▌Debout devant la porte, exilé à l'extérieur de ta propre chambre, un plateau à dessert dans les mains; avec un peu de recul, la situation pourrait sembler totalement ridicule. Mais non. Un air très sérieux, un peu soucieux, déforme tes traits. Tout ceci ne serait jamais arrivé si tu n'étais pas complètement bouché comme disait ta mère. Tu sentais encore son regard fixé dans ton dos alors que tu quittais la cuisine après avoir déposé deux desserts sur le plateau. Pourtant, ce n'était pas sa réaction à elle qui t'inquiétait. C'était celle de Dorothy.

La soirée avait commencé normalement, ou plutôt, aussi normalement que possible vu les circonstances étranges dans lesquelles tu vis depuis que tu es rentré de Turquie. Dorothy Martin, son père et son petit frère, sont logés chez toi, ainsi que le fiancé de ta mère, et tout ce petit monde se retrouve réuni autour de la table pour le repas du soir. C'est toujours une vision étrange, ça. Le genre de choses que tu ne vis qu'à Noël, chez tes grands-parents, quand toute la famille paternelle est réunie autour du repas. Mais chez toi? Jamais.

C'est ce qui se rapproche le plus d'une scène de famille et ce n'est pas le genre de choses qui se passe ici. Si en temps normal t'évites au maximum de manger avec ta mère et son fiancé moldu, parce que c'est gênant, là tu n'as pas trop le choix. Pour le coup, c'est pas tellement gênant. Juste étrange. Benny le Moldu semble content de partager son savoir avec vos invités, Tommy dit des trucs mignons sans même s'en rendre compte, tu fais des blagues à Dorothy pendant le repas et ta mère n'a jamais été aussi présente à la maison de ta vie, à croire qu'elle rattrape le temps perdu.

Et bien sûr il a fallu que tu gâches tout avec ton annonce en milieu de repas. T'étais occupé à couper un légume, t'as relevé la tête pour demander le sel et c'est sorti tout seul.

Au fait... annem tu me passes le sel? Je vous ai pas dit, mais j'ai commencé à chercher un appart à Londres. Pour me rapprocher de Ste-Mangouste.

Ce que tu n'ajoutes pas, c'est: et pour ne pas dormir sur le matelas gonflable tous les soirs, mais c'est une évidence. La maison est petite et toi, tu ne peux pas squatter éternellement le sol de ta chambre ou la chambre d'ami chez tes grands-parents. Mais comme toute cette situation n'est la faute de personne, ce n'est pas quelque chose que tu pourrais dire sans que cela ressemble à un reproche. Et ce n'en est pas un. Vraiment. Ta décision repose sur une réflexion très logique et à aucun moment tu ne te doutes qu'elle pourrait ne pas l'être aux yeux de tous.

Tu relèves la tête en captant que ta mère ne t'a pas passé le sel. Son regard est critique. Tu n'as pas le temps d'articuler un: quoi? qu'elle affiche soudain un sourire sarcastique:

Oh, mais quelle brillante idée, mon fils... Je suis sûre que nous sommes tous enchantés!

Elle insiste tellement sur le tous que tu es obligé de regarder la réaction des autres. Tu ne mets pas longtemps avant de voir à qui elle fait référence exactement. T'es un peu con, Gus, mais tu essayes. C'est bien. C'est un peu tard, mais c'est bien. Benny le Moldu se racle la gorge, visiblement mal à l'aise. Même lui a saisi la délicatesse de la situation. Il se lève tout d'un coup, faussement entousiaste:

Alors, euh... qui veut du dessert?!

Peine perdue, ta petite intervention, qui se voulait innocente, a mis fin au repas de façon précipitée. Et là, tu es donc devant ta chambre, qui est plutôt celle de Dorothy et Tommy maintenant, avec les desserts en guise d'offrande à la colère de ton amie. Tu inspires un coup, et tu frappes à la porte.

Je peux entrer?

Tu baisses brièvement les yeux sur le plateau.

J'ai de la mousse au chocolat.

Ou je viens en paix, dans la langue des poufsouffles.

▌Même si Dorothy a bien fait comprendre qu'elle ne voulait pas de dessert, tu le lui amènes quand même. Chez Poufsouffle on dit qu'on est toujours moins en colère quand on a l'estomac plein. Et aussi qu'il ne faut pas se coucher le ventre vide. Ils sont plein de sagesse, ces blaireaux. Pendant une seconde, tu te demandes si elle va te laisser sur le seuil, mais elle ouvre finalement la porte, le visage impassible, avant de retourner près du lit. Elle plie et replie un pauvre t-shirt. Logo de la NASA, il te semble que c'est le tien. Mais qui sait? S'il était resté là pendant ton séjour en Turquie, Dorothy l'avait peut-être adopté à vie. Comme t'as pas deux mains de libre, tu dois choisir entre garder le plateau avec les deux mousses au chocolat et ranger ta pile de vêtements propres. Mais t'es pas venu faire la lessive en fait. Ou laver ton linge sale en famille, haha. Tu ravales ta blague nulle au moment-même où elle traverse ton esprit, nerveux.

Non, je suis venu m'excuser.

