Tu trifouilles dans ton casier, agacée. Tu veux bien être un peu parano mais il y a tout de même des signes qui ne trompe pas. Les regards, les expressions un peu déformées. T'as vu ça une bonne partie de ta scolarité et tu vois ça encore en boucle depuis ton arrivée dans l'équipe. T’avais voulu croire qu'entre adultes (l'étiez-vous seulement ?) ce genre de non-dits étaient ringards, qu'on pouvait se regarder dans le blanc des yeux pour balancer ses quatre vérités quittes à se déchirer, quitte à se faire mal, pourvu qu'on ressorte de là avec les abcès crevés. Visiblement non. Et ça t'emmerde, profondément. Outre ta fierté, c'est ton travail qu'on insulte, voir celui de Luke. Il y avait quelque chose d'assez frustrant à se rendre compte que même les portes de Poudlard passées la vie restait la même. T'étais assez fière, cependant, d'avoir su rester professionnelle.

T'avais encaissé l'entraînement, pour rejoindre avec les autres au vestiaire. Tu t'attardes plus que tu ne le devrais en attendant que tout le monde sorte. Sauf lui. Au diable la délicatesse, hors de question de revivre un Poudlard bis. Pas ici. Pas dans l'équipe. Alors tu claques la porte de ton casier, tu l'interpelles.

— Bon, c'est quoi ton problème avec moi Russell ?

Tu croises les bras, le toise de haut. Tu n'as pas spécialement à cœur de le mépriser, si possible t'es prête à aimer. Mais avant, y a un certain bordel a ranger.

— Je ne suis pas aveugle, je vois ta gêne et ça me met mal à l'aise. Si t'as un truc à me dire, dis-le, je mord seulement les abrutis.

Et t'es pas un abruti, hein Caleb ?

Février 2031

Il y a des rumeurs qu’on raconte une, deux, trois fois, et on finit par y croire à force de les entendre. C’est ton cas Caleb, Dorothy est quelqu’un dont tu apprécies la compagnie, mais il faut l’avouer qu’elle semble un peu jeune pour être dans l’équipe. Tu devrais passer outre tout ça mais le temps passe et ça t’affecte sincèrement. Il y en a qui galèrent pour se faire recruter et Dorothy… On dirait qu’elle a eu ça d’un claquement de doigts. Enfin ça, c’est ce que t’as entendu. Ça te tend au possible, et ça affecte tes performances.

L’entraînement a été pénible autant pour toi que pour les autres, parce que tu avais la tête ailleurs. Franchement, tu aurais préféré être dans un meilleur état d’esprit mais tu laisses bien trop souvent les émotions prendre le dessus sur le reste. Plusieurs fois tu t’es demandé pourquoi tu es tendu par des stupides rumeurs, pourtant c’est là.

Tu n’en peux plus.

De retour aux vestiaires tu serres les poings, tu serres les dents. Tu te rhabilles pour t’apprêter à repartir mais tu prends ton temps, les yeux rivés sur ton pineapple en train de regarder une vidéo de merde sur le réseau moldu. Tu essayes de penser à autre chose mais tant que tu n’es pas chez toi, tu ne seras pas serein. Puis finalement Dorothy t’interpelle, tu en soupires, tu ne t’attendais clairement pas à une confrontation. Surtout aujourd’hui.

« Pourquoi j’aurais un problème avec toi ? »

Un soupir. Mentir, ce n’est clairement pas ton genre, et à chaque fois que tu essayes ce n’est pas difficile de comprendre que tu ne dis pas la vérité. Tu le sais au fond de toi, tu ne peux pas échapper à la confrontation éternellement.

« C’est vrai ce que les gens disent ? »

Tu te redresses, tu éteins l’écran de ton téléphone pour que la vidéo s’arrête et pour que vous soyez seuls.

« Je m’en foutais un peu, mais ça fait des semaines que ça continue de parler. Tu vois de quoi je parle ? »

Ton premier réflexe, c'est de rouler des yeux. Tu viens t'appuyer contre ton casier, toujours les bras croisés. L'air de dire "sérieusement ? Joue pas au plus con avec moi" parce que tu n'as pas spécialement la patience de tourner autour du pot. Heureusement pour toi et pour lui, il vient soupirer, montrer qu'il n'a plus la force de faire semblant lui aussi. Parfait. Une bonne conversation en tête-à-tête, c'est tout ce que tu attendais.

