Tu pourrais faire le chemin jusque l'infirmerie les yeux fermés, depuis le temps que tu y vas. L'habitude des bagarres et des coups, l'habitude des pleines lune, des potions à prendre tous les mois pour endormir la bête à l'intérieur de toi. C'est le manège qui rythme ton quotidien et dont tu ne te plains pas vraiment, parce que t'es content d'être toi. Parce que t'es plus fort que les autres, tu gagnes souvent les disputes et même si t'écopes souvent des punitions et des soins en même temps, c'est pas grave. Tu t'en fiche, t'aimerais parfois juste avoir un peu plus d'amis peut-être. Mais c'est pas facile de discuter avec les autres, c'est pas facile de s'approcher et de les laisser venir. Y qu'Ezra qui a vraiment réussi jusqu'ici. T'espères qu'il te laissera jamais, parce que c'est cool quand il est là. C'est un bon gars lui au moins.

Tu prends la peine de toquer avant d'entrer, une fois devant la porte. C'est que même si tu as l'habitude de tout casser, ton père t'aura au moins apprit la politesse. Donc tu toques mais tu n'attends pas que l'on te dise d'entrer pour le faire. Le pas tranquille quand tu t'avances dans l'allée, renifle les effluves qui émanent de derrières les rideaux tirés. Il n'y a pas grand monde aujourd'hui, à part cet élève, le même que d'habitude.

Tu l'as repéré dès ton arrivée alors t'es pas franchement surprit en entendant le rideau s'ouvrir et en constatant que ton odorat ne t'a pas fait défaut. Manquerait plus que ça.

— Encore toi.

Le ton monotone, c'est pas méchant, seulement indifférent. À peine l'ombre d'une grimace à tes lèvres lorsqu'il t'explique que l'infirmière est absente et qu'il ne sait pas lorsqu'elle reviendra.

— Ah, ok.

Super. Tu jettes un regard à l'horloge, elle ne devrait pas tard en réalité, parce que c'est bientôt l'heure de prendre ta potion tue-loup. Elle en profitera pour soigner ta main en même temps tiens, tant qu'à faire. Tu vas pour te retourner et aller t'assoir sur le lit le plus loin du garçon quand se dernier te coupe dans ton élan. Alors machinalement tu t'arrêtes et te retournes pour le regarder, c'est un peu brutal mais encore une fois, c'est pas méchant. Quoique.

— Pourquoi ? Ça te regarde pas.

On t'a demandé de rester discret sur ta nature après tout, et tu le connais pas. Tu veux pas raconter ces choses-là à des gens que tu connais pas.

— T'es qui d'abord.

C'est déjà un bon début.

C'est vrai que vous vous croisez souvent ici tous les deux. Parfois il est caché par les rideaux tirés, sûrement endormi, d'autres fois tu aperçois son visage triste te regarder comme s'il cherchait de la compagnie alors que tu traverses la pièce sans lui prêter attention. Ou alors tu le fixes. Tu te souviens de la première fois que tu l'as fixé, tu le croisais pour la troisième fois ici et tu t'étais bien posé la question de savoir pourquoi il passait son temps ici. Lui dormait, et finalement tu es parti sans demander parce que tu t'en fiche bien de tout ça. Tu le connais pas, il te connait pas. C'est pas mieux comme ça ? Pas vraiment, apparemment.

— C'est pas une raison pour demander.

Si t'es aussi farouche c'est parce que tu as toujours eu du mal à te comporter avec les autres. Tu te souviens qu'avec Ezra c'était pareil aussi au début, mais il a eu la délicatesse de ne pas te juger ni de t'insulter alors à la place des coups vous avez discuté. C'était plutôt sympa.

Tu sors de tes pensées lorsqu'il se présente à toi et tu dois dire que t'es un peu surpris, tu pensais pas qu'il le ferait vraiment vu la façon dont tu t'adresses à lui depuis le début. Il s'appelle Rivage, donc. Serdaigle, troisième année, ça fait beaucoup d'infos -il croit que tu le demandes en mariage pour te dévoiler tout ça ?

Et toi, qu'il demande en plus.
Quoique, ça c'est normal.

— Asterion.

Juste Asterion. Pas d'année, pas de maison quoique Serpentard se devine aisément à la couleur de ta cape. Toi au moins tu sauras que tu as trois ans de plus mais c'est une information qui t'importe tellement peu qu'elle s'échappe déjà de ton esprit.

Tu laisses échapper un soupir bruyant alors qu'il redemande ce que tu t'es fais. La question est différente mais le sens est le même, alors tu sais même pas pourquoi tu décides au final de t'assoir sur le lit en face du sien avant de lui répondre. Tes jambes se balancent tranquillement dans le vide et tapent lentement contre le pied du lit alors que tu lèves un peu ta main blessée pour la regarder.

— J'ai frappé dans un mur.
Pour éviter de frapper dans quelqu'un.

Tu l'avoues dans un haussement d'épaules indifférent avant de reporter ses pupilles sur toi.

— On est pas amis ok.

Sinon il t'aurait raconté qu'il avait l'habitude de frapper à peu près tout le monde mais qu'il essayait de faire des efforts parce qu'Ezra et l'administration le lui demandaient.

— Pourquoi t'es là toi ?

Faut bien qu'il sache maintenant qu'il t'a dit pour lui.

On n'est pas amis. C'était peut-être un peu trop brutal vu comme il se renferme soudain, se fait tout petit Rivage fantôme à se cacher derrière ses longues mèches d'ébène. Est-ce que tu aurais dû ne rien dire ? Tu ne sais pas vraiment et ne réponds d'ailleurs pas à ses mots bafouillés. Ce n'est pas grave tout ça. Cette situation comme le sang sur tes doigts que tu observes un instant sans prendre la peine de nettoyer, ce n'est pas grave. T'as l'habitude pas vrai ?

