Ca y est.
Ton rêve est bientôt terminé.
Trois ans, c'est tout ce qu'il te reste. C'est si peu quand on rêve d'une vie entière à en vivre. D'une éternité à pouvoir voler, à pouvoir vibrer sur un balais qui te porterait dans les confins de la victoire. Mais tu n'avais que trois ans et il faudrait t'en contenter. C'était déjà ça. Aujourd'hui aurait pu être ton dernier jour. Tu crois que tu n'aurais pas supporté la chose. Peut-être qu'en même temps que ton diplôme, tu aurais pris la fenêtre la plus proche.

Autour de toi, pourtant, c'est la joie et le soulagement qui règnent. Les gens sont heureux d'avoir enfin passé le stress de l'ASPIC et des résultats qui sont tombés. Le tient est en poche, bien que tu n'aies pas eu des notes incroyables. Le contraire aurait été impensable. Si tu avais échoué à un examen, ce n'est pas que le quidditch que tu aurais perdu. Tu ne sais pas si tes parents ne t'auraient pas mis à la rue. Quoique, tu leur étais trop utile. Peut-être qu'ils auraient trouvé un moyen discret de t'effacer ? L'idée ne te semble pas si mal, et tu ne te rends même pas compte à quel point ça en dit long sur ta santé.

Comme souvent, tu broies du noir.
C'est récurrent, tu n'arrives pas à t'en empêcher. Comme les angoisses qui ne semblent jamais avoir cessé de t'habiter. Peut-être que quelque chose ne tourne pas rond, avec toi. Ca te semble normal mais les autres ont l'air de vivre leur vie tellement facilement. Sans ramper pour produire la moindre respiration qu'il faut pour exister.

Mais une brise vient s'échouer dans l'entrée de la chambre. Tes yeux ternes se posent dans les siens, toujours brillant d'émotions. C'est l'inquiètude qui s'y terre à ta petite mine et tu t'en voudrais presque. Tu ne mérites pas que l'on s'inquiète pour toi.

Salut, Sven.

Rapidement, il est proche tout en étant loin alors que les autres vous laissent un peu d'intimité. Loin des célébrations, c'est une bulle qui vous entoure. Tu relèves tes pieds sur le matelas, croisant tes jambes alors que tu rajustes tes lunettes d'un doigt. Tes cheveux trop longs cachent en partie ton regard et les piercings qui ornent déjà tes oreilles. Bientôt, ta peau sera tachetée de tatouages et dans quelques années tous tes piercings auront pris leur place. Pour le moment, ton nombril, ta langue et une partie de tes oreilles sont encore épargnés. Mais ta lèvre non, et tes oreilles sont déjà décorées.

Sven est d'humeur festive, à raison.
Passer son ASPIC avait été une épreuve et tu l'avais accompagné à chaque étape. Si tu avais su la tâche compliquée, tu n'avais jamais douté qu'il réussirait. Peut-être que Sven n'était pas un prodige des études, mais malgré tout ce que le monde semblait lui dire, tu savais parfaitement que ton ami n'était pas un idiot. Déjà parce que l'école ne reflète pas l'intelligence d'un tier, et surtout parce qu'avec de la patience et de la dévotion, il était lui aussi capable de bons résultats. Avoir des besoins particuliers n'en faisaient pas un cancre ou une plaie. Juste un ami que tu étais ravi de pouvoir aider. Tu tentes un petit sourire, même si le coeur n'y est pas.

Félicitations, d'ailleurs. Merlin sait que tu l'as mérité, vu comment t'as trimé.

Et tu es sincèrement heureux et fier. Malgré ta sombre humeur, la tendresse que tu as à son égard se lit dans tes yeux. Sven t'est précieux. Et c'est aussi pour ça que lui mentir t'es insupportable. Alors doucement, comme si ça te prenait toute ton énergie, tu hausses les épaules.

Moi je... Je sais pas, non, je suis pas particulièrement content.

