Tapis dans les ténèbres de ses propres ombres, des pas qui tapissent le goudron sale sur lequel il s’avance, Ashe le corps grinçant n’a qu’un oeil pour distinguer sa propre ombre. Délabrée contre les murs, sous les faisceaux lumineux des lampadaires - immatérielle et bousillée par la colère qu’elle a le pas qui s’emmêle et se démêle vers l’un des bars à l’aube presque radieuse ; mais tout à côté de lui était déjà bien plus radiant.

Sans s’attarder qu’il piétine ses maux contre le sol écrasé ; il n’a le regard qui se relève que pour éviter les lumières qui ne valent pas la sienne - et alors qu’il s’affaisse lourdement à une table, c’est le silence lentement qui accompagne ses tourments.
Ashe ressemble à un vieux chêne dont les écorces ont été cruellement brûlées et ravagées - mais c’est sa propre colère qui a fait flamber son échine jusqu’à faire taire ses propres lamentations. À s’écrier si douloureusement, il a failli par ne plus comprendre sa propre peine.
Lamentable, lorsqu’il demande une bière - c’est pour mieux se laisser couler au creux du siège ; être à la fois comme tout le monde, ou peut-être ne finir par être personne. Suffisant pour lui-même mais peigné pour ne jamais être assez aux yeux des autres, sa lassitude grogne au fond de sa gorge et désormais il n’y a qu’un glas froid et latent qui s’écaille à ses demandes.
Et quand on dépose le verre et la bouteille lourdement sur la table - c’est de symphonie avec le poids d’un nouvel invité face à lui. Comme jamais perçu de sa vie, Ashe a le regard qui se découpe sur cette silhouette à la fois fine et ridicule - c’est qu’il ne s’inquiète au départ pas de sa présence pour simplement faire couler sa bière.
Puis lourdement s’exprime - en ricanements railleurs.

Incompréhension toute aussi lourde de ses sens qui s’éveillent à ses mots et alors qu’il s’apprête à boire, les sourcils se froncent. De ses colères qui laissent des traces brutales sur l’échine. À cet instant - ce ne sont que des parasites qui grognent dans sa mémoire et pourtant - Ashe n’a pas même souvenir de ce moment qu’il désire éveiller.
C’est qu’il ne prend pas la peine de fouiller sa mémoire, jusqu’à la résonance de son nom.

À cet écho, il ne peut que faire lourdement se déposer le verre sur la table. Regard épineux en sa direction ; inconnu encore - mais pour combien de temps ?
— Qu’est ce que vous voulez ? À son froncement constant de sourcil, les articulations grincent dans un glas malsain alors qu’il redresse son corps - pour plus massivement se poser face à lui.
Encore contre ses tympans le fourmillement de son nom,
Et Parsifal résonne en son sein comme les chants désastreux des sirènes.

Aux tréfonds de son propre regard - le souffle d’une frénésie ardente, et il le sait pourtant Ashe,
Qu’au prix de ses poings la lumière (la sienne) ne s’éteindra pas (jamais)
Car c’est en son nom que lui seul résonne.

Était-ce Nahash lui-même venu persiffler à sa table, où était-ce un simple songe éveillé sous ses yeux - Ashe n’en percevait pas instantanément la raison, mais le percevoir face à lui était brusquement devenu insupportable. De ce sourire gras qu’il lui accordait, Ashe avait le sang qui pulsait fort dans ses tempes, les poings enserrés autour de son large verre auraient aisément pu le briser, si seulement ne s’était-il pas retenu.
Et habituellement, il n’y arrivait pas. Peut-être car cette fois-ci, la situation ne s’y prêtait pas.
Ashe ne voulait rien. Il se conformait dans cette idée ; ou peut-être qu’il voulait quelque chose, très fortement mais qu’il ne pouvait déclarer ses envies à haute voix. Sûrement pas envers lui - il ne connaissait rien de ce visage ravagé par l’hypocrisie et désireux sans doute de connaître les parfaits emplacements pour ses crocs acuminés.