Et le couperait tombe assez vite. Ça a le mérite d'être franc et tu apprécies. Tu hoches la tête laisse dérivée ton regard sur le sol avant de revenir vers lui.

— Je vois de quoi tu parles, ouais. J’entends les rumeurs moi aussi.

Tu soupirs et te redresses pour faire quelques pas dans sa direction. T'es pas en colère, juste lasse, parce que t'aimerais bien qu'on te foute la paix, qu'elles se tassent d'elle-même, ces stupides rumeurs. Seulement, ce n'est pas aussi simple.

— Ça parle parce que c'est facile d'en parler. Au cas où tu lirais pas les journaux, ma famille fait un peu la une depuis quelques mois. Et pas pour les bonnes raisons, mais bon. Alors évidemment, que je me fasse sélectionner ça relance la machine et que mon parrain soit l'entraîneur ça l'a fait dérailler encore plus.

Tu remontes ton regard vers lui, tu le toises, sans violence. T'es pas là pour lui rentrer dedans. En fait, t'aimerais bien qu'il t'accepte, que naisse entre vous le respect qui a pu naître entre Teddy et toi, par exemple.

— J'ai pas été pistonnée. J'aurai pu, mais j'ai interdit à Luke d'interagir en ma faveur. Je me suis présentée aux sélections comme tout le monde et j'ai passé les tests comme tout le monde.

Tu l'observes, guettes sa réaction.

— Je me donne toujours à fond sur le terrain, je pensais que mon sérieux parlerait de lui-même.

Et que tu le verais.

Février 2031

Les conflits, il n’y a rien de pire. Mais bon, tu as quand même laissé quelque chose te bouffer jusqu’au plus profond de tes entrailles, et voilà où ça te mène. Tu ne sais vraiment pas pourquoi tu n’as pas voulu en parler tout de suite. Peut-être pour ne pas la déranger ? Elle doit avoir tellement à faire avec toutes ces rumeurs. Et puis tu t’es laissé bouffer.

« Je me doute bien que tu les entends. »

Mais ça se répand comme un poison. Et ça t’a affecté, et quand t’y penses maintenant que tu es en pleine confrontation tu te sens quand même sacrément con. T’aurais dû lui en parler dès le début, au moins pour avoir les deux versions. Tu n’aimes pas te faire remonter les bretelles comme ça mais tu l’as quand même bien mérité.

« Les soucis de famille ça ne me regarde pas. »

Ça ne t’apporterait pas grand-chose d’apprendre que sa famille ait fait des saloperies ou non. Tu juges une personne à la fois, pas un tout. Et puis tu finis par soupirer, tu te grattes nerveusement la tête.

« Oui oui, je sais que tu es sérieuse et que tu donnes tout ce que tu as. C’est juste que… Je ne sais pas ce qu’il m’a pris, j’ai commencé à te juger sur des non-dit »

Et qu’est-ce que ça t’embarrasse, tu ne peux pas cacher les rougeurs de ton visage ; c’est encore plus impossible que de tenter de cacher tes émotions. Tu essayes de rire nerveusement, de te détendre, mais on dirait plutôt que tu manques de souffle tellement tu te retiens d’exploser sous la honte.

« Pourquoi on s’acharne sur toi comme ça ? Je m’en veux vraiment beaucoup. Mais je dois être quand même super idiot pour me demander s’il y a une part de vrai dans tout ça. »

Après tout, ne dit-on pas que les rumeurs sont parfois basées sur un semblant de vérité ?

Tu le toises, le pauvre se ratatine. C'est pas comme-ci il t'avait insulté, pas comme-ci il t'avait traîné dans la boue. Tu comprends qu'il avait juste des doutes, qu'il s'était juste laissé influencé. Comme tout le monde, t'as envie de dire. Ça fait longtemps que tu ne crois plus en l'impartialité. Tu soupires.

— Relax, je ne vais pas t'égorger Caleb.