Tu te recroquevilles un peu plus sur toi.
Jambes contre ton torse, ta main vient chercher ta nuque.

Déjà, bon, j'vais devoir rentrer alors...

Tu aurais voulu passer les vacances ici, même dans la solitude la plus absolue. Mais tu avais des obligations, cette fois, et tu n'y échapperais pas. L'été t'était insupportable. Peut-être que tu trouverais moyen de t'échapper chez Fallen l'espace de quelques jours... Peut-être même d'au moins une semaine. Mais pour l'instant tu as un tout autre problème à gérer. Un soupire passe tes lèvres. Tu vas devoir crever l'abcès, tôt ou tard. Et il vaut mieux qu'il l'apprenne de ta propre initiative qu'à la rentrée, quand tu ne seras pas dans sa classe.

Je vais pas en DEMA de sports.

Tes yeux fixent tes jambes.
Tu n'as pas le courage de le regarder.
L'affronter est déjà une grande preuve de courage quand on te connaît.

J'ai dû choisir défense magique contre les forces du mal.

Autant dire que ce n'était pas toi qui avais choisi, surtout.
Un énième soupire, tremblant.

Et après ça... C'est finit. J'arrête le quidditch.

Et sûrement que t'arrêteras un peu de vivre.

Ravi d’avoir pu aider, tu apprécies ses remerciements. Une gratitude que tu n’as pourtant pas l’impression de mériter. Tu as fait ce que n’importe quel ami aurait fait, ou aurait dû faire. Un merci n’était pas nécessaire.

C’était pas grand chose, tu sais. Et puis, ça m’a aidé aussi. C’était juste faire d’une pierre deux coups.

Sven te rassure dans le fait que tu puisses tout lui dire. Pourtant tu sais que ça ne veut pas pour autant dire qu’il veut tout entendre. Que ce que tu as à avouer ne fera ni plaisir, ni ne finira sans larmes. Vous êtes sensibles, tous les deux. Les émotions à fleur de peau à force de les ravaler. Tu sais que dans ton égoïsme de vouloir lui dire, tu vas vous faire couler.

Sven nie.
Tu comprends, toi aussi tu as du mal à croire que c’est la vérité. Que c’est aussi simple pour des rêves qui ont duré si longtemps de partir si vite en fumée. Un rire, nerveux, maladroit. Le visage crispé, prêt à se briser. Toi, tu es impassible, même si tes yeux semblent agités.

Pardon.

Comme si t’excuser allait résoudre le problème.
C’est toi le problème, Nath.
Ca l’a toujours été.

Pour tout dire, ils voulaient que j’arrête à l’ASPIC.

Tes yeux sont sombres.
Tu es tellement déprimé.
Tu es tellement fatigué.
Tu avoues ce que tu n’as encore pas raconté.

La dernière fois que j’étais à la maison… Ils ont voulu m’entraîner pour devenir animagus. J’ai refusé. Ils ont quand même essayé. On s’est rendu compte très vite que ça n’allait pas marcher.

Les Greengrass, pourtant connus pour leurs facilités avec la chose. Une tradition longuement transmise. Tout comme leur place à Serdaigle. Celle que tu n'avais pas eue. Des déceptions qui s’enchaînent.

Ma mère a fini par mettre le quidditch sur la table… Elle m’a menacé… On a fini par se battre.

Se battre.
Pas se disputer.
Cette fois, ça avait vraiment dégénéré.
C’était voué à arriver.

Père s’y est joint, éventuellement…

Expliquant les pansements que tu avais eu à ton retour, que tu avais esquivé en prétextant une chute maladroite. Ce n’était pas toi qui allais gagner, physiquement.

J’ai fait tout ce que j’ai pu pour rallonger la chose… Mais c’est tout ce que j’ai pu négocier.

Un exploit en soi. Un petit miracle.