Alors Ashe ne répondit que par le silence, et part une crainte manifestée de ce qui prenait ses aises face à lui. Il suivit chacun de ses mouvements activement, sans se donner la peine d’analyser plus fermement la situation. Il se fichait de la condition humaine - il savait le monde injuste. Il savait les écorces arrachées de ce monde en ruine, de ce monde et de ses ruines.
Ils avaient tous dû se battre, un jour où l’autre ; mais était-ce parce que le sang s’était incrusté sur son derme qu’il avait vaincu ? Ou était-ce simplement un vestige d’une faiblesse inexorable ?

Et quand résonne son nom, Ashe grogne. C’est qu’il lorgne depuis trop longtemps sur son visage amusé, c’est qu’il pourrait l’écraser s’il le voulait - entre ses poings. Il le savait, n’est-ce-pas ? Il savait de quoi ils étaient capables.
— Je ne fais que ce qui est juste. Le protéger. Nous protéger. Et il est juste de vouloir le préserver - mais n’est-ce-pas moins juste de se prêter toujours un peu plus aux coups les plus douloureux ? À cette simple pensée, Ashe comprit. Et j’élimine ce qui menace notre ordre. Sans oublier qu’il a détruit l’ordre - depuis bien longtemps.
En même temps qu’il a oublié le reste. L’amour tendre et les affections bienheureuses. Les baisers amiteux et les étreintes délicates,
Il a effacé tous les poèmes pour ne laisser qu’une symphonie ignoble de glas taraudants.

Pourquoi ? Pour satisfaire une obsession malmenée ?
— Et vous êtes une menace. Peut-être n’est-il pas plus menaçant qu’elle - peut-être est-il sa composition moins laide, mais toujours plus joueuse.
Et son regard s’abîme à regarder autour ; se demande alors sourcils froncés où se cache-t’elle.

Où es-tu Kumiho ; et pourquoi ?
Car Parsifal ne fuira pas.
Ashe lui-même ne le permettra pas. Entre ses doigts alors, il l’enserrera fort, si fort.
Peut-être jusqu’à le briser (n’est ce pas déjà le cas?) peut-être jusqu’à l’étouffer mais son souffle sans doute déjà manque. Alors que les pensées parasites gonflent car il se persuade Ashe, qu’il emprunte toujours la bonne voie.
— Dites moi ce que vous voulez. C’est la dernière fois. Car si elle n’est pas là et que ce n’est qu’un jeu ; alors il pourrait bien être d’autant plus dangereux.

Mais il n’y aura pas de second avertissement. Car rien ne lui échappera jamais ; dans les songes, il ne se perd pas même lorsqu’il le veut. Dans les songes, il arrache ce qu’il veut et ne laisse que des carcasses,
Et c’est pour ça que Parsifal est encore là.

Était-ce là bien une menace ? Évidemment que non - qu’y avait-il de mauvais à vouloir lacérer entre ses bras son amour pitoyable pour le préserver ? Pourquoi alors s’étonnaient-ils tous de ces griffes larges gravées dans la chitine prête à en consumer les impitoyables ?
Alors à ses oreilles il n’y a que son ton trop railleur qui résonne et s’écaille alors simplement sa propre raison. C’est qu’il resserre déjà entre ses doigts le verre et qu’il se consume trop lentement. L’écoute lui et ses soupirs ; mais le calme n’a jamais fait partie intégrante de lui - peut-être il fut un temps mais désormais, il ne reste rien d’autre qu’une animosité vile.
Et elle ne dort que lorsqu’il est en paix - pourtant il ne sait plus quand il l’était. Tout a disparu d’une trainé de poudre un jour.
Mais s’il l’a suivi jusqu’ici, il devrait le savoir, n’est-ce-pas ?

Personne ne fortifiera leur ordre. Tous ceux qui y persistent veulent le détruire, il n’y a rien d’autre.
Ashe est prêt à les éliminer - et s’il ne le peut alors il sait très bien quoi faire. Il ne le veut pas et s’évertue de le penser, de le lui répéter car Tu sais Parsifal, je ne voulais pas. Je ne veux pas. C’est pour toi, pour nous.
Pourtant il est toujours plus question de moi que de toi.

