des choses à dire, Cassandre, des choses à montrer, et elle ne saurait vivre autrement qu’en étant elle-même.

Son regard pour englober le domaine des Greengrass, ce château qui trône en plein cœur d’une forêt ancestrale. Les jardins, la nature, les animaux qui le peuplent et la sensation d’être en présence d’une magie bien différente. Oh comme elle aime son domaine, Jasper, si tu savais. Comme elle aimerait en être l’héritière et ne jamais avoir à s’en aller.

Elle pose brièvement sa main sur la tienne, le temps de l’enserrer avant de se remettre sur ses pieds.

- L’année à venir risque d’être forte en rebondissements. J’ai déjà eu vent des fiançailles de Clovis et Darya, je me demande qui seront les prochains de notre génération à sauter le pas.

@A. Jasper Fawley | Décembre 2031