Elle se remettait tout juste de l'impromptu retour d'entre les morts de son frère, de leurs retrouvailles tièdes et de la dispute qui s'en était suivie, qu'elle avait reçu un mot de ta part t'indiquant l'avoir croisé. Ainsi, Clovis parcourait le monde comme s'il ne l'avait jamais quitté, et rejetait sans doute tout ce qui composait sa vie d'avant ... Elle devine sans peine que votre entrevue a dû être particulièrement électrique, compte tenu du statut qu'avait désormais ta famille. Elle devait bien être la seule Lestrange à ne pas vous avoir répudiés, toi et ta sœur.

Vous aviez convenu de vous retrouver dans le club que tu possèdes dans l'Allée des Embrumes, endroit discret s'il en est, où l'on ne s'attendrait pas à la voir, encore moins à tes côtés. La prudence était néanmoins de mise, et elle avait cheminé avec la plus grande des discrétion, cape sombre sur les épaules et large capuchon au sommet du crâne, prenant le soin de se retourner régulièrement pour s'assurer qu'on ne filait pas ses pas.

Arrivée la première sur les lieux, elle choisit de s'installer à une table quelque peu retirée, sans histoire, avant de faire tomber sa capuche. L'ambiance sombre des lieux était parfaite pour s'y dissimuler. Après avoir commandé un verre d'hydromel, elle sort son étui à cigarette gravé de l'emblème des Lestrange et en tire une qu'elle glisse entre ses lèvres, l'allumant d'un simple sortilège d'incandescence. Inspire longuement avant d'exhaler sa fumée dans un soupir, déjà agacée par le sujet de discussion à venir. À peine revenu parmi les vivants que son satané frère causait déjà des ennuis.

Puis, du coin de l'œil, elle aperçoit une silhouette s'approcher de la table, et reconnaît ta démarche avant même de poser le regard sur ton visage, étrangement intact pour ce qu'elle s'était imaginé de vos retrouvailles explosives avec Clovis. Bien consciente que les marques d'affection d'antan sont révolues, en dépit de la discrétion des lieux, elle ne tend pas la joue pour une bise mais lève plutôt la main vers toi, dos vers le plafond, afin d'accueillir un baisemain.

Mon ex-fiancé préféré.

Souffle à nouveau sa fumée, avant de reprendre.

Tu t'es arrangé avant de venir me voir ? Parce que je suis certaine que c'est avec les poings que mon frère t'a parlé.

Étrange en effet qu'après tant d'années passées côte à côte, à braver les obligations maritales que vos familles faisaient peser sur vous, vous deviez désormais vous rencontrer dans le plus grand secret, à l'abri des regards indiscrets. Le criminel malgré lui et son ancienne fiancée, déshonorée si on la voyait en sa compagnie, chacun gardien du secret de l'autre, c'est le curieux tableau que vous formez dans ce club discret et équivoque.

Tu déposes un baiser sur le dos de sa main et elle te sourit dans la pénombre ambiante des lieux, heureuse malgré les circonstances de retrouver un ami de toujours, et de confiance. Elle écoute avec attention, le regard braqué sur toi avec intérêt tandis qu'entre ses doigts, la cigarette fume lascivement. Quelqu'un qui sait comment effacer ce genre de trace, hein ? Le sens caché ne lui échappe pas, et elle répond avec un sérieux sincère :

Je suis contente que tu aies quelqu'un. Quelqu'un de confiance, en plus, semble-t-il. Mon frère n'en vaut pas la peine.

Elle sait, même si tu ne l'as jamais admis.
Elle sait et elle devine ta souffrance.

On t'apporte ta boisson et avant que tu ne la portes à tes lèvres, elle lève son verre pour le faire tinter contre le tien dans un simulacre de trinquée, amusée. À nous. Pauvres de vous, qui devez souffrir de vos obligations et cacher vos véritables attirances, réunis par le malheur de connaître une seule et même personne que vous pensiez disparue il n'y a encore pas si longtemps.

Elle boit en même temps que toi, puis pose son verre, laissant reposer sa main contre le pied, et écoute ta question. Son visage se fait songeur, le regard se perd en diagonale dans une pensée pendant qu'elle porte la cigarette à ses lèvres pour se donner le temps de réfléchir, avant de finalement se lancer.

Changé. Changé, et en même temps ... toujours le même. C'est étrange à dire. C'est comme s'il fuyait quelque chose. Tu sais qu'il n'est pas venu nous trouver tout de suite, avec Mnemosyne, quand il est revenu ? Je lui en veux encore pour ça. Nouvelle bouffée de cigarette. Et en même temps, c'est comme s'il poursuivait désespérément quelque chose. Je soupçonne un rapport avec notre père. Je l'ai trouvé en train de fouiller dans ses affaires, à Melrose.

Tes traits se crispent lorsqu'elle évoque son frère avec amertume, elle le voit bien. Elle te connaît par cœur, Argus Jasper Fawley, tout autant que tu peux t'en vanter la concernant. Et son cœur saigne, tu sais, de savoir que le tien s'emballe pour une personne aussi instable que son cadet. C'est la certitude des aînées, et celle des amies, qui a conscience du peu de chances qu'il existe pour que votre lien devienne ce que tu aimerais tant qu'il devienne.

Tu la corriges sur la nature de ta relation avec cette personne que as évoquée, prétextant qu'il n'y a là rien de sérieux, et elle hausse les épaules en guise de réponse.

Peu importe. Sérieux ou pas, c'est une chance d'avoir une personne de confiance.

Le temps d'un instant, ses pensées s'aventurent vers cette soirée toute récente qu'elle passait au comptoir de son bar favori lorsqu'une jeune femme comme venue de nulle part est apparue pour se tailler une place dans son existence, à elle aussi. Vous restez les mêmes, tous les deux, fidèles à vos véritables attirances.

À tes aveux coupables, elle te couve d'un regard tendrement attristé, peinée d'avoir vu juste. L'amour est bien cruel, en effet, de te laisser t'accrocher à un homme qui ne le mérite pas. Mais a-t-on la moindre chose à dire dans son œuvre ?

D'un sourire énigmatique, elle admet tout.

En effet. Je vous connais suffisamment, toi et Clovis.

Et ce depuis longtemps. Avec un soupir, elle porte de nouveau la cigarette à ses lèvres, inspirant sa dernière bouffée avant de la terminer et de la jeter dans le cendrier qui vous fait face. Ses doigts s'aventurent sur le pied de son verre, sans pour autant le saisir pour le moment, et y tapotent un rythme nerveux, pensif.

Aucune, qu'elle concède à contrecœur. Et c'est bien ce qui m'embête. En trois ans, il a eu le temps d'aller n'importe où, et surtout de faire Dieu sait quoi.

Elle trempe finalement les lèvres dans son alcool pendant que tu parles, sans te quitter du regard. Tout ce que tu soulèves est d'une justesse sans pareille, et ça la frustre que personne d'autre ne semble s'en rendre compte. Posant son verre sur la table, elle approuve fermement :

Nous sommes d'accord. Rien ne va dans cette affaire. Même si l'on met mon frère de côté, ta famille n'avait aucune réelle raison de s'en prendre à la mienne.

Un instant s'écoule avant qu'elle n'ajoute :

Ah et je ne sais pas si tu le sais, mais Valérian s'est énormément rapproché de mon cousin, ces derniers temps. Je n'aime pas ça du tout. Alaric lui passe tout.