Je vais sûrement être démis de mes fonctions de capitaine…

Ton regard est amer. Possessif. Ce titre signifie tout pour toi. Qu’est-ce que tu en es fier. Tu sais que tu le mérites plus que quiconque. Que si tu continuais sur la voie du quidditch, il continuerait de t'appartenir. Que tu as le talent pour. Tu sais. Tu sais. Mais savoir ce n’est pas avoir. La gloire ne te reviendrait jamais.

Plus que trois ans…

Un maigre sourire.
Les yeux morts.
Résigné.

J’espère qu’on pourra en profiter. Ca me manquera de jouer avec toi.

T'en crèvera.
Si t'es pas déjà crevé.

Tu sais.
Tu n’es pas bête.
Tu te rends bien compte que l’on ne te traite pas vraiment comme un humain. Le problème n’est pas là. Tu sais que tu n’es qu’un pantin - que tu n’as toujours été qu’une marionnette. Tes parents n’attendais pas un enfant ; seulement un héritier. Ils n’ont pas façonné un fils - ils ont façonné un soldat.
Qui marche au pas, qui salut du bras droit.
Sans penser quoi que ça soit.
Le problème, c’est toi.
C’est que tu penses le mériter.
C’est que tu penses que rien ne pourra jamais changer.
Le problème, c’est que ça fait déjà longtemps que tu es brisé.
(Si tu as seulement jamais pu tenir sur tes pieds.)
Le problème, Nathaniel, c’est que tu es déjà résigné.
Sven s’énerve à ta place, saute du lit et frappe les murs. Tu n’en as plus la force, toi. Si tu es parfois amer, ce n’est jamais assez pour te faire exploser. Le jardin infertile de tes sentiments est depuis longtemps desséché. Tu le regardes. Sûrement que tu devrais l’arrêter. S’il s’abîme la main, il aura du mal à tenir son balais pour être stable en volant.
(Et si pour une fois tu pensais à toi - si seulement.)
Il hurle comme s’il souffrait à ta place.
C’est presque cathartique.
(Et toi peut-être que tu es un peu dément.)
Il pleure alors que ton visage est encore impassible. Pourtant dans tes yeux se forme l’humidité, à défaut de savoir comment l’exprimer. Des sanglots qui taisent ses mots alors que tu te relèves doucement pour rejoindre ses côtés.
L’ironie que ça soit à toi de le consoler.
Mais tu le fais sans hésiter - relève son visage entre tes mains pour ensuite essuyer les larmes qui roulent sur ses joues de ta manche, en douceur.

C’est toujours trois ans. C’est toujours mieux que si ça s’arrêtait maintenant.

Pas vrai ?
T’essayes de t’en convaincre, sinon tu finiras par virer taré.

Je suis désolé.

Sincèrement.
Et c’est presque tragique, que tu le sois autant.
Tes bras viennent le serrer contre toi, le rassurer d’une présence dont il faut profiter. Car après tout, dans trois ans est-ce que tu continueras seulement d’exister ?
Le coeur serré, tu as envie de pleurer. Mais tes larmes se font timides dans un coeur aride où il est dur pour quoi que ce soit de pousser.

J’espère que malgré tout on pourra rester amis.

J’espère qu’à défaut d’avoir un avenir, j’aurai toujours un ami.
Tu le serres un peu plus fort, passe une main dans ses cheveux.
Presque tu le bercerais.
Plein d’une tendresse qui lui est dédiée.

T’auras intérêt à gagner pour moi, une fois que tu seras célèbre.

Parce que tu crois en lui, à défaut de croire en quoi que ce soit d’autre.
Parce que tu sais que malgré tous ses doutes, il a un bel avenir qui l’attend.
Qu’il sera la star dont il rêve tant.
Et que, de l’ombre, tu le soutiendras toujours autant.
Un sourire doucereux sur tes lèvres.
C’est que tu es fier de lui.
Tu l’as toujours été.

Et tu le resteras, même dans une dizaine d’années.