Le sifflement qui passe ses lèvres, comme une reconnaissance barbare de ton cran, te laisse mitigé. Tu n’es pas trop sûr de savoir sur quel pied danser - tu n’es pas du genre à répondre à la provocation impulsivement. Ni à aimer la violence, pour tout dire. Mais tu n’as jamais hésité quant au fait de rendre un coup donné, ni de cogner le premier s’il s’agit de protéger. Tu n’étais pas du genre à te laisser marcher sur les pieds.
Tu avais assez subi. Plus jamais.
Cependant, tu gardes en tête que tu ne sais pas qui il est. Que vous êtes au milieu du quartier par excellence des sorciers et que même avec des amulettes, il dégainera sa baguette plus vite que tu ne sortiras tes défenses à n’en point douter. D’autant plus que tu n’es pas vraiment fourni pour un combat - les amulettes sont à usage unique et ce n’est pas le plus évident à transporter quand on travaille.
Et qui sait s’il n’est pas plus.
Il n’y a pas que les sorciers, dans le monde magique. Et si tu es bien incapable de reconnaître les signes d’une hybridité, tu n’éloignes pas pour autant la possibilité.
Plus méfiant qu’on ne te penserait.
Plus réfléchit, aussi, il semblerait.
Alors à sa provocation, simple, qui arrive à tendre tes doigts que tu retiens pour toi, tu te contentes d’hausser les épaules.

Sûrement plus que toi. Et sans avoir besoin de les cogner pour obtenir quoi que ce soit.

Dès qu’il sort, tu laisses ton regard se poser sur le gérant du magasin. Malgré toi, ton coeur se serre à la vue de son état. Trop de compassion ne sert à rien - mais tu es comme ça. Alors tu murmures, détournant le regard.

Je suis désolé.

Parce que tu ne peux pas protéger tout le monde, même si tu aimerais. Et si tu avais une baguette, tu aurais jeté un sort de premier soin, au moins, pour aider. Mais tu n’en as pas. Tu n’as aucune utilité. A la place, tu te contentes de tourner les talons vers la sortie. Seulement pour retrouver le petit délinquent qui semble passer un bon moment. Le soupir dramatique qui sort de ses lèvres arrive malgré tout à t’amuser et tu ne sais trop comment le prendre, bien que tu tentes au mieux de le cacher.

Des bonnes intentions ? J’suis pas un saint.

Vraiment pas, même.
Après tout, tu t’es détourné d’une victime alors que tu aurais pu rester à ses côtés. Tu aurais pu user de violence pour le venger ou le défendre. A la place, tu as choisi l’option la plus logique et celle t’assurant le plus de sécurité.
Comme un humain.
Egoïste et pensant avant tout à lui-même.
Alors qu’il se glisse sur sa moto, tu rejoins la tienne, remettant tes gants machinalement alors que tu grimaces à l’idée de l’emmener sur ton lieu de travail. Sans compter la possible catastrophe en devenir, il pourrait trouver moyen de se renseigner sur toi, là-bas, et ça ne te donne pas trop envie… Un murmure plaintif passe tes lèvres.

Je préférerais te faire à manger moi-même que de t’amener là-bas…

Pourtant tu attrapes ton casque.
Soupirant à nouveau.

On y sera d’ici dix… quinze minutes, max, si ça roule bien.

Dans quel pétrin tu t’es fourré, Sol…
Ca ne mènera à rien de bien.

Une gueule de petit saint.
Tu soupires. A ce niveau là, tu sais pas trop quoi faire d’autre. Pourtant à tes lèvres est collé un sourire amusé (que tu détestes un peu) parce que trouver cet abruti drôle est la pire des ironies. Puis il te parle des limitations et cette fois-ci c’est carrément un rire qui sort, soufflé. S’il y a bien une chose que tu ne sais pas respecter, c’est les limitations. Mais bon… Si on ne t’y prend jamais, est-ce que tu les as seulement dépassées ?

Revoir l’enseigne où tu travailles est d’habitude un plaisir.
C’est souvent signe de fin de journée, de travail terminé et de retrouver ton lit dans un temps respectable (à des horaires questionnables) on fait comme on peut. Aujourd’hui, alors que tu baisses la béquille et retires ton casque, ça l’est beaucoup moins. Dans quel genre de pétrin tu te mets ? Tu espères qu’il va prendre une pizza ou deux et se tirer. Ca sera ça de fait.