Peut-être pas de l'annonce, mais de la façon dont tu l'as amenée. Il est clair à présent que ce n'était pas le bon endroit, ni le bon moment. Tu ne pensais pas à mal, bien sûr, mais honnêtement, avais-tu réellement analysé les effets de cette décision avant de la prendre? Tu croyais penser aux autres en prenant ton indépendance de cette façon, mais c'est toi que tu faisais passer en premier, Argus. Comme quand tu avais décidé de rester plus longtemps en Turquie. Tu savais que ce choix allait impacter plus que ta petite personne mais tu avais tout de même décidé d'être égoïste. Être égoïste n'est pas toujours une mauvaise chose, pour autant qu'on le fasse pour les bonnes raisons. Si tu as blessé Dorothy, c'est qu'il n'y avait pas que de bonnes raisons.

Je suis désolé d'avoir annoncé ça comme ça.

Tu ne t'es jamais vraiment brouillé avec elle, pas de façon sérieuse en tout cas et jamais depuis que vous êtes amis. Tu détestes l'idée. Tu te sens quand même un peu con, debout avec ton plateau, alors tu poses délicatement les deux petits pots en verre et les cuillières sur le bureau. Manquerait plus qu'ils se retrouvent bousculés, dégâts collatéraux, un peu comme le t-shirt NASA qui n'a rien demandé. La chaise du bureau a disparu pour faire de la place au matelas gonflable (ton lit provisoire) alors tu t'assieds sur le lit à côté de tes vêtements.

Sur le moment, ça m'a paru être une bonne décision. Enfin. Je pense toujours que c'est une bonne décision? Objectivement et tout...

Tu grattes ton bonnet.

Oui, on est en été, mais t'as mis ton bonnet préféré. Keskiya. D'abord, il fait humide. Et puis tu reviens de Turquie, t'es plus habitué à la météo anglaise.

Mais j'ai présumé que ça passerait bien, alors que j'avais aucune idée de ce que tu pouvais ressentir. Je suis désolé de pas avoir pris tes sentiments en considération.

Tu parles lentement. Tu cherches les bons mots. Aah, la communication... ça, c'est un DEMA que t'aurais bien aimé suivre à Poudlard. Tu ne sais pas si c'est la meilleure chose à dire, mais tu penses que ça reflète assez ce que tu ressens maintenant que tu réalises que tu l'as blessée. C'est important pour toi d'être clair avec ça, tu ne veux pas qu'elle s'imagine que tu as fait ce choix parce que t'en as déjà marre d'être là et que tu t'en bats les steaks de sa famille et d'elle. Pourtant tu n'oses pas tellement la regarder dans les yeux. La petite pile de vêtements est tellement plus intéressante... le plafond aussi. Aah y'a toujours tes vieux stickers phosphorescents en forme d'étoiles... la moitié ne s'allume plus. C'est pas grave. T'aimes pas te fâcher avec tes amis, Argus. T'as déjà essayé, et à chaque fois que ça arrive, t'as trop peur de dire de la merde et que ça parte en sucette. Chacun ses traumas.

▌Les mots de Dorothy contrastent avec son ton brusque. C'est une bonne décision. Tu le savais, enfin, objectivement tu en étais persuadé, c'est la décision logique, et les chemins logiques sont toujours assez clairs dans ton esprit. Pourtant, quand Dorothy te répond tu sens comme un poids en moins sur ton estomac, un poids dont tu ne savais même pas qu'il était là avant qu'il ne s'envole. Un déménagement, ce n'est pas une décision anodine, si tes proches n'approuvaient pas ça aurait été compliqué. Tu lâches un sourire crispé, moitié soulagé, quand elle te fait remarquer à quel point ton excuse est ridicule pour un sorcier. C'est vrai.

C'est juste... une raison parmi plusieurs. Pas la meilleure.

Pas la plus pertinente, mais tu n'avais pas envie de parler des autres devant tout le monde à table. Et puis c'est peut-être idiot mais la perspective de te rapprocher de ton travail te plaît. Tu aimes marcher, tu le faisais beaucoup avant de passer ton permis de transplanage et les transports publics moldus ne te dérangent pas. Quand on sait transplaner, on peut vite se rendre d'un point A à un point B, mais on est toujours pressé. Ou alors c'est juste toi, parce que tu aimes dormir le plus tard possible le matin.

Dorothy a l'air aussi hésitante que toi, dans son attitude en tout cas, car ses mots sont plutôt clairs et directs. Tu relèves les yeux, surpris. Pas tant par ce qu'elle dit que parce qu'elle le dit. Bien sûr, tu te doutais que ton amie, comme ta mère d'ailleurs, était contente que tu sois rentré. Les retrouvailles avaient été un peu awkward, d'ailleurs, parce que vous aviez amorcé ce qui ressemblait à un câlin, mais devant tout le monde, ça t'avait soudain paru bizarre. Tu t'étais arrêté à mi-chemin, Dorothy aussi, et tu avais feinté avec un geste à mi-chemin entre le salut du bras et le dabb. Très gênant, ce moment. Ta mère vous avait fixé tous les deux avec un petit sourire en coin. Elle s'était montrée encore moins démonstrative. La différence entre Dorothy et elle, c'est que la seconde n'exprime jamais ses attentes ou ses inquiétudes. Alors en grandissant, tu t'étais habitué à ça. Pas d'attentes, pas de déceptions, non? Mais quelqu'un t'avais attendu. C'est bête, réaliser tout d'un coup qu'on aimerait bien que quelqu'un nous attende quelque part. Oui, bête c'est le mot. Tu te sens bête, surtout quand Dorothy exprime les mêmes choses que toi, choses que tu n'as jamais dites tout haut évidemment. C'est niais.