Et à ses mots, son esprit déjà parasité a la colère qui se multiple par centaine - lui arracher les ailes ? Mais pourtant à chaque pas de plus dans les pièces, ce sont les plumes qui tapissent le sol. Ashe lui-même n’a pas eu le besoin de les lui arracher, car très vite déjà, il n’y en avait plus après ce soir là.
À chacun de ses contact visuels, Ashe la sent si aisément parcourir son être - rage éternelle qui fermente dans chaque centimètre de son corps, il l’écraserait s’il le pouvait. Il n’a jamais été calme et ne le sera pas aujourd’hui, jamais.
Son seul calme a été pourfendu il y a bien longtemps.

— Je ne le crains pas, je sais qu’il restera. Mais se sont des mensonges, n’est-ce-pas ? Raison pour laquelle parfois les ailes arrachées il l’enferme - le frappe. Mais si vous savez tant de choses, vous devriez vous en douter. Je n’ai pas peur de finir seul, parce que ça n’arrivera pas. Pourtant la réalité - c’est que de toutes les présences autour de lui, rares sont celles qu’il chérit presqu’autant que la sienne.
Autour de lui, il n’y a que du sable. Un sable étouffant qui ne cherche qu’à bousiller son être ; mais ne l’est-il déjà pas assez ?
Autour de lui seulement, tout est si sombre et taraudant qu’il n’a trouvé que ses poings pour enserrer celui qu’il aime davantage que lui-même.

L’oiseau en cage n’a pas de serres assez acérées pour pourfendre ses barreaux ; Ashe le sait. Il est la cage - en réalité, ce n’est pas cette dernière le problème. Il avait la nécessité de faire sortir l’oiseau de l’oeuf, il avait la nécessité de lui apprendre à battre des ailes. Un aviaire trop faible qu’il ne pouvait faire que piailler ; trop léger et délicat qu’on y venait pour l’arracher du nid.
Ashe connaissait ses griffes pour se planter si aisément dans une chair molle. C’était commun de tous après tout, et il n’existait pas de plus piètre mensonges pourtant que les siens. Sa force résidait dans ses poings car son esprit était corrompu. Mais ses propres mensonges lui sont inconnus, il les ignore presqu’autant que les plaintes prononcés de l’oisillon.

Lorsqu’il suit son geste et explore la pièce - il ne découvre que des ivrognes puants dont l’odeur fétide lui rappelle lui-même les verres qui parfois lui échappent. Dans la cruauté il ne s’est retrouvé qu’assiégé par ses propres principes et aujourd’hui peut-être ne lui reste-t’il plus rien.
A-t’il déjà eu besoin de quelque chose d’autre que la lumière ? Ardente au creux de ses songes, il se souvient de la première fois qu’il y a plongé, c’était chaleureux, si bien qu’il en avait oublié la douleur.
Son principal mensonge n’était que la lumière ; elle avait disparu, il l’avait détruite.

— Je n’ai jamais eu besoin que l’on détermine mon état. Et je n’ai jamais eu besoin de quiconque à mes côtés. Et il est vrai qu’une seule présence est requise pour qu’il ne s’effondre pas dans ce cycle de ténèbres constantes. Mais s’il l’avait observé, il le savait n’est-ce-pas ? Savait-il le poids désabusé des maux qui s’empressent dans son esprit et galvanisent parfois ses sens ? Tout ce que j’ai réalisé jusqu’ici n’a jamais été un problème. Notre ordre est préservé. Et sa volonté.. Quelle volonté ?