Tu passes une main dans tes cheveux, t'adosses contre le casier.

— Désolée, je suis un peu sur les nerfs en ce moment.

C'est que ça fait beaucoup, que tu pensais que tes actions parleraient d'elle-même. C'était sans compter sur la persévérance des gens à vouloir parler des autres sans leur demander leur avis.

— Je sais pas, Caleb. Peut-être parce que j'ai vendu ma mère et ma grand-mère aux flics et que ça choque toujours quand un enfant tourne le dos à ses parents. Ou alors c'est peut-être parce que malgré ça j'ai choisi de mener une carrière médiatisée, qui sait ?

Tu lui décroches un regard, attends quelques secondes, la mine un peu moins agressive.

— Écoutes, je demande pas à ce qu'on soit tous de supers amis. Mais j'aimerais qu'on m'estime pour ce que je suis en tant que joueuse, en tant que membre de cette équipe. Bref, je voudrais qu'on puisse se faire confiance, même si ce n'est que sur le terrain.

Tu te grattes la joue.

— Alors parle-moi quand t'as un truc à me dire, d'accord ?

Février 2031

Ça va te rester longtemps en tête, tu vas culpabiliser assez longtemps et ça va t’empêcher de dormir tant que tu ne te seras pas pardonné. Mais t’as quand même bien envie que tout se tasse pour ne pas ruminer les mêmes news en permanence.

« Désolé. »

T’es comme ça, les membres qui tremblent tout le temps quand quelque chose te dérange. Et c’est encore pire quand il y a la confrontation. Personne n’aime ce genre de choses, on se croirait dans un bureau avec le boss pendant la réunion annuelle. Ça t’en donne des frissons. Cela dit tu la comprends qu’elle soit sur les nerfs, et tu viens poser une main sur son épaule comme pour la soutenir. Juste un instant.

« C’est sûr que ce genre d’affaires c’est mieux que ça reste dans le silence. Mais il y a tellement plus de monde qui mérite qu’on dise du mal d’eux. C’est vraiment injuste. »

Et ça risque de le rester. Merde, ça te fait vraiment chier, tu hausses les épaules et tu essayes de faire le grand mais ça fait bien longtemps que ça ne sert plus à rien devant Dorothy. Tu espères juste qu’elle ne se foutra pas de ta gueule pour se venger de ton manque de recul avec son histoire.

« Je t’aime bien moi. Malgré tout ça. Tu es un bon élément dans l’équipe. Je vais essayer de faire des efforts, en temps normal j’ouvre bien ma gueule mais j’avoue que là je trouvais ça vraiment gênant de t’en parler. »

Pour une fois, tu es bien content que l’abcès ait éclaté. Tu viens passer une main sur ta nuque, remontant jusqu’à tes cheveux quitte à tout décoiffer. Tant pis.

« Sinon… tu t’en sors bien hors des entraînements ? On n’a pas trop eu l’occasion de se voir en dehors. C’est dommage, j’aimerais bien faire plus de trucs avec toute la team. »

Tu lui adresses un sourire las, hausses les épaules.

— La vie est injuste à ce qu'il parait.

Et, quelque part, t'en est à un stade où c'est plus apaisant de se montrer fataliste, de ne plus se révolter. T'en est à un stade où c'est mieux d'accepter, humble, que la vie c'est de la merde et que c'est comme ça. Néanmoins, t'es quelque part reconnaissante qu'il existe tes gens comme Caleb pour se révolter à ta place. T'as plus 17 ans, Dorothy. T'as plus la même rage impudique et ridicule qu'autrefois.

— Ça finira par se tasser. Les gens trouveront un nouveau scandale à se mettre sous la dent un jour.

Tu laisses ta tête reposer contre le casier, lui offre un sourire, plus joueur, plus prononcé.

— Oh, tu m'aimes bien ?

Tu le fixes une seconde, juste pour t'amuser de l'éventuelle confusion.

— Ça tombe bien, j'avais pas pour projet que tu me détestes.

Tu soupires, indulgente, tu ne vas pas la torturer plus longtemps.