J'avais pas vu les choses comme ça...

Tu réfléchis à haute voix, avant de réaliser que les mots sont sûrement maladroits. Tu te rattrapes immédiatement:

Tu m'as manqué aussi, bien sûr! Et ça me ferait plaisir de passer le reste de l'été avec toi. Mais je pensais... Eh bien, après tout ce qui vous est arrivé, je pensais que tu avais besoin de passer du temps en famille.

Ça encore, c'est quelque chose que tu n'aurais pas dû présupposer, mais c'était bien une des raisons qui t'avaient poussé à prendre ta décision. Ça commence à faire beaucoup de monde, dans cette petite maison, question intimité c'est pas top. T'es presque sûr que si vous élevez la voix on vous entendra depuis en-dessous dans le salon. Il te semble qu'après les épreuves difficiles que Dorothy, son père et son petit frère ont traversé, ils pourraient avoir besoin de se retrouver entre eux. Ce n'est pas vraiment possible pour l'instant, alors la moindre des choses, c'est de leur laisser de l'espace. Ce n'est pas ta mère ou Benny qui vont partir. C'est donc à toi de t'effacer. C'est ta réflexion. Tu n'es pas sûr de savoir comment l'exprimer, tu ne veux pas avoir l'air accusateur. Tu essayes d'être le plus honnête possible:

J'aime pas spécialement dormir sur le matelas gonflable, c'est vrai, mais c'est pas ce qui me gêne le plus. Je préfère que Tommy et toi ayez mon lit. Et puis il est petit, ça pourrait être bien pour lui d'avoir un environnement un peu moins... comme ça, avec un mec qu'il connaît même pas.

Tu ne l'as jamais entendu se plaindre, ça n'a pas l'air d'être son genre, il est plutôt très enthousiaste au quotidien... mais ça ne veut pas dire que c'est bien pour lui.

Ça me dérange pas de partir si ça vous laisse plus d'espace. C'est pas vraiment...

C'est plus vraiment ma chambre. Tu regardes autour de toi. Elle a toujours été petite cette chambre et en grandissant elle t'est apparue de plus en plus étriquée. Elle est remplie de souvenirs, de parties importantes de toi, mais ce sont essentiellement des choses qui t'appartenaient avant d'entrer à Poudlard. C'est ta chambre d'enfant, pas la chambre de celui que tu es maintenant.

Poudlard, c'était plus chez moi qu'ici. Et maintenant...

Tu hausses les épaules. Comment dire? En quittant l'école, tu avais gagné plus qu'un diplôme en médicomagie. Tu avais gagné la liberté. Une liberté que tu n'avais pas connue depuis des années... jamais, en fait. La liberté d'être adulte avec ta vie entre les mains. À toi de décider ce que tu en fais, comment tu utilises ton temps. La Turquie t'avait donné un aperçu du genre de possibilités qui s'offraient à toi. Une liberté totale, en théorie. Un peu effrayante en pratique. Qui a vraiment le contrôle total de sa vie?

... je crois que je pourrais me sentir chez moi à peu près n'importe où.

C'est peut-être effrayant, mais c'est le genre de challenge que tu te sens prêt à relever maintenant.

▌La petite pique de Dorothy t'arrache un sourire désolé, t'es peut-être brillant en potions mais ça te rend pas intelligent dans les autres domaines, surtout les relations. DEMA en médicomagie peut-être, mais B.U.S.E.S. en communication, et pourtant tu essayes. S'il y a un domaine dans lequel tu cherches toujours à faire des efforts, c'est bien celui-là. Et comme c'est en faisant des erreurs qu'on apprend, tu fais beaucoup d'erreurs. C'est ballot.  Il y avait sûrement des signes avant-coureurs, des signaux, mais pour toi la révélation s'est faite lorsque tu as vu la réaction de Dorothy. Et elle ne finit pas de te surprendre, après sa réponse franche, une question abrupte. Et avec n'importe qui? Ça te prend de court, tu réalises qu'à aucun moment tu ne t'étais imaginé vivre avec quelqu'un. Tu partais seul et tu pensais vivre seul aussi, parce que tu ne t'imagines pas vivre avec quelqu'un d'autre que toi? Parce que tu ressens le besoin d'ouvrir ce chapitre de ta vie seul? À Poudlard tu as toujours partagé un dortoir, chez tes cousins en Turquie tu avais une chambre mais pour le reste ça se rapprochait presque de la vie en communauté avec Poufsouffle, alors il serait normal qu'en rentrant tu ressentes le besoin de souffler. Sauf qu'il est loin le temps où ta mère te laissait à la maison, celui où tu jouais dans le jardin de tes grands-parents, seul. Poudlard, Poufsouffle en particulier, t'as appris les bienfaits de la vie en communauté. Et si tu aimes toujours ton indépendance et ton individualité, tu reconnais qu'il est plus facile de surmonter certaines épreuves lorsque l'on n'est pas seul. La vérité, Gus, c'est que tu pourrais vivre n'importe où, mais pas avec n'importe qui. Quelqu'un avec qui tu pourrais sacrifier ta solitude confortable. Quelqu'un qui en vaille le coup. Si Dorothy ne t'était pas venue à l'esprit, c'est pour toutes les raisons que tu venais de citer. Si c'était la réponse qu'elle demandait, tu pouvais la lui donner. Mais avant de penser à ce que tu feras une fois parti, il faudrait éclairer le pourquoi.