Ashe ne sait même plus si elle est encore préservée. Finalement, il ne le perçoit que lorsque son esprit est apaisé. Mais il a même ici oublié le sentiment d’apaisement. Il n’y a rien d’autres que des ronces qui hantent son esprit, dorénavant.
Sa volonté est peut-être morte depuis longtemps, mais cela fait tant de temps que les mots se sont étourdis sur leurs routes que ce n’est plus la communication qui soigne leurs maux.
Si Parsifal se dégrade - c’est en partie de sa faute.
Si les pensées parasites l’assiège, alors c’est aussi de sa faute, sans doute.
Et pourtant, s’il veut une réponse à ses questions, il n’a pas besoin d’un vulgaire pantin pour lui dire quoi faire. Il n’a besoin que de plonger, ne le fait-il pas si bien ?

À lui aussi, il pourrait arracher des songes. Il n’a besoin que de claquer des doigts - il n’a besoin que de l’observer et d’y pénétrer un instant.
Mais pourquoi faire ? Se rassurer qu’il n’a d’autres pensées avides de témérité que celles-ci ?
Aurais-tu peur Ashe, qu’il soit l’un de ceux qui veulent perturber votre ordre,
Ou serait-il comme elle, ici pour réellement t’aider ? Car il y a fort longtemps que les mains tendues ont été tranchées.

Ça éclate, se fend en lambeaux comme s’il avait lui-même éclaté entre ses doigts son propre verre. Entre ses doigts, il pressent déjà les morceaux qui viennent s’enfoncer au creux de sa paume, il sent déjà le cruor infester sa peau, peu importe ô combien il frottera pour l’enlever, se persuader que c’est une senteur qu’il ne connaît pas - qu’il ne revêt pas.
Parsifal n’a plus de volonté, il le lui a arraché. Ses serres autour du cou, son cou autour d’un vide astral qu’il lui a imposé.. Il n’a jamais resté rien d’autre que des ruines que Ashe n’a su que piétiner. Il n’a jamais pris de plaisir à lui couper les ailes, il n’a jamais intensément souri quand il lui arrachait une à une les plumes.
Il était affreusement peiné, comme si c’était une partie de lui-même qu’on arrachait ; mais il l’a fait.
Ne le devait-il pas ?

N’était-ce pas ce que son père avait fait après tout, et lorsqu’il lui a tendu la main pour la sauver ; elle a refusé.
Peut-être que Parsifal refuserait, lui aussi ?
C’était insensé ; il n’y avait pas de raison qu’on le sauve. De quoi pouvait-on bien le sauver après tout ? Il était le seul à pouvoir l’aider, le seul à pouvoir le protéger, le seul. Personne d’autre ne le pouvait.
Pourtant plus il écoute ses mots, plus son visage se tord. Figure sévère qu’il aborde toujours qui se noie avec déni et rage au plus profond de lui et au départ, il ne saisit pas toute l’ampleur de ses mots. Ce n’est qu’un jeu, n’est-ce-pas ? Et lui semble si bien s’amuser. Ashe s’en demande presque depuis quand les observe-t’il. Il a cette animosité au fond de lui dormante qui menace de jaillir pour planter ses serres dans sa gorge, mais il n’est pas un animal, ni une bête enragée.
Il est un homme incomplet, un homme consumé dans sa rage et sa colère ; il s’en persuade.

La preuve pour lui-même, simple lorsqu’il éveille cette question qui dormait sans doute depuis bien trop longtemps. Réaction immédiate, c’est qu’elle paraît plus fausse que tout mais qu’elle est pourtant la chose la plus honnête et pourtant dévastatrice qu’il n’avait jamais prononcé.
— Bien sûr que je l’aime ! Le mot aimer s’est pourtant si vite dégradé. Il ne sait pas vraiment ce que c’est, aimer ; il ne sait pas vraiment ce que ça représente, ce que cela inclut. Ça lui a toujours semblé si évident, qu’il ne s’est jamais vraiment demandé ce que c’était.
Puis il se rappelle de ce que Kumiho disait, et dès lors elle noyait toutes les autres pensées.