Nouveau soupir.
Tu descends en lâchant un maigre grognement, lui emboîtant le pas. Tu n’as pas envie de lui filer ton blaze, mais le surnom t’agace malgré tout. Heureusement que tu n’es pas trop sanguin et que tu l’es bien moins qu’à Poudlard. Sinon vous auriez fini à vous taper dessus sur le trottoir…

Tu passes la porte nonchalamment, faisant un signe de main à la jeune caissière d’abord contente de te voir mais qui désenchante bien vite à la vue de qui te suit. Tu n’es pas du genre à ramener des amis et encore moins pendant le service. Y’a pas vraiment de clients, d’ailleurs, vu que c’est une heure creuse. C’est le patron, d’habitude aux fourneaux, qui vient te saluer. Le genre qui doit se baisser dans l’encadrement de porte, s’il ne faudrait pas qu’il y passe de côté en plus tellement il est carré. Un coeur en or, pourtant, qui parle comme un padre.

Je ramène un…

Tu tournes les yeux vers le gars dont tu ignores le prénom, les plissant légèrement. Tout le monde a déjà compris que vous étiez pas amis par ton manque de bonne humeur significative.

Un délinquent ? Un problème ? Je sais pas trop.

Tu dirais bien un client mais les clients ça paye. Tu refuses de lui payer quoi que ce soit d’ailleurs et ça se lit dans ton regard alors que tu t’écartes de lui pour aller prendre une bouteille d’eau, sortant de ta poche juste assez pour la payer, filant les pièces à la caissière qui les range vite fait. Un regard vers celui qui te traite de gamin saint depuis que vous vous êtes croisés.

C’bon t’es satisfait ?

T’espères, parce que t’as pas envie qu’il continue de te coller…
Quelle journée bizarre.
Encore une.
Tu vas finir par arrêter de les compter.

Tu hausses un sourcil, tant à sa réponse qu’à son sourire. La tienne passe tes lèvres sans même que tu n’aies à réfléchir.

Non. Vraiment pas, non.

Honnête, à faute peut-être.
Il n’y a pas d’animosité dans tes paroles, c’est une simple constatation. Si les détails ne sont pas là, personne n’est aveugle au malaise de la situation de toute façon. Tu le regardes s’éloigner et commander et tu plains ta compère qui doit supporter ce genre de comportements, probablement pas aussi rares que tu les aimerais. Toi, tu entames un détour pour sauver ta peau. Tu as encore du travail, tu as déjà pris du retard et tu sens que tu ferais mieux de te faire discret pour ne pas t’impliquer plus dans la chose. Il t’interpelle, pourtant.

Un soupir passe tes lèvres.
Tu es déjà saoulé avant qu’il ait demandé quoi que ce soit.
Tu te retournes vers lui alors qu’il s’avance et son petit air supérieur t’agace légèrement. Ton numéro. Tu te doutais qu’il te laisserait pas partir comme ça.
Je crois que je t’aime bien.
Tu es surtout dans la merde, hein.
T’es tenté de lui donner le numéro de la pizzeria, mais il risque de revenir y foutre le bordel et tu ne veux pas causer du tort à tes collègues. Tu n’as aucune envie de le revoir.
Enfin si, un tout petit peu.
Une curiosité à son égard, malgré tout.
Tu recules ton visage dès qu’il parle à ton oreille, soutenant son regard sans problème ou crainte.

Ton intérêt est flatteur mais je suis pas de ce bord là, poto.

C’est qu’il te colle le bougre.
T’aimes le contact, certes.
Mais pas ce genre de vibe.
Pourtant tu sors ton téléphone en soupirant, lui donnant ton numéro à contre-coeur. Même ta collègue te jette un regard pour te dire que c’est une mauvaise idée. Tu sais pas dans quoi tu t’embarques… Mais quelque chose te dit que c’est pas le meilleur des plans.
Enfin.
Un peu plus un peu moins…
T’es plus à ça près.
Tu remets ton téléphone dans ta poche.

C’est bon, maintenant ? J’ai du taffe qui m’attend.

Tes mains trouvent tes poches.
C’est marrant, parce que t’as pas l’air plus énervé ou stressé que ça, au fond. T’as juste l’air un peu done. Les gens du genre continuent de défiler dans ta vie et tu sais plus quoi en penser. Tu pensais en avoir fini avec le karma. Tu sais pas ce que t’as fait dans ta vie précédente…
Mais seigneur, t’as vraiment dû y merder.