Elle a des mots très justes, des mots qu'il te coûte d'avouer, tant mieux si elle le fait pour toi. Tu hoches lentement la tête.

Je me sens... de trop, oui. Mais je serais pas resté pour des raisons débiles.

Tu accompagnes ça d'un léger sourire. C'était bien pour cela que tu avais quitté la Turquie. Tu prends les décisions les plus logiques, du moins, tu essayes. Comme dit précédemment, tu découvres tout juste la liberté des adultes et c'est parfois difficile à gérer. Tu n'es pas toujours sûr de savoir où tes décisions peuvent te mener, mais tu te rassures en te disant qu'au moins, au moment où tu les prends, elles font parfaitement sens à tes yeux.

Dorothy te demande si elle peut être encore un peu niaise et gênante et tu hoches la tête dans un mouvement un peu rigide. C'est pas comme si tu avais le choix, non? Tu es venu pour discuter à cœur ouvert, pas pour faire la conversation sur le temps gris. Ce genre de moments ne sont pas toujours agréables mais ils font partie du jeu et c'est quelque chose que tu acceptes. Tu lorgnes légèrement sur les mousses au chocolat que tu as laissées sur le bureau, parce que quand même tu sens que tu vas avoir besoin d'un petit remontant.

Ton amie revient sur cette période où elle avait quitté Poudlard, et pas que, d'ailleurs. C'est vrai, elle a gardé contact avec toi. Tu es tenté de lui répondre avec humour; après tout tu as des dossiers sur elle, t'aurais pu faire pression si elle avait essayé de s'échapper, mais le moment est trop solennel. Tu hoches la tête en signe de dénégation. À la vérité, tu y avais réfléchi un peu, mais tu n'avais pas trouvé de réponse à la question. Ou plutôt, rien qui te semblait assez logique ou réaliste. Maintenant qu'elle en parle, ça rejoint bien un autre mystère: pourquoi Dorothy t'a-t-elle attendu, dans le fond?

Ce qu'elle t'avoue te touche profondément, mais tu es incapable de faire le tri dans tes émotions. Tu ne sais pas à quelle réponse tu t'attendais; pas à cette déclaration. Pour être honnête tu ne fais pas attention à tout ce qu'elle dit ensuite, tu reviens dans la conversation quand elle s'excuse pour ta mère et ton futur beau-père et là tu écoutes attentivement, les sourcils froncés. Tu as l'impression qu'il te manque des informations, pourtant, tout est là. C'est juste ton estime personnelle qui essaye de te convaincre qu'elle exagère sûrement, qu'on manque d'éléments, parce qu'on n'arrive pas à analyser et comprendre cette réponse-là. Ton amie finit par mentionner les mousses au chocolat. Tu lâches comme un début de rire nerveux. C'est toi qui parles de bombe, Dorothy? Tu te lèves pourtant, pour t'exécuter. Le petit remontant, là, ça devrait bien passer. Seulement une fois debout face au bureau tu constates que tu ne peux rien avaler. Tu as la gorge un peu serrée.

Je crois que c'est la plus belle déclaration qu'on m'ait jamais faite.

Tu dis ça un peu connement face au bureau. Alors d'accord, t'as pas énormément de points de comparaison, but still. C'est juste beau et ça te touche. Tu te retournes avec un sourire un peu incrédule. Ton cerveau n'est pas encore sûr qu'il peut croire toutes ces informations, mais au fond ton petit cœur a entendu et c'est l'essentiel. On verra plus tard pour la réaction formelle. Tu fixes Dorothy, une mousse dans chaque main. Tu sais pas bien jusqu'à combien de secondes ce regard peut devenir gênant, alors déjà tu vas ravaler ton sourire débile, ensuite tu vas juste t'asseoir comme elle sur le sol et lui donner un pot et une cuillère.

Y'a de la chantilly si tu veux.

Tu plantes ta cuillère dans ta mousse mais tu as toujours la gorge serrée alors c'est difficile de manger. C'est difficile de parler aussi mais tu vas essayer. Tu te racles la gorge.
T'as pas souvent envie de pleurer, mais c'est toujours à cause de tes amis, bizarrement.

Pour être honnête je sais pas comment répondre à ça.

Est-ce qu'on est même censé répondre à ce genre de choses? T'es pas sûr. Tu sais pas. Ton cerveau lui est reparti en vacances en Turquie. Y'a plus qu'un seul organe fonctionnel, on dirait, mais c'est pas celui sur lequel tu bases tes décisions habituellement. Il bat un peu fort.

Respire Gus.

Mais j'ai une idée.

Tu poses deux secondes ton dessert à côté de toi et tu tends le bras vers ton amie.

Est-ce qu'on peut se faire une promesse niaise?

Oublie qu'on est majeurs et qu'on a plus 10 ans. Imaginons que cette chambre soit notre chambre d'enfants. Qu'on ait pas peur de ce qui nous attend derrière la porte. On allume la veilleuse et on repousse les cauchemars d'adultes de l'autre côté, juste pendant un instant. Tu plies la main et tu tends ton petit doigt.

Une vraie promesse.

Naïve peut-être, mais vraie de vraie. Croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer. C'est pas la règle du serment inviolable, ça? On peut faire un serment inviolable. Mais quelque part une promesse avec le petit doigt, c'est plus puissant.