— Pourquoi est-ce que je ferais tout ça si je ne tenais pas à lui ? Moi je n’ai besoin de personne mais lui, il a besoin. De moi. Il a besoin de moi. Il est faible, et je dois rester près de lui. Les mots sont frénétiques, égarés. Comme s’ils luttaient eux-même pour trouver leur place à l’air libre, pourtant contre la gorge, ils sonnent comme un horrible poème amer.
Mais il le sait si bien Ashe - que c’est avant tout pour lui, que pour eux.
Ou peut-être qu’il s’est finalement égaré, qu’il ne veut qu’une lumière qu’il n’existe plus.
Parce que fatigué de ne percevoir que du noir, il avait trouvé la lumière.
Parce qu’un jour elle s’était envolée.

Pourtant il a toujours essayé, toujours répété. Les mêmes erreurs lui offraient toujours les mêmes ténèbres, toujours les mêmes cris assourdissants. Toujours les mêmes plaintes cognant contre la surface. Quand il sourit, Ashe s’éparpille. Qui pourrait bien lui en vouloir ? Il n’a jamais rien su gérer, ni sa colère, ni sa joie, elle lui a toujours filé des mains. Elle s’est toujours suspendue sous ses yeux pour mourir aussitôt, ou peut-être lui-même l’avait-elle étouffé,
Comme il l’avait déjà fait plusieurs fois. Comme il l’avait strangulé la première fois ; autour de l’enveloppe de chair il se souvient encore de l’immondice créée par ses mains assassines.
Quel goût amer. Il persiste encore dans sa gorge comme un mauvais souvenir - mais que faire lorsqu’il s’étend tout au long de sa vie ?

Il est si indélicat que s’en est navrant, si enragé que s’en est désolant.
Nahash lui-même sur son épaule dressé, parfois se retrouve écoeuré ;
Surpris qu’une telle colère ne l’ai pas (encore) dévasté.

Et bientôt il n’y a que ses tapotements contre la table qu’il entend. Qu’il sent rebondir comme les coups qu’il force à faire résonner. C’est ingérable, de toute façon - cette rage qui fermente. Il ne peut jamais la contenir, elle finit toujours par imploser, peu importe ô combien il caresse l’espoir qu’elle se meurt autant que sa raison.
— Non. C’est pour lui.. Pour lui avant moi. C’était comme s’il avait jeté une trop grosse roche dans un océan trop grand. Ça sonnait si lourd parmi les houles. Mais Ashe lui-même ne sait pas, et il s’en déroute.
Son regard titube sur les extrémités de la table, jette son regard au vide en espérant trouver dans le silence toute cette raison qu’il a perdu. Mais ça n’arrivera pas. Je ne le permettrais pas. Et si - pourtant ?
Et il les fait taire aussitôt qu’elles naissent. Il n’y aura jamais de Et si.. Car son esprit tord ses pensées.
Car il est borné, figé sur ses propres idées. Sans moi il serait perdu. Il va finir par se noyer..

Et c’est épuisant de constater sans pouvoir ne serait-ce qu’agir ; mais n’est-ce pas plus épuisant
Que de frapper encore et encore comme colère de sa propre insuffisance ?
Parce que c’est pour ça qu’il se retrouve ici, là, sans jamais ne connaître d’autres endroits que ses propres ténèbres.
Il s’éprend du vide - peut-être est-ce ici qu’on y a dissimulé son propre coeur, il ne sait plus. Tout est si gorgé de remords et de maux, après tout.

Non il n’imagine pas. Il ne veut pas imaginer parce que c’est inclassable - parce que ça serait éveiller tous ses maux les plus brûlant au grand jour. Et Ashe est déjà assez consumé par sa colère pour désirer la partager aux yeux du monde, elle est un secret mal gardé. Une boîte de pandore dont il ne s’échappe que des marques violacées.
Mais il continue, à chacun de ses mots, il répond plus sèchement encore ; comme si c’était naturel, comme si c’était inné. Comme s’il avait passé les barrières de son esprit, même les plus solides. Et il déteste Ashe qu’on perçoive si aisément en lui, parce qu’habituellement c’est lui qui s’aventure dans les esprits, pas l’inverse. C’est lui qui pioche çà et là ce dont il a besoin, c’est lui qui s’essaie et réussit.
Pas l’inverse, ce ne sont pas les autres qui voient en lui, lisent en lui. C’est impossible - même s’il ne se trompait pas.