— Je suis pas fâchée, Caleb, juste un peu lasse. J'aimerai juste... Comment dire... J'aimerais juste avoir un endroit où on ne me pointe pas du doigt. Être juste Dorothy, t'sais, cette meuf qu'étais hyper cringe à Poudlard mais qui se débrouille plutôt bien aujourd'hui malgré sa petite taille.

Tu te détaches du casier, tapotes son épaule.

— Bah, un peu tard pour motiver tout le monde et Teddy à l'air d'être hyper casanier mais on peut commencer à deux ? Un petit verre entre collègues, c'est qu'on a sûrement des choses à se raconter vu comment nos vies ont pu être mouvementées ces dernières années.

Février 2031

Tu serres un peu les poings, tu te retiens d’exploser. Tu en es même rouge, on dirait que tu retiens un truc qui te bouffe la vie mais ce n’est rien comparé à d’autres choses plus graves. Mais c’est comme ça, tu laisses tout s’exprimer de façon disproportionnée, même si c’est un simple caprice qui te casse les pieds.

« J’espère bien pour toi. Une semaine de rumeurs c’est déjà trop, alors des mois ou des années, je n’ose pas imaginer l’enfer. C’est comme quand tu passes les pires années de ta vie à l’école. »

Il n’y a rien de pire que de se faire malmener pendant qu’on se construit. Et vous êtes tous les deux encore jeunes, tu es probablement le plus con entre vous deux et ça ne risque malheureusement pas de changer. T’as peut-être hérité ça de ton patronus et animal que tu revêtis de temps en temps, où tu ne penses qu’à courir et manger. Le reste importe peu.

« Oui je t’aime bien. » Tu n’as pas l’air de bien saisir ce qu’elle veut te faire comprendre. « C’est vrai que t’as pas mangé beaucoup de soupe toi. Mais pendant les entraînements et les matchs tu es Dorothy, ils sont tous fans de toi dans le public, ils oublient les rumeurs non ? »

T’essayes de la convaincre que ce n’est pas si pire que ça, qu’elle n’est pas tout le temps cette pauvre fille qu’on essaye de foutre plus bas que terre. Tu lui souris un peu, c’est vrai que ce serait bien de se retrouver autour d’un petit verre.

« Ce n’est pas obligé qu’on se retrouve juste entre collègues, j’aime bien être potes avec tout le monde, on a la chance de ne pas être coincés derrière un bureau à trier des papiers pour la cinquième fois de la journée et à faire le faux-cul avec les autres. »

Tu te recoiffes comme tu peux, tu finis quelques retouches, en tout cas, ça te ferait vraiment super plaisir de la retrouver en dehors des jeux.

« Et si on trouve d’autres gens pour nous suivre, peut-être que ça poussera Teddy à se joindre à nous ? Je sais pas du tout, mais faut qu’on se planifie ça à un moment. »

Tu lèves les yeux au ciel, un sourire désabusé sur les lèvres. Exactement comme à l'école, la comparaison est plus qu'appropriée. Mais sa révolte à quelque chose d'apaisant. La situation est peut-être plus critique mais moins difficile à vivre. Après tout, tu n'es pas toute seule. Et si tu arrives à te faire une place dans l'équipe, tu sais que tu pourras tanker. C'est ton job, après tout, de tanker.

Tu lui adresses un sourire, hoches la tête.

— Ouais, t'as sûrement raison.

Tu te surprends à rire aussi. La vérité, c'est que t'aurais sûrement été à la place d'un de ses ramasses papiers si tu n'avais pas eu le courage de te présenter aux sélections. Tu esquisses l'image de ce que serait une soirée en compagnie de tes collègues. Tu fantasmes les liens, fantasmes l'unité. Dans le fond, c'est peut-être ce dont tu as le plus besoin. Après plus d'un an à fuir tout le monde, tu avais peut-être enfin atteint le moment où, lasse d'être seule, tu trouves la force de te sociabiliser de nouveau.

— Écoutes, je peux essayer de motiver Neal déjà ! Pour le reste, on lance un appel, viendra qui pourra.

Tu l'observes quelques secondes.

— Merci, en fait.

C'est un peu maladroit, mais ça a jamais été dans tes attributions d'être habile.

— Je suis contente qu'on ait eu cette discussion.

Février 2031