À partir de maintenant, dès qu'on a un doute, on se le dit. Si on trouve que l'autre agit bizarrement, s'il fait quelque chose qui nous gêne ou s'il est juste chiant et qu'on ne peut plus le voir, on le call out immédiatement. Même en public, je m'en fiche. Si on a un problème, on le dit, peu importe ce que c'est.

C'est maladroit, probablement trop direct, et peut-être difficile à mettre en pratique en réalité, mais tu veux essayer. S'il y a bien une chose que tu as apprise de tes erreurs en communication, c'est que tu dois parler avant que les autres ne se fassent des idées. Alors tu vas parler. Tu vas parler énormément, Gus. Parce que...

Tant qu'on ne dit rien, ça veut dire que tout va bien.

Tu prends une inspiration, très brève. Si tu la retiens trop tu sens que tu vas te dégonfler.

Dorothy, je te promets que si un jour j'ai envie de partir pour de vrai et de tout quitter, tu le sauras. En attendant, je suis là. Même à l'autre bout de l'Angleterre, je suis là. Je pars pas.

▌T'es un peu fier de toi quand Dorothy bute sur les mots, c'est pas souvent que tu lui cloues le bec et tu as une petite pensée pour le Gus d'il y a deux, trois ans, quand vos échanges se limitaient à des joutes verbales à la bibliothèque. Il aurait été très satisfait, mais pas pour les mêmes raisons que toi. Non, c'était pas mieux avant. Et heureusement que ce n'est pas un concours d'éloquence, parce que tu ne sais pas qui remporterait la palme de la plus piètre performance. Parfois il y a des moments où parler ne suffit pas. Alors tu tends ton bras, et Dorothy également avant même de savoir ce que tu vas dire exactement. Ce geste devrait être une preuve suffisante de confiance, mais elle prend ton doigt dans le sien sans rien dire, sans rien demander, et ça te touche profondément. Elle accepte ta promesse un peu naïve et enfantine, un peu spontanée mais au fond très réfléchie. Le geste est simple, régressif, dans le bon sens du terme. Il te rappelle le Gus enfant, il était insouciant, plein de responsabilités déjà mais tellement plus libre que maintenant. Il n'avait pas peur de l'avenir, ici dans sa chambre il se sentait en sécurité, il avait l'impression qu'il vivrait mille aventures et que rien ne pourrait lui arriver.
Alors même si elle te semble toujours bien étriquée, cette petite chambre, tu es content d'être là avec Dorothy maintenant.

Il s'est passé beaucoup de choses cette dernière année, ce n'est pas souvent que vous avez eu l'occasion d'agir encore comme des enfants. Le passage à l'âge adulte s'est fait un peu sans prévenir, on vous a pas demandé votre avis en fait. Vous essayez tous les deux de jongler entre ce qu'on vous a donné, à Dorothy des responsabilités, à toi la liberté, et ce que vous voudriez avoir. Tu sais pas pour Dorothy, tu n'as pas osé lui demander, il te semble que ce serait un peu déplacé de la forcer à exprimer ses désirs profonds plutôt que ce que son devoir l'appelle à faire. Tu es certain qu'elle aurait choisi une autre voie si le destin lui avait laissé le choix, mais ce n'est pas le cas. Quant à toi, est-ce que tu as déjà été sûr à 100% de ce que tu voulais, même quand tu avais déjà pris ta décision? Il y a raison et émotion. C'est la première qui entre en compte quand tu fais un choix. Le reste a peut-être son mot à dire, ouais, mais il pèse jamais lourd en comparaison. T'es un peu dur avec tes émotions, Argus.
Alors cette promesse à Dorothy, c'est aussi celle que tu te fais en cet instant, de pas laisser ta logique et ta raison prendre le dessus quand il est question de votre relation. Parce que tu refuses qu'elle soit le dégât collatéral de tes décisions, parce que si elle est blessée c'est que le choix n'est pas, ne sera jamais le bon.

Je sais.

L'émotion prend trop de place dans ton cœur maintenant pour que tu sois capable de prononcer un mot sans l'avoir au bord des yeux, mais tu souris. Tu souris vaillamment pour ne pas ouvrir les vannes. Pas pas fierté, juste que quand tu commences, tu sais jamais si tu vas t'arrêter. Ce serait gênant, un peu.

Et je suis désolé d'être un crétin borné et bouché, comme dirait ma mère, mais t'as le droit de t'énerver si je fais n'importe quoi. Je vais faire des efforts pour que ça n'arrive plus.

Tu souris tellement fort que ça sonne légèrement faux, mais c'est peut-être parce que ta voix tremble un peu. Ta main aussi et tu secoues vos petits doigts en ravalant tes larmes.

Je peux lâcher ton doigt et te faire un câlin à la place?

À ce moment-là  on dirait vraiment un gamin. T'as peut-être régressé mentalement, ou alors c'est juste pour être sûr. On se rappelle la dernière tentative, ratée, c'était complètement ta faute mais dans le doute tu préfères être sûr. Tu te racles la gorge pour ajouter ça, moins sérieusement, parce que t'as pas envie d'avoir l'air de quémander:

Je veux pas abuser, mais j'aimerais bien que ça n'arrive pas uniquement quand on est en situation de crise.