— Je vous ai dis que ça n’arrivera pas. Mais ça pourrait arriver. Il le sait et l’entend ; il est seul, Ashe. Seul quand les parasites délaissent sa vieille carcasse déjà morte. Seul quand les moineaux ne viennent pas picoter sa peau grisaille. Seul quand il n’a que sa colère qui assiège ceux qui oseraient s’approcher. Il se laissera mourir seul, parce qu’il est déjà né seul. Et c’était douloureux, bien plus douloureux que n’importe quel autre coup.

Qu’il fait taire ses pensées (ses mots) de ses mains qui lentement fondent sur son visage, caressent l’espoir d’un réveil lointain où seuls ses rêves (cauchemars) réussissaient à invoquer de tels scénarios.
— Je me fous de ce que vous imaginez. Ça n’arrivera pas. Il n’aura pas besoin de se tourner vers les autres. Il n’y aura personne de toute façon. - Je les aurais empêché de venir, d’interférer. Pourquoi ? Pourquoi faire ça ?
Il était suffisant, n’est-ce-pas ?
Divinement insuffisant.

Une terrible carcasse mortelle qui se noie dans des doutes et des maux, des angoisses qui brûlent sa propre colère. Une folie acharnée tombant en lambeaux. Taisez-vous maintenant. Qu’il ordonne encore. Mais ses ordres n’affectent personne, ne sont pas même plus convaincantes pour lui-même. Ou je m’occupe moi-même de vous faire taire. Et dans l’angoisse naît la colère.

Et dans la colère naît un cycle de tourments et de peines, qui enveloppent l’être d’un voile nocturne sans fin.
Et dans les ténèbres, il n’y a jamais de lumière.

Ashe le regard déposé sur ce verre à moitié vide. L’orbe qui tressaille au moindre écho, les phalanges qui se grippent au moindre écho trop significatif, les pensées elles-même consumées par sa propre insuffisance, son propre dessiné silencieusement dessiné. Il n’a de cesse de se répéter qu’il n’a pas le choix ; qu’il le doit. Autrement, il ne peut s’effacer, se restreindre à simplement l’observer, c’était impossible depuis ce jour.
C’était peut-être impossible depuis toujours et peut-être que sa moelle elle-même était corrompue, déchirée lentement par tous ces maux qui le ravagent depuis bien trop longtemps maintenant. Alors il peine à réagir aux mots qui tombent, sentence irrévocable de ses gestes, de ses mots, de ses coups. De sa colère grondante qui serpente toujours son derme brûlé.
Car il s’est brûlé lui-même ; il ne l’a jamais contrôlé.
Et peut-être l’a-t’on poussé déjà jeune enfant dans un feu véhément ? Que les crépitements sont si distincts maintenant, il peinerait presque à distinguer la surface. Ce n’était que des ténèbres profondes où il se noyait dans son propre venin.

— Je vous ai dis de vous taire. Il répète et son esprit chahute, cacophonie qu’il ne comprend même plus quand les mots persistent et chantent contre ses tempes. S’il savait à quel point tous ces mots sont parlant - combien de fois les a-t’il entendu ? Ils se suspendaient aux lèvres de Parsifal, parfois même de Kumiho et dorénavant contre ses lèvres courbées d’un sourire juvénile. Qu’est-ce-qu’ils cherchaient ?
Ils ne trouveraient jamais rien d’autre que de la colère, de toute façon.
Une animosité qu’il ne contrôle même plus, qui sillonne son derme jusqu’à le consumer entièrement.