Alors à la place tu demandes à peine curieux.
Lui retourne sa question tranquillement, sans grande émotion. À croire que sa réponse ne t'intéresse pas -pas vraiment vrai, pas vraiment faux. Pourtant tu lèves les yeux soudain, quittes la contemplation du vide pour te poser sur sa silhouette au loin.

— Malade ?

C'est vrai qu'il a pas l'air bien. Il est tout pâle et tout frêle, ça lui donne des airs de cadavre un peu. C'est glauque. Mais il te soutient qu'il ira mieux bientôt, qu'il pourra sortir. T'es pas franchement convaincu.

— T'as pas la tête de quelqu'un qui va guérir bientôt.

Prononcé d'un ton égal, tu aurais haussé les épaules que le sens aurait été le même. Tu veux bien le croire mais ça fait des mois que vous vous croisez ici sans jamais vous parler. T'es peut-être con mais pas aveugle Hermès.

— C'est grave ta maladie ?

Faut croire que tu deviens réellement curieux finalement.

C'est les cernes, qu'il dit.
Elles vont partir.

— Si tu l'dis.

Tu hausses les épaules sans trop savoir quoi ajouter d'autre. Si tu en pensais quelque chose tu trouverais son déni un peu bête, mais ça n'est pas vraiment ton problème. Et puis, si ça peut lui faire plaisir d'y croire alors tu le laisses même si tu ne parais clairement pas convaincu. Lorsque tu lui demandes si ce qu'il a est grave, tu le sens hésitant et surprit. T'aurais dû te taire c'est ça ? Faut dire que t'as souvent tendance à poser les mauvaises questions.

— Je crois oui. Mon père a dit que je n'aurai jamais du survivre.

...
T'as l'air un peu con là.

— Ah.

Tu t'attendais pas vraiment à ça et les mots te manquent tout à coup. Tu n'es d'ordinaire pas tant bavard mais tu as toujours quelque chose à répondre quand l'envie te prend, contrairement à maintenant. Il a l'air un peu triste Rivage et tu sais pas si tu dois être compatissant, le prendre en pitié ? Non non c'est pas une bonne idée. C'est pas vraiment ton genre déjà, et puis vu comme il réagit tu devines que ce n'est pas quelque chose qui lui plairait. Les médecins parlent de miracle, hein ? De ton point de vue tu parlerais plutôt d'agonie, mais s'il est heureux d'être en vie c'est déjà ça, non ?

Le reste c'est pas vraiment ton problème, encore une fois.

— T'as l'air sympa, Rivage.

Sortit de nulle part mais tu le penses sincèrement. D'un petit bon tu descends de ton perchoir pour traverser l'allée et venir t'assoir sur le lit à côté juste à côté du sien.

— Naïf mais sympa.

Lève ton regard indifférent pour le poser dans le sien, tu balances ça comme si c'était normal d'insulter les autres et que tout allait bien. C'est pas vraiment méchant, ta façon plutôt de lui dire que tu l'aimes bien. La preuve c'est que tu changes de sujet pour lui éviter l'embarras non ? Ou pour te l'éviter à toi, va savoir. Sûrement un peu des deux.

— On est toujours pas ami alors t'emballe pas ok.

Ouai, tu prévois.

— Non c'est pas ça.

Tu peux pas dire que t'aimes pas les amis parce qu'à part Ezra tu sais pas ce que c'est. Alors c'est pas ça. Tu préfères rester tout seul ? Oui. Oui ça semble faire déjà plus sens dans ta tête comme affirmation. C'est encore un peu différent de la réalité mais l'idée est là. Tu hoches la tête légèrement.

— Les autres apportent que des ennuis.

C'est ton père qui le dit.
T'as pas besoin des autres pour être fort.
T'as pas besoin des autres pour exister.
Seulement de ta famille.
Seulement de la meute.

La vérité dans tout ça c'est que ça ne t'a jamais apprit à te comporter normalement. Alors les autres t'évitent la plupart du temps, ou alors ils te cherchent des ennuis. C'est la raison pour laquelle t'es toujours fourré ici, les ennuis des autres. Pourtant des fois tu te dis que t'aimerais bien, peut-être, avoir d'autres copains. Mais non, Ezra c'est suffisant.

— Toi t'es gentil.

Alors peut-être ?

— Mais ça veut pas dire que t'es mon ami. Parce que mon ami c'est Ezra. J'ai pas besoin d'autres amis tu vois ?

Et tu lâcheras pas Ezra non plus, jamais.
Tu l'aimes trop pour ça.

Alors que tu vas pour dire quelque chose, tu perçois le bruit de la porte qui s'ouvre et tu relèves la tête pour poser un regard sur l'infirmière de retour. Elle te voit, te toise d'un regard sévère et désapprobateur, pourtant pas du tout surprise de te voir ici. C'est que toi et Rivage vous aviez un abonnement à l'endroit.

— Encore toi Langley. C'est pour quoi cette fois ?

Tu la laisses s'approcher et tends la main pour la laisser regarder. Elle lâche rapidement un soupir avant de se tourner vers Rivage.

— J'espère qu'il ne t'importune pas Rivage, tu te reposes correctement ?

Puis de nouveau vers toi.

— Viens avec moi.

Tu commences à la suivre alors qu'elle s'éloigne déjà pour aller chercher de quoi te soigner. Arrivé au bord de son lit, tu t'arrêtes pour adresser un dernier regard à Rivage.

— Salut.

Il a l'air sympa t'as dit, alors tu fais un effort pour être gentil avant de rejoindre l'infirmière.