Est-ce que tu ne réalises que maintenant à quel point Poufsouffle a eu une mauvaise influence sur toi? Peut-être. Mais c'est toujours mieux de demander la permission avant de faire des trucs de blaireaux, comme voler la bouffe de ses amis, ou initier un contact physique de plus de trois secondes, tiens.

▌Si tu poses la question, c'est que t'es pas sûr de la réponse. Une demande ça se refuse, et même si tu acceptes de prendre ce risque, c'est le soulagement qui t'étreint en même temps que Dorothy. Tu passes tes bras autour de ses épaules. Ta main gauche s'accroche à la manche de ton bras droit et tu la serres contre toi. 21 ans et enfin un minimum tactile. Mais tu es tactile. Parfois. Quand ça compte vraiment pour toi. Rire sangloté:

Humpf! T'emballe pas!

Comme si c'était le genre d'événements qui n'avait lieu que les nuits de pleine lune lorsque Vénus et Mars sont alignées. Le genre de trucs que tu ne reproduiras pas. On ne pourrait pas être plus éloigné de la vérité. Ce n'est pas la première fois, mais là c'est différent. À partir de maintenant ce ne sera plus seulement un geste pour se rassurer en désespoir de cause. Tu sais pas ce qui a changé mais c'est comme si vous aviez franchi un palier. Parce qu'on t'a donné la permission d'utiliser la carte 'HUG' en dehors des situations de crise? Tu sais pas, mais une chose est sûre, tu vas la dégainer plus facilement à partir de maintenant. De préférence pour pas faire du drama.

Ouais... ça craint.

Tu marmonnes en reniflant dans son pull. Malgré les circonstances, malgré ton annonce ce soir et la colère de ton amie, les choses n'étaient pas aussi effrayantes qu'elles auraient dû l'être dans ta tête et tu es rassuré. Tu te raccroches à ces mots comme à une petite bouée, tant qu'elle est là tout va bien, vous pouvez flotter. C'est à ce moment-là que tu comprends réellement sa déclaration, tu es ma maison, ça voulait dire tu es comme cette petite chambre où je me sens en sécurité. Dehors c'est le hasard, l'inattendu, l'inexpliqué, les trucs d'adultes trop compliqués. Mais ici, avec Dorothy, ça va. Avec Dorothy, on sait à quoi s'attendre. C'est rassurant.

Même si elle peut nous surprendre, ce n'est jamais effrayant. Au pire, trop touchant pour nous arracher des mots. On se contente d'inspirer fort pour ne pas éclater en sanglots.

Merci de bien vouloir de moi.

C'est ce que le petit Gus dans sa chambre d'enfant aimerait dire, car ce Gus-là n'a pas souvent entendu ces mots. Quelques fois, mais pas trop. Pas assez pour y répondre normalement, sans s'effondrer avec sa dignité. Petit Gus serre plus fort son amie contre lui.

Merci.

Juste ça.
Merci à toi.
Merci d'être là.
Merci de bien vouloir que je sois là moi aussi.
Merci, Dorothy.

Tu ne sais pas combien de temps il te faut pour te calmer, parce qu'avec toi ça peut durer un moment, mais finalement tu clignes des yeux, renifles et chasses avec ta manche cette fichue poussière dans tes deux yeux. La mousse au chocolat est là, elle te fixe. Ton appétit est revenu. Ta dignité aussi. Ta voix ne tremble plus, elle est juste un peu rauque, mais ça va. Tes yeux sont rouges, par contre, mais si ta mère a le culot de te le faire remarquer, tu jures de lui dire que t'as fumé.

Je propose qu'on mange le dessert avant que Tommy vienne nous le voler.

Tu l'avais entendu, en bas, demander s'il pouvait avoir une deuxième portion. S'agirait pas qu'il débarque maintenant pour réclamer son dû...

▌La mousse au chocolat ressemble moins à une excuse ou à un échappatoire maintenant, et plus à une récompense. Déjà, le chocolat, c'est bon pour les nerfs. Ensuite, tu n'as pas lâché que des larmes mais aussi un gros poids, dont tu ne soupçonnais même pas l'existence en commençant cette soirée. Tu es content que vous ayez pu régler cette situation sans trop de drama. Fier de vous. Alors oui, vous avez pleuré, mais à part ça, on peut dire que vous avez géré comme des gens adultes, raisonnables et responsables. Et c'est en tant que tel que tu hoches la tête quand ton amie dit ne pas vouloir que Tommy devienne accro au sucre. Elle a raison, ça vaudrait mieux. Le sucre, c'est bien à petite dose. Genre, là. C'est bien. Plus, on risque de se relever en pleine nuit pour s'enfiler une plaque de chocolat, et ce n'est absolument pas du vécu, alors tu te tais.

Tu souris en retour à sa plaisanterie, amusé par l'idée. Tu prends un mouchoir et tu lui en tends un autre:

Tiens, parce que j'suis pas sûr de pouvoir en dire autant avec ton pull... désolé.

Et tu te tournes pour te moucher, et fuir son regard dans le même temps. C'est pas de la lâcheté, tu veux juste pas qu'elle te voit sourire à ta bêtise comme si tu avais 5 ans. C'est nerveux, okay? Quand tu entames enfin ta mousse, tu la savoures, parce que vous l'avez méritée. Elle est très bonne, tu sais pas si c'est ta mère ou Benny qui l'a faite, mais tu es persuadé que tu ne l'aurais pas appréciée autant si tu l'avais mangée avant. Tu poses une main sur ton cœur avec un air faussement solennel:

Promis, je ne te trahirai pas. Faudrait surtout pas qu'il découvre que je suis ton préféré.