Et à ses suppliques, c’est son visage qui de nouveau se dessine - une peinture élégiaque qu’il a meurtri voir effacé au cours du temps.
Une peinture qu’il a strangulé pour qu’il ne reste que des teintes mortelles.
Alors que devait-il faire ? Pourquoi devait-il le faire ? Il avait tout anesthésié. Sur l’instant, son sang ne fit qu’un tour. Il était comme elle, n’est-ce-pas ? Il ne connaissait pas même son nom mais dès qu’il apparaissait dans son champ de vision, il lui donnait presque son nom.
Kumiho, avais-tu envoyé un autre de tes chiens sur son chemin ?
Qu’essayais-tu de faire, voulais-tu le rendre fou jusqu’à ce qu’il soit incapable de penser ?
Et dès qu’il n’arrive plus à simplement démêler le vrai du faux, il se jette. Brusquement se dresse dans un grincement involontaire de sa chaise qui bat le sol jusqu’à arriver à basculer sur la table, où il renverse son propre verre sans en démontrer la moindre inquiétude. Monstre qui a dévoilé sa chitine, bête enragée disgracieuse qui a révélé ses crocs, il enserre son col entre ses poings - ses poings toujours si rougis par les mêmes coups qu’il porte. Quand il tiraille pour mieux l’amener vers lui, pour mieux entrevoir son regard ; son sourire si railleur, il se noie chaque fois un peu plus dans la colère et grogne. Grogne et gronde comme si on lui avait arraché la raison. La ferme où je t’arrache cette langue qui gesticule trop. Il avait oublié, toutes ces ombres de lui-même qui avaient levé le regard à sa violence soudaine. Il avait oublié, qu’il ne pouvait jamais noyer sa colère, et qu’à chaque fois qu’elle faisait surface de nouveau, c’était pour l’étreindre sans jamais la délaisser. Et je te butterais autant de putain de fois que tu prononces son nom. Qu’il répète encore, qu’il répète pour se persuader - parce qu’il le tuera, de la même manière qu’il s’est tué.

S’il s’obstinait que non, il avait pourtant tout l’air d’une affreuse bête sauvage enfermée dans une cage. Une bête de cirque sur laquelle on braque les faisceaux lumineux, mais Ashe se moquait bien de paraître ainsi. Il savait ce qu’il était, il s’était admiré tant de fois ; les rives de son corps en lambeaux qui parfois se distordaient de rage et de colère - et quand la haine puisait au fond de son coeur, il n’y avait qu’un horrible vide, un néant glacial qui accueillait les flammes les plus véhémentes.
Pourtant quand il est projeté en arrière et qu’il lâche sa colère du bout des doigts, il ne ressent qu’une immense frustration. De ne pas l’avoir frappé comme il l’a frappé lui, de ne pas l’avoir étouffé entre ses doigts comme-
Et il se fige à cette pensée. Parce qu’il refusait de s’y autoriser ; cette songe terrifiante. Il n’était pas comme elle, peu importe ô combien elle le soulignait.
Pourtant sa colère était prête à lui faire comprend qu’il l’était.
Aussi grondant que la foudre et meurtrier que le faucheur.

Et quand il s’exprime à haute voix, c’est une partie de sa raison qui s’envole. Pourquoi Diable lui tombait-il dessus ? N’en avait-il jamais assez ?
Ashe se demandait sérieusement si Kumiho n’était pas derrière tout ça ; ça lui ressemblait tellement. Mais si c’était le cas, il n’aurait alors plus aucune échappatoire. C’est une laisse qu’on avait pendu autour de son cou, des chaînes grisantes qu’il peinait à déchirer.
Et encore aujourd’hui, les chaînes persistent ; de ses étreintes sur ses épaules, sur ses bras.
C’était donc ce qu’il avait ressenti ce soir là ?
Il savait qu’il aurait pu se jeter sur eux à la suite ; il ne connaissait pas ses limites, mais était-ce le plus sage à faire ? C’était sa peau qu’il pouvait, sa peau à lui ; puis sa peau à elle. Il se fichait des emmanchés et de leur odeur immonde. Il se fichait des chaînes autour de ses poignets, ce qu’il voulait n’était que propager son propre chaos. Un chaos qu’il n’a jamais désiré mais qui persiste.

