C’est fou comme les gens aiment se confier à elle. Elle n’a jamais trop su pourquoi - peut-être était-ce quelque chose qu’elle dégageait, mais ça avait toujours été le cas. Même avant. On venait la trouver pour se plaindre, pour avoir ses étreintes, pour son oreille attentive. Elle ne demandait rien en retour. Avait toujours été ravie de pouvoir entendre les gens s’épancher et de pouvoir autant qu’elle le pouvait les aider. Et ça continuait aujourd’hui. Beaucoup lui avaient dit, durant son DEMA et son internat, qu’elle aurait sûrement dû devenir psychomage, plutôt que médecin. Elle savait que ça aurait été une bêtise. Après tout, elle avait déjà été de l’autre côté du bureau. Elle savait ce que l’on attendait, en tant que patient.
Et elle ne pourrait jamais donner autant.
Alors elle se contentera d’être une oreille tendue pour quiconque le veut, d’être un sourire doux et rassurant, d’être une présence constante autant que possible.

▬ Avec plaisir.

Elle l’écouterait jouer comme elle l’écoutait parler - avec attention et dévotion. Avec l’envie de découvrir sa performance comme elle découvre ses facettes.

Egale à elle-même.

Comme elle s’en doutait, il s’agissait bien d’une ex-femme. Sujet épineux. Elle n’avait aucune expérience en la matière. Et avec le peu d’éléments qui lui était donnés, elle pouvait assembler plus ou moins les pièces du puzzle. Sûrement une moldue. Qui avait dû, donc, être oubliette. Probablement par lui… Et avec les souvenirs de son mari partis. Effectivement, c’était une sacrée peine à porter. Une qui laisse des séquelles. Une tristement ironique. Pourtant, elle se permet d’objecter délicatement.

▬ Mais le fait est qu’elle a réalisé son rêve, pas vrai ? Peut-être qu’elle l’a oublié, mais vous êtes celui qui l’a poussée dans cette direction. Vous avez oeuvré pour son bien-être. Vous avez fait ce qui était en son intérêt par amour. Même quand ce n’était pas simple. Et je me doute que ça n’est pas simple à porter. Que ça n’a pas dû être un choix facile.

Elle prend une gorgée de son café, l’espace d’une seconde, retrouvant ensuite son habituel sourire.

▬ Non seulement cela demande une grande abnégation, mais aussi une grande dévotion. Vous avez été très courageux, Jocelin. N’en doutez jamais.

Et puis son conseil lui est retourné.
Prendre du temps pour se reposer.
Elle sourit, donnant l’air d’acquiescer.
Comme si elle allait le faire.
Du temps libre ? Pour quoi faire ? Pour plonger la tête la première ? Elle préfère affronter ses dossiers plutôt que son propre enfer.
Elle continue de boire son café - il est vraiment bon, elle est un peu étonnée pour un café choisi au hasard. Elle note malgré elle l’adresse dans sa tête pour y revenir. Elle n’a pas regardé, mais peut-être qu’ils font du thé… Elle espère en silence.
Jocelin rêve d’amour, de famille, de foyer. Elle comprend, un peu. Un tout petit peu. L’idée de fonder sa propre famille lui avait déjà vaguement traversé l’esprit seulement pour en ressortir tout aussi vite alors que la terreur venait la bercer. Mais elle comprenait qu’on puisse en rêver.

▬ J’espère que vous trouverez une femme à votre hauteur, vous le méritez.

Surtout après ce qu’il a vécu, à n’en pas douter. Jocelin semblait être le genre à aimer sans compter, à se dévouer corps et âme. Et à être d’une étonnante douceur. Il méritait chaussure à son pied. Il semblait, aussi, porter le poids de nombreux regrets.
Avec cela, elle compatissait.

▬ Parfois c’est mieux ainsi. Mais qui sait, peut-être qu’un jour l’occasion se présentera à vous. Le monde est tellement incertain, qui sait ce qu’il nous réserve pour l’avenir.

Elle, se savait désastre en devenir.
Mais les autres ?
Sûrement qu’ils pourraient s’épanouir.

Puis la conversation prend une propension légèrement politique, à sa plus grande surprise. Pas qu’elle n’ait pas entendu ce genre d’opinions auparavant. Elle aussi avait partagé le secret bien longtemps. Mais maintenant, elle n’avait plus d’attaches chez les moldus. Ce genre de secrets ne lui pesait plus. Et avec le temps, aussi, elle avait appris à côtoyer des gens aux opinions variées. Tant conservatrices que progressistes. Et elle n’avait jamais su de quel bord elle était. Après tout, les deux avaient des points valables. Et elle n’était pas le genre à s’affirmer au risque de froisser… Plus maintenant, en tous cas.

▬ Je comprends où vous voulez en venir.

A défaut de pouvoir partager son opinion autant qu’il le voudrait sûrement. Une nouvelle gorgée de café.

▬ C’est vrai que c’est difficile de mentir à ses proches.

Dit-elle, son sourire étant son plus beau mensonge pourtant.

▬ Comme je l’ai dit, l’avenir est incertain. Peut-être que vos souhaits deviendront réalité. Que ce monde finira par changer.

Le monde finirait bien par tourner, dans un sens ou dans l’autre. Le status quo ne pouvait éternellement durer - ça paraissait logique. Mais quoi qu’il advienne, il y aura toujours des déçus et des satisfaits. Des perdants et d’autres qui ont gagné.
Elle se trouvera toujours au milieu.
A compter les points sans être concernée.
Trop préoccupée à survivre pour s’occuper des conditions dans lesquelles ça se fait. Il ne fallait pas trop lui en demander.

▬ Vous voulez un autre café ?

Et avec un tel sourire,
Et c’est demandé si gentiment…
(Même si l’heure tourne,
Et qu’il ne pleut plus tant.)