Quoique, t'es quand même tenté de sortir et de descendre les escaliers en hurlant ahahah c'est moi son préféré rien que pour voir une expression outrée sur le visage du petit Tommy. Tu affiches un petit sourire en coin. En vérité tu l'aimes bien, enfin, autant que tu peux apprécier un gremlin. Tu te dis qu'à son âge, même s'il ne comprend peut-être pas toute la situation, elle a beaucoup chamboulé son existence aussi. On lui a retiré sa mère, sa grand-mère, sa maison, on l'a mis ailleurs et on lui a dit: c'est ta vie maintenant. Qu'on le veuille ou non, c'est le genre d'événements qui marquent, et c'est ce qui te permet d'éprouver de l'empathie pour lui.

On... on pourrait l'emmener à la piscine avant que je parte.

Ça te vient spontanément, en te disant que Tommy pourrait être content de faire quelque chose d'un peu spécial. Ça vous permettrait aussi de vous connaître un peu mieux. Rappel que tu lui as implicitement légué ta chambre, quand même. En plus, tu as promis à Dorothy de passer l'été avec elle. Comme ça, pas de jaloux.

Ou autre chose, hein!

Tu replonges dans la dégustation de ta mousse, un peu gêné. C'est bizarre de dire ça vu que vous êtes chez toi, mais tu ne veux pas t'imposer.

▌C'est difficile de ne pas se mettre à la place de Tommy. De se demander ce qu'il pense de toute cette situation, ce qu'il ressent aussi. Une des choses qui t'effraye un peu chez les enfants, c'est la façon dont tout est très exacerbé chez eux, les réactions, les émotions, ils vivent tout pleinement, au premier degré. Toi et ton sarcasme au millième degré, vous avez un peu de mal avec ça. C'est la première chose qui t'a surprise quand tu as fait connaissance avec Tommy. Sûr, il est très expansif, mais l'as-tu déjà entendu se plaindre? C'est vrai que tu n'as pas passé tant de temps avec lui. Est-ce qu'il va geindre vers Dorothy quand tu as le dos tourné? Est-ce qu'il se cache pour pleurer? S'il pose des questions, c'est que ça le préoccupe, il devrait être bouleversé. Ou alors... peut-être qu'il a compris qu'un fardeau pèse sur les épaules de son père et de sa sœur, et peut-être qu'il ne se plaint pas pour ne pas en rajouter. Tu sais que les enfants sont plus intelligents qu'on veut parfois nous le faire croire. Et Tommy est toujours très enthousiaste, très souriant. Peut-être que c'est sa manière d'aider ses proches, à son niveau. Ça a beau être un enfant, c'est un comportement que tu comprends. Tu sais ce que ça fait de regarder un adulte en craignant à tout moment de le voir s'effondrer, de faire des efforts pour ne pas être la source de cette catastrophe-là. De contrôler le peu que l'on peut contrôler, à savoir son comportement à soi, ses réactions, ses émotions, pour ne surtout pas en rajouter. Ça ne devrait pas être le genre de problématiques qui traversent son esprit à 5 ans. À mesure que Dorothy t'explique, tu comprends mieux d'où te venait cette idée, a priori impulsive, de journée piscine. Changer les idées de Tommy. Faire quelque chose ensemble en dehors de cette maison. Passer un moment normal tous les trois, pendant lequel vous pourrez juste être une gamine, un morveux et un blaireau. Tu n'as aucun mal à répondre sincèrement à Dorothy:

Je ne me sens pas obligé. En plus, une journée à la piscine, c'est chill. Il va s'amuser dans l'eau, on va manger des glaces, je vais faire la sieste à l'ombre...

Tout ce dont un canard peut rêver. Ce que tu essayes de dire, c'est que c'est faisable, même en n'aimant pas trop les enfants, puisque Tommy sera occupé à s'amuser. Bon, t'as pas encore pris en compte toute la marmaille qu'il y aura autour de vous, mais ça, à part le bruit, c'est pas ton problème.

Et puis même au-delà de ça...

Tu finis ta mousse au chocolat et tu la poses à côté pour t'asseoir un peu plus confortablement sur le sol, en t'appuyant contre ton lit.

Je suis pas en train d'assumer quoi que ce soit à part être ton ami, Dorothy. Je pense vraiment que ce serait une bonne idée pour Tommy, mais pour nous aussi. Passer une journée normale, sans responsabilités, à part celle de ne pas se noyer dans le grand bassin.

Tu souris. Tu dois bien avoir une bouée gonflable quelque part... Tu reprends assez vite ton sérieux. Si Dorothy te parle de ses doutes, c'est que ça la travaille, et tu aimerais la rassurer du mieux que tu le peux. Tu es fils unique et tu n'es pas expert en enfants, mais il te semble qu'on peut tirer certains conclusions logiques de la situation.

Pour ce qui est de Tommy, je suis persuadé que tu as pris la meilleure décision possible dans... les circonstances qui se sont imposées là.

Peut-être que son père a raison et qu'elle compense pour remplacer le rôle vacant de sa mère, mais cela, n'est-ce pas plutôt à M. Martin de le faire? Dorothy a sauvé ce qui restait de ses proches, en les empêchant de couler avec leur famille maternelle, ça ne la rend pas responsable de tout ce qui est arrivé en réaction à tout ce merdier.