— C’est ça pour toi le pouvoir vieux déchet ? Ramener le trou du cul du monde pour m’empêcher de te déchirer la gueule ? Un rire trop gras, trop pernicieux. Des songes trop lamentables pour qu’il persiste à se faire plus petit encore ; il n’avait plus rien à perdre. Peut-être lui, au final ? Mais qu’est-ce-que ça changerait ? Il savait très bien que Kumiho ne le tuerait jamais.
Et si seulement il savait qu’elle n’était en rien derrière ça,
Que seul le temps a décidé de le rendre un peu plus fou ; d’un peu plus l’étreindre de ses propres torts. J’en ai rien à foutre, d’être un homme de pouvoir ou faible. D’arracher ma place ou de la gagner, y’a que les petites souillures dans ton genre qui se posent ce genre de questions. Il ne se sent ni fort ni faible ; il ne se sent pas. La seule chose qu’il sent, c’est son sang qui brûle ses temps. La faiblesse, elle naît, elle n’a pas toujours existé.
La faiblesse c’est peut-être de se demander qui est le plus fort - mais dans ce cas là Ashe, ne fais-tu pas partie d’eux aussi ?
Peu importe, rien de tout cela n’a de sens de toute façon. Et dans sa colère, il n’y a qu’un sourire gras qui s’est peint.
Peinture laide, peinture acharnée ; on ne lui donnerait jamais de nom de toute façon.

La faiblesse, ce mot grondant qui s’agite dans sa tête. Il se fiche d’être faible, il se fiche d’être fort ; il y a longtemps que la songe a dévasté son esprit, il y a longtemps qu’il ne porte plus aucune importance à lui-même. Son propre état est lui-même bien loin d’être son problème, c’est peut-être pour cette raison qu’il ne s’inquiète plus de cette rage mortifère qui sommeille en lui. Des ambitions, il n’en a pas vraiment non plus. Il les oublie, elles reviennent puis il les abandonne. Parsifal à ses côtés est suffisant - et c’est là où il se noie. Quand il nie que sa présence lui est nécessaire parce que c’est évident qu’il ne pourrait vivre sans lui.
Il a pris une trop grande place dans sa vie, une trop lourde place dans son coeur. Il a tout exécuté en son propre nom, il s’est (l’a) battu en son nom, il s’est tué en son nom.
Il n’avait plus besoin du sien, tant que celui de Parsifal résonnait.
C’était idiot, il ne savait pas même ce que c’était d’aimer si doucereusement. L’avait-il connu, un jour ? Il ne savait plus, peut-être qu’il n’arrivait plus à penser et que ces chaînes qui le retenaient n’arrangeait pas son cas.

C’est qu’il gronde tant que son sang pulse à lui en déchirer l’échine.
— Faible parce que j’ai envie de te déchirer la gueule ? Il a un mauvais rictus aux lèvres, quand il se force à l’écouter, quand la mélodie de sa voix se joue incessamment et qu’il se souvient qu’il a dit trop de fois son nom. Trop de fois pour qu’il le laisse continuer. Il ne peut pas se retenir d’éclater - en rire désespérés, de lui-même ou de tout ce non-sens ? Il ne sait plus ; mais ce n’est pas important.
— J’sais pas, et si tu m’laissais tabasser ta gueule d’ange, on verrait peut-être ça à deux ? Peut-être qu’il se sentira un peu plus vivant, lui aussi ? Tu peux dire à tes gars de se faire plaisir, pour épargner ton incompétence. Soupir lassé mais colère véhémente, c’est qu’il a les poings qui tressaillent d’envie de couvrir son corps de tâches bleutées, pourquoi pas même d’un peu de rouge. Ta mère t’as jamais dis de fermer ta gueule ? Parce que si elle l’avait fait, alors peut-être qu’il ne se serait pas assez noyé dans son charabia pour discerner qu’il est - ou a peut-être été parmi les faibles un jour.
Mais la faiblesse, ce n’est pas seulement être assis et écouter ; la force ce n’est pas de frapper avec violence.
La faiblesse à des teintes que tout le monde ignore.
S’il se fait rouer de coups aujourd’hui, ce n’est pas pour couvrir le trône du plus faible ou du plus fort.
Car ni sa colère ni sa haine n’est prête à faner de si tôt.