C'est toi qui a pris cette décision, mais les conséquences ne t'appartiennent pas. Elles viennent des choix pourris d'autres personnes, qui ont été faits sans te demander ton avis.  C'était pas à toi d'assumer tout ça, mais tu le fais, et tu fais de ton mieux. À partir de là, je ne pense pas qu'il faille te reprocher quoi que ce soit. Ma mère a raison.

Et venant d'elle, ce genre de déclaration ne te surprend pas. Tu lèves les yeux au ciel en ajoutant:

Enfin, suis pas tous ses conseils quand même, c'est pas une référence absolue...

Ce n'était pas de sa faute à la base et tu l'aimes, mais ça n'enlève rien au fait qu'elle a enchaîné les erreurs, surtout quand tu étais plus jeune. Disons qu'après, tu t'étais habitué aux absences, alors ça allait mieux. Et depuis que vos hôtes sont là, ou depuis ses fiançailles avec Benny peut-être, tu sais pas, elle est beaucoup plus impliquée dans le quotidien de la maison. Tu te demandes s'il n'y a pas de la culpabilité de sa part, une façon de rattraper ses erreurs après coup. Après tout, elle avait suivi tout ce qui s'était passé avec The Crow, tu sais qu'elle était inquiète pour vous à Poudlard, et ce genre d'événements imprévus fait forcément réfléchir... Elle avait peut-être eu une prise de conscience à ce moment-là, ou quand elle a vu les dégâts que ça a causé sur les Martin. Ce n'est plus très important maintenant, et puis, elle au moins, elle n'a pas essayé de soutenir un terroriste suprémaciste... c'est toujours un plus.

▌Il est vrai que tu n'avais pas pris le temps de donner ton avis jusque là. Tu avais senti, dès son départ de Poudlard, que Dorothy savait ce qu'elle faisait, ou du moins, qu'elle savait ce qu'elle allait faire. Elle prenait ses décisions l'une après l'autre et à aucun moment tu ne t'étais senti le droit ou le devoir de les discuter. C'était juste pas tes affaires, Gus. De la même façon que tu avais pris ta décision de partir. Sans réaliser à quel point il était important pour toi qu'elle l'accepte. Alors maintenant qu'elle parlait ouvertement de ses doutes, il te semblait important qu'elle sache elle aussi qu'elle était soutenue. Tu comprenais sa réaction, même si sa réponse te faisait sourire. Tu n'avais pas l'impression de dire des trucs beaux, c'était juste ton opinion. Mais peut-être qu'elle avait raison sur le second point et que tu embellissais avec l'âge.

C'est la sagesse, ça... Faut dire que j'ai plus vingt ans!

Vingt et un, pour être précis. Tu souris, fier de ta blague. Tu as beau plaisanter, tu es conscient du sérieux des mots qui sont échangés là, entre Dorothy et toi. Ce n'est pas anodin. C'est important de dire ces choses-là. Mais ça n'a pas à être solennel, au contraire. Comme tout dans votre relation, c'est très naturel, et ça te fait du bien de ne pas te mettre la pression pour ça. Tu aimerais que toutes les relations soient comme ça. Mais alors ça rendrait ce qu'il y a entre Dorothy et toi banal, et égoïstement, tu aimes penser que vous avez quelque chose d'un peu spécial.

Tu grimaces, légèrement, quand elle brise tes rêves de sieste au bord de l'eau, à l'ombre d'un arbre ou d'un parasol. C'est vite effacé quand elle te révèle que Tommy est en admiration devant toi, tu sais pas trop pourquoi, mais c'est les enfants ça... ils sont pas toujours logiques. Ce serait gênant si c'était la première fois qu'on t'admire pour aucune raison en particulière, mais tu as des petits cousins alors tu as l'habitude. Tu adoptes un air faussement sérieux pour répondre:

Oh, wow... Écoutes, si Tommy le dit, c'est que ça doit être vrai. Je vais essayer d'être à la hauteur de ma réputation, alors.

Tu n'as pas de lunettes de soleil à proximité, sinon tu les mettrais là, maintenant, en souriant. Ce serait approprié. En fin de compte ça devrait aller, une journée piscine, ce n'est pas la mort, même si tu dois patauger dans l'eau au lieu de dormir sur un transat. Tu es incapable de garder ton masque de sérieux trop longtemps, puisque Dorothy en rajoutes. Obligé, tu entres dans son jeu:

Évidemment que j'accepte, mais c'est bien parce que vous êtes aussi cool et BG que moi, miss Martin. Je partage pas ma classe naturelle avec n'importe qui, oh!

Cette fois, tu es obligé de te relever pour prendre ta paire de lunettes de soleil. Tu fouilles dans un tiroir, ça prend presque trop de temps pour que ce soit raccord avec la blague, mais tu finis par te retourner, les lunettes sur le nez, pour prendre une pause de gagnant. Comme par hasard, c'est le moment que choisis Tommy pour toquer à la porte.

Repulso!

Pour cacher les restes de la mousse sous le lit, alors que Tommy entre, étonné.

Pourquoi t'as des lunettes? Vous faites quoi?
Le concours du plus cool. Tu veux participer?

Tommy sourit et ses grands yeux s'illuminent. Contre lui c'est sûr, tu peux pas gagner.